[Bâtiment] Le Palais de Justice

[Kasumi]

Les arguments du procureur étaient recevables mais le magistrat ne lui donna toutefois pas pleinement raison :

- Ce nouveau témoignage ne dédouane pas l'accusé, en effet, mais il jette un nouvel éclairage sur les raisons qui auraient pu le faire basculer dans la folie. J'imagine qu'il serait en outre possible de déterminer si ce dernier est infesté par une telle entité au jour d'aujourd'hui, n'est-ce pas ?

La question s'adressait cette fois directement au témoin et ouvrait également la porte à l'avocat pour aller au bout de son idée.

[Galathée]

" Bien sûr, comme je l'ai dit, c'est l'affaire d'un petit sortilège." dit Erin.
Henri poussa un bref soupir et reprit son interrogatoire.
" Dame Erin. Parmi les fantômes qui hantaient le charnier, pouvez-vous nous parler de celui que vous aviez nommé... hum..."
Il se pencha sur ses papiers.
" Le Vengeur ?"
Elle acquiesça, toujours un peu déstabilisée par l'intervention acide du procureur.
" Le Vengeur était un de ces fantômes hybrides, composé de six ou sept âmes, selon notre estimation. Il était très agressif, plein de haine, de violence, l'approcher était très complexe. Il hantait le charnier et les maisons alentours, il n'avait aucune considération pour personne, était très peu sélectif... Les fantômes sont généralement relativement sélectifs, mais celui-là... Il attaquait tout ce qui passait à portée. Son enveloppe spectrale l'empêchait d'aller très loin ou de faire trop de dégâts, mais il était à l'affut... Il a possédé des chats, un chien une fois, que nous avons été obligés d'abattre pour éviter qu'il n'égorge les passants... Nous ne parvenions pas à l'exorciser... doucement. Et juste à deux, nous n'avions pas les moyens de le renvoyer sans fracas. Nous avons finalement convenu de rassembler plusieurs prêtres qui vivaient dans la clandestinité, pour régler le problème sans prendre de risques, pour personne.
— Et que s'est-il passé ?
— Quand nous sommes arrivés, il avait disparu.
— Pouvez-vous dater cet événement ?
— Mi-alturiak 1381. Le 13ème jour.
— Disparu comment ?
—*Disparu, tout simplement. Nous avons pensé... qu'il avait peut-être possédé un oiseau... qui s'était envolé. Beaucoup de corbeaux venaient sur le charnier. Mais généralement... ils sont trop méfiants pour être affectés...
— Est-ce que ce Vengeur aurait pu posséder quelqu'un ?
— C'est possible... mais qui ? Il aurait fallu que quelqu'un d'extrêmement faible, mourant peut-être, soit amené près du charnier puis emporté.
— Aurait-il pu disparaître de lui-même ?
— Impossible. Il avait trop de haine en lui à ce moment-là. Il devait être apaisé. Ou détruit.
— Quelqu'un d'autre l'aurait exorcisé ? Ou tué ?
— Un fantôme d'une telle puissance ? Il y aurait eu des traces. Un affrontement. Les voisins, qui étaient hantés, auraient vu quelque chose.
— Donc... Le plus probable c'est qu'il ait possédé quelqu'un et qu'il soit parti.
— Ce genre de spectre se cherche toujours un vaisseau, histoire de gagner en puissance. Donc oui. C'était l'explication la plus logique.
— Pouvez-vous me dire de qui ce Vengeur voulait, justement, se venger ?
— Des Rouges. De Morféa. D'une série de notables. Il y avait beaucoup d'esprits en lui, mais tous partageaient ce besoin absolu de se venger. C'était comme une boule de rage pure, obsédée.
— Parmi ces notables, pouvez-vous citer des noms ?
— Ah... Je ne me souviens pas bien... Le juge Kanter. Voilà. Je me souviens du Juge Kanter."
Henri sourit et se tourna vers le Juge.
" D'après la chronologie reconstituée par cette cour, et entérinée par toutes ces composantes, Taliesin a été tué par Morféa Nwalk le 12ème jour d'Alturiak 1381, soit la veille du jour où les exorcistes ont réalisé que le fantôme Vengeur avait disparu. Je vous rappelle que nous parlons bien du charnier sur lequel il a été jeté, de surcroît. Un charnier hanté."
Il déposa un document devant Beau-Trio, puis se tourna vers Duchesne.
" Toujours aucune question pour mon témoin inutile ?"

