[Lieu] La campagne luménienne

[Kasumi]

- Et tu n'as surtout pas tenu compte de mes conseils sur l'alcool, commença un peu sévèrement le rôdeur avant de se souvenir à qui il avait affaire et d'adoucir son ton :

- Mais ce n'est pas moi qui m'en mordrais les doigts demain matin ! Suis-moi, c'est par ici ! Et je te conseille de boire beaucoup d'eau avant de dormir sinon la gueule de bois te guette !

Il n'ajouta rien mais mit un doigt devant sa bouche pour enjoindre Jeannot au calme pour ne pas risquer de réveiller Sylvia ou les autres clients.

[Voyageuse]

Le jeune garçon tint sa langue, mais il se cogna au chambranle, puis à une poutre un peu basse, et étouffa un juron. Il but un peu d'eau -et en renversa également beaucoup-, se laissa tomber sur son lit un peu trop violemment. Bref, il n'était pas en état d'être discret, et bien sûr le bruit réveilla Sylvia. L'oeil un peu hagard, elle observa ce qui se passait, et décida finalement de se rendormir, après un sourire d'excuses et d'encouragement à Kasumi qu'elle laissait gérer la situation. Mais il n'eût pas grand-chose à gérer, en réalité : l'adolescent fut incapable de déboutonner ses boutons et se glissa tout habillé sous les couvertures. Quelques secondes plus tard, il ronflait abominablement...

...Et bien sûr, le lendemain matin, il dormait profondément à l'heure où il aurait fallu se lever.

[Kasumi]

La suite de la nuit n'avait pas été très agréable : Kasumi avait retiré les bottes du dormeurs pour son confort mais le sien fut mis à bien rude épreuve car il peina à retrouver le sommeil étant donné le bruit à faire trembler les murs régnant dans la pièce. Il avait finalement réussi à prendre un peu de repos et fut le premier levé. Inutile de dire qu'il prit un malin plaisir à réveiller Jeannot pour le rappeler à ses devoirs : la gueule de bois et le manque de sommeil le rendraient certainement grognon et sensible mais il cela lui ferait toujours une bonne leçon pour ce qui était de l'alcool et de ses excès.

[Voyageuse]

Bien entendu, l'adolescent avait un mal de crâne carabiné, et Sylvia, voyant sa mine, se fit un plaisir de l'obliger à plonger la tête dans un broc d'eau froide pour essayer de le réveiller. Grognon, il faillit piquer une belle colère, auquel cas elle aurait certainement eu le dessous vu la force herculéenne de l'adolescent. Mais il était trop perdu pour avoir la moindre suite dans les idées...
Trop barbouillé, il refusa de descendre déjeuner. Sylvia n'avait pas très faim, elle non plus, et il n'y eut finalement que Kasumi pour profiter du déjeuner -assez quelconque- qu'on leur servit. Lorsqu'ils remontèrent, Jeannot, malade, n'avait pas bougé de son lit sur lequel il s'était affalé à nouveau, et il fallut le secouer plus d'une fois pour qu'il se décide à se changer, à descendre son sac, et à se mettre en selle.
Il en redescendit après quelques dizaines de mètres seulement, et se précipita pour vomir dans les fourrés. Sylvia, impitoyable, lui versa obligeamment une demi-gourde d'eau sur la tête... mais il fallut bien cela pour qu'il reprenne un minimum de contenance et reprenne la route dans des conditions acceptables. Certes, il dormirait à demi sur sa selle, ou peut-être complètement d'ailleurs. Mais au moins ne les retarderait-il pas davantage.

[Kasumi]

Kasumi éprouvait tout de même de la compassion pour le jeune-homme et se promit de lui préparer une petite tisane apaisante à la halte de midi. En attendant, Jeannot devrait prendre son mal en patience et peut-être en retirerait-il une leçon utile. Dans tous les cas, les désagréments finiraient rapidement par disparaître et ils n'avaient au final pas perdu autant de temps dans cette mésaventure qu'ils auraient pu le craindre.

[Voyageuse]

Malgré l'infusion préparée par les rôdeurs -et qu'il but avec gratitude-, l'adolescent fut malade toute la journée. Il dormit sur sa selle la majeure partie du temps, et se révéla incapable d'avaler quoi que ce soit durant ses brèves périodes d'éveil. Ni, d'ailleurs, de suivre une conversation. La dernière journée de voyage se déroula donc dans un calme inhabituel, sans le bavardage incessant de Jeannot, sans ses plaisanteries stupides et ses rires joyeux. Après les jours qui venaient de s'écouler, le contraste était un peu déstabilisant.
Le ciel était gris, mais ils eurent la chance de ne pas croiser d'averse sur leur route. La route était de plus en plus encombrée, les hameaux plus nombreux, les intersections également, et ils cheminèrent au pas quasiment toute la journée. Jeannot était trop malade pour le déplorer, mais il y avait décidément trop de trafic pour pouvoir envisager de piquer un galop, et les abords de la route était trop urbanisés pour pouvoir s'en éloigner.

