[Salle] La prison

[Taliesin]

Une fois de retour dans sa cellule, il reprit sa place sur la chaise et n'en bougea plus.
Il aurait aimé réfléchir à une déclaration à faire à la cour, lors de l'ouverture du procès. Il essaya même, pour tenir ses engagements vis-à-vis de l'avocat.
Mais que dire à ces gens qui auraient pour charge de le juger ?
Qu'y avait-il à dire, en réalité, hormis des platitudes, des évidences ?
Comment faire bonne impression ?
Il tenta de trouver des réponses à ces questions, d'imaginer ce qui l'aurait touché, lui, s'il avait été à leur place. Mais les rares esquisses d'idées et débuts de formulation qui frôlèrent son esprit s'estompaient sitôt qu'il faisait mine de se concentrer sur elles et il finit par renoncer.
Peut-être serait-il moins lamentable plus tard dans la journée, après le repas de midi, l'examen médical ou même le dîner. Il verrait bien.

[Galathée]

On lui apporta de quoi écrire en même temps que de quoi se sustenter. Trois gardes procédèrent à la distribution du repas, deux surveillant le prisonnier tandis que le troisième lui déposait un plateau sur lequel se trouvait de l'eau en suffisance et un verre de vin, un plat de gibier à l'odeur fruitée, un morceau de pain, un bol de soupe et deux pommes. Ce n'était pas un traitement de faveur, à moins que son voisin ne soit également un hôte de marque. On lui servit la même chose. Le barde l'entendit grommeler à propos des charges retenues contre lui, qu'on ne lui avait apparemment pas encore notifiées. Les gardes ne lui répondirent rien.
Le trio sortit pour les laisser manger sans les observer, puis revint une petite heure plus tard pour les débarrasser de leurs restes, tout en leur laissant l'opportunité de conserver ce qu'ils n'avaient pas consommé.
On vint chercher Taliesin environ deux heures plus tard, pour l'examen médical. Il eut lieu dans la salle où il avait discuté avec Henri le matin même. Le clerc chargé de l'entrevue, un Ilmate, lui expliqua qu'ils devaient s'assurer de sa bonne santé à l'entrée, de manière à pouvoir reporter le procès pour raisons de maladie au besoin, et pour veiller aussi à ce que l'incarcération ne pèse pas trop sur son organisme. Il lui demanda aussi s'il pensait avoir besoin de réconfort spirituel...

[Taliesin]

Taliesin s'était forcé à manger. Non qu'il ait faim : c'était plutôt tout le contraire. Néanmoins, il ne pouvait pas se permettre de se laisser dépérir - ce qui n'aurait pas été très responsable. Pour autant, et malgré ses efforts, il n'ingurgita pas grand chose.
Il se soumis à l'examen médical sans protester : il avait connu pires traitements et de toute façon, même si cela paraissait humiliant par certains aspects, il savait où mettre son amour propre. Quand à un éventuel soutien spirituel, il déclina poliment : il ne faisait appel aux dieux que dans de très rares circonstances et il se voyait mal le faire dans celles-ci. Peut-être était-ce de l'orgueil, peut-être s'en sentait-il indigne, il n'aurait u dire.

[Galathée]

Le clerc se retira donc et Taliesin regagna sa cellule silencieuse. Son voisin, aussi calme qu'annoncé, lisait, et seul le bruit des pages qu'il tournait brisait le silence de leurs quartiers. Aucun garde n'était resté et au dehors, le soleil était encore haut. Taliesin avait la possibilité, s'il le désirait, d'écrire ce discours dont avait parlé Henri. Mais il pouvait aussi continuer à fixer le vide... Personne ne lui imposait rien.

[Taliesin]

Il le savait et essayer à nouveau de fuir le réel n'en était que plus tentant. Il essaya, d'ailleurs, presque inconsciemment.
Néanmoins, au bout d'un moment, il eut un brusque sursaut intérieur.
S'il avait été seul, il aurait pu se laisser aller ainsi.
Mais voilà : il n'était pas seul.
Il avait une femme, des enfants, des amis, pour qui tout cela constituait une épreuve au moins aussi rude qu'elle ne l'était pour lui.
Il n'avait pas le droit de leur faire défaut, de se montrer lâche.
Il fallait qu'il soit digne d'eux.
Alors, tant bien que mal, il se secoua, se fit violence.
Il s'empara d'une plume, fixa la page blanche.
Puis il commença à écrire, lentement, péniblement.

