[Quête] Montequine

[Voyageuse]

Elle sentit les larmes couler sur ses joues mais ne s'en préoccupa pas.
" Bien sûr que si, je devais me lever pour toi !, répliqua-t-elle avec un brin de colère dans la voix. Tout comme je devais te rechercher nuit et jour au risque d'en crever. Parce que tu comptes pour moi, parce que je t'aime !"
Mais ça, tu n'en as cure, songea-t-elle à part elle, sans le verbaliser, dans un éclair de rage -ou de lucidité ?- amère. Tu sautes juste sur le premier prétexte venu pour mettre fin à une histoire à laquelle tu n'as jamais voulu croire.
Elle n'étais pas en état de se demander si elle-même y avait réellement cru.

[Galathée]

" Me rechercher ?! explosa-t-il alors. Après m'avoir abandonné pour courir après tes amis centaures ? Alors que j'étais inconscient, en pleine nature ?! Tu es rôdeuse, ou quoi ? Tu sais ce qui traîne dans cette vallée ? Des lapins, tu crois ? Seulement ? Des petits écureuils gentils ? Tu te fiches de moi, me rechercher ? Belle idée que de rattraper tes erreurs ! Mais c'était trop tard, tu vois ? Tu as voulu courir vers ton shaman, sans te soucier de ce qui pouvait m'arriver ! Et ça arrivera encore ! Mille fois ! Parce que tu fais selon ton bon vouloir, tes impulsions, tes grands principes ! J'aurais dû réaliser que je passerais fatalement après toute cette foutue mission ! Et je l'ai réalisé, maintenant."

[Voyageuse]

Astrée secoua la tête et répliqua avec véhémence.
" Tu es injuste ! Tu es toujours passé loin devant cette fichue mission ! Je suis restée plusieurs heures près de toi, j'ai essayé de te ranimer par tous les moyens. Sans réussir. Je ne suis pas clerc, moi, je ne peux pas tout guérir d'un claquement de doigts ! Alors je suis allée chercher de l'aide, c'est tout ! Auprès des centaures, parce qu'ils étaient les seuls susceptibles de pouvoir te sauver, et je pensais qu'ils n'étaient peut-être pas très loin... Je t'ai fait un abri aussi solide que je pouvais, pour te protéger jusqu'à mon retour... mais il fallait que je fonce trouver des secours, pour te sauver, je n'avais pas le choix, je ne pouvais rien pour toi ! Tu voulais que je fasse quoi, que je reste sans rien faire à te regarder crever ?"
Les larmes coulaient sans discontinuer.

[Galathée]

" Tu ne savais absolument pas ce que j'avais ! répliqua-t-il. Non, tu n'es pas clerc, mais tu es rôdeuse, nom d'un chien ! Quelques heures, qu'est-ce que ça vaut ? Tu voulais voir tes centaures, voilà tout. N'essaie pas de transformer ça en une quête de ma bonne santé ! Mais honnêtement, je peux le comprendre. C'est bien, d'être un être d'absolus."
Il lâcha un soupir.
" Restons-en là, tu veux ? Nous sommes tous les deux fatigués."

[Voyageuse]

Elle poursuivit, pourtant, plus calmement.
" Neffen m'avait envoyé un oiseau pour me guider et il était évident qu'il partirait si je ne le suivait pas rapidement... et c'était le seul moyen que j'avais de remonter à eux, je ne voulais pas laisser passer ma seule chance de trouver de l'aide. Mais... d'accord, je laisse tomber."
Il ne servait à rien de lui expliquer, il était trop obtus. Elle s'efforça d'inspirer profondément.
" J'en ai marre... Neffen m'a reproché d'abandonner la harde pour retourner à ton secours, toi tu imagines que j'ai pu faire passer les centaures avant toi... et moi j'en ai ma claque de vos accusations stupides. Je n'ai jamais revu Neffen vivant, la harde est morte pendant que je m'épuisais à te rechercher, toutes mes tentatives pour sauver quoi que ce soit n'ont abouti qu'à des morts et des destructions... au moins toi tu es vivant, même si ça n'est pas grâce à moi, et je suppose que c'est l'essentiel. Mais tu as raison sur un point, on est tous les deux fatigués. Je n'ai plus la force..."
Il n'avait pas idée de tout ce qu'elle traversait depuis quelques jours. Elle n'en pouvait plus.
" Et pourtant je t'aime, conclut-elle amèrement en secouant la tête. Du fond du coeur. Mais je crois qu'en fait tu t'en fiches."
Les larmes lui brouillaient la vue, et elle sentait ses jambes flageoler. Elle finit par se détourner, s'approcher du mur le plus proche et se laisser tomber sur le sol, entourant ses jambes de ses bras, posant son front sur ses genoux. Heureusement, il n'y avait personne. Elle avait besoin de pleurer toutes les larmes de son corps, et le seul dont l'opinion comptait s'en moquait éperdument.