[Taliesin]

Le trouble de Taliesin n'était pas allé s'apaisant, bien au contraire.
Il avait déjà eu beaucoup de mal à accepter la possibilité qu'il ait été fou. Alors se faire à l'idée qu'il ait été possédé, chose à laquelle il n'avait jamais songé... C'était presque impossible. Dans l'immédiat, du moins.
D'accord, la prêtresse avait dit qu'une personne sous l'emprise d'un fantôme n'avait pas forcément consciente de cette invasion, qu'il y avait une forme de fusion. Néanmoins, cet épisode avait tout de même duré un certain temps : n'aurait-il pas dû percevoir, ne serait-ce qu'en une ou deux occasion, cet esprit étranger en lui ? Or, il n'avait rien perçu de tel. N'aurait-il pas dû, aussi, partager la jubilation de cet être au moment don réveil dans le charnier, puisque ce dernier avait enfin les moyens d'agir à sa guise ? Or, il n'avait éprouvé qu'un désespoir profond...
...avant que la haine et le désire - ou le besoin, plutôt - de vengeance et de violence ne prenne le dessus.
Par ailleurs, il ne pouvait balayer d'un revers de main l'accumulation de coïncidences qui venait d'être mises au jour : le lieu, la date, la seule personne haïe par le Vengeur dont l'exorciste gardait le nom en mémoire.
Il ne pouvait pas davantage balayer les incohérences troublantes dans son comportement de l'époque : n'avait-il pas sauvé Galathée pour, un peu plus tard, essayer de l'assassiner ? N'avait-il pas été fortement tenté d'interrompre le massacre des Kanters pour, au final, pousser l'horreur encore plus avant ? Ne fallait-il pas voir en cela la manifestation d'une lutte intérieure ?
Il n'aurait su dire.
A parler franc, il ne savait plus du tout où il en était.

[Voyageuse]

Le procureur faillit retourner à l'avocat un regard noir, mais il était habitué à masquer ses émotions, et se contenta de rester aussi froid et neutre que possible.
" Une coïncidence. Vous avez mis en évidence une coïncidence. Certes, elle est troublante, et je ne nie pas qu'il pourrait exister une possibilité que ce... vengeur... ait pu posséder l'esprit de l'accusé. Mais il aurait tout aussi bien pu se choisir un autre vecteur ! Tout de même... Une démence, puis une possession... j'ai l'impression que vous cherchez des excuses aux crimes, rien d'autre. Il n'y a là-dedans aucun certitude..."
Se tournant vers le témoin, il ajouta.
" En particulier, j'ai peine à croire que quelqu'un puisse être possédé sans s'en rendre compte. Je veux bien croire qu'étant dans un état de semi-inconscience, la victime ne sente pas qu'on envahit son âme. Mais elle devrait ensuite se sentir étrangère à elle-même... Et puis, elle devrait aussi pouvoir sentir le moment où l'esprit la quitte enfin, non ? Et se rendre compte, à ce moment-là, du phénomène ?"

[Galathée]

" C'est vrai, dit la jeune femme. Mais ça dépend aussi de l'état d'esprit dans lequel se trouve la personne au moment de la possession... Quelqu'un de malade, de fatigué... ou de fragile... de dément, comme vous venez de le dire... Les gens ne sont pas toujours en pleine maîtrise d'eux-mêmes au moment où ils sont possédés... Par exemple, en temps de guerre, l'angoisse est telle, l'angoisse de mourir, je veux dire, que les gens sont déjà... bouleversés... alors la possession peut passer inaperçue... de la même manière, pendant la dictature, beaucoup de gens étaient dans des états émotionnels extrêmes... beaucoup étaient traumatisés... tout cela permet à la possession de se faire... discrète. En général, les gens réalisent qu'elle prend fin, ils disent qu'ils reprennent leurs esprits... mais parfois, ça prend du temps, pour qu'une âme qui a été bringuebalée retrouve un équilibre. C'est comme une maladie grave. Il y a une convalescence. Beaucoup de gens refusent de croire qu'ils ont été possédés, aussi. Ce n'est pas une idée agréable, celle d'avoir été manipulé."

[Voyageuse]

Le procureur secoua la tête avec un soupir.
" En résumé... Si je comprends bien vos explications... Vous ne pourriez pas déterminer avec certitude si l'accusé a été possédé par un esprit. Celui-ci ne laisserait aucune trace, et si l'accusé lui-même n'a pas eu conscience d'être possédé, il n'existe aucun moyen de trancher sur la réalité ou non de la possession. Par contre, vous parlez d'une sorte de convalescence qui pourrait être longue. Cet état où l'âme n'est pas revenue à l'équilibre peut-il être diagnostiqué, détecté ?"

