[Lieu] Une route oubliée

[Hubert de Maleval]

Hubert avait sélectionné une dizaine de soldats parmi le groupe des colons, en ce compris leur officier, Edgar, laissant la colonne de chariots et les enfants sous la garde de Gaspard et des mercenaires. Avant de partir, il leur fallait encore bouter le feu aux cadavres, ce qu'il avait l'intention de faire à partir d'herbe coupée et des vestiges des chariots détruits dans la bataille. Il n'était pas certain que cela prendrait, mais il fallait essayer : un charnier gigantesque n'était pas envisageable, aussi près de la cité : les charognards ne tarderaient pas à abonder. Si ce n'étaient que des corneilles ou des loups, passe encore, mais des créatures goulues bien plus dangereuses vivaient dans la région : il avait quand même lu son livre jusqu'à la lettre... I ? Il n'était pas certain de s'en souvenir. Il faudrait retourner rapidement au fort pour faire la même chose. Ces deux bastions perchés sur la passe seraient, à moyen terme, utiles à la protection de la cité naissante.
Si près du but. Il avait du mal à le croire. Et il avait étrangement peur d'arriver au terme de leur périple, car il ne savait pas de quoi serait fait demain.
Rose. Demain sera rose.
Il frissonna.
" C'est comme vous voulez, dit-il aux enfants. Soit vous accompagnez les chariots en bas, soit vous montez avec nous."
Ils avaient Douce avec eux et la vieille jument pouvait les porter tous les deux. Si elle fatiguait, il prendrait Alban en croupe sur Grand Vent.

[Taliesin]

-Je viens avec vous ! s'exclama aussitôt Ruth.
Alban grimaça, indécis.
-Peut-être que... Ce serait mieux si... J'accompagnais les chariots... finit-il par avancer. Comme ça, Ruth, tu pourras chevaucher toute seule, ce sera plus agréable...
-Hum... Soit t'as encore mal de la cavalcade d'hier, soit tu les aimes vraiment bien, les minis barbares.
Le gamin rougit.
-Il me font de la peine, avoua-t-il. Mais surtout... J'ai l'impression que c'est là-bas que je serais le plus utile, alors qu'ici, je ne servirais pas à grand chose.

[Hubert de Maleval]

Hubert s'efforça de conserver une expression neutre. Les paroles que lui avait glissées Albérich avant de s'éloigner lui revinrent évidemment à l'esprit. Ça n'avait pas été complètement une plaisanterie, il le savait bien. Le Luménien n'était pas persuadé que la carrière d'écuyer convenait au petit garçon et le lui avait déjà dit. Il n'aimait pas les chevaux, il était plein de compassion. Il y avait des points communs indéniables entre le clerc et l'enfant, au delà des premières lettres de leur prénom. Mais Alban ne l'accepterait jamais et Hubert ne savait qu'en penser. Robert avait vu un chevalier dans le fils du meunier. N'était-ce pas sa faute à lui, le paladin téméraire, s'il était en train de se détourner de cette voie ?
" Faisons comme ça. Nous nous retrouverons ce soir."
Il ne pouvait pas le contraindre, non plus. Et ce n'était qu'un trajet. Demain, les choses rentreraient dans l'ordre.

[Taliesin]

Ruth le regarda s'éloigner avec un haussement d'épaules... puis avisa l'expression du paladin.
-Vous en faites pas : dès qu'il aura plus d'ampoules, il remontera en selle !
De son côté, Albérich vient bientôt surgir, déboulant depuis la rampe, un Alban essoufflé. Peut-être avait-il craint d'arriver trop tard.
-Messire, messire Hubert nous a laissé le choix de rallier la cité... par en haut ou par en bas et... J'ai songé que... Je pourrais peut-être rendre service ici.

[Galathée]

" Dans ce cas, bienvenue !" lui dit Albérich avec un large sourire.
Ce gosse avait du coeur. Ou alors il détestait vraiment monter à cheval. L'un dans l'autre, le Luménien avait bien l'intention de profiter de sa présence.
" Que préfères-tu ? Le siège d'un cocher ? La marche ? Ou bien veux-tu aller te mêler aux enfants cannibales ? Je ne pense pas qu'ils te mordront, mais je ne sais pas si c'est très prudent pour autant... Et puis s'ils s'attachent trop à toi... Je risque de te demander de l'aide de plus en plus souvent. Réfléchis bien à ton choix."
Il fallait laisser Alban emprunter sa voie, en toute conscience. S'il s'avérait qu'il se trouvait un élan imprévu, il faudrait en parler à Hubert, immanquablement, et compter sur sa sagesse pour qu'il le laisse s'envoler.

