[Ailleurs] Quête : Au-delà – Une clairière sans étoiles

[Echo]

Tout s'était enchaîné trop vite. Beaucoup trop vite. Il était mort, son familier était mort sous ses yeux et elle n'avait rien pu faire. Pire encore, elle avait l'impression qu'une partie d'elle était morte avec lui. Tout était de sa faute, elle n'avait pas vérifié la nourriture, elle n'avait pas vérifié le vin. Elle avait les larmes aux yeux et le souffle court. Non... Elle déraisonnait. Ce n'était pas son familier, elle n'avait jamais eu de familier. Mais alors pourquoi se sentait-elle aussi mal ? Tout cela lui avait semblé bien trop réel pour appartenir à un simple rêve. Elle se sentait stupide et... profondément troublée. Les souvenirs du drow se mêlaient encore à ses propres souvenirs, si bien qu'il lui fallut un certain temps avant d'arriver à les dissocier parfaitement.

Subissant encore le contrecoup de la mort du dragon-fée, elle s'affaissa sur le sol. Et lorsque son regard tomba sur Lothringen, elle comprit. C'était lui, son « hôte ». Et l'épreuve qu'elle venait de vivre lui apparut sous un jour nouveau. Un souvenir, le souvenir de l'un de ses compagnons d'infortune, c'était ça, son épreuve. Cela ne rimait à rien, mais c'est l'explication qui lui vint spontanément à l'esprit. Pourquoi ne l'avait-elle pas réalisé plus tôt ? Elle ne prêta aucune attention au regard de dégoût que lui lança la paladine.

[Althéa]

Angèle fut rassurée de voir Chance se matérialiser dans la clairière, mais ce sentiment ne dura pas. Elle sentit la colère l'envahir de nouveau. L'espace d'un instant, elle manqua attraper la tieffeline par la cape et de lui hurler ses quatre vérités à la figure. Mais elle était trop assommée pour bouger, pour se lever même. L'image du petit cadavre était encore trop présente dans son esprit. Et elle se trouvait enfermée avec l'auteur du crime. Elle s'entendit prononcer doucement.

"Et sa mère, vous l'avez tuée elle aussi ou vous l'avez laissé découvrir le corps de son fils ?"

Elle avait parlé d'une voix atone, presque dépourvue d'émotion. Comme chaque fois, elle se protégeait sous une carapace de froideur. Et Chance ne ferait pas exception. Elle voulait savoir ...

[Taliesin]

-Un instant, je vous prie, intervint alors Taliesin.

Il avait noté l'émotion du semi-drow mais ne s'y était pas attardé : quelle importance, l'émoi d'une figure onirique ? Il avait aussi remarqué la colère de la paladine et, un instant, il s'était demandé si elle n'avait pas vécu l'un de ses pires souvenirs - enfin, plutôt, si le rêve ne voulait pas lui faire croire qu'elle l'avait vécu. Mais non, il s'était trompé : c'était contre l'autre jeune femme qu'Angèle tournait son courroux.

Dans le fond, tout cela n'avait aucune importance. Tout ce qui comptait, c'était de mettre un terme à ce cauchemar. Et pour cela...

-Nous sommes tous de retour dans cette charmante clairière. Bien. Alors pourquoi perdre du temps en vaines discussions ? Pourquoi ne pas se hâter vers le pillier suivant ? Plus tôt nous nous y mettrons, plus tôt nous aurons terminé, non ?

[Echo]

Les paroles d'Angèle furent comme un électrochoc ; les yeux de la tieffeline s'écarquillèrent et des spasmes se mirent à secouer son corps. Elle détourna aussitôt le regard et tenta de maîtriser tant bien que mal ses tremblements, les mains crispés sur les plis de ses vêtements. C'était encore son imagination qui lui jouait des tours. La paladine n'avait pas vraiment dit ça. Pourquoi aurait-elle dit une chose pareille ? Elle ne savait rien, elle ne pouvait rien savoir, c'était impossible.