[Galathée]

Comme elle l'avait craint, Reynald ne vint pas. Perdue dans ses larmes, elle ne l'entendit pas partir, pas plus qu'elle n'entendit quelqu'un d'autre approcher, bien longtemps plus tard. Elle sentit qu'on posait une couverture sur ses épaules, puis perçut une présence derrière elle. C'était Tybert. Il ne dit rien, ne l'invita pas à se lever et à rentrer, se contenta de rester en retrait, en attente, sentinelle vigilante mais silencieuse, tandis qu'elle laissait couler son chagrin.

[Voyageuse]

Elle avait besoin d'être seule. Pas besoin qu'on s'occupe d'elle comme d'une gamine. Si les portes n'avaient pas été fermées à cette heure, elle se serait enfuie loin de la cité, loin des hommes, pour s'isoler et laisser libre court au mélange de colère et de désespoir qu'elle ressentait.
Elle faillit extérioriser sa hargne, renvoyer Tybert, mais elle n'en fit rien. Une part d'elle était reconnaissance à l'Eldathien d'être là. Mais tout de même, il faudrait qu'elle parte. Loin. Dès qu'ils ouvriraient les portes. Elle ne pourrait pas supporter de rester là et d'affronter les regards.

Elle pleura longtemps en silence, secouée de sanglots, consciente de la présence de Tybert et honteuse de lui laisser voir sa souffrance, mais étrangement soulagée qu'il veille sur elle.
Puis, lorsqu'elle n'eût plus de larmes, elle leva la tête vers lui.
" Tybert... Ça n'est pas juste..., murmura-t-elle doucement d'une voix brisée. Ce dont il m'accuse... J'ai risqué ma vie pour le sauver, je ne l'ai jamais abandonné... Et... j'ai l'impression qu'il s'en sert juste comme prétexte pour me laisser tomber... et je lui en veux pour ça..."
Un frisson irrépressible la parcourut.
" Je l'aimais... je savais que ça ne durerait pas éternellement, il ne voulait pas... mais finir comme ça... c'est pas juste... j'ai fait tout ce que je pouvais pour lui venir en aide... ça me fait trop mal..."
Quelques larmes roulèrent à nouveau sur ses joues. A croire qu'elle en avait une réserve infinie. Elle réprima un sanglot, aspira une goulée d'air.
" Tu sais, ces derniers jours, j'ai tout perdu... tout échoué. Et maintenant... j'ai plus envie de vivre...aucune raison... et je sais que j'aurais jamais le courage de mourir... mais... j'ai plus la force... "
Ses paroles étaient trop hachées, elle n'arrivait plus à retrouver son souffle. Trop oppressée. Elle ferma les yeux.

[Galathée]

Tybert recourut à sa magie pour l'apaiser. Il murmura quelques mots, l'engloba d'une énergie bleue, douce, délicate, qui malgré ses émotions extrêmes, la calma quelque peu, assourdissant son trouble, comme un anti-douleur spirituel. Pendant un long moment, l'Eldathien ne dit rien. Puis il soupira doucement.
" Il en viendra sans doute à voir les choses comme toi... et il regrettera sûrement ce qu'il t'a dit mais... Il a failli mourir, et les Montequins lui ont sauvé la vie. Sans eux, il aurait certainement été dévoré par la créature qui l'a attaqué... C'est difficile, pour lui, de comprendre pourquoi tu l'as laissé derrière, d'imaginer qu'il n'y avait pas d'autre solution, moins risquée... Il imagine évidemment les scénarios inverses, ce qu'il aurait fait si tu avais été inconsciente... et il pense qu'il ne serait pas parti. Je ne sais pas où se situe la vérité mais la blessure est vive parce qu'il t'aimait, pas parce qu'il veut se défaire de toi."

