[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs

[Galathée]

Ils n'eurent aucun geste agressif pendant son approche et lorsqu'elle fut à proximité, elle vit que, dans leur surprise, ils étaient souriants. L'archer continuait à scruter l'orée des bois, cependant, et se contenta de la gratifier d'un signe de la tête. Un des deux autres était une jeune femme aux cheveux coupés très courts, d'allure androgyne, et elle portait une arbalète au côté. Le troisième, toujours agenouillé devant une petite fille de cinq ou six ans, était plus âgé. Ils étaient tous vêtus de tenues fonctionnelles, brunes et grises, de cuir, et leur âne était chargé de paniers.
" Belle journée, dame, annonça la jeune femme. Veuillez pardonner notre accueil mais il est très rare de croiser des êtres humains dans ce secteur..."

[Voyageuse]

"Oh, j'ai bien compris que vous m'aviez prise pour autre chose qu'un être humain", fit-elle d'un ton léger avec un semblant de grimace, qu'elle changea aussitôt en sourire.
Elle jeta un regard à l'archer, toujours sur ses gardes.
"Y a-t-il donc tant de créatures dangereuses dans ces parages pour que vous soyez ainsi aux aguets ? questionna-t-elle en scrutant un instant les bois. Oh, mais pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée... Je me nomme Astrée"

[Galathée]

La jeune femme sourit.
" Je suis Isaure. Jack scrute les bois... et voici Hugo et Madeleine."
La petite fille s'était écorché le genou et le coude, ses larmes avaient séché sur ses joues et elle regardait Astrée avec ébahissement. Hugo la gratifia d'un geste tout en épongeant le sang qui perlait sur la peau de l'enfant.
" Mais ce coin est dangereux, oui... Beaucoup de créatures hostiles l'arpentent en ce moment... Sans doute le printemps."
Elle haussa les épaules.
" Nous avons vu les traces d'une meute de loups sanguinaires et d'au moins deux lions des cavernes, mais ce sont surtout les bêtes intelligentes qui nous inquiètent... Les ogres, les ettins, les centaures, quelques nécrophages... Ce genre-là... Ces bois constituent leur terrain de chasse et de repli... Mais nous sommes habitués, vous ne devez pas vous inquiéter."

[Voyageuse]

Un instant, Astrée s'amusa du fait qu'on lui demandait de ne pas s'inquiéter pour eux. Ils étaient trois, elle était seule, elle était donc sensée courir plus de risques, non ? Mais sans doute qu'une inconnue crapahutant seule dans le secteur devait leur apparaître comme étant parfaitement capable de se défendre. Alors qu'elle savait, elle, que son principal mode de défense consistait à ne pas attirer l'attention et surtout la colère des éventuelles bêtes féroces. Quand aux espèces intelligentes qui semblaient peupler les lieux, elle espérait bien ne pas les rencontrer : elle ne serait pas de taille si un ogre ou un ettin se mettait en tête de l'attaquer par surprise. Ou, pire, un nécrophage... Décidément, elle haïssait les morts-vivants.
Elle regarda les bois d'un œil neuf, presque aussi inquiet que celui de l'archer près d'elle.
- Je ne savais pas qu'il y en avait tant dans les parages... Je vous remercie de m'en avoir avertie, je m'efforcerai d'être plus discrète encore. Et je vais éviter ces bois autant que possible...
Elle sourit à l'enfant. La petite fille avait l'âge de la sienne... l'âge qu'elle avait, du moins, autrefois. Elle se surprit à pouvoir l'évoquer sans ressentir le serrement de coeur qui l'accompagnait d'ordinaire, ou seulement de façon très atténuée. L'atmosphère du lieu n'était pas à la nostalgie, et la fillette irradiait la vie.