Mais le doute subsistait néanmoins et Chance s'appliqua à fuir le regard de la paladine chaque fois qu'elle levait les yeux de ses chaussures. Elle profita de l'intervention du barde pour se redresser et rejoindre le prochain pilier en espérant que celui-ci l'emmène aussi loin de cette femme que possible.

[Mornagest]

Les choses risquaient bien de s'envenimer s'ils laissaient les deux femmes s'expliquer. Visiblement, les souvenirs des autres n'avaient guère été plus plaisants que le sien, au contraire. Tout juste avait-il, lui, dû subir les foudres d'un père autoritaire et les avances de sa fille délurée... à voir les mines déconfites autour de lui, ils avaient vécu des scènes de mort ou de chagrin.

Force lui était de constater que le barde avait raison : mieux valait éviter de se perdre en vaines discussions. Le passé... était joué, et ils ne pouvaient qu'avancer s'ils voulaient espérer sortir vivants d'ici.

"Taliesin parle d'or. Quittons cet endroit qui pue la magie noire. Il sera toujours temps de raconter ce qui nous est arrivé... dans un endroit moins lugubre qu'ici."

Il alla rejoindre Chance au pilier suivant.

[Lothringen]

Lothringen ne partageait ni cette hâte, ni ce sentiment. Plus tard ? S'ils survivaient, peut-être ne se retrouveraient-ils jamais, et n'auraient-ils jamais l'occasion de comprendre ce qu'il venait de se passer. Plus tard... Comme si c'était une course de fond, et qu'il n'y avait pas de raison pour qu'on leur ait infligé le souvenir des autres. D'une manière ou d'une autre, ils étaient liés.

"Ce n'est pas de la magie noire", prononça-t-il sombrement, d'une voix qui manquait de fermeté. "Je la connais bien. Elle a une autre odeur."

De là à dire de quel type de magie il s'agissait exactement, il y avait un pas qu'il n'aurait su franchir. Ce disant, il n'avait pas bougé de sa place, et, les yeux fixés devant lui, évitait désormais de regarder Mornagest. Cette clairière avait beau être un lieu qui dégageait un ennui mortel, c'était l'endroit où ils pouvaient profiter d'un certain répit, et il n'était pas prêt à y renoncer de sitôt. La vérité, c'est qu'il n'était pas en état de repartir. Pas tout de suite, en tout cas.

[Althéa]

Angèle avait du mal à cohabiter avec une meurtrière et qui plus est s'obstinait à fuir son regard. Ce n'était pas qu'un rêve mais un aveu flagrant de culpabilité. Elle avait déjà du mal à comprendre ce que l'ancien chancelier mélandien faisait ici alors qu'il était supposé avoir quitté le monde. Et maintenant Chance qui avait assassiné froidement un enfant ... Ce n'était pas une clairière dans laquelle ils avaient été transportés, plutôt un purgatoire.

Elle écouta Taliesin qui proposait de continuer sans attendre puis Mornagest qui pensait qu'une funeste magie était à l'oeuvre puis Lothringen répondre que les forces qui les maintenaient ici étaient neutres. Elle demanda à mi-voix.

"Alors, qu'est-elle ? Et qu'est-ce qu'elle cherche sinon à nous détruire d'avantage à chaque épreuves ?"

Elle manqua ajouter : "Ou que certains d'entre nous poignardent les autres" mais se retint à temps.

[Taliesin]

Taliesin réprima un profond soupir. Lorsque l'étrange jeune femme lui avait emboîté le pas, suivie par Mornagest - pour une fois, il avait plutôt apprécié l'attitude de ce dernier, ce qui était un petit miracle en soi -, il avait cru que l'affaire était entendue et qu'ils se dirigeraient tout droit vers l'épreuve suivante et, par conséquent, se rapprocheraient du terme de ce mauvais rêve. Mais voilà que Lothringen n'avait pas bougé d'un pouce, initiant plutôt une discussions à laquelle Angèle s'était jointe... Bah, tant pis : comme protester ne servirait à rien, il lui fallait prendre son mal en patience.

