[Lieu] Temple de Sunie

[Galathée]

" Et bien, puisque vous êtes en visite, sans doute pourrez-vous remédier à cette terrible faute de goût ?" dit le clerc, non sans malice.
Son regard s'attarda un moment sur la jeune femme, sans perversité mais sans gêne non plus.
" Cela dit, vous avez su choisir une robe qui vous va bien, malgré tout. L'important est de célébrer ce qui l'habite. Le reste, ma foi... C'est déjà bien de faire au mieux avec ce qui était disponible. J'imagine que ce genre de tenue doit paraître scandaleuse dans les rues de Manost."

[Chandara]

On se sentait un peu déshabillée du regard sous l'examen d'un Sunite mais Chandara prit ses compliments sincères pour une marque de gentillesse voire un encouragement.

- Je ne vous le fait pas dire : la moindre tenue qui dévie trop du gris terne et uniforme et qui laisse deviner que vous êtes une femme est pour ainsi dire proscrite. Mais j'ai une amie qui accepté de me confectionner malgré tout quelques robes pour fêter mon séjour à Luménis. En tous cas, vos compliments me vont droit au cœur.

Elle jeta un nouveau regard aux personnes présentes, s'attardant sur la coupe de leurs propres robes et cherchant à imaginer l'espace d'un instant qu'elle serait la réaction d'Arthur si elle en portait une rien que pour lui. Sans doute deviendrait-il aussi cramoisi que les tissus Sunites...

[Galathée]

Le clerc rit doucement.
" Allons. Vous êtes une jolie femme et vous le savez. Vous portez sûrement vos nippes grises avec style, et vous êtes parfaitement capable de vous mettre en valeur, votre robe le prouve. Jouer les modestes quand on n'en a aucune raison... et bien, ça parait artificiel, Chandara, apprenez-le."
Il fit quelques pas vers la déesse.
" Mais les Manostiens sont futés. Quand on expose tout, que regarder ? Quand on cache la majeure partie, on est attiré par le regard, le visage, le sourire. Vous n'avez sûrement pas souffert de cette mode."

[Chandara]

Le Sunite était un beau parleur, à n'en pas douter, et Chandara avait bien du mal à ne pas piquer un fard à chaque seconde. Il fallait cependant reconnaître qu'elle ne s'était pas vraiment attendu à autre chose en se rendant au temple de la beauté. Et que Kenan n'avait pas complètement tort : n'avait-elle pas attiré l'attention d'Arthur malgré son armure et son allure martiale ? Evidemment, le jeune-homme ne semblait pas de nature à s'arrêter aux apparences superficielles mais il l'avait trouvé belle, lui aussi. Et il ne s'en était pas caché. En fait, ce qui lui manquait était la confiance qu'elle puisait dans ces attitudes sincères à son égard, elle qui avait mené jusque là une existence bien solitaire.

- Non, je n'en ai pas souffert sans doute. Mais c'est tout de même agréable d'en changer pour surprendre et attirer le regard, pour se sentir différente, pour gagner un peu en confiance aussi, je dois dire. C'est peut-être un peu superficiel mais c'est tout de même agréable je trouve.

[Galathée]

" Superficiel ? Pourquoi serait-ce superficiel ? La beauté est l'essence même de la vie, de l'amour, du pouvoir, même ! Votre corps, c'est le reflet de votre âme, et votre âme n'a pas à rougir d'elle-même. Sunie vous a manifestement choisie... Rousse, généreuse... Vous êtes à l'image de la déesse. Dissimuler ce présent, en rougir... C'est presque sacrilège. Et je vous l'ai dit : ça n'est pas crédible."
Il rit doucement.
" Après tout, vous êtes entrée dans ce temple avec une brassée de roses. Vous vouliez vous faire remarquer. C'est bien normal."

[Chandara]

Que la déesse ait pu la choisir parce qu'elle était belle et rousse était un concept étrange, étranger même. Dire que les enseignements Sunites n'étaient pas une priorité dans l'éducation dorrandine était un doux euphémisme. Elle avait tant à désapprendre pour ouvrir son esprit à cette philosophie. Et pourtant, malgré son étrangeté, elle avait un côté séduisant. Et elle devait bien reconnaître qu'il était agréable de recevoir des compliments, même quand ils ne venaient pas de l'être aimé.