[Voyageuse]

" Il ne peut pas imaginer le scénario inverse. Parce qu'il est clerc et qu'il ne sait pas ce que ça fait, de voir celui qu'on aime inconscient, en train de mourir peut-être, et de se savoir impuissant à l'aider. Lui, il peut toujours lancer un sort, faire quelque chose. "
Quelques larmes coulaient toujours, mais plus calmement.
" Il ne peut pas savoir le déchirement que c'est, d'avoir dû le laisser pour aller chercher de l'aide. Je l'ai protégé, caché, abrité, du mieux que j'ai pu. Si Goran ne m'avait pas confisqué mon cheval, j'aurais pu l'emmener, mais là je pouvais juste foncer aussi vite que possible et espérer revenir à temps. Si j'étais restée, je l'aurais vu mourir peu à peu, et je savais que les secours ne seraient pas là avant des jours puisqu'on ne pouvait pas être au rendez-vous... Alors j'ai choisi... ce qui me semblait la moins mauvaise solution... "
Elle secoua la tête et poursuivit, amère.
" Mais depuis quelques jours, toutes les décisions que je prends sont mauvaises, de toute façon. A cause de moi, Kess est morte, j'ai gaspillé les dernières feuilles de l'arbre de vie, et les centaures croient que je les ai abandonnés puisque j'ai préféré retourner au secours de Reynald. Je n'ai rien pu faire pour sauver la harde, j'ai perdu Neffen... et j'ai perdu Reynald. C'est juste... trop. Je n'en peux plus. J'aime Reynald, du fond du coeur, mais ça fait tellement mal d'être rejetée ainsi pour une raison aussi injuste, juste au moment où tout va déjà si mal... je n'ai pas la force... Vraiment pas..."

[Galathée]

Tybert ne dit rien, pendant un moment.
" Tu devrais parvenir à détecter la lumière au milieu des ténèbres. Le peuple que tu as libéré. Les souffrances qui se sont tues. La paix qui va revenir dans cette vallée magnifique, paix pour tous les survivants. Dans toute guerre, il y a des victimes, malheureusement, et les êtres vivants se heurtent périodiquement. Mais tu as sauvé les centaures de Montequine, et ceux de la harde, même si tu n'as pas sauvé la harde, et pas non plus chaque individu pris séparément. Mais pense aux mères qui retrouvent leurs enfants, pense aux amants réunis, pense au soupir de soulagement qui s'échappe de chaque poitrine centaure, dans la région, désormais. C'est ça, que tu as fait."

[Voyageuse]

" Oui, tu as sans doute raison... J'ai tendance à voir tout en noir en ce moment, je crois. Les derniers jours ont été trop éprouvants..."
Les centaures étaient sauvés, oui... Mais qu'allaient-ils devenir, sans shaman ? Il avait un rôle si important pour la harde. Et pourtant ceux de Montequine n'en ressentaient pas le besoin, eux. Une histoire d'âme à réveiller qu'elle aurait bien voulu mieux comprendre...
Elle poussa un profond soupir, secouant la tête.
" Neffen me manque, murmura-t-elle. Sa mort me fait une peine immense. J'aimais bavarder avec lui, et il y avait encore tant de questions que j'aurais voulu lui poser. Et je ne sais pas comment ils vont s'organiser, leur avenir m'inquiète. C'est ce qui gâche un peu, pour moi, la satisfaction d'avoir libéré les esclaves. Même si je sais que c'est déjà un grand succès qu'ils soient libres."
Est-ce qu'elle pouvait encore aider à quelque chose ? De quelle manière ? Elle se demandait, surtout, si les feuilles bêtement gaspillées auraient pu lui servir à aider les centaures, mais elle ne voyait pas comment. Auraient-elles pu réveiller l'âme des centaures de la ville, par exemple ? Ou Mara avait-elle raison en disant que ce n'était qu'un mythe ? Bah, il lui restait le fruit, au besoin. La harde passait avant l'enfant... mais elle ne se voyait pas dire cela à quiconque. Personne ne comprendrait une telle absurdité.
En tout cas, ces questionnements, lui revenant à l'esprit, avaient au moins eu le mérite de la détourner quelques instants de Reynald...
" Et... tu crois que... vous allez repartir aujourd'hui, avec Reynald ?"