La ville de Luménis apparut finalement à l'horizon peu après le milieu de l'après-midi, vaste muraille encerclant une mosaïque de bâtisses de pierre. Sylvia, saisie, s'arrêta un instant pour l'admirer, et deux chariots pleins à craquer profitèrent de l'occasion pour les doubler en les éclaboussant de boue -apparemment, il avait plu ici durant la matinée. Ce n'était pas le lieu idéal pour une pause : ils se remirent donc en route aussitôt. Kasumi savait qu'une longue file d'attente les attendait probablement aux portes de la ville.

[Galathée]

Abandonnant la cité derrière eux, Galathée et Taliesin s'engagèrent donc sur la piste de pavés qui serpentait dans la campagne. Elle devint rapidement terre battue, puis s'incurva vers l'est, en direction de la voie principale qui montait vers le nord. Ils apercevaient, non loin, le scintillement du bras sud de la Lézarde. Les fleurs et les oiseaux célébraient le printemps, les chevaux étaient calmes, secouant la tête et battant de la queue pour chasser les nombreux insectes. Galathée sortit un casse-croûte de pain et fromage des fontes de sa selle, et le tendit à Taliesin. La quiétude de l'instant était totale, bien qu'ils ne soient pas seuls sur la route, loin de là.

[Taliesin]

Il n'avait pas spécialement faim mais remercia la rôdeuse et... l'appétit vint en mangeant, confirmant le dicton.
-J'ai dû mal à réaliser... que tout cela est réel, que je suis vraiment libre, que nous sommes réunis pour de bon, finit-il par dire, rompant avec le silence qui avait été le sien quasiment depuis qu'ils avaient commencé leur chevauchée. Je me suis imaginé cette scène jour après jour, nuit après nuit et... Maintenant j'y suis. Cela fait un drôle d'effet.

[Galathée]

" Allons... Tu as le temps... Ne te mets pas la pression. Nous avons vécu dans l'orage tous ces derniers mois... Ces dernières années, même... Il restera toujours des blessures à panser, quand nous serons rentrés... Et nous n'oublierons pas. Mais désormais, tu es rendu à toi-même. Tu dois te réapprivoiser. Ce n'est pas surprenant."
Elle lui prit la main.
" La foi reviendra."

[Taliesin]

-Oui. Et avec elle l'optimisme, la sérénité, l'allant... J'ai hâte d'être revenu à un état plus normal.
Il secoua la tête.
-Mais ça ne va pas m'empêcher de prendre mon temps. D'abord parce que c'est nécessaire, ensuite parce que plus rien ne presse, désormais, enfin et surtout parce qu'il y a une foule de bons moments à savourer dans un avenir très proche.
Il sourit.
-Après l'effort, le réconfort, comme l'on dit. Le réconfort pour nous tous.

[Galathée]

" Veux-tu que nous nous arrêtions en route ? Une fois que nous aurons atteint la ferme, tu seras aspiré dans le mouvement frénétique des réjouissances... Tout le monde est conscient que tu as besoin de repos, mais tout le monde voulait fêter, aussi... donc voilà... Je crains que tu sois immédiatement pris d'assaut... et jusqu'à l'aurore. Si tu as besoin de souffler, je crains que tu ne doives y songer tout de suite... On ne nous attend pas forcément si tôt. En même temps, je suppose que tu pourrais aussi t'arranger pour aller faire une sieste de quelques heures..."

[Taliesin]

-Oh, je ne suis pas fatigué physiquement, tu sais : grâce aux plantes, j'ai plutôt bien dormi. Je te rassure tout de suite : cela fait deux jours coup sur coup que je réduis les doses, conformément à tes conseils. Néanmoins...
Il jeta un regard autour de lui.
-Néanmoins, si nous trouvons un joli coin de paysage à notre goût en cours de trajet, je ne suis pas contre nous y arrêter, loin s'en faut. Après tout, bien du temps s'écoulera avant que nous puissions être à nouveau seuls tous les deux...