Il est vrai qu'elle avait tout fait pour réussir son entrée au temple. Mais elle aurait bien été en peine de justifier son geste, d'y trouver un sens. Elle avait cru que c'était juste un moyen de vaincre sa timidité mais avait-elle eu d'autres motivations à l'insu d'elle-même ?

- C'est difficile de désapprendre à se montrer effacée et discrète mais j'y travaille !

[Galathée]

" Vous ne pourriez pas être discrète ou effacée, sauf si vous vous cachiez dans un tonneau, dit le clerc. Mais c'est bien malheureux si on vous a appris à être gênée de votre beauté. Sunie ne vous a pas gratifiée de telles formes pour que vous les gardiez pour vous. Vous êtes magnifique, et vous devriez en faire profiter les autres. La vraie beauté est généreuse. Pensez au plaisir des yeux, pour ceux qui vous voient passer. Contempler les merveilles du monde, c'est donner de l'espoir, c'est encourager chacun à un mieux, c'est effacer la noirceur omniprésente, surtout dans une grande ville. Je devrais envoyer quelqu'un avec vous, pour refaire votre garde-robes. En cette saison, dans cette cité, vous n'avez pas d'excuses."

[Chandara]

Chandara avait manifesté son amusement à la mention du tonneau dans lequel elle aurait pu se cacher. La mention directe à ses formes faillit pour autant la faire rougir avant qu'elle ne se souvienne qu'elle ne devait surtout pas en avoir honte, bien au contraire.

L'idée de refaire sa garde-robe suscita son intérêt et son envie mais Kenan n'avait fait qu'émettre une hypothèse en l'air. La jeune-femme chercha tout de même à presser son avantage en manifestant son enthousiasme :

- Je suis certain que vous connaissez de très bons tailleurs : vos tenues le prouvent. Je dois dire que l'idée serait loin de me déplaire mais vos clercs ont certainement mieux à faire que de m'accompagner, pas vrai ?

[Galathée]

" Ça dépend de ce que vous proposez en échange de nos services, dame Chandara, dit le clerc, non sans malice. Aider la beauté à s'épanouir fait partie de nos missions sacrées... Nous trouverons fatalement quelqu'un que la tâche stimulera..."
Il la dévisagea.
" Mais vous, de votre côté... Comment remercierez-vous Sunie ?"

[Chandara]

Comment elle pouvait remercier Sunie en retour ? Elle ne se sentait guère de proposer quelque-chose qui pourrait paraître par trop anodin ou suggérer des idées auxquelles elle ne se sentait pas vraiment prête. Il aurait été tentant de s'en remettre aux suggestions du clerc mais elle le soupçonnait d'être un peu trop joueur pour cela. Alors elle se fit pensive avant de proposer d'un ton incertain :

- Je ne sais pas trop ce qui serait approprié dans ce cas. A moins bien sûr d'offrir de poser dans certains des vêtements que votre acolyte m'aura aidé à trouver pour me mettre en valeur ? Voilà qui le motiverait doublement à m'aider, n'est-ce pas ? A moins que vous ayez quelque tâche plus adaptée à une ancienne paladine ?

[Galathée]

" Une paladine ! Par les jupons de Sunie ! On vous a envoyé en espionnage, je parie !"
Il rit gaiment.
" La seule personne pour laquelle vous pourriez poser en nos murs ne voudra pas entendre parler de vêtements, et de toute façon, je pense qu'il est trop occupé pour l'instant... Mais c'est bien. Vous estimer digne de poser pour un artiste sunite, c'est déjà un premier pas vers la reconnaissance de ce que vous valez. Non, je pense que vous serez forcée de participer à une de nos fêtes. Voilà qui plaira à Sunie. Une rouquine aux agapes. Ce sera parfait, et cela vous... libérera un rien."

[Chandara]

Pas entendre parler de vêtements ? Forcée de participer à des agapes ? La libérer ? Voilà qui sonnait tout de même de manière un peu inquiétante et une ombre passa sur son visage avant qu'elle ne se reprenne et demande avec une curiosité sincère :

- Et qu'attendriez-vous que je fasse à ces agapes au juste ? Rien qu'une paladine puisse juger répréhensible, tout de même ? Mais si c'est une façon innocente de faire mieux connaissance avec vos coutumes, pourquoi pas en effet !