[Galathée]

" Sans doute, oui. Nous allons mettre le cap sur Bortheias d'abord, puis Eredhun, j'imagine. Reynald va d'abord dormir, je suppose, puis nous aviserons. Je ne crois pas qu'il ait envie de rester dans les parages encore très longtemps... Peut-être, si Byron revient vite... Mais même avec ça, je ne compterais pas dessus." dit Tybert d'une voix douce.

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête, la gorge trop nouée pour parler. Le sortilège de Tybert avait calmé ses nerfs, mais elle se sentait démolie quelque part à l'intérieur d'elle-même.
Puis elle réalisa la signification des paroles de Tybert.
" Tu parles de rejoindre Erhedun... Ca veut dire que Goran le libérerait de son obligation de rester à son service ? Quoique, après tout, il fait bien ce qu'il veut..."
Qu'il le libère ou non, Reynald était parfaitement libre d'aller où bon lui semble. A sa place, en tout cas, elle aurait certainement fui Bortheïas.

[Galathée]

Tybert parut embarrassé, puis soupira.
" Reynald n'est pas en état de jouer en ce moment. Je pense que Goran s'en est bien rendu compte. Si jamais il reste une dette à apurer entre eux... Ce sera pour plus tard."

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête, tristement. Puis elle garda le silence un moment. Elle avait trop de choses qui se bousculaient en tête. Une tristesse immense. Le coeur brisé. Des sentiments confus, colère et désespoir mêlés. Elle était trop épuisée pour penser. Elle avait un peu la sensation d'être en train de chuter au ralenti dans un gouffre noir, sans fond, et plus aucune énergie pour quoi que ce soit.
" Je t'en prie, dis-lui... si jamais je n'ai pas la force de le croiser avant son départ..."
Elle sentit sa voix s'enrouer, les larmes jaillir à nouveau.
" Lorsqu'il sera en état de l'entendre, lorsque sa colère sera moins forte... dis-lui que je l'aime... que je n'ai pas pu faire autrement... Que..."
Qu'il n'avait pas le droit de m'accuser aussi injustement, qu'il n'avait pas le droit de me démolir à ce point, que je lui en veux de m'abandonner comme ça, que c'est dégueulasse... qu'en fait il se sert juste du premier prétexte venu pour me plaquer, qu'il n'est qu'un égoïste.
Elle inspira profondément, refoula la colère.
" Que je ne voulais pas... qu'on se quitte ainsi... et qu'il peut me recontacter, me revoir, quand il le voudra... Juste pour... ne pas rester fâchés..."
Non, c'était trop dur de le quitter ainsi, ça faisait trop mal. Elle ferma les yeux, pinça les lèvres, chercha un soupçon de calme au fond d'elle.
" Ou peut-être que je devais lui écrire un message... je ne sais pas..."
Lui parler était inutile. Elle n'aurait pas la force...

[Galathée]

Tybert acquiesça, manifestement embarrassé.
" Je lui dirai, murmura-t-il. Tu devrais aller te recoucher, Astrée. Le manque de sommeil n'arrange pas les choses. Je veux bien te donner quelque chose pour t'y aider, si tu penses que tu n'y parviendras pas..."

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules. Dormir ou pas, était-ce important ? Elle se sentait vidée, et tout lui était égal.
" Je ne sais pas... j'ai besoin de dormir, oui."
Elle n'était pas sûre de trouver le sommeil, malgré son épuisement. Et pourtant, elle n'avait qu'une envie, se rouler en boule sur son hamac, fermer les yeux, et ne plus en bouger pendant des heures et des heures, voire des jours... Bah, elle finirait bien par s'endormir, à force.
" Je crois que dormirais bien toute la journée en fait... J'aurais dû m'installer ailleurs que dans ce hangar où il y a tant de monde. Je vais voir si j'arrive à m'isoler un peu..."
S'il y avait trop de monde elle pouvait déménager, mais elle n'était pas sûre d'en avoir la force.
Elle se leva, titubant légèrement. Même avancer jusqu'au hangar était un effort énorme. Levant les yeux vers Tybert, elle ajouta :
" Merci, en tout cas... Pour tout..."

[Galathée]

" Je suis désolé." répéta le clerc en lui offrant son bras.
Il paraissait franchement déstabilisé par le caractère extrême de ses émotions. Il l'entraîna vers le hangar, la soutenant dans sa déambulation hésitante. Il faisait déjà plus clair, l'aube ne tarderait plus vraiment...