[Galathée]

La jeune femme rit joyeusement.
" La fête ne se déroulera pas jusque dans notre chambre, rassure-toi ! Même s'il va falloir se serrer pour accueillir tous nos invités. Je doute qu'ils rentrent jusqu'à Luménis... Mais peut-être certains ne se coucheront-ils pas... Bref, de toute façon, nous pouvons nous arrêter, oui. Il y a le petit bosquet près de la source moussue, après le pont... Généralement, il est désert, et nous ne serons dérangés que par les moustiques..."

[Taliesin]

-Tu ne vais peut-être pas le croire, mais je serai presque content de les retrouver, eux aussi. Après tous ces mois passés à la ferme, me retrouver dans une cellule de pierre... La nature m'a terriblement manqué.
Il grimaça;
-Désolé, je suis conscient d'être un peu ridicule : je parle comme si j'avais passé des années en prison, alors que j'ai été incarcéré à peine plus d'une veille... Mais elle m'a paru durer des années. Des siècles, même.
Son sourire revint.
-Mais donc... Va pour le bucolique petit bosquet et sa source moussue !

[Galathée]

" Des siècles... Tu exagères. Tu n'as même pas eu le temps de perdre du poids !"
Elle lui enfonça un index joueur entre les côtes.
" Nous serons bientôt à la rivière... ensuite ce sera l'affaire d'une petite demi-heure... Il faudra te contenir !"
Puis, sur un sourire, elle mit son cheval au trot. La monture de Taliesin l'imita et ils filèrent sur la route, évitant précautionneusement les autres voyageurs.

[Taliesin]

Même s'il était toujours dans une sorte d'état second, même s'il avait encore du mal à réaliser ce qui lui arrivait, il avait achevé de reprendre le contrôle et pouvait chevaucher avec un tantinet moins de concentration. Cela lui laissait davantage l'opportunité d'observer le verdoyant panorama, de respirer à pleins poumons les fragrances florales de l'air printanier... De se préparer, aussi, au choc que constituerait le retour à la ferme, les retrouvailles avec ses enfants, ses amis, ces lieux familier. Autant de choses qui lui avaient paru lointaines, irréelles, hors d'atteinte lorsqu'il était enfermé dans sa cellule...

[Galathée]

Ils atteignirent le bosquet peu de temps après et la rôdeuse y mena les chevaux avant de démonter. Il faisait un peu frais et le sol était légèrement humide, mais elle étendit une couverture, puis se chargea d'entraver les bêtes tandis que le barde retrouvait le contact avec le plancher des vaches, les bouleaux, le murmure de la source... Elle revint ensuite vers lui et l'embrassa doucement avant de le guider vers leur petit coin tranquille. Hormis les oiseaux, les papillons et les moustiques, ils ne risquaient pas d'être surpris...

[Taliesin]

En acceptant l'idée d'une halte, et contrairement à ce qu'il avait pu laisser sous-entendre, il n'avait pas forcément eu d'idées très arrêtées, d'attentes précises. Il voulait juste pouvoir étreindre son épouse avec abandon, se lover contre elle, lui témoigner, par le mot et le geste, à quel point il était heureux de la retrouver, sans plus de gardes pour venir les interrompre, sans plus d'inquiétantes échéances pour assombrir l'horizon. Et c'est ce qu'il fit, tendre, passionné... Et de fil en aiguille, leurs étreintes se firent de moins en moins chastes.

[Galathée]

Ils ne purent cependant pas aller jusqu'au bout de leurs caresses, car un pâtre survint avec ses brebis dans le pré qui bordait le bosquet, et la rôdeuse, gloussant, se couvrit précipitamment. L'adolescent ne les vit pas, car ils étaient protégés par des buissons, mais un de leurs chevaux hennit pour se signaler et les moutons répondirent.
" Tranquilles nulle part, remarqua Galathée. Peut-être est-ce un signe que nous sommes cruels de faire patienter nos amis... Imagine leur angoisse !"

[Taliesin]

-C'est vrai, murmura-t-il. En même temps, il était important que nous nous retrouvions. Bon sang, Gal, je n'aurais jamais réussi à traverser tout ça sans toi.
Il ferma les yeux un instant puis se pencha pour l'embrasser.
-Je t'aime.
Puis il se redressa, sourit à son tour.
-Mais tu as raison : il est temps de se remettre en route.

[Galathée]

Elle lui rendit langoureusement son baiser, avant de se relever à son tour.
" Nous sommes là l'un pour l'autre en toute occasion, Taliesin. Je n'ai pas oublié que tu es venu jusqu'à Mélandis pour moi."