[Galathée]

Isaure jeta un coup d'oeil en direction d'Hugo qui se relevait, Madeleine dans les bras. L'homme plus âgé la dévisagea, songeur.
" Vous devriez rester avec nous, pour votre sécurité, dit-il enfin. Je ne sais pas ce qui vous amène dans cette région, mais vous devriez songer à redescendre vers la vallée. Vous allez vite vous retrouver coincée à flanc de montagne et votre cheval ne passera jamais dans les sentiers étroits qui grimpent vers les Rocs de l'Aigle. Si vous escomptiez gagner la Vallée du Nirvana ou la Lorien, il faut contourner les montagnes. Les falaises qui s'étendent au nord..."
Il désigna les grands pics argentés qui se dressaient plus loin.
"... sont infranchissables. Mais vous pouvez venir vous reposer dans notre village avant de redescendre."

[Voyageuse]

Astrée soupira. Oui, ces falaises paraissaient infranchissables. Et pourtant c'était quelque part par là qu'elle était sensée se rendre... Était-ce pour aller là-bas qu'il y avait ces passages cachés dont Keyth avait parlé ? Quant aux sentiers étroits qui montaient vers les Rocs de l'Aigle, elle savait pouvoir les suivre, à condition d'alléger son chargement. Mais elle ne pouvait bien sûr pas leur dire que Prince se ferait écureuil.
- Je ne cherche pas à gagner la vallée de Nirvana ou la Lorien, expliqua-t-elle posément à Hugo. Je suis simplement à la recherche de plantes et de simples, des spécimens rares, qui ne poussent qu'en hauteur. Et je dois donc monter assez haut en altitude pour espérer les trouver.
Une semi-vérité, seulement. Elle sourit.
- Cela dit, je serais ravie de faire halte dans votre village. J'ai beau savoir que cette route traverse quelques zones habitées plus loin, je commençais à me demander s'il y avait encore des êtres humains dans les parages : je n'ai croisé personne depuis deux jours.

[Galathée]

" Vous ne trouverez rien en altitude que vous ne puissiez trouver à ce niveau-ci, dit Hugo avec une grimace. Enfin... Bertille, notre herboriste, pourra vous renseigner, mais... Ce serait prendre bien des risques pour trois racines, à mon avis."
Il souleva la gamine qu'il posa sur la selle de l'âne, entre les paniers.
" Accroche-toi mieux, ce coup-ci." conseilla-t-il doucement à la fillette, laquelle lui sourit et s'agrippa au pommeau.
Isaure se positionna de l'autre côté de l'équipage, à nouveau attentive. Astrée nota qu'Hugo dégageait un épieu effilé du sol.
" J'ai du mal à croire que les gens d'en-bas vous aient laissée monter par ici sans vous prévenir des dangers dont regorgent le coin... Décidément, les habitants de la vallée sont bien naïfs..." dit Hugo en l'invitant à le suivre, tandis qu'ils reprenaient leur route.

[Voyageuse]

- Oh, ils m'ont prévenue, admit Astrée avec une grimace en lui emboîtant le pas, Prince sur ses talons.
Keyth lui avait parlé de créatures aimant la chair humaine, et déconseillé de monter trop haut.
- Enfin, un peu... Ils ne sont pas vraiment entrés dans les détails.
Elle haussa les épaules.
- Ou peut-être que c'est moi qui n'ai pas voulu les prendre assez au sérieux, admit-elle.
Elle allait passer pour une fieffée écervelée, inconsciente des risques de la montagne. Le pire, c'est qu'elle savait bien que cette histoire de plantes médicinales ne suffirait pas : au-delà d'une certaine altitude, il n'y a plus rien... Et il était évident qu'elle ne prendrait pas tant de risques simplement pour ça. Mais elle ne voyait pas comment expliquer qu'elle était à la recherche d'un arbre mythique qui n'existait pas pour la plupart des gens... et dont les rares qui en avaient connaissance nieraient tout aussi formellement l'existence. Et puis, Reynald lui avait conseillé de ne pas en parler.
- Mais concernant les plantes, effectivement j'en discuterai avec votre herboriste. Il me manque encore quelques simples que je n'ai pas réussi à trouver, elle aura peut-être des pistes à me proposer.