Quand j’ai cessé d’être celui que l’on surnomma le Monstre, quand j’ai pris conscience des atrocités que j’avais perpétrées, j’ai été lâche et j’ai fui. Longtemps, j’ai songé à le faire d’une manière irrémédiable, définitive. J’ai finalement opté pour une voie moins radicale : celle du déni, de la dissimulation. Je pensais qu’en agissant comme si de rien n’était, qu’en veillant à ce que personne ne sache, jamais, je finirais par tourner la page et, peut-être, par oublier.

Puis mon sinistre passé m’a rattrapé. S’il s’était abattu sur moi seul, j’y aurais sans doute vu une manière de justice et je l’aurais acceptée. Mais il a aussi emporté les miens dont le seul et unique tort était de m’aimer. Alors j’ai lutté, pour eux. Et lorsqu’est venu le moment où j’ai dû faire appel à Luménis pour assurer leur protection, je me suis dénoncé.

Après coup, je me suis interrogé sur ce qui m’avait poussé à agir ainsi. Pourquoi tout avouer, alors que j’aurais pu inventer une histoire, une histoire que ceux qui nous avaient enlevés ne seraient jamais venue contester puisque, ce faisant, ils se seraient exposés à de lourdes poursuites ?

La réponse ne fut pas longue à venir : je me suis dénoncé parce que j’en avais besoin.

Je m’étais trompé en pensant que je pourrais tourner la page, que je pourrais oublier : mes crimes continuaient inlassablement à me hanter, ils l’auraient fait même s’il n’y avait eu personne pour me les rappeler. Et c’était tant mieux, en réalité. Si j’avais pu continuer paisiblement ma route, sans plus y songer, cela aurait signifié que je n’étais pas vraiment redevenu moi-même, que le Monstre n’avait pas totalement disparu. Car qui d’autre qu’un monstre peut vivre sans remords, sans culpabilité en ayant sur les mains le sang des innocents, eu-t-il été répandu sous l’emprise de la folie ?

Je me suis dénoncé parce que j’en avais besoin. Parce que je le devais. Je le devais aux miens, pour être digne de leur affection, pour ne pas être un imposteur parmi eux. Je le devais à mes victimes, pour que leur âme trouve le repos, pour que justice leur soit rendue. Je me le devais à moi-même, enfin, pour ne pas trahir celui que j’étais jadis et que je suis redevenu.

Ai-je regretté ce choix ? Oui, par moments. Par peur de ce qui m’attendait et de l’épreuve que cela représenterait pour ceux que j’aime. Néanmoins, je m’y suis tenu par devoir, par besoin, parce que je savais que ce procès était sans doute la seule chance pour moi de pouvoir me regarder à nouveau en face, de pouvoir recommencer à aller de l’avant. Et à l’heure où je me tiens devant vous, mon seul véritable regret est de ne pas avoir été assez fort, il y a deux ans, pour empêcher le Monstre de naître et de prendre le dessus.

Il reposa sa plume.
Sa main tremblait, il avait la gorge nouée, les yeux humides et une violente migraine.
Tant d'efforts pour cela. Pour un résultat sans doute terriblement mauvais, terriblement maladroit.
Mais c'était le mieux qu'il pouvait faire.
Et au moins le texte était-il sincère...

[Galathée]

La nuit était en train de tomber au dehors, la cellule flamboyait des couleurs chaleureuses du crépuscule. Puis la lumière grisa, le ciel s'assombrit. Il ne fit pas noir pour autant : par un jeu de miroirs, la lumière de deux lanternes se reflétait sur dans la pièce. Il ne faisait pas froid car de l'air chaud était pulsé dans la pièce via des grilles en hauteur. Finalement, les gardes revinrent pour déposer le dîner, constitué d'une soupe roborative, de pain, d'une grappe de raisins. On leur rappela que l'extinction des feux aurait lieu une heure plus tard, environ. Le voisin grommela à nouveau mais il n'y eut nul grabuge.

