Quête : Les caprices de Fortune - à Graëlon

[Lothringen]

Lorsqu'il se présenta à la convocation, en milieu de matinée, Mornagest retrouva dans le couloir d'accès aux appartements de Lothringen, outre un collègue de garde et son capitaine, un très curieux duo. Il s'agissait d'une petite fille d'une dizaine d'années aux boucles blondes, aux yeux vifs, plutôt mignonne du reste, et de celui qui semblait être son tuteur, un homme brun d'une trentaine d'années, d'allure effacée, qui portait en pendentif un médaillon de Tymora – sans doute un prêtre. La délégation des Tymorans ne semblait constituée que de ces deux personnes.

La petite s'amusait à adresser des clins d'oeil et des grimaces aux gardes impassibles, et son tuteur lui faisait des remontrances qu'elle n'écoutait pas vraiment. La scène dura un petit moment, non que Lothringen fit exprès de les faire attendre, mais parce qu'il était déjà en rendez-vous.
Devant son peu de succès, le prêtre bafouilla des excuses avec un sourire gêné. Il ne semblait pas très à l'aise dans son rôle d'éducateur.

[Mornagest]

Pour sa part, Mornagest s'amusa malgré lui des grimaces de la fillette. Il s'était imaginé un enfant grave, le visage impassible et empreint de dévotion précoce, et il fut surpris de trouver en réalité une gosse qui semblait, de prime abord, tout ce qu'il y avait de plus normale. Peut-être cachait-elle son jeu, peut-être n'était-elle même pas consciente de l'importance qu'elle revêtait pour le clergé tymoran... il en saurait sans doute davantage assez rapidement.

Le guerrier essaya de conserver son sérieux, avec plus ou moins de succès. L'apparente raideur du tuteur contrastait avec la légèreté de la fillette, ce qui rajoutait au comique de la situation : une gamine qui jouait à faire rire, entourée d'adultes sérieux et dont l'avenir leur paraissait bien incertain.

[Lothringen]

La porte s'ouvrit enfin. Il en sortit un homme à la peau sombre que Mornagest ne connaissait pas, et un de ses compagnons de la garde. Lothringen apparut enfin sur leurs talons. Le semi-drow embrassa d'un coup d'oeil le couloir encombré et son regard croisa sans s'arrêter celui de son amant, semblant appeler à l'aide. Depuis la veille, il n'avait cessé d'enchaîner les entretiens, les rapports, les lettres, et avait eu l'impression que sa vie était balayée par une tornade.

Mais ce même regard se détourna bientôt, trahissant une sorte de gêne. En un tel contexte, Lothringen n'avait pas eu le temps de repenser à ce qu'ils avaient fait lors de leur entrevue. Il en gardait un souvenir très flou, celui d'un maëlström de sentiments et de sensualité, mais aussi de l'abandon à un plaisir brutal dont l'intensité confinait à la violence. Était-ce bien lui, était-ce bien eux ? Il aurait voulu pouvoir en reparler avec Mornagest, mais en aurait-il seulement l'occasion...

Il considéra alors son rendez-vous suivant. Le prêtre s'avança gauchement vers Lothringen en poussant la petite devant lui.
« Mes respects, messire, je vous suis reconnaissant d'avoir accepté de nous recevoir. »
« Alors, c'est lui le conseiller ? Heureusement qu'il est tout noir, on ne risque pas de le confondre. » commenta effrontément la fillette.
Sa réaction soutira un sourire au semi-drow. Le prêtre bafouillait encore. Il était manifestement plus impressionné qu'elle.
« Je suis Sylas, prêtre de Tymora et *j'essaie* d'apprendre à Alycia à se tenir correctement. Avant que vous ne la receviez, je souhaiterais vous parler en privé – ce ne sera pas long. »
« Je n'y vois aucune difficulté, à condition que mes gardes soient présents. Est-ce que cela pose problème ? »
Sylas hocha rapidement la tête.
« Non, non, du tout. Quand je disais «en privé », je voulais surtout dire : sans elle. »
Lothringen l'invita à entrer, tout en signifiant d'un regard à Mornagest et à sire Rowan d'en faire autant.