[Galathée]

La route rouge recommença à grimper, longeant toujours, à bonne distance, le bois touffu. Jack et Isaure se placèrent tous les deux de ce côté là, caracolant autour de l'âne et des deux autres au fur et à mesure de leur progression. Ils étaient jeunes, élancés, musclés, apparemment habitués à la montagne. Leur pied paraissait sûr et entraîné, leurs sens affûtés. Ce n'était certainement pas la première fois qu'ils faisaient ce trajet, dans des conditions similaires.
" Vous avez eu de la chance de n'avoir aucun ennui jusqu'ici, dit Hugo en haussant les sourcils. Nous ne nous aventurons jamais hors de Montequine seuls. Ou en tout cas pas dans cette direction... Il y a un chemin plus escarpé qui descend directement aux alpages fleuris... Il est moins risqué, en termes de créatures dangereuses, mais traître quand on ne le connait pas... Peut-être l'un de nos compatriotes pourra-t-il vous y accompagner pour redescendre... Les quelques veilles à venir vont être particulièrement dangereuses dans ce coin-ci, car nous devrons probablement organiser des battues pour régler l'un ou l'autre problème."

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
- Ne vous en faites pas pour moi, j'ai l'habitude de la montagne, même s'il est vrai que je ne connais pas celle-ci. En tous cas, ce n'est pas un sentier un peu escarpé qui va m'arrêter si je dois redescendre par là-bas.
Mais c'était cette route-ci qu'elle était sensée suivre, même si elle ne savait pas jusqu'où. Pas l'autre chemin plus escarpé. Et elle était sensée monter, de surcroît, pas redescendre. Bon, certes, elle était aussi sensée se laisser guider par le hasard, qui pouvait l'entraîner n'importe où.
Elle préféra changer de sujet, rebondissant sur la dernière phrase du montagnard.
- Vous dites que vous allez organiser des battues dans les veilles à venir ? J'imagine que ces créatures doivent effectivement être redoutables pour en arriver là. Ou peut-être deviennent-elles trop nombreuses. Je comprends mieux que je n'aie croisé personne...

[Galathée]

Hugo soupira et haussa les épaules.
" C'est toujours un peu la même chose... Nous aspirons à une vie tranquille, mais à partir du moment où nous constituons une proie de choix pour certaines créatures, et bien... C'est manger ou être mangé, malheureusement. En général, les animaux gardent leurs distances... Nous avons peu de bétail, à cause des loups et des ours, nous préférons les garder près du village, et les surveiller de près. La montagne est généreuse : il y a du gibier en abondance et nous ne sommes pas assez nombreux pour constituer un poids réel pour l'environnement... Maintenant... Certaines créatures ont le mal vissé au corps. Pas qu'on puisse les blâmer, réellement, c'est leur nature, mais... La disparition des orques a ouvert le territoire à d'autres engeances, parfois bien pires. Les orques étaient rustres, fiers et violents, mais il n'était pas toujours impossible de négocier avec eux. Ce n'est pas le cas des ogres, par exemple. Ils sont retors, souvent, on ne peut pas se laisser abuser par leurs discours et surtout pas leurs promesses..."
Ils étaient arrivés en haut de la pente et la route rouge suivit à nouveau la crête, plus plane et plus tranquille, s'éloignant des bois. Le dénommé Jack demeura derrière, surveillant la piste qu'ils venaient d'emprunter, tandis qu'Isaure prenait la tête.
" L'année dernière, un duo d'ogres a ainsi trompé une famille de fermiers, près de Lustac. Ils avaient l'air civilisés, instruits, même, voulaient juste partager l'alpage pendant quelques mois. Ils les ont tous mangés. De la grand-mère au nourrisson de trois mois. Après les avoir bernés pendant plus de six semaines... Nous avons envoyé des hommes pour aider les Lustaciens à s'en débarrasser ensuite, mais il était trop tard pour la petite famille. Onze, qu'ils étaient. Les ogres avaient encore la panse pleine quand on les a fauchés."