[Voyageuse]

Evidemment, Tybert était toujours d'un calme inébranlable, inaccessible aux émotions extrêmes... Mais Astrée venait de perdre coup sur coup Neffen et l'amour de Reynald, et ça faisait simplement trop. Et peu importait qu'il ne le comprenne pas, après tout. Elle était rentrée la veille après cinq ou six jours épuisants où elle était allée d'échecs en désillusions, et l'abandon de Reynald était un coup de massue supplémentaire, inattendu et injuste, qui venait s'y ajouter, alors qu'elle commençait tout juste à accepter la fin de la harde et à faire abstraction de sa peine pour se tourner vers l'avenir. Elle n'avait pas l'énergie de faire face à ce nouveau coup du sort. Et elle en voulait d'autant plus au Sorlyn de lui faire ça justement maintenant.
Elle n'avait qu'une envie, dormir. Essayer d'oublier. Se replier sur elle-même à un endroit où nul ne la dérangerait jusqu'à retrouver l'envie de bouger. Non... en réalité, elle avait envie de se blottir dans les bras de Reynald et de faire la paix... mais puisque ça lui était interdit, mieux valait s'isoler et cacher sa souffrance. Instinct d'animal blessé...
Et puis, de toute façon, elle ne servait à rien ici. Les centaures de Montequine se débrouillaient très bien sans elle, la harde était au loin... et puis Byron saurait bien la retrouver si ceux de son peuple souhaitaient la voir.

Elle était pourtant consciente, même du fond de son esprit brouillé par la souffrance, que malgré son ressenti actuel, si les centaures avaient besoin d'elle, elle trouverait l'énergie pour les aider. Mieux, elle savait que ce serait certainement le moyen le plus efficace d'oublier sa peine : s'occuper de celle des autres. Il lui semblait que sa présence ici pouvait être utile. Mais là, tout de suite, elle ne voulait plus voir personne. Tant qu'on n'avait pas besoin d'elle, après tout, elle avait bien le droit de se reposer tout son saoul. Elle se lèverait... quand elle aurait faim ? Ou peut-être avant, pour écrire un message à Reynald. Oui, c'était une bonne idée... En attendant, il fallait juste espérer qu'il n'y ait pas trop d'agitation dans le hangar et que nul ne se soucie d'elle.

[Galathée]

Comme Astrée l'avait espéré, personne ne se soucia d'elle. D'abord, elle regagna le hangar alors que la plupart des Luméniens dormaient encore, et ceux qui la croisèrent, le visage encore bouffi de sommeil, ne lui prêtèrent qu'une attention toute relative. Elle put donc retrouver la quiétude de son hamac, Tybert l'aida à s'y installer avant de se retirer. Juste avant de partir, pourtant, il lui insuffla une nouvelle fois cette paix magique, cet apaisement surnaturel, qui étouffa un moment sa peine.

[Voyageuse]

Elle était reconnaissante à l'Eldathien pour son aide. Au fond d'elle-même, elle la jugeait un peu inutile : elle savait d'expérience que le temps l'apaiserait tout aussi efficacement et plus durablement, donc était-il vraiment indispensable de gaspiller de l'énergie divine pour cela ? Habitude de clerc, sans doute... Mais elle dut reconnaître que dans son état, c'était une aide appréciable qui lui permit au moins de trouver le sommeil sans difficulté. Il faut dire que les émotions l'avaient vidée de toute énergie : elle n'avait ni la force ni la volonté de penser. Heureusement, en un sens. La seule idée cohérente qui lui vint avant de sombrer fut d'écrire un message pour Reynald. Demain, dès son réveil, s'il n'était pas encore parti. Elle était absolument incapable, en revanche, de se projeter plus loin que ça. Trop épuisée, vidée, elle sombra en quelques minutes.

[Galathée]

Elle s'éveilla tard dans la matinée, quand l'épuisement fit place à un réveil fébrile. Elle entendit qu'il pleuvait au tambourinement soutenu des gouttes sur le toit incliné du hangar. Il ne restait que quelques soldats, installés autour d'une table d'un côté, ou somnolant sur leur couche. Sans doute avaient-ils pris leur garde plus tôt et pouvaient-ils profiter d'un peu de repos avant que ne revienne leur quart. Au dehors, le ciel était gris sombre, bouché, sans espoir de soleil, du moins pour ce jour-là.