[Taliesin]

-Ce ne sont pas vraiment des cannibales... fit l'enfant, timide. Un jour, Varamyr a expliqué à messire Robert que dans ces tribus, on mangeait de... de l'humain pour la première fois pendant une cérémonie, un rite de passage. Et la plupart de ceux qu'on a capturés sont trop jeunes pour l'avoir subi... Enfin, pardonnez-moi, je m'égare...
Il se racla la gorge.
-Hum, dites-moi où je peux être le plus utile, et c'est là que j'irai. C'est surtout ça dont j'ai envie : rendre service.

[Galathée]

Albérich manqua grimacer. Ce gamin le provoquait ! Etait-ce un test de loyauté ? Il chercha le paladin du regard. Non. C'était une initiative d'Alban et d'Alban seul.
" Alors je pense que tu pourrais monter avec les petits. Je crains qu'ils n'aient rapidement peur : il va faire noir et c'est probablement la première fois qu'ils seront sous terre. Il faudra essayer de les rassurer. Moi je circulerai d'un chariot à l'autre, pour essayer de maintenir le calme. Mais si tu peux offrir ton épaule à Ingmar et ses amis... Ce serait formidable. Vois si tu peux apprendre d'autres noms, je ne sais pas. Suis ton coeur, ce sera bien. Je viendrai jeter un oeil de temps en temps."

[Taliesin]

-Très bien, messire.
Il sourit.
-Oh, et si quand vous viendrez jeter un coup d’œil, il ne reste plus que mes os rongés... S'il vous plait, dites à messire Hubert que je suis tombé pour la bonne cause.
Sur ces mots, il se dirigea vers le chariot occupé par les plus jeunes prisonniers.

***

A l'extérieur, les préparatifs du semblant de bûcher avaient bien progressé. Outre des herbes et les restes des chariots détruits, on avait empilé sur les corps les frusques abandonnées par les captifs. On avait pris soin, aussi, de délester les morts de leurs armes et de leurs armures, pour que le feu prenne mieux.
Et, après quelques tentatives infructueuses, il prit, consumant en premier lieu les végétaux et les tissus, projetant vers le ciel d'azur un panache de fumée qui ne tarderait pas à s'assombrir.

[Hubert de Maleval]

Hubert rassembla les rênes de son destrier et fit signe au petit groupe de s'ébranler. Il serait toujours temps de venir vérifier que tout avait bien brûlé une fois qu'ils seraient bien installés entre les murs de la cité. Ils prirent rapidement le petit galop. Le paladin veilla à ce que Ruth soit bien encadrée, il demanda à Edgar de surveiller l'arrière, et prit la tête du groupe. Ils arriveraient immanquablement avant le convoi de prisonniers, mais c'était sans doute mieux : ils pourraient préparer leur débarquement.
Tout en chevauchant, Hubert laissa son esprit dériver vers le groupe qui les avait précédés à Clairétoile. Il lui tardait de revoir Etienne et Gabriel. Il avait aussi envie de se reposer, pour une fois, vraiment. Il n'était pas certain que c'était encore pour tout de suite. Il songea aux événements des derniers jours, qui s'étaient enchaînés si vite. Barthélémy aurait eu le temps de les avertir de tout ce qui leur était arrivé... Il espérait qu'Etienne y survivrait... et que Gabriel n'en serait pas mort de jalousie.

[Taliesin]

Ils chevauchèrent à bonne allure sous les rayons du soleil déclinant, au milieu d'un paysage où les affleurements rocheux se firent progressivement moins nombreux, remplacés par des prairies humides et par des étangs, disséminés ici ou là. On voyait même quelques arbres isolés, dénudés par l'hiver mais visiblement vivants.
Face à eux, la cité ne cessait de se préciser, de se faire plus imposante, plus impressionnante.
Les heures s'écoulèrent sans qu'ils soient victimes du moindre incident. Et sans que Ruth ne se lasse de sa chevauché : au contraire, elle était aux anges.
A l'après-midi succéda le crépuscule. Flamboyant.
Les portes de Clairétoile se découpaient désormais devant eux, béantes, entourées de deux grandes tours...
Encore vingt minutes, et ils les franchiraient.