[Mornagest]

Les traits de son compagnon étaient tirés. Il avait l'air épuisé par toutes ces entrevues à répétition, et il avait grand besoin de sommeil et de se changer les idées. Mais quand cela lui serait-il possible ? Difficile de répondre...

La gamine semblait bien effrontée, comme sa remarque sur Lothringen le laissait suggérer. La réaction du prêtre ne se fit pas attendre : il fut aussitôt embarrassé... là encore, Mornagest s'amusa en silence. Finalement, le voyage serait peut-être moins pénible qu'il ne se l'était imaginé.

Sire Rowan et Mornagest obtempérèrent en silence sur la demande du semi-drow.

[Lothringen]

Après avoir recommandé Alycia à deux hommes de la Garde Blanche fort importunés du cadeau, le prêtre s'avança jusqu'au bureau où Lothringen s'était adossé, les yeux plus souvent fixés sur ses pieds que vers son interlocuteur. Le semi-drow était sur ses gardes, redoutant de se faire manipuler...
Sire Rowan referma la porte et se plaça juste à côté.

« Merci d'avoir daigné m'accorder ce temps de parole, Messire... Vous constaterez vite qu'il est difficile de discuter en présence d'Alycia sans qu'elle ne s'en mêle. Hem, veuillez excuser sa jeunesse... C'est une enfant particulière, et les égards et privilèges dont elle a joui trop tôt l'ont rendue très insolente. »
« Je serais intéressé, justement, de savoir ce que cette enfant a de si particulier. Je crois n'avoir vu qu'une petite fille, et j'ai bien regardé », remarqua Lothringen en souriant.
Sylas hocha la tête.
« Et la plupart du temps, vous êtes dans le vrai : ce n'est qu'une enfant, très éveillée, très capricieuse, une fille de pêcheurs du golfe de l'Oubli... Mais par moments – des moments rares, généralement très brefs – elle semble comme possédée par l'esprit de la déesse, qui parle à travers elle. Ç'a été le cas lors de diverses prophéties par le passé... Et il lui est aussi arrivé de s'adresser à notre grand-prêtre pour lui faire connaître sa volonté. »
« Et concrètement, comment faites-vous pour distinguer ses facéties de gamine de tels moments ? Je doute qu'elle n'ait jamais été tentée de se prendre elle-même pour une déesse... »
« Oh, pour un fidèle de Tymora, cela ne pose aucune difficulté. Nous ressentons l'altération d'aura avec l'évidence d'un raz de marée. Ce n'est sans doute pas comparable à ce que l'on peut vivre en présence d'un Avatar, messire – Sylas semblait dire cela à dessein, comme s'il était au courant de la relation particulière de Lothringen avec sa déesse – mais c'est tellement... l'expérience d'une vie ! que cela me rachète amplement de toutes les petites humiliations que l'infernale Alycia me fait vivre au quotidien », termina-t-il en souriant.
« Et qu'en est-il des non-croyants ? »
«Manifestement, ils ne voient pas de différence... Je suppose que notre déesse préfère leur voiler son aura en de tels moments. »

[Mornagest]

Hum. La conversation ne partait pas sur de bons augures. Le prêtre semblait insinuer qu'il connaissait la relation privilégiée que Lothringen entretenait avec sa déesse. Était-ce possible ? Peut-être le semi-drow avait-il discuté de cela avec d'autres tymorans, et la nouvelle s'était alors répandue comme une traînée de poudre... Méfiance, en tout cas.

Mornagest s'interrogea également lorsque Sylas évoqua une aura de présence de Tymora lorsque les si rares épisodes de possession d'Alycia avaient lieu. Une aura indécelable par les non croyants, c'était bien commode, il fallait bien l'admettre. Mais la ficelle paraissait un peu grosse. À nouveau, le guerrier douta de la bonne volonté du prêtre, et il soupçonna que cette fillette n'était en réalité que ce qu'elle semblait être : une gamine gâtée par son entourage dévot et prompte à voir le profit qu'elle pouvait en tirer. Les tymorans, de leur côté, l'exhibaient comme un instrument de leur progression au sein de la société manostienne.

