[Salle] La prison

[Galathée]

Elle acquiesça.
" C'est vrai que je n'ai pas pu en parler avec lui aujourd'hui... Je le ferai tout à l'heure..."
Elle commença à tracer des cercles sur sa paume.
" Sinon, ça va ? Tu es bien traité ?"

[Taliesin]

Il opina du chef.
-Je pense que peu de cités traitent aussi bien leurs captifs. Après, cela reste une prison : tu me manques, vous me manquez tous, et cette situation me rappelle de très mauvais souvenirs. Néanmoins...
Il ferma les yeux, un instant.
-Néanmoins, ce n'est peut-être pas plus mal que tout cela soit rude. Il est possible que quand tout soit terminé, j'arrive à me dire que j'ai suffisamment payé et que je commence à me reconstruire sur des bases plus saines.

[Galathée]

Elle leva les yeux au ciel.
" J'ai abandonné tout espoir que tu en viennes à te pardonner, je dois dire, malgré toutes tes circonstances atténuantes, et tout ce qui s'est produit depuis. C'est la mémoire des elfes, je pense. Un humain serait déjà allé de l'avant..."
Elle soupira.
" Mais je t'aime comme tu es."
Elle posa un baiser sur son front.

[Taliesin]

Il l'embrassa à son tour.
-Dis-toi qu'en l'occurrence, cette mémoire est un atout. Parce que si je ne me sentais pas profondément coupable, tout cela s'avérerait purement et simplement insupportable. Alors qu'en l'occurrence, ma foi, en me disant que je l'ai mérité...
Il haussa les épaules, esquissa une ombre de sourire.
-Sinon, comment ça se passe, à la ferme ?

[Galathée]

" Je ne suis pas certaine de savoir comment la journée d'aujourd'hui s'est déroulée... Et tu n'es parti que depuis hier, je te rappelle..." dit-elle doucement.
Elle haussa les épaules.
" Les garçons n'étaient pas contents que tu sois parti en catimini, et Victor a été d'humeur massacrante toute la journée. Baptiste pas, mais je le soupçonne de t'avoir regardé partir, en réalité. Il avait la tête d'un gosse qui n'a pas beaucoup dormi. Après, nous avons essayé de leur changer les idées. Callie est partie, aussi, comme prévu. Et personne ne l'a remplacée, cette fois. Aurélien — le capitaine Rivecendre devrais-je dire — est venu nous prévenir que la garde allait être allégée autour du domaine. Je pense que... peut-être ils ont arrêté les Kanter... Il n'en a rien dit."

[Taliesin]

Mais il pensait que si tel avait été le cas, il n'y aurait plus eu de gardes du tout. Non, à son avis, la raison était autre : comme il n'était plus là, il ne s'avérait plus nécessaire de prendre autant de précautions - fussent-elles formelles - pour éviter son évasion.
Enfin, cela n'avait guère d'importance.
-Je suis désolé pour hier, murmura-t-il. Ce n'était pas très courageux de ma part mais... je n'ai jamais prétendu l'être. Je savais que je n'aurais pas pu rester de marbre s'il y avait eu de nouveaux au-revoirs et j'aurais eu l'impression de véritables adieux, ce dont je n'avais certainement pas besoin.

[Galathée]

" Oh, ne t'inquiète pas... Victor est furieux, mais il comprend, mine de rien. Tout le monde aimerait pouvoir te soulager et te soutenir, et savoir que tu es hors d'atteinte... Ce n'est pas facile. Même si nous savons que rien de définitif ne peut se produire... Nous n'aimons pas te savoir seul."
Elle serra doucement sa main.
" Et cesse de dire des bêtises, aussi. Tu es immensément courageux, et dans le fond, tu le sais bien."

[Taliesin]

-Je peux être courageux quand il s'agit de me battre pour autrui. Pour vous, surtout. Mais quand il est question de lutter pour moi-même, crois-m'en, c'est une toute autre histoire.
S'il avait réussi à aller de l'avant et a accomplir tant de choses au cours des deux ans écoulés, c'était avant tout pour eux. Pour elle. S'il avait été seul... et bien, il ne serait plus là, tout simplement..
-Enfin, cette sinistre affaire sera close dans quelques veilles. Ensuite, il n'y aura plus que lumière. Y songer me permet de tenir et j'ai hâte d'y mettre.