[Taliesin]

Taliesin mangea parce qu'il le fallait bien puis, pour varier un peu, il alla s'assoir sur son lit. Il se prit alors à songer à sa famille, imagina ce qui se passait en l'instant même à la ferme et fut saisi d'un terrible sentiment de solitude. Il n'en menait décidément pas large et le plus ironique, dans tout cela, c'est que le pire n'avait même pas commencé. Car le pire, ce serait le procès... Mais il serait alors le centre de l'attention, il lui faudrait donc préserver les apparences et jouer cette comédie lui demanderait sans doute tant d'efforts qu'il ne pourrait plus réfléchir, ou pas beaucoup.

[Galathée]

La pièce fut finalement plongée dans le noir. Il faisait toujours tiède, le silence était troublé par les murmures de l'extérieur. L'air était curieusement imprégné d'iode, signe que la mer était toute proche.
" Est-ce que ça vous dérange si je chante un moment ? demanda brusquement une voix depuis la cellule voisine. J'ai pris l'habitude d'être tout seul et j'ai mes petits rituels..."

[Taliesin]

L'elfe eut d'abord une réaction d'humeur : il n'avait envie ni de discuter, ni d'entendre chanter. Mais il se contrôla : après tout, l'autre prisonnier, quel qu'il fut, n'était nullement responsable de son propre sort ou de ses états d'âme. De surcroit, s'il avait adopté ce genre de rituels, c'est que cela faisait bien longtemps qu'il était enfermé ici : dès lors, comment ne pas éprouver à son encontre quelque empathie ?
-Alors ne vous en privez pas : cela ne me dérange en rien, répondit-il d'une voix éteinte mais polie.
Au pire, si cela le gênait vraiment, il lui suffirait de se boucher les oreilles.

[Galathée]

" Merci." dit l'autre.
Il se mit à chanter peu après, une complainte sur un foyer perdu, la distance et l'oubli, l'espoir d'un jour rentrer chez soi pour retrouver les êtres aimés, que Taliesin ne connaissait pas. Le prisonnier avait une voix chaude, bien posée, sans doute avait-il eu une formation musicale, même si l'oreille entraînée du barde percevait les imperfections de ton, de timbre, de rythme. Les rimes étaient parfois maladroites, sans doute était-ce une composition personnelle.
Mais Taliesin n'écoutait pas et il glissa peu à peu dans le sommeil, peut-être aidé par cette berceuse improvisée, sans être gagné par la mélancolie qui en débordait... Un sommeil agité, cependant, qui ne tiendrait peut-être pas jusqu'à l'aube...

[Taliesin]

Taliesin alla en effet de cauchemar en cauchemar, l'incarcération ayant réveillé en lui tous les souvenirs pénibles de situations sinon similaires, au moins apparentées : il se revit ainsi successivement dans les geôles morféennes, aux mines pénitentiaires, aux mains des drows dans les cavernes de Mersant, entre les griffes des Mélandiens où l'avait précipité la trahison de Meloenn et d'Arion... Après chaque épisode, il se réveillait en sursaut, le cœur battant, éprouvait un puissant mais fugace sentiment de soulagement à l'idée qu'il ne s'agissait que de mauvais rêves puis tombant de très haut en constatant qu'il était bel et bien en prison, même si c'était une prison autrement plus humaine. Au fur et à mesure que la nuit avançait, se rendormir devenait de plus en plus difficile, quoique l'épuisement joua en sa faveur, en tout cas au début. Mais vint un moment où cela ne suffit plus et où, en désespoir de cause, l'elfe alla se rassoir sur sa chaise. S'il n'était plus en état de se reposer, peut-être était-il encore en mesure de se préparer mentalement aux épreuves du jour...

[Galathée]

Il n'était pas assis depuis cinq minutes qu'une voix s'éleva à nouveau de la cellule voisine.
" Est-ce que vous voulez bavarder pour vous changer les idées ? Vous avez l'air drôlement nerveux. Votre procès commence bientôt ?"