Il avait déjà entendu parler de tels stratagèmes, simples mais efficaces pour qui était trop naïf pour remettre en question le caractère soi-disant divin de tels enfants. En général, cela s'achevait sur la mort dudit enfant lorsque la supercherie était finalement découverte. Trop tard... les profiteurs avaient, la plupart du temps, déjà décampé lorsque le vent soufflait dans une autre direction.

Alycia était peut-être une victime de plus des stratagèmes du clergé. La question méritait au moins d'être posée...

[Lothringen]

Lothringen avait écouté avec attention les propos de Sylas, mais son jugement était pour l'heure plus réservé que celui de Mornagest. Peut-être parce qu'il était bien placé pour savoir que les manifestations divines n'étaient pas choses si rares que cela... Quant au prêtre, soit c'était un excellent acteur, soit il n'était que ce qu'il paraissait : un prêtre un peu trop jeune, un peu trop enthousiaste, et complètement débordé par la tâche.
Tout cela ne lui disait d'ailleurs pas en quoi il était concerné.

"Admettons", répartit-il calmement. "Pourquoi ai-je reçu cette étrange requête, me demandant de vous prendre dans ma suite ?"

Sylas eut un geste d'impuissance.

"Alycia a eu une de ses... absences, il y a une dizaine de jours. La déesse demandait de la conduire auprès de vous. L'ordre était bref, mais très clair. Nous avons fait remonter l'information auprès du grand-prêtre, à Cojum, et il a rédigé cette lettre à votre attention. Je lui ai demandé ce que je devais faire en cas de refus de votre part - je suis parfaitement conscient des difficultés que peut vous poser notre présence, Messire. Mais notre grand-prêtre m'a simplement répondu que vous ne refuseriez pas..."

[Mornagest]

La réponse du prêtre pouvait laisser supposer qu'il ne connaissait pas toute l'ampleur de l'affaire. Ou alors, il jouait bien la comédie. Lothringen devait être en mesure d'en savoir plus grâce à un peu de divination, mais peut-être était-il certain de la sincérité de Sylas... Sa réponse ne laissa toutefois aucun doute quant à la mainmise que le clergé tymoran avait désormais sur son compagnon. Le prix à payer... un prix qu'il ne pouvait refuser, sous peine de se voir rejeté par les prêtres, et, plus grave, par sa déesse. Qui était déjà suffisamment versatile comme ça.

Mornagest constata que la discussion prenait le tour qu'elle était supposée prendre. Une sorte d'ultimatum déguisé en quémande... Toutefois, il ne parvenait toujours pas à comprendre la motivation réelle de tout ceci. Que pouvait Lothringen pour cette enfant ? La question inverse pouvait évidemment se poser... qu'attendaient les prêtres de cette histoire ? Qu'avaient-ils à gagner à lui faire prendre le risque de se rendre sur les lieux des pires affrontements de tout le continent ?

[Lothringen]

Lothringen gardait les yeux baissés, songeur. Le grand-prêtre de Tymora de Cojum... C'était lui qui avait ressuscité Mornagest quelques mois plus tôt, et ce au prix de quelques années de sa propre existence, peut-être. Effectivement, il ne se sentait pas le droit de lui opposer un refus, pas plus qu'à sa propre déesse, si elle était bien à l'origine de tout ceci...

Mais lui non plus ne voyait pas où tout cela menait. Alycia et Sylas allaient risquer leur vie, et celle de Lothringen était assez publique pour qu'ils n'apprennent rien ainsi que la rumeur ne leur dise un peu plus tard. A moins que...

Le semi-drow secoua la tête.

« Si votre objectif est simplement de vous trouver à mes côtés pour me donner des consignes plus précises le moment venu, alors j'y consens ; mais vous devriez laisser Alycia en dehors de tout ceci. »

Mais Sylas cligna simplement des yeux, et, après un temps de réflexion, répondit.

« Je ne comprends pas de quoi vous parlez... C'est sa présence à elle qui est requise, je ne fais que l'accompagner. »

[Mornagest]

Ainsi, ce serait bien Alycia qui serait directement concernée, et non Sylas ? Disposerait-elle de pouvoirs divins insoupçonnés, que Tymora lui aurait conférés pour lui permettre d'intercéder en la faveur du semi-drow ? Ou au contraire, lui dicterait-elle la conduite à tenir pour que Lothringen pût rester dans les bonnes grâces de la déesse frivole ?