[Galathée]

Elle acquiesça en lui caressant la joue.
" Oui. Nous ne devrions pas songer au reste. Et j'espère sincèrement que nous pourrons passer à autre chose. Que tu seras apaisé malgré la boue que nous remuons aujourd'hui."
Son regard fila vers la fenêtre en hauteur, obscurcie par la nuit.
" Est-il quelque chose que je peux t'apporter ? Apparemment, ils sont assez souples sur ce qui peut être introduit en prison... A manger, à boire... Tu n'as rien emporté en partant."

[Taliesin]

Il secoua la tête : ce qui lui manquait, ce n'étaient point les choses mais les êtres.
-C'est gentil mais, vraiment, j'ai tout ce qu'il me faut. Je n'ai guère la tête à lire, je me vois mal écrire quio que ce soit hormis les interventions que mon avocat juge nécessaire... Pour autant, je ne m'ennuie pas : je m'entraîne à maîtriser enfin la transe elfique et j'imagine tout ce que nous ferons d'ici très peu de temps.
Il songeait à l'affaire Kanter, aussi. Surtout. Assez, du moins l'espérait-il, pour ne plus jamais avoir à y songer ensuite.

[Galathée]

" Comme partir en vacances dans ce village côtier." dit la jeune femme avec un sourire.
Un léger soupir s'échappa de ses lèvres et elle l'étreignit.
" Laisse-moi te serrer dans mes bras."
Elle posa la joue contre sa poitrine et ne dit plus rien pendant un long moment, toute à sa chaleur.

[Taliesin]

Il l'étreignit en retour, également silencieux, et perdit vite la notion du temps. Cependant, il ne tarda pas à la retrouver : plutôt que de voir ce moment interrompu par l'arrivée subite des gardes, il préférait l'acheminer lentement vers son terme, de son propre chef.
-Allez, même si toute cette affaire doit durer un mois, ça ne sera rien comparé à tout ce que nous avons déjà traversé.
Bien sûr, l'intensité d'une épreuve ne se mesurait pas seulement à sa durée. Néanmoins, relativiser ne pouvait pas faire de mal.
[color=#FFFFF66]-Quant aux vacances à Vallonsec, ça me tente bien. Sinon, nous pouvons aussi envisager Antelucas... Si ça se trouve, sur Helonna, il est de tradition pour les jeunes mariés d'y faire un voyage...[/color]

[Galathée]

" Antelucas ? N'est-ce pas une sorte de cité balnéaire où les gens se livrent à mille excès ?" demanda la rôdeuse, surprise.
Un léger sourire bourgeonna sur ses lèvres.
" Mais après tout ceci, je ne pourrai rien te refuser, donc... Ce sera le moment ou jamais de m'imposer ce genre de destination..."

[Taliesin]

-T'imposer une destination, profiter de la situation, ça n'est vraiment pas mon genre. Non, j'essayerai de te convaincre, voilà tout.
Il sourit à son tour.
-La plupart des Hélonniens qui ont volé à notre secours sur Mersant venaient d'Antelucas : c'étaient des personnes chaleureuses, bienveillantes, de quoi donner une bonne idée de l'atmosphère qui règne entre ses murs. Et puis, s'il s'agit d'une cité sunite, il ne faut pas croire tout ce qu'on raconte à propos des fidèles de la Dame aux cheveux de feu : ce sont simplement des gens qui aiment mordre dans la vie à pleine dents..Leur ville doit être un joyau d'architecture, abriter une foule d’œuvres d'art et des jardins magnifiques, regorger de grands crus et de mets succulents... Sans compter ses proverbiales plages de sable blanc.

[Galathée]

" Je ne suis pas très plage... Je préfère la neige, dit Galathée en riant. Mais ça va, ça va, nous irons voir tes oeuvres d'art. Pauvre de toi qui a épousé une femme des bois. Enfin, j'imagine qu'avec un bon guide, les choses me paraîtront moins... étranges. Mais je ne savais pas qu'Antelucas était une cité sunite. Je pensais juste qu'il y avait un temple, là-bas, comme il y a un temple de tel dieu par ci et d'un autre par là."
Elle haussa les épaules.
" Sunie... Tu es très fleur bleue, en fait."

[Taliesin]

-Tu trouves ? Une déformation professionnelle, sans doute...
Son sourire se fit mutin.
-Mais si ce projet ne t'emballe vraiment pas, nous pouvons opter pour autre chose. Autre chose qui soit, par exemple... Une expédition sur Maztica. On dit que ses jungles encore majoritairement inexplorées abritent bien des ruines antiques, bien des trésors enfouis, bien des savoirs oubliés... Alors certes, il y fait chaud, mais tu y trouverais au moins ton content de nature sauvage...