***

Sous terre, le voyage se passait également sans heurts.
Ou peu s'en fallait : certains captifs étaient terrifiés et le faisaient entendre ; certains, parmi les marcheurs, s'immobilisaient parfois, refusant d'aller plus loin. Albérich n'eut donc pas le loisir de s'ennuyer...
L'un des chariots, en revanche, se révéla particulièrement tranquille. Celui où était monté Alban.
A chaque fois que le Luménien, discret, allait voir ce qui s'y passait, il découvrait l'écuyer apaisant l'un ou l'autre des enfants, leur parlant avec douceur. La plupart d'entre eux ne devaient pas comprendre un traître mot de ce qu'il disait mais ils l'écoutaient, indéniablement.
Et le gosse semblait déjà les appeler tous par leur prénom.

[Galathée]

Ce gosse avait un don. Albérich était absolument stupéfait de le voir à l’œuvre. Bien sûr, cela ne signifiait pas qu’il devait devenir clerc : il existait bien des professions dans lesquelles une telle disposition d’esprit pouvait se révéler utile. Mais chevalier ? Certes, les preux de légende étaient des hommes bienveillants, qui savaient se montrer durs ou compréhensifs selon les circonstances… Mais ce qu’il observait lui semblait dépasser le cadre d’une gentillesse complaisante.
Ne juge pas sur une seule fois.
Mais si le gamin était en train de se fourvoyer ? S’il s’accrochait à une voie pour ne pas trahir la mémoire d’un homme mort ? N’était-ce pas son rôle d’oser, à un moment, déciller les protagonistes de l’affaire ?
Il s’emballait. Ce n’était pas nécessaire. Alban avait le temps de se découvrir : il fallait juste espérer qu’un temps de paix lui permettrait de le faire sans pression, sans urgence, en toute liberté.
Et s’il voulait être un chevalier atypique, il le serait.
Il aurait quand même fait un bon clerc. Il faudrait qu’il songe à en parler avec les institutrices, plus tard, quand ils auraient pu se poser.
Un bon clerc, mais un clerc de quoi ? De Lathandre ? Où ça ? Dans le Temple illusoire qu’il allait fonder à Clairétoile ?
Il ne put s’empêcher de rire. Il ne fallait pas penser si loin. Il était encore sur le choc de sa renaissance et il ne devait pas se montrer trop pressé. Réapprendre à vivre avec Lathandre, déjà. Le sentir dans chacun de ses pas, dans son souffle, à l’intérieur de son ventre, à la surface de son esprit. Il se sentait profondément différent tout en n’ayant pas changé. Il avait vécu ce qu’il avait vécu, rien n’était effacé. Mais il se sentait enfin victorieux. Shar avait échoué, absolument.
Il ne put cependant s’abandonner trop longtemps à ses pensées, car la colonne réclamait sa vigilance et son intervention. Il ne disposait malheureusement plus des sortilèges adéquats pour gérer l’angoisse des enfants, preuve qu’il était encore loin de ce qu’il avait été autrefois, mais il pouvait essayer de les calmer en leur parlant… ou en leur montrant que le tunnel était solide. Quelque chose comme ça…
Cinquante orphelins. Heureusement que Lathandre était avec eux.

***

Hubert observa la vaste cité au fur et à mesure qu’ils approchaient. Il songea à combien il était ironique que son petit groupe soit le seul, finalement, à atteindre Clairétoile par l’extérieur, à la découvrir comme l’avaient voulu ses architectes, exposés à sa magnificence… Il ne put s’empêcher de s’interroger à nouveau sur ce qui avait causé sa perte. Peut-être trouveraient-ils des réponses dans ses demeures abandonnées ? Sans doute. Il l’espérait. Le mystère de sa chute demeurait inquiétant.
Et la ville paraissait absolument gigantesque… Comment allaient-ils faire pour l’investir efficacement ? Il faudrait en sécuriser la forteresse, puis probablement s’étendre petit à petit… Ce ne serait pas simple. Des milliers de personnes avaient dû vivre ici, autrefois. Ils n’étaient qu’une poignée de colons.
Mais pourquoi tant de questions, lui qui avait toujours vu le bon côté des choses ? Pourquoi craindre et douter ? Pourquoi ne pouvait-il pas se laisser porter par la beauté des vestiges devant lui, la force du moment, l'aboutissement de leur voyage ?
Le choc des derniers jours, tout simplement. Il lui faudrait un peu de temps. Une bonne nuit de repos. Un verre de vin. Une compagnie chaleureuse.
Et d'ici là, il devait rester vigilant. Ils étaient toujours dans les Landes et ils s'apprêtaient à entrer dans des ruines : à aucun moment, il ne fallait se relâcher. Surtout avec le crépuscule, le moment où la mélancolie menace le plus valeureux des Lathandrites...