[Taliesin]

Fichtre, son voisin serait-il insomniaque ? Peut-être, sauf si sa propre agitation l'avait privé de sommeil...
-Demain. Enfin, aujourd'hui, répondit-il.
Vider son sac était très tentant mais guère indiqué. Non pas qu'il refuse de frayer avec les autres captifs : il ne se sentait en rien supérieur à eux, loin s'en faut. Cependant, moins de gens seraient au courant de son histoire, moins il y aurait de chances que celle-ci revienne le hanter quuand il aurait tourné la page. Et puis, oser se plaindre devant quelqu'un qui se trouvait derrière les barreaux depuis des lustres, sans savoir apparemment pour quelle raison, alors qu'on venait soi-même d'arriver et qu'on repartirait bientôt, ce serait à la fois injuste, indigne et cruel.
-Je vous remercie sincèrement pour votre sollicitude. Malheureusement, je ne suis guère d'humeur à parler. Je tiens toutefois à m'excuser si je vous ai empêché de dormir : je veillerai à ce que cela ne se reproduise plus.

[Galathée]

" Ne vous en faites pas, répondit l'autre. Jour, nuit, veille, sommeil, ces choses n'ont plus grande importance quand les heures se suivent et se ressemblent. Je disais ça au cas où, mais je vous comprends. Enfin, vous avez de la chance, que le procès débute rapidement... Au moins, il y a du mouvement, du changement, des possibilités. J'aimerais pouvoir en entrapercevoir autant..."
Le prisonnier le laissa ensuite tranquille et petit à petit, l'aube se leva. A nouveau, le jeu de miroirs permit aux lueurs fantastiques du nouveau jour de se refléter dans les cellules, magnifiques et chaleureuses, avant qu'il ne fasse complètement clair. On leur apporta alors le petit déjeuner, toujours par trois gardes, et, dans l'enfilade, Henri survint.

[Taliesin]

Toujours privé d'appétit, il avait pourtant mangé, parce que c'était nécessaire, parce qu'il devait prendre des forces. Il s'était ensuite apprêté de son mieux, songeant qu'une allure négligée ne jouerait certainement pas en sa faveur. Enfin, il avait attendu l'avocat, son texte à portée de main : sans doute ne ferait-il pas l'affaire - en réalité, il était convaincu qu'il ne conviendrait pas - mais il aurait au moins l'avantage de rassurer Henri sur le fait qu'il ne se laissait pas complètement aller et était toujours prêt à faire le nécessaire pour s'en tirer au mieux.

[Galathée]

Henri lut attentivement le texte tandis que le barde terminait de se préparer.
" Ça me semble bien, dit-il, pour autant que vous le délivriez sans vous effondrer ou vous montrer théâtral. Vous en sentez-vous capable ? Nous pouvons aussi envisager de le verser au dossier. Ou bien je le lis moi-même, si vous vous en sentez incapable."

[Taliesin]

Il eut un pâle sourire.
-Ne vous en faites donc pas comme cela. Ici ou auparavant lors de nos entretiens, il n'était pas nécessaire que je donne le change, alors je ne le donnais pas. Devant la cour, ce sera au contraire un impératif, alors je m'y plierai, aussi difficile cela puisse-t-il être. Bref, si vous pensez que ce serait une bonne chose que je lise ce texte, je le lirai, et de la manière qui convient.

[Galathée]

Henri acquiesça.
" Il n'y a pas de honte à se sentir incapable de certaines choses, dit-il sobrement. Mais oui, je pense qu'il sera bon que vous le lisiez en préambule, devant la cour."
Il posa une main sur son épaule.
" Allons-y. Je pense que tout est en place, désormais. Autant ne pas tergiverser sans raison."
Les gardes formèrent une escorte, qui passa à six hommes au moment où ils traversèrent la barrière anti-magie. Ils remontèrent ensemble le couloir, gagnèrent le hall, puis la cour. Un chariot similaire à celui qui l'avait amené de la ferme jusque là l'attendait et Henri l'y fit monter. Ils se retrouveraient au Palais de Justice. Ensuite, on boucla la porte et quelques secondes plus tard, le véhicule s'ébranlait, flanqué de cavaliers, dans les rues déjà animées de Luménis.