Mornagest avait l'impression de se perdre en conjectures inutiles, ce qui nuisait à sa bonne compréhension de ce qui se décidait en ce moment-même. Il se focalisa sur les réactions de son compagnon, dont l'expression laissait penser qu'il était aussi étonné que lui. Lisait-il en lui comme dans un livre ? Ou se méprenait-il quant à ses émotions ?

[Lothringen]

Lothringen ne cherchait nullement à cacher son étonnement, mais ce n'était que la surface de ce qu'il ressentait. Au fond de lui, il était de plus en plus inquiet, soupçonnant que ce n'était que le début d'une affaire dont les enjeux lui échappaient. Que pouvaient attendre de lui sa déesse ou le clergé de celle-ci ? Et pourquoi ces secrets... Quelle marge de manœuvre lui resterait-il, quand la vérité se dévoilerait enfin ? Il avait encore tant à faire...

"Je me permets d'insister, Sylas. Nous allons nous rendre dans des zones de guerre, où nous risquerons quotidiennement notre vie. Ce n'est pas un endroit pour une petite fille. Mes gardes du corps n'ont pas pour mission de surveiller une gamine indisciplinée ; ils ont déjà fort à faire."

Encore une fois, Sylas fit mine de ne pas comprendre. Si Alycia n'avait été qu'un prétexte, Lothringen avait la faiblesse de croire qu'il aurait sauté sur l'occasion de la laisser à l'abri... Son coeur devait être tourné vers la bonté, après tout.

"Je le comprends bien, Messire, et ne croyez surtout pas que je ne suis pas inquiet de devoir l'entraîner en de tels endroits. Alycia est difficile à gérer, c'est vrai, mais elle est intelligente et capable de comprendre les périls encourus... Je vous promets de faire de mon mieux pour éviter qu'elle ne devienne un problème."

[Mornagest]

Apparemment, non, il ne comprenait pas bien. Se promener dans une ville assiégée, ou dans un campement de soldats, ou n'importe où en ce moment ailleurs vers le front était une prise de risques inconsidérée pour une enfant de dix ans. Même en admettant que Tymora veillât sur elle, c'était... loufoque. Mornagest ne savait s'il avait le "droit" d'intervenir, aussi s'en garda-t-il, mais il afficha une mine atterrée face à l'incompréhension de Sylas. Croyait-il réellement qu'ils allaient en pique-nique et qu'il leur faudrait simplement s'assurer que la fillette ne se perdrait pas dans les bois ?

Les motivations des tymorans n'étaient guère plus évidentes, en tout cas. Et cela ne lui plaisait pas.

[Lothringen]

Lothringen ne le relança pas. S'il était sincère, Sylas était persuadé d'accomplir la volonté de sa déesse, et il ne servait à rien de vouloir raisonner un prêtre dans de telles conditions... Un silence flotta un moment. Un silence de plus en plus pesant.

Ce fut finalement sire Rowan qui le rompit.

"Le Conseiller vous l'a dit, vous n'avez pas d'égards à attendre de mes hommes ni de moi. Non seulement ce n'est pas notre rôle, mais nous ne nous sentons nullement liés à votre culte - encore moins si, comme je le crois, ce dernier chercher à faire pression sur celui que nous protégeons... Croyez-vous réellement cette enfant capable de suivre sans broncher, sans pleurer, sans s'enfuir ?"

Sylas répondit gauchement, en homme contraint de défendre une décision qui n'était pas la sienne.

"Je la crois Elue... mais peut-être devrions-nous la faire entrer ? Vous pourrez aviser..."

Lothringen acquiesça. Même si au fond de lui, il devinait que l'affaire était entendue, il souhaitait faire davantage connaissance avec cette curieuse gamine...Une fois introduite par sire Rowan, la petite les dévisagea, puis se mit à éclater de rire. Un éclat de rire cristallin au milieu de tous ces hommes graves.

"Bouh ! C'est la soupe à la grimace ici."