[Galathée]

" Je n'ai pas dit que ça ne pouvait pas être diagnostiqué, dit la jeune femme, un peu mal à l'aise. En général, la possession se manifeste par un comportement tout à fait déviant de l'ordinaire. Quelqu'un de possédé par le Vengeur, par exemple, se serait montré extrêmement violent, aurait peut-être tué des gens... Evidemment, si c'est quelqu'un qui fait ce genre de choses à l'état normal, c'est difficile à percevoir, mais si ce n'est pas le cas, la différence saute généralement aux yeux de ses proches..."
Elle grimaça.
" Je ne comprends pas bien ce que vous voulez, en fait..."

[Voyageuse]

" J'aimerais juste savoir si on peut déterminer avec certitude si l'accusé a pu être possédé par cet esprit au moment des crimes qu'on lui reproche. Or, il me semble qu'on en revient simplement à des hypothèses, des présomptions. Finalement, au niveau des symptômes, je crois comprendre qu'ils seraient un peu les mêmes que pour un cas de démence, qui lui non plus ne peux être prouvé avec certitude. Et c'est bien dommage de ne pouvoir trancher clairement."
Il secoua la tête.
" Mais donc... vous dites qu'une personne possédé par cet esprit se serait montrée violente et meurtrière. Y aurait-il d'autres signes particulier à rechercher ? Des actes ou paroles incohérents, des poussées de colère, une agitation ou une instabilité, ou que sais-je d'autre ?

[Galathée]

" Non, pas forcément, dit la jeune femme. Ça dépend vraiment de l'hôte. Mais souvent, ce qu'on retrouve, c'est une obsession à remplir un but. Avec un esprit comme le Vengeur, cependant, c'est plus compliqué, du fait qu'il provient de plusieurs âmes au départ..."
Henri paraissait agacé par les interventions du procureur, mais il se garda bien de le verbaliser. La jeune femme se tourna vers lui, puis vers Taliesin et l'assistant, ne sachant manifestement pas lequel des deux était l'accusé.
" Vous pensez que quelqu'un a été possédé par le Vengeur ?" demanda-t-elle alors, surprise.

[Voyageuse]

" Moi, je ne pense rien, répliqua le procureur. Je cherche juste à ce que justice soit rendue, c'est mon rôle. Mais Maître de l'Atalante, qui vous a appelée à la barre, voudrait laisser entendre que l'accusé dont il assure la défense aurait pu être possédé par cet esprit au moment des crimes qui lui sont reprochés. Il nous faut donc démêler, dans tout cela, ce qui relève de pure suppositions plus ou moins probables selon le point de vue, et ce qui relève de faits et de certitudes. Mais puisque c'est votre domaine, comment vous y prendriez-vous pour déterminer si quelqu'un a été possédé par cet esprit ?

[Galathée]

" Je n'en sais rien, dit-elle. Mon travail est d'exorciser les fantômes. On fait appel à moi pour les chasser, pas une fois qu'ils sont partis. Mais si les conditions de possession sont remplies, et je pense, d'après ce que j'ai compris de la situation, qu'elles l'étaient, alors oui, je conclurais à la possession. Le Vengeur se cherchait un hôte. Si on lui en a offert un, il l'a fatalement emprunté."
Henri soupira.

[Taliesin]

Le barde soupira également, mais pas forcément pour les mêmes raisons.
Il regrettait amèrement qu'il n'y ait pas de moyen de prouver cette théorie. D'abord parce que vu l'attitude du procureur, qui réfutait tous les arguments qui n'étaient pas des certitudes, qui s'engouffrait dans toutes les brèches, qui cherchait avec acharnement le moindre petit détail pouvant le desservir, l'idée d'une possession risquait de ne pas peser bien lourd malgré les coïncidences. Ensuite, et surtout, parce qu'il aurait aimé connaître enfin la vérité, savoir s'il avait été fou, ou sous l'emprise d'un fantôme, ou les deux à la fois... Malheureusement, il semblait qu'il faudrait faire avec les doutes, à jamais.

[Voyageuse]

Le procureur se tut un instant, songeur.
" Je n'ai pas d'autres questions... ou plutôt si, j'en ai une dernière, à la réflexion : dans un cas de possession comme celui évoqué ici, pourquoi l'esprit quitterait-il son hôte ? Spontanément, je veux dire, sans exorcisme..."