[Galathée]

" Maztica... Je t'ai parlé de neige, Taliesin. Tu as loupé cette partie !"
On frappa alors à la porte.
" Il est l'heure." dit une voix, ferme mais sans agressivité.
Galathée soupira et ferma une seconde les yeux.
" Je te verrai demain, murmura-t-elle en se levant. Je ne sais pas encore si je viendrai à l'audience... Henri te dira."

[Taliesin]

-Discutes-en avec lui et s'il pense qu'il vaut mieux que tu te réserves pour un éventuel témoignage, fais-lui confiance. Pour l'heure, pensons stratégie : nous aurons tout loisir de nous retrouver lorsque nous serons tirés de ce mauvais pas.
Il se leva, l'embrassa une dernière fois.
-A demain, dit-il simplement.

[Galathée]

Elle lui serra la main doucement, puis frappa à la porte et le garde, resté respectueusement à l'extérieur, ouvrit. Elle fut escortée vers l'extérieur tandis que le barde était ramené jusqu'à sa cellule, où il fut enfermé. Il n'eut pas à attendre longtemps, cependant. On apporta presque aussitôt le souper. Une enveloppe était posée sur son plateau, renfermant les herbes dont avait parlé Henri. Il suffirait au barde de les verser dans sa petite théière d'eau fumante pour accélérer son endormissement.

[Taliesin]

Et il ne s'en priva pas. Certes, ses retrouvailles avec Galathée, sa chaleur, sa tendresse et leurs mots sur l'avenir lui avaient sans doute fait plus de bien qu'il ne l'aurait imaginé. Néanmoins, il n'en constaterait probablement les effets qu'à plus long terme car, dans l'immédiat, le retour en sa cellule et à la solitude s'avérait quelque peu brutal. Bref, il avala la décoction sitôt après avoir mangé et s'étendit sur son lit sans attendre le retour des gardes, espérant que les plantes suffiraient à lui assurer un bon sommeil et, surtout, à tenir éloignés les cauchemars qui le guettaient.

[Galathée]

La dose était forte et il sombra rapidement, au rythme de la mélopée que son voisin avait entamée, comme la veille. Il dormit sans heurts, sans cauchemars, comme une pierre animée de respiration. Au petit matin, il fallut la main d'un garde sur son épaule pour l'arracher à sa torpeur, et un thé corsé pour terminer de l'éveiller. Henri vint le saluer. Après discussion avec la rôdeuse, il avait décidé de la garder bien au chaud, en réserve. Il continuait à penser que ce ne serait pas nécessaire, mais dans le doute, il ne voulait pas prendre de risques.
Dès que Taliesin fut prêt, on l'escorta jusqu'à la cour, où l'attendait son chariot et les gardes qui devaient l'accompagner... Une fois installé, les verrous refermés, le véhicule s'ébranla, direction le Palais de Justice...

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Epilogue : Exorcisme (suite)

Un autre retour encore, de l'audience à la prison, et il faudrait repartir le lendemain... Etrange, sans doute, la persistance d'une telle distance entre les deux lieux. Une bonne heure au bas mot, à nouveau, à cause de la foule présente, en permanence, dans les allées du quartier portuaire, à cause des chariots qui déchargent leur marchandise en bloquant le passage des autres véhicules, à cause des zones où on ne peut pas se croiser à deux attelages de front, à cause des échoppes ambulantes qui poussent comme des champignons sur la voirie. Le cocher, pourtant, demeure serein. Taliesin ne l'a pas entendu jurer ou tempêter. La routine, sans doute.
Il regagna sa cellule tranquille. Son voisin de détention lisait, il l'entendait tourner les pages.
" Bonne journée ? " demanda-t-il avec une pointe d'ironie.

[Taliesin]

Savoir quoi répondre n'avait rien d'évident : se plaindre ou se réjouir aurait été cruel, puisque son voisin, privé de procès et ignorant manifestement les causes de son incarcération, ne pouvais même pas se réconfortant en songeant que son dossier avançait...
-Pas mauvaise, dit-il finalement, essayant de compenser son laconisme par un ton amical.
En réalité, la journée avait été plutôt bonne ou, en tout cas, moins éprouvante que la précédente. Néanmoins, il se doutait que les suivantes ne seraient pas forcément toutes du même accabit.