[Voyageuse]

Astrée s'éveilla sans aucun tonus ni aucune envie de se lever. Le temps, apparemment, était assorti à son humeur. Elle aurait volontiers passé la journée allongée à ne rien faire, à ruminer de sombres pensées. Mais il aurait fallu pour cela qu'elle soit seule : vu les circonstances, elle avait bien conscience qu'on risquait de s'inquiéter d'elle si elle ne bougeait pas de son hamac. Et puis, elle s'était promis d'écrire un message... Pour cela, il fallait se lever...
Elle se contenta d'abord de se retourner dans son hamac et replia ses jambes contre elle, le coeur trop triste pour bouger. Il lui fallut de longues minutes pour parvenir à se décider. Reynald était sur le point de partir, et si elle traînait trop elle n'aurait même pas l'opportunité de lui laisser un mot. Elle sentit quelques larmes couler et les réprima de son mieux. Elle pleurerait plus tard. Ailleurs.

Elle descendit de son hamac dans une sorte d'état second. Elle se sentait épuisée, l'esprit vide, sans volonté : tout lui demandait un effort. Mais elle devait écrire ce message... Ses automatismes prirent finalement le dessus et elle s'habilla rapidement, rangeant machinalement ses affaires en vrac dans son sac, tout en cherchant du regard les affaires de Tybert, ou même de Reynald. Mais peut-être avaient-ils déjà tout plié, et tout emmené ailleurs, dans le bâtiment communal par exemple... ou peut-être qu'ils étaient déjà partis. Ou simplement en train de déjeuner ? Pour sa part, elle n'avait pas faim, mais elle irait tout de même voir...

[Galathée]

Les affaires de Tybert étaient rangées, empaquetées, prêtes à être embarquées. Celles de Reynald étaient invisibles mais Astrée ne l'avait pas vu dans le hangar : il était possible qu'il n'ait pas dormi là. En interrogeant les hommes qui se trouvaient dans les parages, elle apprit qu'une sorte de mess avait été improvisé dans une taverne du voisinage et elle retrouva donc son chemin jusqu'à une vaste bâtisse, qui avait dû abriter l'établissement le plus populaire du village. Il n'y restait plus grand monde mais les fourneaux tournaient toujours et on lui proposa du gruau. Par contre, ni Tybert ni Reynald ne s'y trouvaient.

[Voyageuse]

Elle ne s'attarda pas. Elle s'obligea à avaler très rapidement un bol de gruau dont elle aurait été incapable de décrire la saveur : elle n'avait pas le moindre appétit et aurait avalé la pire pitance sans s'en apercevoir. Elle se disait que l'essentiel était que Tybert et Reynald n'étaient pas partis, peut-être en train de prier quelque part. Elle n'allait pas perdre de temps inutile à les chercher : mieux valait écrire ce message, puis attendre le retour de Tybert pour lui confier. Ou peut-être le donner directement à Reynald, si elle osait chercher à le voir. Elle n'était pas certaine d'avoir le courage. Mais... si. Elle le trouverait.

Elle revint aussi vite qu'elle le put au hangar dans lequel elle avait dormi, craignant subitement d'arriver trop tard. Ce ne serait vraiment pas de chance, mais vu sa poisse de ces derniers jours, c'était tout à fait possible. Elle avait du papier et un crayon à mine de graphite dans son sac, elle allait se trouver un support quelconque, s'installer loin des groupes d'hommes présents sur place, guetter leur retour... et chercher l'inspiration. Écrire ne lui était pas quelque chose de naturel. Pourvu qu'ils ne reviennent pas trop vite... Elle ne savait même pas comment commencer. "Mon amour" était ce qui lui venait naturellement, mais vu les circonstances... quoi d'autre ? Et finalement, fallait-il forcément une introduction ?
Elle poussa la porte du hangar le coeur battant, et porta immédiatement son regard vers l'endroit où se trouvaient les affaires de Tybert, croisant les doigts pour qu'elles y soient toujours.

[Galathée]

Les affaires de l'Eldathien n'avaient pas bougé, toujours rangées à leur place. Tybert n'était manifestement pas passé par là. Il était cependant très peu probable qu'ils soient en train de prier, l'un et l'autre : on était déjà en milieu de matinée et ce n'était une heure propice ni pour les servants d'Eldath, ni pour ceux de Milil.