[Mornagest]

La tentative de plaisanterie d'Alycia aurait pu marcher quelques minutes plus tôt, en tout cas sur Mornagest. Mais ce dernier était désormais inquiet et de plus en plus suspicieux concernant les intentions réelles du clergé de Tymora. Aussi se contenta-t-il de la regarder pensivement. Une fillette... qui pourrait imaginer qu'elle supporterait une seule journée en plein carnage ? En disette prolongée ? En siège imposé par l'armée mélandienne ?

Visiblement, la foi pouvait faire croire beaucoup de choses. Y compris les plus inouïes. Il songea un instant à ces maudits cultistes et leur foi, à eux, envers des démons... la foi. Peut-être était-ce tout ce qu'il avait pu voir durant sa vie qui l'empêchait de considérer sérieusement d'adopter le culte d'un dieu quelconque...

[Lothringen]

Lothringen reporta son attention sur la fillette. Elle agissait comme si elle n'avait pas conscience de ce qu'il se passait...

« Bonjour Alycia. Sais-tu pourquoi tu es ici ? »
« Evidemment ! Elle l'a demandé. Vous savez, poursuivit-elle, soudain grave, je suis encore là quand Elle parle. Tout le monde l'oublie toujours. Dans un recoin de ma tête ; je ne peux rien faire, mais je suis encore là. »

L'effet d'une domination, avec l'intensité insoutenable d'une aura divine... Lothringen se sentit un élan de compassion envers Alycia, mais il n'avait pas le temps de s'y attarder.

« Pourquoi penses-tu que c'est à travers toi qu'Elle a choisi de parler? »
« J'en sais rien ! J'ai rien demandé moi ! Mais je l'aime bien. Elle rit, Elle s'amuse... Ses prêtres ne le font pas assez !»
« Tu penses qu'Elle pourrait te mettre en danger ? »
« Elle ne fait rien sans raison. » répondit-elle, comme si elle récitait une leçon.

Lothringen demeura rêveur. Alycia passait de la légèreté au plus grand sérieux, sans transition... inconstante et frivole... comme sa déesse... et la similitude de leurs caractères le troublait un peu. Elle pourrait bien manifester un courage inattendu quand la situation le demanderait.

[Mornagest]

Il se sentait mal à l'aise, désormais, lorsque la fillette parlait. L'idée d'un esprit d'enfant investi de celui d'une déesse le répugnait quelque peu, que cette déesse fût de bonne réputation ou non... Les dieux aimaient jouer avec les mortels, quels qu'étaient leurs tendances. Mais prendre le risque d'envoyer une gamine sur le front... même pour la déesse de la Chance... c'était un peu trop pour lui. Il ne tenta plus de cacher sa désapprobation, mais essaya de ne pas la montrer trop longtemps. Il ne voulait pas froisser son compagnon, ni jeter un nouveau froid pendant l'entretien.

[Lothringen]

Du coin de l'oeil, Lothringen remarqua la mine de plus en plus contrariée de son compagnon. Il n'était pas le seul. Sire Rowan affichait la même désapprobation, teintée qui plus est de colère à peine contenue. Mais il ne les écouterait pas, pas cette fois. Tymora en savait plus long qu'eux. Peut-être Alycia était-elle menacée de mort, peut-être l'entourage du semi-drow était-il le seul endroit sûr pour elle, en dépit des régions où il comptait se rendre... Peut-être aussi la situation prendrait-elle fin avant qu'elle n'ait été une seule fois confrontée à la guerre... Et ce n'était que quelques uns des innombrables scénarios possibles. Ils n'étaient que des mortels, ils ne pouvaient savoir, ils n'avaient pas les éléments pour juger. Pour ce qu'il en voyait, Alycia ne vivait pas si mal que ça sa situation. Il fallait cependant s'assurer qu'elle saurait se tenir...