[Voyageuse]

Astrée grimaça. Comme tout le monde, elle avait entendu parler des ogres, même si elle n'en avait jamais rencontré. Elle s'était dit, parfois, que peut-être tous ne méritaient pas cette réputation... mais à l'évidence, ceux qui avaient sévi à Lustac étaient de cette engeance. Et contribuaient à maintenir la mauvaise image de leur race.
- Je n'ai jamais eu affaire à des ogres, expliqua-t-elle. Il n'y en a pas par chez moi. Je ne peux que m'en réjouir, apparemment. Mais je comprends mieux votre méfiance de tout à l'heure si les créatures environnantes sont aussi hostiles. C'est bien dommage, soupira-t-elle. Il devrait y avoir assez de place, dans ces montagnes, pour tout le monde... Mais je suppose qu'on arrive forcément à des tensions lorsqu'on doit cohabiter avec ce genre de races. Ce ne doit pas être simple pour vous.

[Galathée]

" Oh, si nous étions de nouveaux colons, sans doute aurions-nous plié bagage depuis longtemps, je suppose... et les jeunes quittent souvent les villages pour gagner les villes en contrebas. Bortheias, bien sûr, et puis Lunaros, Edhoras... Même Luménis. Je ne blâme pas ces gosses, cela dit. La vie est rude, en montagne. Mais Montequine est un village ancien. Près de trois cents ans que nous sommes là. Nombre de ces créatures sauvages sont arrivées après nous et ne respectent pas les lieux. Ils déciment les populations de saumons, éventrent les ruches, massacrent les bouquetins... Quand elles n'attaquent pas les villageois qui vont ramasser les champignons ou les baies sauvages. L'hiver a constitué une trêve, comme chaque année, et les hostilités vont reprendre. Dans ce domaine, l'avantage des créatures intelligentes, par rapport aux bêtes, c'est qu'une bonne démonstration de force suffit, généralement, à les faire changer de territoire. Elles sont capables de mesurer le risque qu'elles prennent à nous attaquer... pour la plupart du moins... et s'éloignent. Comme vous l'avez dit, la région est vaste : il y a de la place pour tout le monde."
La route avait recommencé à s'élever. Les deux jeunes gens conservaient leurs positions, mais Jack semblait moins nerveux.

[Voyageuse]

Astrée se détendit légèrement, à son tour, en devinant que la zone dangereuse semblait derrière eux.
- Et vous devez faire ce genre de... démonstration de force... chaque année ? questionna-t-elle. Une battue à chaque printemps ? Ils ne se souviennent pas, d'une année sur l'autre, qu'ils ont intérêt à garder leurs distances et à vous laisser vos territoires de chasse et de cueillette ?
Les Montagnes de Fer, où elle vivait, étaient dans l'ensemble moins dangereuses. Il s'y trouvait davantage de hameaux nains et humains, on y trouvait davantage de voyageurs sur les grands axes de circulation, et par conséquent il y avait moins de créatures hostiles de ce genre. Décimées, peut-être, des siècles plus tôt, ou conscientes qu'elles avaient tout intérêt à rester à l'écart des villages humains.

[Galathée]

" Ce ne sont pas les mêmes groupes, généralement. Je crois que certains migrent... ou se déplacent au gré du mouvement de leurs proies... Et puis si l'intelligence conseille de s'écarter, elle peut aussi nourrir l'esprit de revanche. Certaines créatures sont fières... Les orques, par exemple. Les vieux du village se souviennent encore des guerres qui les ont opposés, des années durant... Enfin, les Luméniens ont fini par y mettre bon ordre. Pas sous notre impulsion, notez bien. Nous avions plus ou moins réussi à cohabiter. Mais les elfes abhorrent les orques et de l'autre côté, dans la Vallée du Nirvana, les rapines étaient vraiment nombreuses, meurtrières et hors de contrôle. Les gobelins sont parfois revanchards, aussi. Nous en avons eu les deux dernières années, mais ils semblent s'être retirés ailleurs. Les nécrophages, par contre, il faudra les éliminer. Nous avons heureusement un clerc à Montequine, qui pourra nous y aider."
Il s'interrompit comme ils franchissaient la crête. En contrebas, sur un petit plateau herbeux et dégagé, se trouvait Montequine.