Une seconde plus tard, elle avait le pied à l'étrier et ils reprirent leur route, surprenant le berger qui musardait dans les hautes herbes. Les chevaux étaient frais et ils prirent le petit galop, se faufilant entre les chariots pesants et les marcheurs qui arpentaient la route de Luménis. Il ne leur fallut qu'une petite heure de plus pour atteindre le chemin qui menait à la ferme Desmoulins, cette fois parfaitement dégagé, sans l'ombre d'un garde pour en surveiller l'accès...

[Voyageuse]

RP solo : apprentie-druide, prologue

Après sa discussion avec l'herboriste, Astrée avait fait ses bagages dans une sorte d'état second. Bien sûr, tout était déjà quasiment près depuis l'avant-veille au soir : elle n'avait pas imaginé un seul instant avoir un contretemps de cet ordre... et pourtant, désormais, tout passait au second plan, y compris le voyage programmé et sa vocation de druide. Ne ferait-elle pas mieux de rentrer tout simplement dans son abri des montagnes ? Il y avait plus d'un an qu'elle en était partie, il y avait certainement un grand nettoyage à faire, des réparations sans doute, du bois à couper pour l'hiver, et toutes ces mille et une choses à préparer pour l'arrivée de l'enfant.
Quoiqu'il en soit, quitter Luménis était une évidence : elle n'avait aucune intention d'y passer sept mois de grossesse et d'y accoucher. Elle allait donc avancer jusqu'à Rohan, et elle verrait bien, une fois là-bas, si elle choisissait de bifurquer en direction de son abri ou de poursuivre tout droit vers Edhoras et Togoria.

Elle partit peu après l'aube, le lendemain matin, faisant ses adieux à l'aubergiste et au mage avec lequel elle avait un peu sympathisé. Elle fit un crochet pour annoncer son départ à Isudë, hésitant à lui dire ses hésitations. Elle se tut, par peur de décevoir l'elfe. Après tout, elle lui avait trouvé un mentor, l'avait aidée à comprendre sa vocation, elle serait certainement très déçue de voir que tout cela n'avait désormais plus qu'une importance relative. Certes, elle voulait toujours devenir druide. Mais Nathanaël -elle restait persuadée d'attendre un garçon- passait avant tout le reste.
L'important, pour l'heure, était d'attendre des nouvelles de Reynald, peut-être pas avant un mois, peut-être pas avant l'hiver, et d'organiser leur vie. Elle ne pouvait empêcher son coeur de battre plus fort à l'idée de le revoir. Peut-être devrait-elle déménager cet été, se rapprocher de la Trouée. Mais ça pouvait attendre, après tout : si elle n'avait pas de nouvelles rapidement, elle se préparerait à passer l'hiver dans son abri, chercherait une sage-femme proche pour l'accouchement, et installerait tout pour le bébé. Ce serait merveilleux. Restait à décider si elle se donnait auparavant le temps de passer un mois au nord des Pics des Orcs. Même s'il était devenu presque secondaire, cet apprentissage du druidisme continuait à l'attirer. Et il l'attirait encore avantage chaque fois qu'elle entrait en communion avec la nature.

Toute à ses projets, elle ne vit pas les nuages qui s’amoncelaient, les voyageurs qui pressaient le pas sur la route, ne sentit pas le vent se lever. Un frisson la parcourut, pourtant, lors d'une rafale un peu plus forte, l'arrachant à ses pensées. Elle réalisa alors qu'elle était quasiment seule sur la route. Les nuages galopaient à une vitesse impressionnante, de plus en plus sombres, et le vent forcissait. Elle mit Prince au trot, espérant trouver un abri. Quelques instants plus tard, des trombes d'eaux s'abattirent sur la campagne.
Il lui fallut une bonne demi-heure pour rejoindre un pauvre abri de bois où sommeillaient les outils d'un paysan du coin. Elle était trempée comme une souche, frissonnait, et se maudissait de n'avoir rien vu venir. Ca n'était pourtant pas le moment de tomber malade ! Elle devait prendre soin d'elle et de l'enfant à venir.

Elle repartit deux heures plus tard, lorsque l'orage cessa. Elle s'était changée, enfilant deux pulls et étendant ses vêtements humides et son manteau en travers du dos de sa monture. Elle marcherait à pied quelques temps, ça ne lui ferait pas de mal. Elle savait qu'elle devait se ménager, et comptait alterner marche à pied et chevauchée, et éviter les trop longues étapes. Et elle se promettait de se reposer au moindre signe de fatigue. Son ventre lui faisait mal, déjà : il était beaucoup trop dur, comme si ses muscles se contractaient, et ça l'inquiétait un peu. Peut-être ferait-elle mieux de s'arrêter pour aujourd'hui ? Voire d'éviter de voyager tant qu'elle était enceinte ? Mais rester à Luménis était inenvisageable, de toute façon. Et puis c'était absurde : elle venait de faire un long voyage de deux veilles au cours duquel elle n'avait jamais eu le moindre symptôme inquiétant. Le voyage qui l'attendait était à peu près aussi long, il n'y avait pas de raison que ça se passe mal, surtout en écourtant les étapes !
Elle poursuivit donc sa route, lentement, sous un ciel toujours menaçant. ce soir, il lui faudrait trouver refuge dans une grange, demander l'asile quelque part. Elle n'aimait pas ça... mais mieux valait un minimum de confort vu son état, et le ciel était vraiment trop menaçant.