[Taliesin]

En faisant du regard le tour du fourgon cellulaire, l'elfe se dit que c'était une bonne chose qu'il n'y ait pas de fenêtre, que l'extérieur demeure invisible. Peut-être se trompait-il, mais il avait l'impression que s'il avait pu observer les rues de Luménis, il les aurait irrémédiablement associées à ce douloureux épisode de sa vie et se serait ensuite avéré incapable d'y remettre les pieds, ce qui n'aurait pas été sans poser problème. Heureusement, il n'y avait que la prison et le palais de justice dont il ne pourrait plus jamais s'approcher. C'était bien moins gênant, d'autant qu'il espérait ne plus avoir, de toute son existence, à fréquenter pareils endroits.
Sitôt assis, il sentit son estomac se nouer et la tension le gagner tout entier. Il s'efforça cependant de la contrôler, en respirant lentement.
Il n'avait jamais prétendu être fort ou courageux. Il n'empêche : il n'avait pas le droit de faillir.

[Galathée]

Le trajet s'éternisa, les chevaux ralentissant au rythme du trafic, le barde perçut les odeurs et les sons de la grande ville, d'abord les effluves marins, puis les parfums d'un marché, les senteurs du pain frais, puis un torrent de fleurs comme ils s'approchaient sans nul doute du Parc luménien. Les gens bavardaient, riaient et s'invectivaient dans le fracas habituel d'un petit matin.
Ensuite l'attelage prit de la vitesse, les chevaux trottèrent sur des pavés égaux, avant de s'immobiliser. La porte du chariot fut déverrouillée et Taliesin retrouva la lumière du jour dans la cour du Palais de Justice.

HRP : attention au double post

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Epilogue : Exorcisme (suite)

Rentrés du Palais de Justice, Taliesin et Henri descendirent du chariot renforcé de la prison. La cour était désormais plongée dans la pénombre, éclairée par plusieurs torches grésillantes. Un comité d'accueil conséquent les attendait, comme la fois précédente, lorsqu'ils étaient arrivés.
" Voulez-vous que nous prenions un peu de temps pour préparer la journée de demain, que vous sachiez à quoi vous attendre, ou préférez-vous vous relaxer, dans la mesure du possible ? Je n'ai pas de préférence. Les témoignages que j'ai prévus ne devraient pas vous secouer outre mesure."

[Taliesin]

Il marqua une nette hésitation. D'un côté, il n'avait aucune envie de se projeter déjà sur la journée du lendemain. De l'autre, il le ferait quio qu'il advienne, en sus de ressasser celle qui venait de s'écouler. Et puis, comme il n'avait pas la possibilité de recourir à sa technique favorite en pareille situation, c'est-à-dire s'occuper la tête et les mains...
-Préparons, fit-il donc en haussant les épaules. L'oisiveté ne me réussit guère quand je suis... préoccupé, disons.
Doux euphémisme.

[Galathée]

Henri acquiesça puis accompagna le barde dans les couloirs tandis que son escorte le ramenait à la zone antimagie de la prison. L'avocat ne put aller beaucoup plus loin car ils y retrouvèrent Galathée, qui attendait manifestement depuis un moment et paraissait de méchante humeur. Humeur qui se leva dès qu'elle vit le barde, qu'elle courut étreindre sans que les gardes aient le temps de s'interposer. Henri promit de faire porter des plantes à son client, puis s'esquiva, tout en rassurant Taliesin sur le programme du lendemain.
Les gardes de la prison escortèrent Taliesin et Galathée jusqu'à la petite salle du fond du couloir puis se retirèrent.
" Comment te sens-tu ?" demanda la rôdeuse, sans pour autant relâcher son étreinte.