[Galathée]

Le clerc la dévisagea avec amusement.
" Vous ne pensez pas que vous avez passé l'âge de jouer les ingénues ? Et ça dépend le type de paladin : les nôtres seront présents, à coup sûr. Maintenant, si vous avez décidé que vous alliez garder votre beauté sous clé ou sous cape, en jouant les vierges effarouchées, alors effectivement, ce ne sera pas pour vous. Mais dans ce cas, vous devriez aussi éviter d'afficher ce que Sunie vous a offert, et peut-être vous méfier des clercs qui la servent... Nous avons horreur du gâchis."

[Chandara]

Si le clerc avait certainement tenté de plaisanter au moins en partie, ses mots n’avaient pas manqué d’éteindre le sourire et l’enthousiasme de la Dorrandine. Elle n’était soudain plus très sûre du bienfondé de sa démarche. Et la brusquer n’avait jamais été un bon moyen de lui faire accepter quoique ce fût.

Bien entendu, le clerc avait raison : elle devait se défaire d’une partie de son éducation dorrandine et des tabous attenants mais pas au prix de Sunie savait quoi. De quoi aurait-elle l’air si elle s’engageait à la légère pour se retrouver dans une situation gênante au mieux et dont elle ne pourrait se dépêtrer ?

- Je ferais sans doute mieux de suivre votre conseil, si vous ne pouvez rien me dire de ces cérémonies… Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé : c’était très gentil à vous, Kenan.

[Galathée]

" A votre guise, répondit le clerc avec un léger sourire. Sunie est amour, mais Sunie est chaos, vous devez vous en rendre compte. La louer est une chose, et beaucoup de Luméniens le font. Mais la comprendre, c'est une autre démarche. Allons, ne faites pas cette tête. Je vous trouverai quelqu'un pour vous aider à vous habiller même si vous refusez de vous joindre à nous ensuite... Vous pourrez toujours verser une obole à la déesse ensuite, pour la remercier du regard qu'elle a posé sur vous."

[Chandara]

Si elle avait du mal à mesurer toute la portée des paroles du clerc, Chandara en fut tout de même quelque peu rassérénée. Suffisamment pour poursuivre une conversation qui avait autant éveillé ses craintes que sa curiosité.

- Comprenez-moi bien, Kenan : je suis paladine – ou du moins je l’ai été – et je suis manostienne même si je suis plutôt en rupture avec la doctrine qui y prédomine. Pour moi, l’ordre fait partie de ma manière de penser et d’être. Depuis mon plus jeune âge. Mais j’ai fait la démarche de venir ici car Sunie incarne des mystères que j’aspire à découvrir, car l’idée de défendre ce qui est bon et beau est attirante et noble. Peut-être que je me fourvoie, peut-être ne suis-je pas faite pour la comprendre. Je ne demande qu’à assister à une de vos fêtes pour m’en rendre compte mais peut-être n’y suis-je pas prête. Tout de votre culte m’est inconnu et le peu que j’en ai entendu n’est que rumeurs et superstitions.

[Galathée]

" Notre culte est hédoniste, Chandara, si c'est ce que vous craignez. Cela n'est pas une rumeur. Cela ne transforme pas nos agapes en orgies monstrueuses, mais il y a de l'ivresse, de la danse, et des corps qui se frôlent. La pudeur, que vous érigez sans doute en valeur, toute paladine manostienne que vous êtes, n'est pas une vertu sunite. Et si nos paladins sont moins exubérants que nos clercs, ils sont cependant plus libertins que les Lathandrites. Or ceux-ci le sont déjà davantage que les Tormites ou je ne sais quelle engeance hante désormais votre cité. La beauté, l'amour, ne s'expriment que dans la liberté. Et la liberté engendre l'excès. Et nous autres, Sunites, estimons que franchement... ce n'est pas très grave. Il faut profiter de l'instant présent, le vivre, l'habiter, et pas sans cesse s'inquiéter de demain ou du jour qui suivra. Vivre à demi, c'est gâcher, et les Sunites, je vous l'ai dit, ont horreur de ça."