[Voyageuse]

Astrée trouva une ferme un peu à l'écart, et son propriétaire, un vieux paysan bourru, accepta de la laisser dormir dans la grange au sol de terre battue. Elle y fixa son hamac sans demander la permission, craignant qu'on lui refuse : elle avait besoin d'un minimum de confort. Elle se sentait inhabituellement fatiguée -ce qui était parfaitement normal, sans doute- et son ventre lui semblait trop dur. Ce dernier point ne manquait pas de l'inquiéter.

Elle se réveilla un peu nauséeuse, et surtout anormalement affaiblie. Tout se mit à tourner lorsqu'elle voulut se redresser. Ses jambes flageolaient et elle n'avait aucune énergie. Quelle idée de marcher sous la pluie...
Elle alla quémander un peu d'eau bouillante au vieux paysan pour ne pas avoir à faire de feu dans la grange -l'incendie de la prison de Montequine était trop présent dans sa mémoire-, et se prépara une infusion. Eucalyptus, thym, échinacée, griffe-du-chat : de quoi aider son organisme à lutter contre la fièvre. Idéalement, il lui aurait fallu dormir, mais elle ne pouvait décemment pas demander au paysan acariâtre de l'héberger quelques heures de plus. Bah, elle serait au pont des Trois Sires ce soir, si elle ne traînait pas trop : il y avait une auberge confortable, où elle pourrait rester deux ou trois jours s'il le fallait, le temps de guérir de son refroidissement. Elle y trouverait peut-être même un clerc, au besoin -en espérant avoir assez d'argent pour payer.

Elle reprit donc sa route, un peu fiévreuse, l'esprit embrumé, l'organisme affaibli. Prince, vaillant, suivait la route sans qu'elle ait besoin de le guider, et peu à peu son esprit se mit à dériver, dans une sorte de demi-torpeur, vers l'enfant à naître, vers Reynald et son envie de le revoir, vers ses dons de druide aussi. Pensées confuses et délirantes se succédant sans vraiment de lien logique. Est-ce qu'elle pourrait sentir la présence de l'enfant vivant dans son ventre comme elle percevait celle des animaux alentours ? Non, ça ne se faisait pas pour un humain. Reynald avait-il eu sa lettre ? Non, c'était bien trop tôt, ça ne faisait que deux jours. Mais plus le temps passerait et plus elle guetterait le picotement dans sa nuque annonçant le message du clerc. Dans quel état d'esprit serait-il ? Tiens, à propos de clerc, elle n'avait pas pris le temps de méditer et de prier la nature, ce matin. Est-ce qu'un druide avait le pouvoir de guérir les maladies, comme un clerc ? Elle en aurait bien eu besoin. Mais non, elle n'avait jamais ressenti ce pouvoir. Peut-être fallait-il être plus expérimenté. Après tout, n'était-ce pas la nature qui apportait les maladies ? Elle n'en savait rien. Elle avait mal au crâne, et ses pensées devinrent plus floues, simples images et sensations. Elle avait mal à la tête, mal dans les articulations, mal partout. Mal au ventre. Trop mal au ventre.

La fièvre brouillait ses perceptions, et il lui fallut longtemps pour réaliser : elle avait mal au ventre, vraiment mal, et ça n'était ni la fièvre, ni une douleur intestinale. Le bébé... Soudain inquiète, elle fit arrêter Prince. Elle le montait depuis son départ, et elle était incapable d'estimer le temps écoulé. Monter n'était peut-être pas bon dans son état ? Elle n'en savait rien : les femmes de la Trouée montaient certainement même en étant enceintes, et elle-même avait chevauché longuement pour revenir de Montequine, sans rien ressentir. Ca n'avait peut-être rien à voir. Une contraction lui vrilla le ventre, le dos. Punaise, ce que ça faisait mal. Ça n'était pas normal. Elle s'allongea un moment, à l'écart de la route, espérant calmer la douleur. Elle n'arrivait plus à réfléchir, elle était trop malade. Il lui fallait un temple, il fallait qu'on la soigne, qu'on apaise son ventre. Y avait-il un temple au pont des Trois Sires ? Elle n'en savait rien, elle ne se souvenait plus. Elle n'était pas sûre d'arriver ce soir. Revenir à Luménis ? Elle y serait demain soir. Trop tard peut-être. Si seulement sa fièvre voulait bien baisser, qu'elle parvienne à réfléchir.
Elle resta allongée un moment, sans que la douleur disparaisse. Elle venait par vague, la laissant épuisée. La fièvre montait, et elle s'obligea à se redresser, alluma une petite flambée d'herbes sèches et se prépara une infusion. Puis elle s'allongea, se roula dans une couverture, et ferma les yeux. Il fallait qu'elle se repose le temps que la tisane fasse effet. Elle avait trop mal pour dormir mais elle sombra malgré elle dans un état semi-conscient.