"Alycia, il semblerait que vous deviez rester quelques temps avec nous. Nous allons aller à Aghoralis. Il y a la guerre là-bas... Tu as déjà vu ça ?"
"Non..."
"Les gens se battent. Ils ont mal. Ils meurent. Cela fait un vacarme insupportable. Tu crois que tu peux supporter ça ?"
Elle se dandina, embarrassée.
"Je sais pas... Je suppose que j'ai pas le choix."
"Je sais que tu aimes bien faire tourner ton tuteur en bourrique, mais tu dois faire attention. Il n'y a pas de deuxième partie. Tu comprends ?"
"Bah ! Elle m'a pas envoyée ici pour que je me fasse tuer comme ça. Enfin, ce serait bizarre, non ?..." Elle rit, un peu nerveusement cette fois.
"Tu peux aussi faire tuer les autres comme ça. En les obligeant de s'occuper de toi quand ils devraient s'occuper d'eux-mêmes..."
"D'accord, faut que je suive et que je me tienne tranquille, c'est ça ? Pfff. Toujours pareil."
"Oui mais là c'est vraiment important."
"D'accord, d'accord. Je vous colle."
"Voilà. Moi ou Sylas. Pas les autres..."

Compte tenu des déclarations de sire Rowan, Lothringen avait vaguement l'impression qu'ils seraient les seuls à vouloir s'inquiéter d'elle.

[Mornagest]

Lothringen se trompait sans doute sur ce plan. Même s'il soupçonnait la gamine d'être effectivement l'élue de Tymora pour une raison difficile à cerner, Mornagest ne pourrait pas la laisser s'égayer joyeusement dans les combats sans réagir. Il restait à espérer qu'elle saurait se tenir et comprendre la réelle signification du mot "danger"... il pouvait venir, d'ailleurs, de bien des façons, et ce bien avant même d'atteindre Aghoralis.

L'accord semblait passé. Lothringen avait donné son autorisation implicite, et il faudrait donc composer avec ces deux-là. Le guerrier se demanda s'il pourrait supporter les manières du prêtre. Et les caprices de la fillette. En tout cas, cela ferait un drôle d'effet sur leur groupe, quand ils se mettraient en route. Ce qui ne tarderait sans doute plus, les préparatifs avançant bon train.

Inconsciemment, Mornagest se redressa. L'entretien touchait à sa fin, et il devrait bientôt quitter le bureau. À moins que le semi-drow n'eût quelque chose à préciser à l'encontre de Sylas, mais ce dernier semblait perdu dans ses convictions. Il serait peut-être le plus difficile des deux à contenir...

[Lothringen]

La petite avait l'air d'avoir compris, mais sans doute ne réaliserait-elle que sur place l'importance de ce qu'on venait de lui dire. Même à supposer qu'elle se tienne bien, elle était tout de même jeune pour être confrontée à la guerre... Même si on pouvait évidemment rétorquer que quantité d'enfants plus jeunes qu'elle se trouvaient déjà piégés à Aghoralis, sans qu'autant d'attention leur soit accordée.

Le semi-drow reporta son attention sur Sylas.
"Faites vos bagages pour être prêts au départ à midi, dans la cour intérieure."
"Ce sera fait, Messire. Alycia, si tu faisais la révérence qu'on t'a apprise, tu te souviens ?"
La petite souleva sa robe et fit une révérence dans les règles de l'art, sauf qu'elle était beaucoup trop rapide et qu'elle levait des yeux rieurs plutôt que de les baisser, ce qui gâchait complètement son effet. N'ayant jamais été grand amateur de protocole, Lothringen lui rendit son sourire.
"Je crois qu'on va bien s'entendre, Loth' !"
"Je crois aussi..."
Sylas la gronda pour sa familiarité tout en l'entraînant vers la porte.
"J'espère... que vous finirez tous par voir que nous sommes dans le même camp", ajouta-t-il sans regarder personne en particulier.
"A ce sujet, Sylas, le cas échéant... Savez-vous vous battre ?"
Le prêtre se redressa et sembla regagner un peu de dignité.
"Je suis heureux de pouvoir au moins vous rassurer sur ce point. C'est manifestement plus pour ces compétences-là que pour mes talents de pédagogue que j'ai été choisi pour m'occuper d'Alycia", acheva-t-il sur un sourire d'autodérision, tout en passant la porte.

Cette réponse sembla dissiper une partie de l'énervement de sire Rowan, mais une partie seulement. Le commandant sortit presque sur les talons du duo, en annonçant qu'il devait s'occuper des derniers préparatifs. Mornagest allait lui emboîter le pas quand Lothringen le retint.

"Ah, Hugues, un instant... Je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer, et je préfère garder mes sorts de protection pour plus tard. Mais j'aimerais savoir tout de suite ce que vous aviez à me rapporter. Prenez donc une plume, et écrivez-moi l'essentiel."