[Chandara]

Chandara l’avait écouté attentivement et avec beaucoup d’intérêt mais le discours, s’il avait réussi à dissiper une partie de ses angoisses, n’avait pour autant pas éliminé toutes ses inquiétudes. Mais sans doute lui faudrait-elle vivre une de ces expériences pour s’en rendre vraiment compte, pour en mesurer toutes les implications. Elle avait pourtant une question qui la taraudait, une ligne rouge ou un tabou qu’elle s’interdirait sans doute de dépasser, une interrogation qu’elle peinait à formuler surtout en face d’un inconnu. Elle dut prendre son courage à deux mains et se sentit immédiatement ridicule de poser la question mais tint néanmoins à en entendre la réponse :

- Sans parler de la pudibonderie, est-ce que vous considérez comme du gâchis le principe de fidélité ? Est-ce qu'il peut parfois être compatible avec l’idée que vous vénérez de l’amour et de l'hédonisme ?

[Galathée]

" Ah, la fidélité... Vaste question. Disons que pour un clerc de Sunie, c'est un mot qui n'a pas grand sens. La fidélité, nous ne la devons qu'à l'amour et à Sunie, jamais à un être de chair et de sang. Parfois, cependant, des couples se forment, et durent un moment mais... en tant que clercs, nous devons partager et semer, nous ne pouvons pas nous replier sur un aimé qui nous empêcherait de remplir nos devoirs."
Il eut une petite grimace, révélant que cela ne lui coûtait pas grand chose.
" Chez les fidèles, la chose est différente, bien sûr. Mais nous encourageons l'amour plutôt que la fidélité. Ils ne vont pas toujours de pair, voyez-vous, même si certains amours passent par des moments noirs où il faut travailler pour les faire survivre... Il n'y a pas de règle, en somme. Il nous arrive de déciller quelqu'un qui confond amour et désir, ou amour et habitude... Enfin... Nos paladins, j'imagine que c'est ça qui vous intéresse... Nos paladins sont généralement célibataires, car c'est une vocation qui s'accommode mal d'une vie de couple, à moins qu'ils ne soient l'un et l'autre paladins de Sunie. Ce sont de grands romantiques et certains, oui, croient à l'amour éternel. Mais ils sont aussi extrêmement exigeants en ces matières... Je ne suis pas certain qu'ils estimeraient qu'une fille de votre âge sait grand chose de l'amour."

[Chandara]

Sans qu’elle sût vraiment dire pourquoi ou comment, la réponse du prêtre l’avait un peu plus rassurée : sans doute parce que le fait de se réserver pour un seul homme, ne fut-ce que pour un temps, ne sembla pas être perçu comme une tare ou un handicap. L’essentiel était de le faire par amour et non par simple respect des coutumes ou d’un contrat.

- En somme, vous encouragez à suivre les élans de son cœur ? Je ne me destine évidemment pas à la prêtrise bien que je respecte au plus haut point votre vocation : par bien des manières, elle est similaire à celles des paladins. Et pour ce qui est des paladins sunites, ils auraient parfaitement raison en ce qui me concerne : je ne prétends pas connaître grand-chose de l’amour. En fait, tant que j’étais vouée à servir Helm, je crois que je n’y avais jamais véritablement songé. Ou alors n’y étais-je pas prête : cela doit vous sembler étrange ou même hérétique… En fait, sans vouloir vous offenser ou quoi ce soit - vous m'avez déjà aidé à y voir beaucoup plus clair et j'ai appris plus en quelques minutes que je savais jusque-là sur votre culte - je crois que j'aimerais rencontrer un de vos paladins aussi. Peut-être à cette soirée que vous évoquiez. Si une telle requête n'est pas déplacée bien entendu.

[Galathée]

" Vous n'êtes pas obligée d'attendre jusque là... ou de le faire dans ces circonstances si vous craignez qu'elles ne vous effarouchent ! Nos paladins ne sont pas cachés... Ils vont et viennent. Comme vous le savez peut-être, nous n'avons pas de commanderie à Luménis, contrairement aux Lathandrites. Nos paladins vivent à Antelucas, la plupart du temps, et rayonnent dans sur la côte et plus au nord. C'est un ordre relativement confidentiel. Mais je peux parler de vous, si vous le désirez... Nous pouvons même aller jeter un oeil à la salle d'entraînement."

[Chandara]

Chandara dédia cette fois à Kenan un sourire franc et enthousiaste à cette idée et – chose complètement inconcevable quelques minutes plus tôt – elle lui présenta même son bras sans y réfléchir. Sans doute se laissait-elle baigner par l’atmosphère des lieux et cela ne changerait évidemment rien eu plaisir exclusif qu’elle ressentait au contact d’Arthur.

- Avec grand plaisir !