[Taliesin]

A présent, les remparts de Clairétoile les dominaient.
Le temps les avait quelque peu érodés et des plantes grimpantes s'accrochaient aux lourds blocs de pierre qui les constituaient. Mais, comme les murs des forts dont la Communauté avait déjà pris possession, ils paraissaient n'être à l'abandon que depuis quelques années, et non depuis des siècles.
Devant lui, Hubert discernait parfaitement la route pavée qui, toute droite, allait s'engouffrait sous l'arche gigantesque des portes.
Dans les ténèbres grandissantes, celles-ci avait les allures d'une gueule obscure prête à les engloutir.
L'impression ne dura pas, toutefois : le paladin perçut du mouvement, entrevit la lueur de torches...
Une minute encore, et la petite escouade de cavaliers s'y engageait.
Ils étaient arrivés.
Ils avaient réussi.
Après un périple long et mouvementé, après un siège apparemment désespéré dont ils avaient pourtant triomphé, ils avaient rallié la cité.

[Galathée]

RP solo : Des racines et des ailes

Comme ils l’avaient prévu, ils regardèrent l’aube se lever devant le fort qui les avait vus repousser les cannibales.
Devant eux, les Landes. Derrière, Clairétoile. Hubert était tendu, Albérich serein.
Ils se tournèrent vers l’est. Un premier rayon apparut.
Aussitôt, le paladin mit un genou en terre, une main sur la garde de son épée, l’autre repliée sur sa poitrine. Le clerc l’observa un instant, empli d’une bouffée de bonheur irrépressible, puis sourit au soleil naissant.
Oui, oui, j’arrive, songea-t-il, avant de prier à son tour.
Un tourbillon d’énergie l’envahit aussitôt. Il restait toujours debout, bras écartés, et dans ces instants de communion intense, il avait l’impression qu’il décollait du sol. Une heure qui durait une seconde, un frisson au cœur de l’Eternel, il rouvrait les yeux et il faisait jour.
Hubert lui sourit, légèrement moqueur.
« Heureusement que nous ne prions pas au crépuscule… Ce serait impossible de dormir avec ce que tu dégages. »
Ses pensées sombres avaient disparu. Lathandre avait tenu ses promesses, lui insufflant l’espoir nécessaire au départ.
« Bah. Nous serions forcés de trouver d’autres occupations." répondit le Luménien d’un air mutin.
Le paladin se mit à rire.
« Misère, mais tu es…
— Charmant.
— C’est un euphémisme. Mais en selle, à présent.
— Rabat-joie. »

[Galathée]