Elle en émergea au bout d'un certain temps. Quelques heures, sans doute : à en juger par la luminosité, il devait être l'après-midi. Un couple de paysans, tout proches, l'observaient avec suspicion. Elle se redressa péniblement, affichant vaillamment un sourire d'excuse -sans doute était-elle sur leurs terres- et la douleur la crispa, peut-être un peu moins forte. A peine. Elle sentit la peur et le désespoir l'envahir et se mit à pleurer.
" Dame... Ça n'a pas l'air d'aller. Peut-on faire quelque chose pour vous ?"
Ses larmes redoublèrent.
" Il me faudrait un clerc, s'entendit-elle répondre. Revenir à Luménis.
- Vous avez les yeux brillants de fièvre, constata la femme. Venez avec nous, notre ferme est toute proche, je vais vous préparer une infusion. Vous vous sentirez mieux. J'espère que ce n'est rien de grave..."
Elle secoua la tête mais fut incapable de répondre. Si, c'était grave. Elle allait perdre son enfant.
" Ecoutez, vous pouvez passer la soirée et la nuit chez nous, et si demain ça ne va pas mieux, mon mari vous emmènera à Luménis en carriole : il doit justement y livrer des fromages."
Astrée acquiesça avec gratitude, les yeux brouillés de larmes. C'était la meilleure solution. La seule, de toute façon.
Elle se redressa lentement, et la douleur la plia brièvement en deux. Elle eût la sensation de sentir un liquide chaud entre ses jambes. Juste un peu, heureusement. Peut-être que ça n'était rien, peut-être qu'un clerc pourrait la soigner. Elle s'appuya sur Prince, blême.
" Ça n'a vraiment pas l'air d'aller, répéta le paysan, tandis que sa femme fronçait les sourcils, inquiète.
- Vous avez mal quelque part ?, questionna-t-elle à voix plus basse en se rapprochant.
- Au ventre. Je... Je suis enceinte, souffla-t-elle en réponse. Et..."
Un éclair de compréhension et de compassion passa dans le regard de la vieille femme. Tout était clair.
" Venez jusque chez nous. Là, lentement. Vous voyez, notre ferme est là-bas, toute proche. Et si ça ne passe pas... Il y a une sage-femme au pont des Trois Sires, je pourrai aller la quérir," ajouta-t-elle en baissant encore le ton : une grossesse, c'était une affaire de femme.
Astrée tourna le regard vers la ferme, s'interdisant de penser au pire. Une centaine de toises, estima-t-elle. Le bout du monde.

[Voyageuse]

Elle était allongée entre des draps rêches. La sage-femme parlait, mais elle n'entendait rien. Ne voyait rien non plus, les yeux trop brouillés de larmes. Tout était fini.
" Ce n'est rien de grave, dame, répéta la sage-femme. A ce stade de grossesse, c'est même relativement courant. Rassurez-vous, vous n'aurez aucune séquelle, vous pourrez à nouveau concevoir normalement. Vous serez complètement rétablie dans quelques veilles."
Elle s'en fichait éperdument, de pouvoir à nouveau concevoir. C'était cet enfant qu'elle voulait, pas un autre. Le fils de Reynald. C'était tout ce qui lui restait de lui et de leur relation si courte et si merveilleuse. Et elle l'avait perdu.
" Il faut vous reposer, à présent. Vous avez perdu du sang, tout de même. Mais tout est normal, je vous rassure. Prenez soin de vous dans les jours à venir..."
Elle n'avait pas envie de prendre soin d'elle. Elle voulait son bébé.
Puis la sage-femme s'éclipsa, non sans avoir demandé quelques pièces d'or en guise de paiement. Elle n'avait pas fait grand-chose, juste se déplacer et constater la chose. La fermière quitta elle aussi la pièce, lui assurant qu'elle pouvait rester deux ou trois jours sans problèmes.