[Galathée]

" Soit parce que l'esprit de l'hôte a pris le dessus, soit parce que l'hôte s'est trop éloigné de la dépouille mortelle du fantôme ou de son lieu de hantise, soit parce que sa vengeance ou sa mission est accomplie, dit la prêtresse, en terrain plus connu. Dans le cas du Vengeur, nous avons retrouvé son empreinte dans les profondeurs du Parc Verdoyant, plusieurs semaines après la chute de Morféa, un peu par hasard. Il était affaibli et nous l'avons aisément renvoyé, cette fois."

[Voyageuse]

Le procureur hocha la tête, le visage inexpressif.
" Bien. Pour ma part, je n'ai pas d'autre question à poser au témoin...", dit-il en commençant à griffonner quelques notes sur un parchemin.

[Taliesin]

Dans le Parc verdoyant ?! Là où Galathée l'avait caché après l'avoir capturé ?
Une autre coïncidence au moins aussi troublante que les précédentes.
Bien sûr, elle ne pourrait pas être facilement dévoilée à la cour : le risque serait trop grand que Galathée soit inquiétée, poursuivie en justice à son tour. Néanmoins, avoir appris cet élément de taille lui permettrait assurément d'étayer ses propres réflexions...

[Galathée]

Henri hésita puis haussa les épaules.
" Merci, Dame Erin. Je n'ai plus de questions, moi non plus."
Il se tourna alors vers le Juge, attendant son opinion sur la question.

[Kasumi]

Le Juge semblait lui aussi disposer de tous les éléments que ce nouveau témoignage surprise avait ajoutés au dossier et il libéra donc le témoin ainsi que les autres acteurs du procès. Contrairement à ce que prévoyait ordinairement la procédure, il décida de ne pas repousser d'un jour supplémentaire les plaidoyers à moins que le procureur estime que ces faits nouveaux le nécessitaient.

[Voyageuse]

Le procureur ne demanda pas de délai supplémentaire, lui non plus. Peut-être que ce témoignage ne changeait pas grand-chose à sa vision de l'affaire et à sa plaidoirie, en réalité. Ou peut-être qu'il voulait en terminer enfin avec ce procès, tout simplement.

[Galathée]

Henri était parfaitement satisfait de l'arrangement et il raccompagna Taliesin vers la cour. Il semblait cependant un peu nerveux, voire de franche mauvaise humeur.
" Ce Duchesne est d'une mauvaise foi sans bornes ! Heureusement, elle est tellement apparente que Beau-Trio ne peut pas l'ignorer ! Ah ! Heureusement qu'on touche au but !"

[Taliesin]

-En même temps, il joue son rôle, non ? Bon, d'un autre côté, je dois avouer que c'est le premier procureur que je croise de toute ma vie, alors j'imagine qu'ils ne sont pas tous aussi... aussi... Qu'ils ne sont pas tous pareils. En tout cas, je suis soulagé à l'idée de bientôt ne plus avoir à l'entendre : pour quelqu'un qui doute comme moi, ses interventions sont assez délétères. Du coup, j'essaie de ne plus y prêter attention.
Il soupira puis esquissa un sourire.
-Et je dois admettre que c'est une sacrée surprise que vous nous avez réservé là. En étant éveillé ce matin, je m'attendais à tout sauf à cela. J'ai désormais largement de quoi nourir mes réflexions jusqu'à demain...

[Galathée]

" C'est ce qui s'est produit, Taliesin. Vous avez été possédé par un fantôme. Je sais que c'est difficile à croire, mais c'est la vérité. Duchesne parle de coïncidences, mais Duchesne, pour une raison qui m'échappe, s'acharne gratuitement sur vous. Si votre bébé a la grippe, et qu'il éternue dans le visage de votre grand-mère, et que le lendemain elle tombe malade, vous ne pouvez pas prouver que c'est à cause de l'éternuement du bébé. Mais pourtant, vous savez que c'est comme ça qu'elle a été contaminée. C'est la même chose ici. Vous étiez un homme bon. Vous avez été mis en contact, fragilisé, traumatisé, presque mort, avec un fantôme vengeur. Vous êtes devenu autre. Il n'y a qu'une explication possible, une explication logique, et il n'y a que les imbéciles bornés comme Duchesne pour y mettre du doute."