[Galathée]

Quête : Equité

Abandonnant Montequine derrière elle, Astrée progressa dans une forêt de moyenne montagne pendant les quelques premiers jours. Le temps demeurait clément, et elle ne rencontra aucun être humain. Elle vit par contre mille oiseaux, insectes, des grenouilles et des lapins, des chèvres sauvages, des renards et des écureuils. Quand elle eut épuisé ses provisions, elle n'eut aucun mal à s'en fournir d'autres. L'approche de l'été rendait la nature encore plus généreuse que quelques veilles plus tôt et en bien des endroits, il suffisait de tendre la main pour se servir. Même si les hommes avaient colonisé Dorrandin, leur empreinte demeurait ténue en bien des endroits. Puis elle finit par croiser une première route et il fallut qu'elle décide : regagner la civilisation ou poursuivre son errance solitaire.

[Voyageuse]

Astrée avait pris tout son temps, se levant souvent tard le matin, s'octroyant parfois une sieste. Elle chassait ou pêchait presque chaque jour, cueillait ce qu'elle trouvait, s'efforçant de s'abandonner simplement au plaisir de parcourir la montagne, et de penser le moins possible. Mais, presque à son insu, son esprit vagabondait, et la beauté de la nature environnante lui évoquait parfois les centaures, Neffen en particulier, et cette pensée lui serrait immanquablement le coeur un moment. Moins qu'avant, cependant : elle savait qu'elle devait accepter l'inéluctable et faire le deuil du shaman.
En revanche, elle évitait au maximum de songer au Sorlyn, consciente que cette douleur-là était plus profonde. Elle y parvenait plutôt bien durant la journée, mais le soir, dans l'obscurité, sa solitude faisait inévitablement remonter trop de souvenirs, l'amenant souvent jusqu'aux larmes. Elle lui en voulait pour cette rupture. Pourtant, elle avait toujours su, au fond d'elle, que leur relation était fragile, qu'elle s'éteindrait tôt ou tard... Mais une part d'elle avait voulu y croire, et se révoltait contre l'injustice de cet abandon. Et, surtout, elle ressentait intensément la solitude et le vide de sa vie, la certitude que personne ne l'attendait plus nulle part. Elle aurait dû parvenir à en retirer un sentiment de liberté, mais elle en était incapable...

Elle luttait de son mieux contre cette mélancolie tenace, et le printemps était son allié. Le bonheur de marcher seule dans la montagne, loin de toute civilisation, lui procurait un sentiment de liberté qui parvenait la plupart du temps à prendre le pas sur les idées noires. La route, cependant, subitement aperçue en contrebas, la ramena à des préoccupations bassement matérielles : certes, elle avait envie d'être seule, de voir le moins de monde possible, mais 'un autre côté, trouver un hameau permettrait d'acheter de l'huile, de la farine, du sel, pour améliorer un peu son alimentation quotidienne. Ce serait juste une pause ravitaillement avant de reprendre son périple : elle comptait voyager le plus possible en pleine nature.
Elle emprunta donc la route, dans la direction qui lui paraissait la plus susceptible de l'amener vers sa destination.