[Voyageuse]

Elle se demandait où les deux clercs étaient. Peut-être leur avait-on demandé d'intervenir auprès des montequins, ou auprès des centaures. Il faudrait qu'elle aille voir ce qui se tramait au-dehors, dans tous les cas : elle ne voulait pas manquer le retour éventuel de Byron. Malgré son épuisement, ses autres préoccupations reprenaient leurs droits, peu à peu, masquant sa peine à défaut de la chasser. Mais elle décida de prendre le temps d'écrire son message, tout de même, et de le laisser sur le sac de Tybert, juste au cas où ils reviennent ici et se téléportent sans qu'elle les ait retrouvés.

Elle renonça à trouver les premiers mots, et écrivit simplement ce qu'elle avait dans le coeur :

" C'est trop dur de se quitter ainsi. Je t'en prie, lorsque tout sera apaisé, que ta colère sera retombée, j'aimerais que tu me contactes, j'aimerais te revoir. Ne pas rester fâchés. Je t'aime. Astrée."

Elle sentit les larmes couler à nouveau en écrivant les derniers mots, et s'autorisa à pleurer en silence quelques minutes. Sa douleur était si vive, sa peine si profonde... Toujours pleurant, elle plia la feuille de papier, et écrivit sur le rabat "Pour Reynald", espérant qu'il ne la déchirerait pas sans la lire sous l'effet de la colère.

Puis, laissant le papier bien en évidence sur le sac de Tybert, elle quitta la grange, s'essuyant les yeux d'un revers de manche. Elle avait besoin de se passer la tête sous de l'eau glacée pour y noyer ses larmes et tenter de masquer les énormes poches qu'elle devait avoir sous les yeux. Ensuite, elle se dirigerait vers les portes de la ville, du côté est.

[Galathée]

Après un passage au lavoir, elle gagna donc l'extérieur de la ville. Les portes étaient grandes ouvertes et les Luméniens qui montaient la garde — très distraitement — la saluèrent quand elle sortit. Il y avait moins de centaures dans la prairie que la veille, mais davantage constellaient la campagne environnante, jusqu'au bois, formant ça et là des petits groupes. Plusieurs regards glissèrent sur la rôdeuse, des paroles s'échangèrent, mais personne ne l'apostropha. Elle devina cependant une silhouette, arrivant au galop vers elle, et reconnut Mara. La centaure s'arrêta devant elle.
" Bonjour, dame, dit-elle en s'arrêtant devant elle. Si vous avez l'intention de rester à l'extérieur, je pense qu'il est plus prudent que je vous serve d'escorte."

[Voyageuse]

Tybert et Reynald ne semblaient pas dans les parages. Peut-être étaient-ils tout simplement dans le grand bâtiment communal, là où elle avait pris le thé avec Tybert la veille.
" Je ne sais pas", répondit-elle d'une voix hésitante.
Si elle voulait voir Reynald, il valait mieux qu'elle revienne à l'intérieur de la ville. Mais qu'est-ce que ça lui apporterait, finalement ? Il y aurait tant de tension entre eux... Mais d'un autre côté, rester dehors serait pour Reynald une preuve supplémentaire que les centaures passaient avant lui. Et d'ailleurs, avait-on besoin d'elle ici, ou au contraire était-ce une mauvaise idée de vouloir imposer sa présence ?
" Je voulais d'abord trouver des amis, et ensuite je comptais faire un tour dehors, en effet. Et c'est gentil de vous proposer comme escorte. Mais... Les choses sont-elles tendues à ce point ici ? Ou est-ce juste une simple précaution, au cas où ? Comment s'est passée la nuit ?"

[Galathée]

" Bien, compte-tenu des circonstances, dit Mara. Quelques cauchemars, quelques mouvements de panique, mais globalement... C'était une première nuit plutôt sereine. Je ne serais pas surprise que la suivante soit plus difficile, cependant."
Elle sourit.
" Mais comme vous pouvez le constater, nous sommes un peu moins regroupés... et certains d'entre nous sont pleins d'émotions extrêmes... parfois de haine. Vu la propension de notre espèce à la violence, je ne peux pas garantir votre sécurité si vous décidiez de vous promener seule."