[Lothringen]

Lothringen jeta un regard écoeuré sur les trois autres, qui se pressaient autour du pilier comme si rien ne s'était passé, prêts à passer à la suite comme si de rien n'était. Impatients, même. Comme si tout cela n'avait aucun sens, ou plutôt, comme si leur seul nombril comptait. Peu leur importait, manifestement, ce qu'ils venaient de vivre ou ce qu'avaient vécu les autres, ou les vérités dérangeantes qui avaient été révélées sur leur compte et qu'ils n'assumaient pas... Ils étaient sourds, et aveugles. C'est tellement plus facile.

Alors il laissa libre cours à son amertume.

« Nous détruire ? Vous et moi, peut-être... Mais regardez-les : ils vivent ça très bien. Ce n'est qu'un rêve, n'est-ce pas ? Tout est permis. Même et surtout de se comporter comme celui qu'on est vraiment. Égoïste, et lâche. »

[Mornagest]

Les propos de Lothringen résonnèrent lugubrement dans ses oreilles. Il se sentit directement concerné, bien qu'il ne fût pas certain que c'était lui qui avait vécu un de ses souvenirs... et pourtant ? Par déduction... quel souvenir avait-il pu vivre, d'ailleurs ? La plupart de ceux qu'il possédait, la majeure partie de sa vie était bâtie sur le meurtre, la trahison, la haine... son revirement était récent, violent, et il avait presque tendance à oublier qu'il était différent, avant.

Mornagest regarda son compagnon. Son air était aussi désabusé que ses paroles, et il sentit une pique acide lui transpercer le cœur. Il aurait voulu pouvoir parler de cela avec lui, en privé... mais c'était impossible tandis qu'ils vivaient tous ici, dans cette clairière qui semblait vouloir les soumettre à une torture mentale des plus cruelles.

"J'ignore quelle était la tenue de votre rêve... mais nous devons continuer. Chacune de ces épreuves nous mine, tous autant que nous sommes. Pensez-vous qu'il vaudrait mieux exposer le fond de notre pensée entre nous tous ?"

Il avait été plus rude qu'il ne l'aurait voulu. Mais il se demandait réellement quelle autre possibilité ils pouvaient avoir que de poursuivre ce cauchemar, même s'il était réel. Les inimitiés entre eux étaient déjà assez fortes auparavant, et c'était une litote. Mais cela risquait simplement d'encore s'aggraver s'ils ouvraient leur cœur...

[Echo]

Elle s'était avancée vers le pilier en espérant que ce dernier l'emmène là où elle n'aurait plus à affronter les mots et les regards de la paladine, aussi acérés les uns que les autres, mais visiblement ses compagnons ne semblaient pas pressés de mettre fin à son calvaire. Cette clairière n'était plus un refuge, c'était une prison, et chaque seconde qu'elle passait ici la rendait folle. Sa nervosité était bien visible à présent, elle ne cessait de se passer les mains dans les cheveux comme si elle souhaitait se les arracher sans en avoir le courage. Elle s'obligea à cesser ce manège, mais chaque fois une autre réaction trahissait son angoisse. Elle se mit à trembler comme une feuille, et il était clair qu'elle ne se contrôlerait plus indéfiniment.

- Vous voulez qu'on parle de ce qui s'est passé ? lança t-elle soudain à l'elfe noir, hargneuse. Ça tombe bien, c'est justement dans votre passé que je me suis retrouvée, Almaeron, lorsque vous étiez esclave. Est-il utile que je raconte à tout le monde ce que j'ai vu, ce que j'ai fait lorsque j'étais là-bas ?

C'était un peu injuste de s'en prendre à lui de cette façon. Elle n'avait aucune envie de parler du passé de quelqu'un d'autre, cela ne la concernait pas, cela ne concernait personne. Elle aurait aimé que les autres aient autant de pudeur face à ce qu'il avait vu là-bas, lorsqu'ils endossaient des rôles qui n'étaient pas les leurs. Vouloir en parler était inutile.