[Taliesin]

Il n' répondit pas tout de suite, d'abord parce qu'il avait du mal à trouver ses mots, ensuite parce qu'il ne savait pas vraiment comment il se sentait -à deux doigts de s'effondrer, peut-être. Alors, il se contenta de la serrer contre lui.
-Là, maintenant, tout de suite, plutôt bien, finit-il par murmurer d'une voix mal assurée. Sinon, j'admets que j'ai connu des jours meilleurs mais comme nous nous le sommes souvent dits, ça n'est qu'une mauvait moment à passer. Un mauvais moment auquel nous pouvons déjà retrancher deux jours...
Il s'arracha un pâle sourire.
-Et de ton côté, comment ça va ?

[Galathée]

Elle sourit, lui écarta une mèche de cheveux du front, puis l'embrassa à nouveau.
" Disons que lorsque j'ai réalisé que tu étais parti sans me dire au revoir, je n'étais pas d'excellente humeur, mais là, comme ça, je me sens plutôt bien, moi aussi."
Elle ne semblait pas avoir l'intention de le lâcher.
" J'espère qu'ils ne t'ont pas trop malmené, aujourd'hui... mais tu n'as peut-être pas envie d'en parler."

[Taliesin]

Il haussa les épaules.
-Tu sais, jusqu'à ce que ce soit terminé, je vais passer mon temps à tourner et retourner tout ça dans ma tête, donc en parler ne change pas grand chose.
Il tenta de sourire à nouveau.
-D'après Henri, c'était la pire journée du procès : les témoins de l'accusation se sont succédés. il y avait un acolyte du Monstre, la sœur d'un second qui est finalement mort durant la guerre civile, ainsi que l'officier venu examiner la maison des Kanter juste après le massacre. Autant de témoignages forcément rudes à entendre. Quant au procureur, tu verras, il est du genre... sauvage et entend prouver que je n'étais pas fou parce que j'agissais avec froideur et cohérence, parce que je préparais bien mes coups. Argument qui sera vite battu en brèche, puisque la folie peut prendre bien des formes. De surcroit, selon Henri, son attitude belliqueuse ne plait guère au juge, ce qui est bon pour nous.

[Galathée]

Galathée acquiesça puis baissa les yeux.
" Est-ce que tu es certain que ça ne te gêne pas que j'assiste ? Je peux imaginer que... ça ne doit pas être facile. Si tu préfères, je peux me contenter de venir te retrouver ici le soir... J'imaginerai sûrement le pire, mais... ce sont des mots, juste des mots... Evidemment, pour un barde, je suppose que ça a plus de pouvoir que les actes, ou autant... mais je ne veux pas que tu sois mal à l'aise... Je veux te soutenir, rien d'autre."

[Taliesin]

Il hésita puis secoua la tête.
-Agis vraiment comme tu le sens, Gal. J'ai besoin de savoir que tu peux traverser cela de la manière la moins rude possible. Et pour être franc, en dehors des témoignages et des déclarations des divers intervenants, je ne fais pas attention à grand chose durant les audiences, parce que je dois me concentrer pour... conserver une attitude qui soit adéquate, qui ne me desserve pas. Bref, n'hésite pas à venir si tu le souhaites.

[Galathée]

" En fait... Je dois décider encore si je vais témoigner ou pas. Si je témoigne, je ne peux pas assister au reste des audiences... Henri dit que ça pourrait être utile, mais peut-être pas."
Elle se détacha de lui, alla chercher les chaises qu'elle mit côte à côte et s'assit, l'entraînant sans lâcher sa main.
" Il dit que c'est trop tôt pour savoir... C'est pour ça que tu dois me dire si ma présence t'aide ou si cela t'est égal..."

[Taliesin]

Il soupira.
-Ce qui est certain, c'est que ça ne m'est pas égal. Après, malheureusement... Je n'ai pas les idées assez claires pour prendre ce genre de décision...
Il se mordilla la lèvre inférieure.
-Le mieux serait que tu en discutes avec Henri. Peut-être devons-nous avant tout songer à nous montrer stratégiques, à garder en réserve la carte que constituerai ton témoignage...
Nouveau soupir : l'idée ne lui plaisait pas le moins du monde mais il fallait se montrer pragmatique.