[Galathée]

" Tant mieux." répondit l'autre, mais il ne chercha pas à en savoir davantage.
Taliesin vit qu'on avait changé les draps de son lit, rangé et nettoyé sa cellule. L'eau dans son broc et dans la cruche étaient propres, comme le seau d'aisance. Le sol dégageait sa chaleur habituelle, on se serait presque cru dans une chambre d'auberge modeste. Il était encore relativement tôt, sans doute Galathée ou Henri arriveraient-ils dans un moment. Jusque là, le barde avait tout le loisir... de ne rien faire.

[Taliesin]

Et cela s'avérait d'autant plus pénible que, bien moins épuisé que la veille, il ne pouvait même pas se réfugier dans cette torpeur, cet état second qui, les jours précédent, lui avait permis de se réfugier sinon hors, au moins en marge de la réalité. D'un autre côté, même s'il avait eu de quoi s'occuper, aurait-il réussi à le faire ? Il aurait été incapable de lire plus de trois mots d'affilée, incapable d'écrire quoi que ce soit, et il s'agissait pourtant là des deux seules activités accessibles à un prisonnier. Bref, en désespoir de cause, il s'assit sur sa chaise et se plongea dans ses pensées, les tournant vers l'après, vers l'avenir qu'il espérait sans tâches.

[Galathée]

Galathée survint environ une demi-heure plus tard. Elle lui sourit à travers les barreaux tandis qu'on l'escortait vers la pièce du fond, d'abord elle, ensuite lui. Comme la veille, on les laissa seuls. Dès qu'ils furent en tête à tête, elle franchit les quelques pas qui les séparaient et l'étreignit, avant de l'embrasser.
" Comment vas-tu ? Henri dit que la journée s'est plutôt bien passée, même si le procureur ne lâchera pas le morceau."

[Taliesin]

Il rit, ce qui le surprit lui-même.
-C'est peu de le dire. Il a reproché à mon avocat d'aligner des témoins qui me sont favorables et qui répètent tous la même chose. Pourtant, hier, il a usé exactement de la même technique... en sens inverse. Enfin, tout cela, ce n'est que des procédés rhétoriques, ça fait partie du jeu, et il n'aura pas le dernier mot, puisque c'est au juge qu'il reviendra : c'est donc lui qu'il faut convaincre. Le reste, ma foi... ça pimente un peu les journées.
Il s'interrompit pour l'embrasser. Il n'avait pas cessé de l'étreindre depuis qu'elle s'était rapprochée de lui.
-Pour le reste, vu la nature des témoignages, les audiences se sont avérées bien moins rudes que les précédentes. Je n'ai donc pas à me plaindre, même si je m'attends évidemment à des épisodes plus éprouvants dans les jours à venir.

[Galathée]

" En même temps, que pourraient-ils faire de pire que ce qu'ils t'ont asséné le premier jour ? Les faits sont connus, leur gravité acceptée par tout le monde... Y a-t-il quelque chose que tu aurais faite, ces derniers mois, qui pourrait les faire douter de ta santé mentale ? Je sais que tu as sûrement été forcé de jouer la comédie, à Mélandis, peut-être sur Mersant, mais tu es barde... c'est ton métier, et c'était chaque fois pour la bonne cause. De surcroît, qui pourrait vouloir témoigner contre toi ?"

[Taliesin]

-Je n'en sais rien. Mais la question serait plutôt : qui pourrait vouloir que je ne m'en tire pas ? Et là, il y a potentiellement un peu plus de monde, pour diverses raisons... Et même sans aler jusque là :à voir à quel point le procureur est acharné, il est légitime de se demander s'il ne fera pas tout pour que je sois condamné, histoire que son honneur, sa réputation ou ses convictions soient saufs. Bref, je préfère m'attendre à tout. En sachant néanmoins que ce sont les négociations en coulisses qui s'avéreront déterminantes. Je me demande d'ailleurs quand elles vont débuter.

[Galathée]

" Henri avait l'air de penser que s'il parvenait à avoir le juge de son côté, ce ne serait pas forcément nécessaire. Il dit que l'amour-propre des avocats est toujours engagé dans les affaires qu'ils défendent... que celle-ci ne fait pas exception... mais que c'est la routine, quelque part. Pour l'instant, si j'ai bien compris, il n'y a pas eu d'ingérence extérieure, et donc pas d'imprévus. Henri s'attend à ce que les conseillers se manifestent à un moment ou un autre, mais peut-être simplement pour demander des informations... De toute façon, il y a séparation des sphères d'influence... théoriquement. Et le juge est un homme intègre. Peut-être ces tractations n'auront-elles pas lieu... On doit espérer."