Son attention se reporta alors sur Angèle dont elle soutint cette fois le regard. Si les yeux de la paladine étaient de glace, ceux de la tieffeline irradiaient de colère.

- Je me fiche de ce que vous pensez savoir de moi. La fière paladine a exhumé mon passé et veut s'en servir contre moi ? Qui n'a pas de sang sur les mains ici ? Il est hors de question que je sois jugée par vous ou par quiconque ici !

[Lothringen]

Lothringen n'avait pas eu le temps de répondre à Mornagest que la tieffeline l'invectivait avant de s'en prendre à Angèle. Il reçut son ancien nom en plein visage, comme une gifle. Et, au fond de lui, il ne put s’empêcher de songer : « vois ce que tu as déclenché, tu es bien puni maintenant. » Est-ce qu'il avait voulu cela ? Non, pas vraiment, pas consciemment en tout cas, et pas de cette façon.

Ce qu'il aurait voulu, c'était pouvoir discuter seul à seul avec Mornagest, parce qu'il ne pouvait pas passer sur ce souvenir comme si de rien n'était : il avait besoin d'en parler. Et l'aisance avec laquelle le guerrier donnait le change finissait par le blesser, même s'il en connaissait parfaitement les raisons. Savoir qu'ils s'infligeaient cela à cause de gens qui le croyaient mort, et qui se fichaient royalement d'eux... rendait cette contrainte d'autant plus absurde et insupportable. Et si cela durait ? Allaient-ils mourir seuls, à deux pas l'un de l'autre, sans se dire un mot ?

La seconde chose qu'il aurait voulue, c'était prendre un moment pour se reposer, parce qu'il venait de marcher deux jours durant dans une fuite éperdue à travers la montagne, en pleine tempête de neige. Qu'il n'avait pas vraiment dormi. Et qu'il était épuisé, tout simplement. ...mais pour ce qui était du repos, il n'y fallait plus songer. Cette clairière allait se transformer en arène.

[Althéa]

Angèle faillit répliquer qu'ils avaient peut-être du sang sur les mains mais pas celui d'un enfant mais quelque chose lui disait qu'au vu de la tension la situation risquait de dégénérer. Elle se contenta de fixer Chance quelques secondes. Pas besoin de parler, elle saurait sûrement à quoi elle pensait. Elle commençait à avoir sérieusement mal à la tête. Trop de pression, trop de fatigue, trop d'angoisses ... Elle avait simplement envie que tout finisse quel que soit le repos.

Peut-être avec un peu de chance Morgan l'attendrait-elle, là, à la fin de l'histoire. Et toute sa souffrance laisserait place à un vaste sentiment de plénitude. Mais pour le moment restaient à affronter les autres épreuves dont elle ne savait rien.

[Mornagest]

Malheureusement, Mornagest avait eu raison lorsqu'il avait posé sa question. Raviver les souvenirs de l'un vécus par l'autre ne ferait qu'accroître la tension entre eux, alors qu'elle était déjà suffisamment forte du fait de cette promiscuité forcée... entre des personnes qui n'étaient pas vraiment faites pour s'entendre. Pour preuve, le comportement presque glacial que Lothringen avait depuis la fin de cette dernière épreuve... Mornagest se doutait qu'il avait vécu un souvenir atroce, mais il ne pouvait évidemment pas savoir lequel. Cela n'avait pas d'importance : il savait que c'était quelque chose qu'il n'aurait jamais dû commettre...

Si même eux deux en venaient à se faire la tête, cela ne laissait rien augurer de bon pour la suite.

Sans mot dire, le guerrier observa les autres, tout en restant près du pilier. Il fallait continuer. C'était la clef du mystère. Car, s'ils s'étripaient ici, qu'y gagneraient-ils sinon un aller simple pour les Plans ?