Pourquoi ? Pourquoi avait-elle perdu le bébé ? Tout allait bien, tout était normal jusque-là ! Sans doute n'aurait-elle pas dû entreprendre ce voyage à cheval. Elle en voulait à Isudë de l'y avoir poussé, tout en ayant conscience que son ressentiment était absurde : elle aurait de toute façon pris le route pour rentrer chez elle. Peut-être que c'était cette pluie glaciale qui l'avait rendue malade et avait tué l'enfant ? Un clerc aurait-il pu le sauver ? Si Reynald était resté auprès d'elle, il aurait sûrement fait quelque chose ! Pourquoi n'était-il jamais là quand elle avait besoin de lui ? Un sale égoïste, elle ne pouvait pas compter dessus, et puis il n'en avait rien à cirer d'elle. Elle laissa couler les larmes de désespoir et de colère. Envers Reynald, envers elle-même, envers l'injustice de la vie, envers la Nature.


" Ah, vous êtes réveillée..."
Elle avait dû sombrer dans le sommeil sans s'en rendre compte. Les oiseaux chantaient au-dehors : c'était le matin, à nouveau. Un matin sans lui. Mais elle n'avait plus de larmes pour pleurer. Elle fixa la fermière, hagarde. Celle-ci s'assit un instant sur son lit.
" Je sais ce que vous ressentez. Ca m'est arrivé, à moi aussi. Deux fois, sur neuf grossesses. "
Astrée secoua la tête. Non, elle ne pouvait pas savoir ce qu'elle ressentait.
" Je crois que vous n'écoutiez pas ce que disait la sage-femme hier... Vous n'étiez pas en état. Mais il est important que vous sachiez. Parce que sinon, vous allez vous sentir coupable, je sais comment ça fait... Bref. Lorsque la fausse-couche a lieu, c'est que le foetus est déjà mort depuis un moment. A ce stade de la grossesse, il n'a même sans doute jamais été vraiment vivant."
Ca, c'était faux. Elle avait senti sa présence en elle lorsqu'elle communiait avec la nature. Elle en était certaine. Elle serra les dents tandis que la vieille femme poursuivait.
" Ce qui se passe, c'est que parfois, l'embryon n'est pas viable. On ne sait pas pourquoi, peut-être que quelque chose fonctionne mal en lui, qu'il manque quelque chose, le coeur peut-être, et il ne peut pas se développer, il ne peut pas vivre. Alors Dame Nature a prévu que nos corps l'éjectent, c'est tout. Ce n'est pas un bébé, juste un petit tas de chair inerte qui ne ressemble à rien. Enfin, je ne devrais peut-être pas le dire comme ça... mais il faut que vous compreniez que ce n'est pas votre faute. Quoi que vous ayez fait ou pas fait, quoi que vous ayez tenté ou non, ce foetus ne pouvait pas vivre. Personne n'aurait rien pu y faire, pas même un clerc puissant. Mais l'essentiel est que vous allez bien. Vous connaîtrez d'autres grossesses, qui se passeront bien, et vous aurez des enfants !"
Ces dernières phrases déclenchèrent un torrent de larmes. Même Reynald n'aurait rien pu faire.
" C'était tout ce qui me restait de mon compagnon", s'entendit-elle dire d'une voix rauque, dans une tentative d'explication.
" Pardon. Je ne savais pas..." murmura la fermière, embarrassée.
Elle croyait sans doute qu'elle était veuve. Astrée ne chercha pas à la détromper.

Malgré l'insistance de la fermière pour qu'elle se repose, elle repartit dès le lendemain, l'esprit aussi vide que le corps. Elle ne voulait pas déranger ses hôtes, elle ne voulait pas de leur commisération, elle voulait qu'on lui fiche la paix, et elle n'avait nulle envie de se ménager ou de prendre soin d'elle-même. Luménis était moins loin que son abri, elle pourrait se calfeutrer dans une chambre et ne voir personne. C'est donc là qu'elle irait.