Ils chevauchèrent vers l’ouest, le soleil transformant leurs ombres sur la piste grise au fur et à mesure de leur progression. Les bornes étaient visibles, comme les pavés, mais avec la fin de Chès, le dégel s’amorçait, il faisait bon mais humide, des nuées de petits insectes dansaient au-dessus des flaques nauséabondes. Hubert était en tête, porté par le pas sûr de Grand Vent. Douce et Albérich suivaient, puis Placide. Les animaux ordinaires n’avaient pas la puissance du destrier, aussi le rythme était-il modéré. Ils firent une première halte alors que l’astre diurne les surplombait, diffusant une lumière chaleureuse sur les marécages sans pour autant parvenir à les rendre moins sinistres.
Marcus avait pourvu à leur ravitaillement, ils s’assirent sur de vieilles pierres en bordure du chemin pour manger. Albérich se sentait déjà raide des chevilles à la nuque, ce qui ne passa pas inaperçu auprès de son compagnon.
« Misère, on voit que ça fait plus de trois mois que tu n’es pas monté à cheval. » dit Hubert tout en empaquetant les reliefs de leur repas.
Le Luménien grimaça, la main sur les reins.
« Je vais reprendre le pli.
— Ah. Pas en quelques jours.
— Une veille.
— A notre rythme, il nous faudra six jours maximum. Viens là. »
Il écarta légèrement les jambes, l’invitant à s’asseoir devant lui. Le prêtre soupira dans un sourire et obtempéra. Hubert le débarrassa de son manteau puis entreprit de le masser. Albérich en ressentit les bienfaits après quelques secondes seulement : le paladin avait manifestement de l’expérience, ses doigts trouvaient aisément les nœuds de tension pour les relâcher de quelques pressions. Il se détendit peu à peu, finit par s’appuyer sur Hubert, somnolent. Le chevalier l’enserra de ses bras et l’embrassa dans le cou.
« Nous revoilà sur la route, dit-il doucement.
— Ce n’est que temporaire, tu le sais.
— Oh mais… Je pense que j’en prendrai mon parti, murmura-t-il en nichant son menton contre son épaule. Juste toi et moi pour quelques mois. C’est comme une lune de miel. »
Albérich rit doucement.
« Une lune de miel dans les marécages. Extrêmement romantique.
— Je ne crois pas que tu sois romantique.
— Pas trop, effectivement.
— Et j’ai prévu des divertissements. La premier commence là. »
Son bras désigna quelque chose sur leur gauche, loin de la route. Une butte. Des vieilles pierres dressées.
« Diable. On ne perd pas de temps, je vois.
— Ça nous fera un bon abri pour la nuit, une fois assaini. Mieux qu’un rond d’herbe en bordure de route. »
Albérich roula des épaules, goûtant à leur mobilité retrouvée.
« Tu as parlé de six jours… Si nous nous arrêtons sans cesse pour pourchasser les ombres…
— Allons ! C’est notre boulot !
— C’est ça. Uniquement une question de mission divine, je t’entends bien.
— Je joins l’utile à l’agréable. C’est ce qui s’appelle avoir bien choisi sa voie, justement. »
Le Luménien rit à nouveau.
« Ce n’est pas faux. »
Il pivota légèrement, Hubert posa une main sur sa joue, et ils s’embrassèrent dans un baiser d’abord timide, qui gagna peu à peu en fougue. Le paladin glissa une main sous sa tunique, sa paume toujours chaude lui agrippa la hanche, presque avide, puis il se détacha de lui à contre-coeur, relâchant sa respiration.
« Fichu marécage, grommela-t-il en se redressant. Bon... Allons nettoyer ce tumulus. »
Le prêtre ne put s’empêcher de sourire en remontant en selle, songeant aux motivations troubles de son compagnon.

[Galathée]

Une demi-heure plus tard, dans une petite salle humide et sombre, Albérich leva son disque de quartz rose et prononça les quelques mots nécessaires à repousser les morts-vivants.
Ils avaient laissé les chevaux à l’extérieur, près d’un bosquet de bouleaux rabougris, à la garde de Grand Vent. Une fois équipés, Hubert avait pris la tête, ils avaient gravi la petite butte et étaient entrés dans le cercle de pierres moussues. Le mal suintait de partout, presque palpable, mais le paladin l’avait jaugé sans broncher : il était à leur mesure. L’entrée de la sépulture se trouvait au pied d’un dolmen fendu, le Luménien avait laissé l’initiative à son compagnon, et ils étaient descendus sous terre, armés d’une lame, d’une torche, de leur bonne volonté.
Une onde de lumière dorée fusa autour du prêtre, réduisant instantanément les six squelettes qui leur faisaient face en poussière. Un mètre devant Albérich, Hubert poussa un juron retentissant.
« Quoi ?! Mais non !
— Heu… »
Le chevalier se retourna, fulminant.
« Albérich ! C’était mon idée ! Tu ne m’en as pas laissé un seul ! Misère ! Tu ne peux pas garder ce genre de bazar pour les situations critiques ! Je n’ai même pas pu… lever mon épée, bon sang ! »
Le Luménien grimaça.
« Je pensais que…
— Je rêve. Tu les as tous désintégrés. Merci bien.
— Il en reste peut-être un ou deux quelque part…
— Non, il ne reste rien. »
Il déploya les mains en éventail devant lui, prononça deux mots, puis soupira, mécontent.
« Rien de rien. »
Albérich rangea son symbole divin dans la poche intérieure de sa veste puis rejoignit le paladin, en essayant de museler son incrédulité. Hubert était vraiment — sérieusement — déçu.
« Hubert… Le but, c’était quand même… de nettoyer le tumulus, non ?
— Oui, bien sûr que oui. Mais je pensais que tu serais… un peu plus généreux ! J’avais aussi envie de m’amuser !
— T’amuser. D’accord. Mes excuses. »
Il valait mieux ne pas poursuivre cette conversation, il risquait de rire et de vexer son compagnon. Hubert finit par rengainer son épée, puis s’approcha des vestiges de leurs adversaires, qui n’avaient finalement eu le temps que de s’arracher à la poussière et cliqueter des dents quelques secondes avant de gagner le repos éternel. Il poussa un petit tas de la botte, fit rouler une épaulière rouillée, un poignard usé, une dent survivante.
« Drôlement efficace, quand même, dit-il finalement, un peu plus détendu.
— Je te laisserai trancher dans l’os la prochaine fois, promis. » offrit Albérich, conciliant.
Il faillit ajouter que c’était l’occasion pour Hubert de comprendre ce qu’avaient ressenti les autres paladins lorsqu’il avait renvoyé les démons chez eux d’un simple geste, mais il s’abstint.
Hubert se tourna vers lui, l’expression d’abord pensive, puis malicieuse.
« Allons en chercher un autre ! déclara-t-il.
— Un autre quoi ? murmura Albérich, décontenancé.
— Un autre tumulus, bien sûr ! Grâce à toi, nous avons tout le temps ! »