[Galathée]

La piste mena Astrée à un petit hameau tranquille nommé Les Jonquilles, dans lequel elle put se ravitailler sans difficultés en troquant le fruit de sa pêche et de sa chasse contre les denrées qui lui faisaient défaut. Il y avait là une dizaine de maisons, et des gens qui vivaient principalement de la montagne et des moutons. Ils offrirent de l'héberger si elle le désirait. Alternativement, elle pouvait continuer à descendre vers la Trouée. Il y avait d'autres villages le long de la route qui menait à Edhoras.

[Voyageuse]

Astrée hésita. Elle n'avait guère envie de bavarder, et camper seule lui agréait parfaitement : elle craignait de ne pas être une compagnie très agréable, vu son humeur du moment. D'un autre côté, elle ne voulait pas vexer ces gens qui lui proposaient si aimablement de l'héberger. Et puis, avoir de la compagnie lui occuperait l'esprit et lui éviterait de laisser ses idées vagabonder en tout sens. Ça n'était pas forcément une mauvaise idée...
Elle accepta donc la proposition, avec un sourire un peu timide. Passer une nuit de temps en temps chez l'habitant au cours de son périple lui paraissait un compromis satisfaisant entre son envie de solitude et celle, au contraire, de distraction.

[Galathée]

De toute façon, les habitants du cru n'étaient pas de grands bavards. Ils lui installèrent une chambrette sous les combles et elle partagea leur repas. Ils ne l'interrogèrent pas en détail sur les causes de ses pérégrinations, la laissant y venir si elle le désirait. Ils ne savaient pas grand chose de ce qui se déroulait dans la vallée, ils n'y descendaient qu'une ou deux fois l'an pour les grandes foires au bétail qui avaient lieu, généralement, en automne. Pour le reste, le printemps était magnifique et les montagnards, sous leurs dehors un peu bourrus, paraissaient touchés par sa poésie, eux aussi...

[Voyageuse]

Astrée se sentit rapidement à son aise. Une chambre improvisée sous les combles lui convenait parfaitement, le repas était tout simple et ses hôtes aussi peu bavards qu'elle. Elle s'était toujours sentie plutôt bien dans les petits hameaux de montagne, davantage à sa place que dans les grandes cités de la plaine. Elle s'efforça de participer à la conversation de son mieux, les interrogeant sur les foires de la vallée, s'intéressant également à leur métier d'éleveur : l'agnelage avait dû avoir lieu quelques veilles plus tôt.
Au détour de la discussion, elle expliqua, sans entrer dans les détails, qu'elle explorait ces montagnes pour récolter quelques plantes aux vertus médicinales pour le compte d'une herboriste. Elle fit allusion à sa rencontre avec des centaures, curieuse de voir si ces gens, à une si grande distance de la vallée cachée, avaient pu entendre parler de leur existence. Elle resta, en revanche, très floue sur la localisation de ceux-ci. Elle ne parla que d'une rencontre merveilleuse, due au hasard, loin d'ici dans les montagnes.

[Galathée]

Les gens n'avaient jamais entendu parler de centaures mais ils ne se montrèrent pas particulièrement surpris. Les montagnes regorgeaient de créatures étranges, un des voisins avait déjà surpris un troll des glaces haut dans la montagne, un autre avait observé une harde de cerfs parfaitement blancs, et on parlait de bosquets aux fées et aux farfadets dans la forêt d'où elle venait. Les montagnards étaient philosophes : la nature avait ses mystères, rien ne méritait qu'on s'en effraie.

[Voyageuse]

Oui, il y avait un bosquet aux fées, du moins il y avait celui de la dryade, et elle croyait sans hésitation qu'il y avait également tout ce qu'ils mentionnaient d'autre. Ces gens-là avaient une conception des mystères de la nature bien différente des Montequins, arc-boutés sur leurs peurs et leurs certitudes, et elle s'en sentait beaucoup plus proche.
La veillée ne se prolongea pas : le printemps était une saison chargée pour les montagnards, ils se lèveraient probablement de bonne heure le lendemain, et elle ne voulait les gêner en aucune manière. Elle monta donc se coucher rapidement après la fin du repas, en leur souhaitant une bonne nuit. Pour sa part, son corps réclamait le repos après une journée de marche, et elle se sentait détendue, apaisée : nulle idée noire ne viendrait l'empêcher de dormir, cette fois-ci.