[Voyageuse]

Quête : Mission

Mosaïque de champs cultivés et de prés où paissaient des troupeaux, parsemée de fermes nombreuses, la campagne autour de Luménis était un lieu tellement humanisé que chaque parcelle de nature semblait mise à contribution pour assurer la prospérité de son propriétaire. Les villages succédaient aux hameaux, peuplés de paysans, artisans et commerçants : sous le soleil de cette fin de Mirtul, tout le monde semblait s'être donné rendez-vous sur la route, et Kasumi et Sylvia -et surtout leurs montures- durent prendre leur mal en patience : il était rare de pouvoir galoper plus de quelques minutes d'affilée.
Ils parvinrent rapidement à l'embranchement d'où partait, à droite, la petite route de terre par laquelle ils étaient arrivés quelques jours plus tôt. Elle serpentait jusqu'au bac de la Lézarde, pas très loin du hameau de Peyregorde qui était leur destination, à moins de deux jours de cheval. Mais s'ils voulaient faire un détour par le Pont des Trois Sires, il suffisait de continuer tout droit, le long de la route principale, rectiligne et pavée. Ils y parviendraient le lendemain soir. Il leur restait à décider la façon dont ils voulaient fonctionner durant ce voyage : chercher à profiter de l'hospitalité des fermes sur leur route, des auberges lorsqu'il y en avait -elles devaient être assez nombreuses sur cette route-, ou camper au maximum en pleine nature.

[Kasumi]

Kasumi était pour trouver des occasions de bivouaquer au moins le soir même de sorte à marquer et fêter leur retour à un environnement plus naturel. Pour le lendemain soir, ils aviseraient en fonction du temps qu'il faudrait passer au village du Pont des Trois Sires. Le demi-elfe ne s'étendit pas sur ses raisons mais là non plus il n'avait pas particulièrement envie de passer une soirée à l'auberge locale. Le moins que l'on puisse dire étant qu'il ne gardait pas un souvenir impérissable de son dernier passage dans cette localité... En tous cas, il avait toutes les raisons d'être impatient de reprendre la route ensuite vers une destination qui leur correspondait bien mieux.

[Voyageuse]

Le route était fréquentée, trop pour qu'ils puissent aisément trouver un lieu de bivouac à proximité. Ils finirent par s'en éloigner, en fin d'après-midi, obliquant vers l'est le long d'un petit chemin de terre. Ils dépassèrent un hameau, puis quelques fermes isolées, avant de se retrouver enfin dans un environnement qu'on pouvait qualifier de naturel. Un petit ruisseau bordait un bois de hêtres, et même si les alentours étaient une mosaïque de champs cultivés, ce bois ne semblait pas exploité. Ils virent même une jeune chevreuil bondir à leur approche. Sylvia, qui conservait un teint trop pâle, semblait néanmoins revivre.

[Kasumi]

L’animal était bien trop jeune et même s’il n’était probablement pas seul, l’équilibre naturel des bois aussi près de Luménis était bien trop fragile pour envisager une partie de chasse. D’autant que leurs sacoches étaient encore pleines de vivres frais en tous genres.

Kasumi n’avait eu l’intention que de profiter de ce milieu plus coutumier pour lui et surtout pour Sylvia mais il commençait à s’inquiéter de son état : peut-être serait-il plus prudent de la faire examiner par un clerc au Pont-des-Trois-Sires si elle ne s’était pas pleinement remise d’ici là mais il ne savait pas trop comment la rôdeuse accueillerait cette proposition.

[Voyageuse]

La rôdeuse protesta vigoureusement contre l'idée de se faire examiner. Elle était simplement un peu fatiguée par le voyage -elle n'avait jamais voyagé si loin, si longtemps- mais elle était certaine d'être en parfaite santé. Elle finit cependant par avouer qu'un lit confortable, de temps à autre, serait une bonne chose. C'était un peu tard pour cette nuit-là, néanmoins. Mais le temps était doux et sec, et ils trouvèrent une clairière où un tapis moelleux d'herbes et de mousse les attendait. Un lieu de bivouac idéal. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls à en avoir l'idée : ils découvrirent les traces d'un feu récent, au centre de la clairière, et des empreintes de sabots, indiquant que la clairière avait probablement été occupée la nuit précédente.

[Kasumi]

Kasumi n'avait pas insisté concernant son idée de clerc mais il remettait simplement la discussion à plus tard au cas où la jeune-femme montre à nouveau des signes inquiétants au cours des prochains jours. Pour l'heure, il préférait porter toute son attention sur le lieu sur lequel ils avaient jeté leur dévolu : elle balaya les environs du regard pour déterminer si personne n'approchait ou n'habitait ici de manière semi permanente avant de ranimer un petit feu à l'endroit où les précédents voyageurs avaient abandonné des cendres. Il pourrait ainsi mitonner un des plats dont il avait le secret à base des produits frais qu'ils avaient emporté du marché luménien : en l'occurrence des pavés de saumon à griller, du riz et une petite sauce d'accompagnement. Tout à ses préparatifs, il se demanda aussi si Première Neige allait bientôt les rejoindre et il étendit son esprit pour chercher à détecter des signes de sa présence dans les parages.