[Taliesin]

Cette fois, Taliesin ne put s'empêcher de soupirer. Au train où allaient les choses, soit ils allaient s'entredéchirer, soit ils ne bougeraient pas d'un pouce. Dans les deux cas, ce n'était certainement pas souhaitable. Il fallait donc qu'il essaie d'influer sur le cours des événements. Il doutait d'y parvenir mais... Qui ne tente rien n'a rien.

-Je vois deux solutions pour nous tirer de ce mauvais pas, dit-il calmement. D'abord, procéder à un grand déballage : chacun révèle ce qu'il a vu et dit sa façon de penser à celui dont il a découvert l'un des secrets. Après tout, il n'est pas impossible que nous nous sentions mieux après avoir vidé notre sac, que nous en venions même à faire tous un grand mea culpa et, ensuite, à repartir de l'avant sur de meilleures bases. Cela n'est pas impossible, non, mais à franchement parler, cela me paraît très peu probable. Qui a envie de se livrer face à des inconnus ou à des ennemis ? Qui a envie d'être jugé par eux ? A mon sens, une telle démarche déboucherait plutôt sur une belle empoignade collective, d'autant que nous sommes déjà à couteaux tirés.

Il secoua la tête.

-La seconde option, c'est de passer l'éponge. D'accord, nous avons tous quelque chose à nous reprocher. D'accord, certains d'entre nous se détestent, à cause de nos relations passées ou de ce que l'épreuve précédente nous a fait découvrir. Mais nous savons aussi que si nous voulons triompher de ce cauchemar, nous devons travailler ensemble, là où nous entredéchirer serait lui offrir la victoire sur un plateau.

Il eut un sourire un peu embarrassé.

-Vous me direz que je suis mal placé pour en appeler ainsi à la raison. Et vous n'aurez pas tort. Oui, l'envie de tuer sur le champ le chancelier Mornagest me démange, tandis que l'idée de collaborer avec lui me fait horreur. Néanmoins, s'il faut en passer par là pour regagner le monde réel, soit, je réprimerai mes envies de vengeance et collaborerai avec lui.

[Echo]

L'elfe avait résumé la situation. Chance n'avait pas envie de savoir à quel point Angèle la méprisait, cela ne l'intéressait pas, pas plus que le jugement qu'elle pourrait émettre sur ce qu'elle avait vu. Malheureusement, la paladine n'avait même pas besoin d'ouvrir la bouche, son regard exprimait ce qu'elle tentait de taire et c'était justement ça que la tieffeline ne supportait pas. Allait-elle devoir subir le poids de ce regard jusqu'à la fin ? Rien que l'idée la faisait sortir de ses gongs.

- Je suis prête à continuer, alors soit nous y allons, soit nous restons ici pour parler à coeur ouvert. La seconde option me paraît la plus risquée, vu les circonstances...

[Lothringen]

Lothringen réprima un haussement d'épaules épuisé. Le barde parlait bien, mais il s'écoutait parler et ses paroles sonnaient creux aux oreilles du semi-drow. Mornagest mis à part, peu lui importait, au fond, ce que pensaient les autres ; si ces derniers trouvaient plus commode de faire comme si de rien, s'ils étaient capables de glisser là-dessus comme sur un détail sans importance, cela les regardait. Qui sait, ils avaient peut-être eu la chance de revivre des souvenirs très anodins, des promenades en bord de mer et des sourires de jeunes filles ? Mais cette stratégie de fuite et cette indifférence auguraient assez mal de leurs qualités humaines, à ses yeux : il l'avait déjà dit. Des ennemis ? Parce que certains l'avaient choisi.

Après, l'appel à la coopération, de la part de cet homme-là, faisait pire que sonner creux – il sonnait faux. Comment le plus vindicatif d'eux tous osait-il se donner le rôle du rassembleur ? « Travailler ensemble » ? Le temps de toucher le pilier, sans doute. Ils subissaient les épreuves seuls. De plus en plus seuls, à vrai dire... Et discuter, dans un tel climat, ne menait à rien.