[Galathée]

Les quelques jours suivants furent semblables aux précédents. Astrée poursuivit sa route vers la vallée et, plus loin vers l'ouest, Edhoras. Elle trouvait toujours une bergerie ou une ferme pour l'accueillir, des gens pour faire du troc ou revendre ses prises, une nature prodigue, bien qu'elle devint, peu à peu, de plus en plus civilisée. Trouver des bosquets pour camper devenait plus compliqué, la route plus fréquentée, le terrain de moins en moins accidenté. Bientôt elle découvrit la plaine, s'étendant à perte de vue dans la Trouée. Si elle n'y prenait garde, elle serait très bientôt à Edhoras.

[Voyageuse]

Astrée s'arrêta un moment pour casser la croûte, observant la plaine à ses pieds. Elle sentait Prince piaffer d'impatience à l'idée de pouvoir filer au grand galop sur ces immenses territoires, qui semblaient avoir été créés tout spécialement pour le plaisir des chevaux. Ou des centaures, d'ailleurs : elle se souvenait des légendes racontées par Reynald, et cette réminiscence lui arracha un profond soupir.
Elle secoua la tête, s'obligeant à revenir au présent. Si son estimation était bonne, elle ne devrait plus être très éloignée d'Edhoras. La cité ne présentait aucun intérêt à ses yeux, hormis celui de servir de point de repère pour son itinéraire. Un bref instant, elle caressa l'idée de s'y arrêter pour s'enquérir de Reynald, au cas où il y soit passé. Mais il était plus que probable qu'il se soit rendu à Erhedun directement par téléportation, et qu'elle n'apprenne rien. Et même si elle apprenait quoi que ce soit, qu'en ferait-elle ? Elle n'allait pas le poursuivre... Et il faudrait un véritable miracle pour qu'il s'y trouve en même temps qu'elle. Non, décidément, elle n'avait aucune raison de se rendre à Edhoras.
Chassant cette idée stupide de son esprit, elle se remit en route, et laissa Prince prendre le galop qu'il désirait tant. L'équinoxe était passé, et sa monture ne devrait normalement plus susciter la moindre convoitise, mais elle n'avait pas pour autant envie de retrouver l'animation d'une ville. Elle préférait largement la contourner à distance, si c'était possible. Néanmoins, elle n'avait qu'une idée très approximative de la taille de la cité : s'il s'agissait d'une trop grande ville, la contourner, à travers des faubourgs trop peuplés, serait bien plus long et plus complexe que de la traverser.

[Galathée]

Elle se remit donc en route et, le lendemain, arriva en vue de la cité. Tout de suite, elle dut se rendre à l'évidence : Edhoras était plus vaste que Bortheias ou Rohan. A bonne distance, elle ressemblait à un vaste labyrinthe circulaire construit autour d'une butte et d'un petit château. Les rues semblaient larges, les maisons basses, et le tout était d'un brun de boue. De multiples petits points s'ébattaient autour et dans la ville. Des chevaux et des vaches, probablement. Elle était encore trop loin pour pouvoir compter les hommes.

[Voyageuse]

Puisque la route y menait tout droit, elle décida de traverser la ville. Elle attirerait peut-être l'attention en l'évitant ouvertement, et puis ça ne serait pas si long : les rues étaient larges, idéales pour les chevaux. Il suffisait qu'elle reste sur l'une des artères principales en évitant la butte et son château, et qu'elle avance à bonne allure. C'était une grande ville, ils devaient être habitués aux voyageurs... Et après tout, si elle passait à proximité d'un marché, elle pouvait aussi en profiter pour acheter de quoi varier son ordinaire.
Elle mit Prince au pas pour s'approcher de la cité.