Une salle d’entraînement : c’était forcément un lieu où elle se sentirait un peu plus à son aise, un lieu plus familier. Bien qu’il ne devait pas vraiment ressembler à son équivalent à l’Ordre du Cœur Radieux ou même à la Commanderie des paladins de Lathandre.

[Galathée]

Kenan sourit lorsque Chandara lui prit le bras. Il demeura cependant à distance respectable de la jeune femme.
" Faites attention aux signaux que vous envoyez à votre insu tant que vous êtes dans le temple, lui dit-il d'une voix douce. Vous pourriez donner de fausses idées à certains et ce serait dommage que les choses s'enveniment."
Puis il l'entraîna dans les couloirs. Ils étaient étroits, bas et sombres, les murs couverts de tapisseries et de tentures, de statues célébrant l'amour et le corps, et de nombreuses portes. De temps en temps, une fenêtre invitait la lumière à l'intérieur, et de nombreux renfoncements et alcôves feutrés semblaient inviter le promeneur à s'attarder. La jeune femme réalisa que certaines étaient encore occupées, par des dormeurs qui n'étaient pas toujours tout à fait couverts. Elle entendit aussi les murmures qui filtraient sous certaines portes, des rires, parfois des soupirs très suggestifs. Enfin, ils arrivèrent à une double porte. Impossible de savoir où exactement : le dédale avait brouillé le sens de l'orientation de la jeune femme. Kenan l'ouvrit et ils pénétrèrent dans une grande salle, dont le plafond était beaucoup plus haut que les couloirs qu'ils venaient de quitter. Les fenêtres étaient ouvertes sur le jardin, déversant leur lumière à l'intérieur, tout comme les senteurs du jardin et le chant des oiseaux. Deux personnes s'y trouvaient. Le premier était un homme d'une trentaine d'années, torse nu, armé d'une épée longue en bois, brun aux yeux très bleus et franchement magnifique. En face de lui, armée de la même manière se trouvait une jeune femme en tunique, aux cheveux noirs et au regard aussi sombre. Ils se heurtèrent avec grâce et dextérité, mais non sans violence. Leur style martial avait tout d'une danse et Chandara nota qu'à chaque coup, à chaque instant en réalité, leur visage demeurait souriant et tranquille, harmonieux, loin des grimaces guerrières que certains combattants arboraient parfois dans la mêlée.

[Chandara]

Si Chandara s’était tout d’abord sentie confuse de la remarque de Kenan, elle se rendit compte que le jeune clerc avait été suffisamment bienveillant pour lui donner un conseil bien utile pour éviter qu’elle ne se retrouve dans quelque situation embarrassante. Et pourtant, malgré l’endroit où elle se trouvait, malgré les signes que des couples s’adonnaient à leurs jeux amoureux à quelques mètres d’eux, elle se sentait bien plus sereine au temple de Sunie que dans le quartier portuaire : ici, personne ne lui sauterait dessus sans lui demander son avis sous prétexte qu’elle était une jolie femme. C’est donc avec davantage d’amusement que de gêne qu’elle avait suivi le clerc au travers des couloirs un brin trop sombres jusqu’aux grandes portes.

Et le contraste de la salle d’entraînement avec le reste du temple était frappant à bien des égards : elle était plus dépouillée que les couloirs agrémentés de statues mais elle était aussi beaucoup plus lumineuse. Et, de toute façon, ce n’était pas les éléments de décor qui attiraient l’œil mais bien les deux paladins rayonnants qui s’affrontaient en un ballet aussi agréable aux yeux des esthètes que des connaisseurs des arts guerriers. Ils étaient tous deux magnifiques – il n’y avait pas d’autre mot – deux êtres baignés de la grâce d’une déesse et leur style, leurs mouvements, leurs attitudes avaient un côté hypnotique.

La jeune-femme s’était figée, admirative et coite pour ne pas risquer de déranger les duellistes et elle souriait de la vision qu’ils lui offraient sans s’en rendre compte.