Tout en disant ces mots, le semi-drow lui désigna son propre bureau, où se trouvaient parchemins, plume et écritoire. Difficile de trouver plus faible distance de l'émetteur au destinataire...

[Mornagest]

Un peu de candeur n'eût pas été de refus en temps normal, et l'absence d'intérêt pour la chose protocolaire était plus amusante que choquante, d'autant que lui-même n'y attachait qu'une importance très secondaire. Malheureusement, la réalité du conflit reviendrait bien assez vite hanter tous les esprits... Il ne restait plus, désormais, qu'à attendre le départ et voir si ces deux-là allaient résister au magnifique spectacle des murs d'Aghoralis entourés de mélandiens, avec des cadavres dans tous les coins, des problèmes sanitaires et de nourriture à gérer, et une imminence de l'assaut final au-dessus de la tête...

Alors qu'il s'apprêtait à sortir du bureau, Lothringen le retint. Noter les détails de sa "mission" sur un parchemin était une bonne idée pour éviter de gâcher de précieux sorts de protection contre les oreilles indiscrètes, et il hocha doucement la tête à l'invitation de son compagnon.

Il s'assit puis saisit une plume et un parchemin vierge posés sur le bureau. Il ne voulait pas faire perdre de temps à son amant, ni entrer dans des détails superflus, et s'attela donc à la tâche aussitôt.

"J'étais assoupi dans le jardin de l'hôtel de ville lorsque j'ai revu les visages dont je t'ai parlé tantôt. Tu faisais partie de ce "rêve", ainsi que le barde, Taliesin. Tu dois sûrement le connaître, au moins de réputation : il était le meneur de la révolution des esclaves, à Melandis. Je n'en sais pas plus pour l'instant concernant les deux autres présentes, hormis le fait qu'il s'agissait apparemment d'une humaine et d'une sorte d'hybride humanoïde démoniaque à l'aspect étrange.

Je n'en sais pas beaucoup plus, je le crains, mais je gage que cela pourra t'aiguiller un peu plus... je garde mes questions pour plus tard.

Je t'aime

PS : inutile de te suggérer de détruire cette note immédiatement..."

Sitôt son message terminé, le guerrier se leva et salua Lothringen d'un geste militaire. Il sortit ensuite sans mot dire, l'esprit encombré de questions quant à leur avenir proche, à tous... Lothingen, lui, la Garde, la fillette, le prêtre... et tout le continent ! Vaste programme...

[Lothringen]

Lothringen lut deux fois la note, puis la livra à la flamme de la bougie qui lui servait à faire fondre la cire à cacheter. Il demeurait songeur, tout en regardant le feu achever de détruire le parchemin. Taliesin ? Voilà un nom qui le renvoyait loin en arrière, à ses premiers temps à Manost... Qu'est-ce que l'elfe pouvait bien avoir à voir avec cette histoire ? Le fait qu'il connaisse à la fois Lothringen et Mornagest lui semblait ne pouvoir être un hasard. Aurait-il cherché à se venger de l'ancien chancelier et de celui qui le protégeait ? Cela faisait sens, mais comment aurait-il pu apprendre leurs secrets... Le semi-drow n'était guère plus avancé.

Laissant cette énigme de côté, il repensa à l'entretien qui venait de se dérouler. Que lui voulaient les tymorans, que voulait sa déesse... Encore des questions. Il devrait continuer à avancer sans avoir les réponses.

De son côté, Mornagest avait encore quelques corvées à accomplir afin d'être prêt pour le départ ; il devait vérifier son inventaire, aller chercher ses rations de survie... Et prendre toutes mesures utiles pour une nouvelle campagne. Si vite...

[Mornagest]

Il lui restait essentiellement à vérifier son paquetage, dont il avait déjà remplacé les éléments endommagés par leur mission à Chêne-des-Clercs. En revanche, Mornagest savait que sire Rowan voudrait qu'il donnât un coup de main pour les derniers chargements, aussi se hâta-t-il de remplir son sac avec soin de tout ce dont il pourrait avoir besoin.