[Galathée]

RP Solo : Des racines et des ailes

A la nuit, ils se retrouvèrent finalement au creux d’un bosquet de saules malingres couverts de bourgeons encore minuscules, qui couronnait une petite éminence encerclée de flaques nauséabondes. Le second tumulus avait tenu ses promesses, Hubert s’était défoulé sur huit zombies verruqueux, mais le résultat avait rendu les lieux inhospitaliers, à la fois au niveau de l’odeur et de la texture du sol. Albérich avait décrété sa méthode bien plus hygiénique et imposé au paladin de se laver dans une mare d’eau glacée à la première occasion. Comme ce dernier ne ressentait pas le froid, il avait protesté pour le principe. Le soleil avait décliné, signe que l’été était encore distant, et ils avaient cherché un endroit abrité pour y planter leur tente.
La région était inhospitalière et les dangers nombreux, ils ne pouvaient l’ignorer, mais Albérich avait préparé ses sortilèges dans cette optique, aussi protégea-t-il leur refuge de glyphes puissants avant de rejoindre Hubert au coin du feu. Grand Vent ne dormirait que d’un œil, agissant comme un premier rempart si des créatures devaient s’approcher à la faveur de la lune. Albérich n’était pas inquiet : il était convaincu qu’ils étaient de taille, quoi qu’il puisse surgir de l’ombre.
Le paladin avait monté leur tente puis allumé un petit feu dans un trou. La nuit serait glacée et le prêtre se félicita d’avoir emporté des couvertures en plus de son manteau. Pendant un moment, ils ne dirent rien, se contentant des flammes et du silence.
Trois mois plus tôt, ils avaient pris la route ensemble, quitté Solarcis, projetant un périple tranquille vers le sud. Tout avait été bouleversé depuis. Les perspectives. Leurs relations. Ils avaient frôlé la mort, visité les Enfers, et à présent, ils étaient côte à côte, métamorphosés. Hubert arborait désormais un large sourire. Albérich le regarda se lever, le rejoindre, s’asseoir contre lui et l’enserrer de ses bras.
« Je suis l’homme le plus heureux du monde. » lâcha simplement le paladin.
Le prêtre se laissa aller contre son épaule.
« Non, c’est moi. »
Hubert rit doucement.
« Allons-nous nettoyer les Landes avant de gagner Evendum ?
— Ne serait-ce pas un beau défi ? Nous en avons les moyens. Œuvrer à l’assainissement de l’île, de manière drastique. Tumulus par tumulus. »
Albérich se retourna, scrutant le visage du paladin.
« Tu plaisantes.
— Dans un certain sens. Même si je l’envisageais, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Je sais que nous avons d’autres choses à faire. »
Son regard se perdit une seconde dans le vague et Albérich devina qu’il songeait à Maleval, aux réponses qu’il y espérait.
« Nous trouverons un bateau à Grand Estuaire. Tobias nous avait conseillé une auberge, souviens-toi… Son tenancier aurait des conseils…
— Les Oursins Amoureux.
— Les Ours… tu es sûr ?
— Je suis sûr. Tu m’en as parlé le lendemain. J’avais trouvé le nom drôle.
— J’espère que les lits ne sont pas pleins de piquants.
— Avec Tobias, on ne sait jamais. »
Le paladin arbora une grimace explicite puis se leva. Ils se réfugièrent dans leur tente et se calfeutrèrent dans leurs couvertures. Hubert dégageait une douce chaleur qui mena un moment l’été dans leur étreinte, puis ils s’endormirent sous les étoiles pales des Landes.