[Taliesin]

Taliesin le dévisagea, décontenancé. Même quand il avait été question de sa probable démence, Henri ne s'était jamais montré à ce point éloquent. Se pouvait-il qu'il soit absolument, totalement et définitivement convaincu par cette théorie ? Oui, sans doute : pourquoi jouerait-il la comédie avec lui ? Cela ne rimerait à rien.
-Je regrette qu'il n'y ait pas un moyen de faire la preuve irréfutable de cette possession, avoua-t-il. J'aurais aimé qu'en me sondant, en fouillant mon esprit, on puisse me mettre une évidence sous les yeux... Je crains d'être à peine moins difficile à convaincre que le procureur. Mais... Je suis aussi très secoué. Par tout ce qui s'est passé depuis deux ans, par ma situation actuelle, par le procès, par la fatigue...
Il eut un sourire vaillant.
-Je pense que tout cela me paraîtra plus clair et plus certain quand j'aurai pu y repenser à tête reposée. Même là, ces coïncidences sont... troublantes. Jusqu'au fait que le fantôme ait été retrouvé dans le Parc, là où je suis revenu à moi...

[Galathée]

" Taliesin, la majeure partie de ce en quoi nous croyons, dans tous les domaines de la vie, ne nous a pas été présentée avec des preuves irréfutables. Nous y croyons parce que ça fait sens, parce que c'est logique, parce que c'est plus que probable. Oui, nous sommes témoins de certaines choses, mais beaucoup d'autres sont simplement des déductions. Vous savez que si vous vous jetiez du toit de ce palais de justice, vous finiriez en bouillie. Vous ne l'avez jamais fait. Mais les chances sont très élevées qu'aucun jeune dragon bien disposé ne passe justement à ce moment-là pour vous sauver la vie, qu'aucun fermier n'abandonne sa charrette pleine de foin, qu'il ne vous pousse pas subitement des ailes. C'est la même chose pour ce qui vous est arrivé. Oui, le fantôme pourrait, après des veilles et des veilles à hanter ce charnier, avoir trouvé un autre hôte deux heures avant votre arrivée. Mais les probabilités sont infimes. Et c'est ce qu'on appelle... une certitude."

[Taliesin]

-Je suis d'accord avec tout ce que vous dites. Et pour parler franc, cela me touche de vous l'entendre dire. Mais j'aurais quand même besoin d'un peu de temps pour... digérer tout cela. Ce n'est quand même pas rien, et c'était totalement inattendu...
Il secoua la tête.
-Néanmoins, je vous remercie dès à présent pour avoir mis cela au jour. Je pense que le moment venu... Cela m'aidera vraiment à tourner la page. Peut-être plus encore que s'il n'avait été question que de démence. Sûrement, même.

[Galathée]

" Je suis désolé, vous avez raison... J'ai cette information depuis hier, je la digère, je la prépare, et je me comporte comme un rustre, sans réelle empathie pour votre situation. C'est le travers de l'avocat, de la lutte... Je vis pour notre victoire et je ne mesure pas le reste."
Il eut l'air vraiment embarrassé.
" Je vous laisse retourner à la prison. Soyez courageux pour ces derniers jours. Nous plaiderons demain, et je pense que vous serez sorti avant trois jours."
Tout en bavardant, ils avaient atteint la cour, et son chariot tranquille.

[Taliesin]

-Je vais faire comme si ma libération n'interviendra que dans... allez, disons une veille. Comme ça, s'il y a un délai supplémentaire, je ne serai pas déçu, tandis que si elle intervient aussi tôt que vous le dites, ce sera une excellente surprise.
Il lui sourit franchement.
-Et surtout, ne soyez pas désolé. Votre verve et votre conviction sont réconfortantes. De surcroit, il faut bien un pendant positif à ce procureur, et vous en constituez un rudement efficace. Bref, ne soyez pas embarrassé : tout va pour le mieux.

[Galathée]

" Tant mieux, dit l'avocat avec un sourire. Je vous envoie Galathée dès que je suis chez moi. Je n'aurai pas le temps de vous présenter ma plaidoirie, je risque de la terminer à l'aube, mais je pense que vous avez une idée plus ou moins claire de ce à quoi elle va ressembler."
Il lui tapa amicalement l'épaule.
" A demain, pour le bouquet final."

[Taliesin]

-Bon courage à vous pour la nuit de labeur. Et si à un moment ou à un autre vous avez besoin d'un petit remontant, n'hésitez pas à demander à Victor de vous joeur un morceau de sa composition. J'ai cru comprendre qu'il avait profité de mon absence pour véritablement entamer sa carrière de barde et que ça se révélait très... efficace.
Il sourit.
-Merci encore. Et à demain.

[Galathée]

" Ne parlez pas de malheur !" s'exclama l'avocat en reculant.
Les gardes invitèrent Taliesin à monter dans son véhicule et, quelques secondes plus tard, celui-ci s'ébranlait en cahotant vers la prison.