Une fois cela terminé, il retourna voir son commandant. La matinée était déjà bien entamée, et le rappel était prévu pour midi. Restait à espérer que tout serait prêt à cette heure, sans quoi, sire Rowan ne manquerait pas de faire part de son mécontentement. Surtout si c'étaient les deux nouveaux et étranges personnages qui les accompagnaient qui étaient coupables de retard...

hrp : inventaire complet : une cotte de mailles, une épée à deux mains +1, une tunique, deux chemises et deux chausses, une paire de bottes, un sac à dos contenant une paillasse (attachée au-dessus), un bloc de savon, une outre d'eau pleine, des rations de survie pour cinq jours, une lanterne à capote, une flasque d'huile pour la lanterne (6 heures de fonctionnement au total), une corde en chanvre de quinze mètres (attachée sur le côté du sac) et un marteau simple.

[Lothringen]

Le voyage étant prévu par téléportation, le "chargement" était simplement composé de deux caisses de matériel dont il fallait vérifier le poids afin de ne pas excéder les compétences des mages qui les emmèneraient. Ce fut vite fait - sire Rowan invita alors Mornagest à prêter main forte à ses camarades, car certains étaient encore bien amortis suite aux blessures et aux soins. Une journée et demi, c'était un peu court pour être tout à fait remis... Et le capitaine lui-même restait plus pâle que d'ordinaire.

A midi, la Garde Blanche était là, dans la cour, au grand complet. Sylas et Alycia aussi - le prêtre expliqua qu'ils avaient logé en ville, à l'auberge, depuis déjà quelques jours, attendant leur audience, et qu'ils n'avaient ainsi eu qu'à faire l'aller-retour. Il portait un sac de voyage qui valait pour deux, et dont dépassait du matériel de couchage. Mornagest remarqua qu'il portait aussi une masse à la ceinture, et à voir son état, elle avait servi. La petite se tenait tranquille, observant la cour, les gardes, l'agitation autour d'elle - tant de choses nouvelles à regarder.

Lothringen arriva sur ces entrefaites, son sac jeté sur l'épaule, comme lorsqu'ils partaient à l'aventure, jadis. Il avait mis dedans tout ce qu'il possédait, comme à chaque fois depuis son départ de Manost. Rien ne dépassait - l'avantage des poches magiques - sinon une courbure d'arc.

Finalement, ce furent les mages qui se firent attendre. Ils assuraient la liaison d'urgence avec Aghoralis, essentiellement pour les échanges d'informations avec le gouverneur. Mornagest comprit qu'ils devaient les accompagner au coeur même de la cité assiégée.

[Mornagest]

La question de la sécurité revint rapidement au centre de ses propres préoccupations. Comment allaient-ils trouver la cité, c'était déjà une incertitude... ensuite, selon les attaques menées par l'empereur sur Aghoralis, le danger pouvait être constant, ou plus diffus. Des boules de feu en permanence laissaient moins de répit qu'une disette forcée. Or, Aghoralis disposait de vivres pour tenir un long siège... la cité avait pratiquement été bâtie dans ce but. Il y avait fort à parier qu'ils arriveraient dans une cité à moitié en ruines avec une bande de mages mélandiens constamment en train de lancer des sortilèges destructeurs sur les bâtiments et les murs...

Comment, dans cette situation, assurer la sécurité de tout un chacun ? Ils étaient faits pour se battre face à des adversaires physiques, pas pour esquiver ou repousser des sortilèges...

C'est donc avec une certaine appréhension qu'il laissa passer le temps avant que les téléportations ne débutent. Le voyage en lui-même ne l'effrayait plus. Non qu'il fût réellement habitué, mais suffisamment préparé au désagrément subi pour ne plus en ressentir les effets néfastes sur l'estomac.

[Lothringen]

Les mages finirent par arriver. Compte tenu du nombre de « passagers », ils étaient deux pour épauler le semi-drow dans la tâche. Les gardes remarquèrent vite que leurs visages étaient tendus, comme s'ils redoutaient de se rendre dans cette cité dont ils connaissaient trop bien la situation.
Enfin, trois groupes furent constitués et après une longue incantation, les téléportations commencèrent. Mornagest vit disparaître un premier groupe, composé de membres de la garde et des tymorans - plop ! Puis ce fut son tour...

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