Les jours suivants, ils cheminèrent le long de la route que la Communauté avait dégagée, puis que de nouveaux colons avaient arpentée pour les rejoindre, et qui semblait émerger d’entre les flaques et les roseaux, plus nette que dans leurs souvenirs. Ils guettèrent la lueur des feux follets, le tambour des écorcheurs, la lame de guerriers squelettes ou de fanatiques ithiliens. Rien ne vint. L’hiver desserrait peu à peu son emprise sur les marais gris, on voyait pointer quelques fleurs au pied des touffes brunes de joncs, un oiseau chantait parfois à l’aube, accompagnant leurs prières. Il pleuvait souvent et leurs chevaux avançaient mollement, sabots poisseux dans la boue. Ils s’écartèrent plus d’une fois de leur piste pour rallier un tumulus, un cercle de pierres, l’entrée d’une grotte. Hubert salit sa lame à plus d’une reprise, Albérich dut intervenir pour l’une ou l’autre créature intangible qui refusait de se laisser décapiter. Il usa aussi de sa masse, lorsque le nettoyage d’une tombe modeste se transforma en exercice pratique sous la houlette de son sévère instructeur.
Flanc droit, flanc droit, il connaissait la ritournelle.
Lors d’une incursion dans un cairn particulièrement peuplé, Hubert fit appel à ses propres pouvoirs et désintégra vingt-huit zombies d’un seul mot, ce qui l’impressionna mais lui donna aussi envie de voir s’il pouvait battre son record dans le tumulus suivant. Atterré, Albérich fut forcé de laisser le paladin se faire encercler par un nombre de plus en plus élevé de créatures répugnantes et féroces, juste pour qu’il ait le plaisir de les annihiler. C’était complètement ridicule, mais le bonheur d’Hubert devant les effets de sa Parole Sacrée avait quelque chose de touchant. Il était stupéfait, ravi, et désireux de rempiler au plus vite. Albérich espérait surtout que cela lui permettait de se réconcilier peu à peu avec sa nature céleste, même si ce mot n’était jamais prononcé.
Il atteignit le nombre respectable de 46 zombies (c’était Albérich qui était chargé de compter), ce qui le rendit proprement imbuvable pendant une soirée entière, et le lendemain, Albérich lui cassa son effet en en renvoyant un certain nombre avant qu’il n’ait pu ouvrir la bouche. Bien sûr, les pouvoirs du prêtre n’étaient pas à la hauteur de la nature formidable de son compagnon, mais il n’entendait pas servir de scribe aux exploits de son prétentieux partenaire.

[Galathée]

RP solo : Des racines et des ailes

En dépit de ces méandres agités, ils se rapprochèrent peu à peu de Grand Estuaire et vint le jour où la ville surgit devant eux, toits et remparts, comme émergeant du marais. Ils demeurèrent presque stupéfaits. La civilisation. Ils étaient partis des mois plus tôt, l’un en selle, l’autre calfeutré dans un chariot, vers une destination incertaine. Depuis, tout avait été précaire, ils avaient arpenté des ruines, campé, reconstruit, détalé, lutté, posé enfin leurs bagages et tenté d’imaginer le futur. A la minute présente, ils étaient crottés, Albérich avait le dos en feu, Hubert souffrait des épaules, à nouveau, un sujet qui restait tabou mais que le clerc savait lié aux 46 zombies.
« Tu préférerais que nous continuions à cheval, n’est-ce pas ? » dit le clerc alors qu’ils approchaient des portes.
Hubert était d’humeur grise depuis plusieurs heures.
« Ce n’est pas le moment, je le sais, répondit le paladin.
— Nous reviendrons.
— Oui. »
Et ils franchirent les portes, quittant les Landes.