[Galathée]

En cela, Chandara l'ignorait, elle se trompait. Les deux combattants étaient parfaitement conscients de l'effet qu'ils donnaient et parfaitement conscients aussi de la présence de spectateurs. Leurs passes devinrent de plus en plus acrobatiques, de plus en plus étudiées, toujours fluides, mais chaque mouvement était manifestement contrôlé dans ses plus petits détails : expression du visage, position des bras, des jambes, inclinaison du buste, position des hanches. Entre deux chocs, le jeune homme décocha un clin d'oeil à Chandara, avant de parer, d'attaquer à nouveau, puis de reculer avec une révérence. Son adversaire le salua également et ils échangèrent un regard, avant que l'homme vienne vers les visiteurs, la jeune femme demeurant en retrait.
" Que la Rose soit louée, que vois-je ? Un avatar de Sunie nous gratifierait-il de sa présence ?"
Avant que Chandara ait eu le temps de bouger, il se fendit et lui fit un baisemain. Il se redressa et lui sourit. Il dégageait une légère odeur de transpiration mais qui, loi d'être désagréable, avait quelque chose de... stimulant.

[Chandara]

Chandara n’avait pas su esquisser le moindre mouvement quand le paladin s’était approché d’elle, quand il lui avait saisi la main et qu’elle avait senti le contact de ses lèvres dessus. Elle en était tout autant incapable alors qu’il se tenait devant elle pour l’abreuver d’un compliment qu’elle mit quelques secondes à entendre et interpréter par-dessus le son des battements de son cœur résonnant à ses tempes. Elle serait probablement restée plantée là comme une parfaite idiote souriant béatement si elle n’avait fait un violent effort pour s’arracher un tant soit peu de sa contemplation.

- Bonjour, commença-t-elle avant de se maudire de la banalité et du manque de pertinence de sa réponse.

- Je… Et voilà en outre qu’elle se mettait à bafouiller !

- Sunie vous gratifie assurément de sa présence car sa grâce vous habite. C’était un peu mieux quoiqu’horriblement alambiqué. Pourquoi perdait-elle ainsi ses moyens ?

[Galathée]

" Au prix d'un rigoureux entraînement, dit-il avec un léger sourire. Mais chez vous... La présence de Sunie irradie... authentique et pure... comme dans les pétales d'une rose fraîchement éclose... dont vous dégagez de surcroît le parfum..."
Il recula d'un pas comme pour l'admirer toute entière.
" Me direz-vous les raisons de votre visite enchanteresse ? Car je ne puis croire qu'il s'agit là d'un hasard."

[Chandara]

L’homme était assurément un très beau parleur et il irradiait de confiance et d’assurance. Mais Chandara avait bien du mal à analyser la situation de manière aussi rationnelle et factuelle : personne ne lui avait jamais tourné d’aussi beaux compliments. Personne à part peut-être Arthur à la façon un peu maladroite qui lui était propre. Mais ce n’était pas son tendre lathandrite qui l’admirait en ce moment même. Et peut-être était-ce encore davantage troublant. Que de questions et si peu de réponses pour elle qui avait pourtant l’habitude d’agir avec impulsivité.
Elle sentait que ses joues avaient pris une teinte bien trop cramoisie mais elle s’efforça e respirer calmement et s’efforça à toute force de trouver quelque-chose à répondre au magnifique combattant. Qu’était-elle venue chercher ici au juste ? Une vaste question là encore dont elle n’avait pas trouvé de réponse avant de répondre pourtant avec sincérité :

- Le hasard fait parfois bien les choses : je suis venue dans l’espoir de rencontrer un paladin de la Rose et il semble que je me retrouve face à un digne représentant de la Dame. M’accorderiez-vous quelques minutes ?

[Galathée]

" Et bien davantage, Dame. Ma mission sacrée est de servir la beauté où qu'elle se trouve. En requérant mon temps, vous me permettez de louer ma déesse."
Il tendit la main à Chandara.
" Mais les jardins de Sunie seront bien plus appropriés à vos questions."

[Chandara]

Chandara était troublée – comment ne pas l’être face à l’attention que lui portait le magnifique paladin – mais elle se souvint tout de même du conseil prodigué par Kenan. Et d’ailleurs il convenait de le saluer avant de répondre à cette nouvelle invitation : les bonnes manières l’exigeaient et puis ils n’avaient pas réglé la question de sa garde-robe...

Une question qui avait du reste complètement échappée l’esprit de la Dorrandine. Elle avait même déjà tendu sa main pour la confier au paladin inconnu.

- Vous m’honorez en acceptant de répondre aux interrogations d’une profane : je vous suis.

Oui, de l’air frais lui ferait probablement le plus grand bien pour se souvenir des questions qu'elle avait mûries avant de venir ! Il semblait faire si chaud soudain dans cette salle d’entraînement qu'il était impossible de se concentrer.