Lothringen se releva péniblement, et chacun de ses muscles semblait réclamer un gémissement de douleur attitré. Il était las ; s'ils devaient à nouveau marcher dans la neige et le froid comme cette fois et la précédente encore il allait s'effondrer de fatigue d'un instant à l'autre, mais – il commençait à penser, dans le secret de son cœur, que le plus tôt serait le mieux.

[Althéa]

Angèle avait entendu parler Taliesin et Chance. Dans d'autres circonstances elle se serait indigné, aurait déclaré justice. Oui, la tieffeline devrait répondre de ses actes dans ce monde ou dans l'autre. Le meurtre du petit garçon ne devait pas rester impuni. Mais elle ne serait pas là pour voir ce qu'il adviendrait d'elle, elle devait simplement espérer que tôt ou tard, Tyr la rattraperait. Elle était épuisée, à bout. Trop pour se lancer à un débat houleux qui comme le disait fort bien le barde risquait d'envenimer la situation. Alors oui ... Bien malgré eux ils allaient devoir collaborer.

Voyant Lothringen se lever elle s'approcha à son tour en silence mais son regard resta rivé sur Chance et ne la quitta pas. Pas besoin de mots, elle savait fort bien qu'elle comprenait. En attendant, ils devaient venir à bout des épreuves. Et elle se demandait à qui elle pouvait faire confiance.

[Taliesin]

Taliesin était satisfait. Bien sûr, il n'avait sans doute pas convaincu tout le monde, mais au moins son intervention était-elle parvenue à inverser le mouvement et, à présent, tout le monde convergeait vers le pilier. C'était tout ce qui importait. Pour le reste... Il n'était pas dans sa nature de demeurer insensible à la fatigue, aux tourments d'autrui. Cependant, s'il commençait à s'émouvoir pour d'oniriques figures, il n'était pas tirer d'affaire. D'autant que certaines desdites figures ne lui étaient guère sympathiques - doux euphémisme...

Il posa sa main sur la surface de cristal, espérant que les autres l'imiteraient sans tarder. Ils allaient à nouveau de l'avant : en cela, au moins, il y avait de quoi se réjouir.

[Mornagest]

La situation restait tendue, mais ils acceptaient de poursuivre. Quel autre choix avaient-ils ? Ils ne disposaient pas d'assez d'éléments pour se mettre à cogiter sur leur situation. Sauf, peut-être, Lothringen, mais il ne paraissait guère désireux de se lancer dans une explication technique ou secrète à l'adresse de tout le monde. Il avait certainement ses raisons, mais cela empêchait probablement aux autres d'appréhender la raison profonde de leur présence commune, dans cet endroit si peu commun...

Soupirant, le guerrier imita Taliesin et posa sa main. Un crépitement se fit entendre, doucement, lorsque le contact se produisit.

[Lothringen]

Une fois qu'ils auraient eu ce qu'ils voulaient, les autres iraient où bon leur semblerait et lui laisseraient probablement la paix : s'ils avaient besoin d'être ensemble pour toucher le pilier, ce n'avait jamais été le cas par la suite, les retours se faisant individuellement. Lothringen comptait donc trouver moyen de se reposer une fois qu'ils seraient arrivés à destination. En attendant, cette clairière beaucoup trop exiguë était devenue assez irrespirable.

Il posa la paume sur le pilier, prêt à maudire les responsables cachés de tout ceci s'il retrouvait *encore* un paysage de neige et de glace.

[Althéa]

Elle posa à son tour la main sur le pilier, éprouvant la sensation de froid sous ses doigts. Elle était épuisée, fébrile et résignée mais elle tenait. Et si elle était déterminée à aller jusqu'au bout des épreuves, elle avait maintenant plus de questions que de réponses. Sa résignation vacillait, s'effondrait. Quelques instants, elle adressa à son dieu une prière silencieuse même si elle savait que toute justice avait déserté ce lieu.

Il y eut comme les fois précédentes une sorte de vrombissement et chaque membre du groupe se vit perdre ses contours, s'effacer doucement pendant qu'une force irrésistibles lesemmenait ...