[Lieu-dit] Les rues commerçantes

[Taliesin]

A la suite de son guide, Roye avait quitté la place des Marchands pour s'aventurer dans les artères du quartier commerçant. Dans un premier temps, les rues qu'il longea s'avérèrent propres et larges, bordées de boutiques et d'estaminets d'allure plutôt opulente. Mais plus les minutes passaient, plus le gamin semblait l'entraîner dans des parages moins reluisants. Sans doute ceux-ci n'avaient-ils encore rien en commun avec les bas-fonds mais le constat était indéniable : les voies devenaient plus étroites, les façades plus défraichies, les commerces de moins bon aloi... Pire : rien, dans l'attitude du marmot dépenaillé, n'indiquait qu'ils étaient en train de se rapprocher du but.

[Roye]

Roye regardait avec inquiétude le paysage s'assombrir autour de lui... Il ne reconnaissait là rien de ce qu'il avait pu entrevoir à Melandis. Cette cité qui lui semblait si reluisante, peuplée de personne "fréquentable" lui montrait à présent un tout autre visage. Son noir intérieur était lui aussi de plus en plus présent... En voyant l'enfant s'enfoncer sans jamais montrer signe d'arrivé proche commençait à l'énerver. Il sortit sa lame et l'attrapa, il posa le fer sur sa gorge et souffla près de son oreille droite :

- Maintenant fini de jouer petit..! Soit tu rends la pièce que tu as acquise plus tôt, soit tu m'expliques où nous allons...

Roye se sentait perdre la tête, l'ambiance de cette ville lui montait au cerveau, il relâcha quelque peu le gamin en prenant conscience de son comportement.

[Taliesin]

Si le gamin avait blêmi, il ne perdit pas pour autant son sang froid. Il ne se donna même pas la peine de regarder autour de lui en quête d'éventuels secours. De fait, il n'en trouverait pas : les badauds passaient près d'eux sans leur prêter la moindre attention, sans paraître le moins du monde indignés ou même surpris par ce qui se passait.
-Vous expliquer quoi ? fit-il d'un ton qui se voulait ferme sans y parvenir totalement. Où on va, je vous l'ai d'jà dit : voir la personne que j'connais et qui propose un boulot bien payé. Si elle était si facile à trouver, vous auriez pas eu besoin d'moi, pas vrai ?

[Roye]

Roye n'avait même pas pris la peine de regarder autour de lui avant de sortir sa lame.. En effet ils n'étaient pas seuls mais ce qui était le plus impressionnant c'est que la scène qui venait de se produire ne choqua personne... Comme si ce genre d'action était coutume dans ses rues...

- Oui tu as raison mais ton attitude n'est pas des plus rassurantes ! Alors continue ta route je te suis mais dis moi.. Nous sommes encore loin ?

[Taliesin]

-On y s'ra dans même pas dix minutes ! Et sinon, faut pas vous en faire : si je jouais les rabatteurs pour des voleurs, j'm'embêterais pas à attendre des heures près du panneau d'affichage. Franchement, y a des techniques beaucoup plus rapides et beaucoup plus efficaces pour piéger les gens !
Sur ce, il reprit sa progression comme si de rien n'était. Bientôt, il fit bifurquer Roye dans une rue étroite puis carrément dans une ruelle crasseuse.
-On y est presque. C'est juste au prochain tournant, finit-il par annoncer.
L'endroit était sans doute idéal pour tendre une embuscade. Toutefois, Roye ne perçut aucun signe indiquant que c'était dans un traquenard que le conduisait le gamin.

[Roye]

Roye espérait profondément ne pas se tromper sur l’honnêteté du gamin.. Même si en cette instant, dans cette ambiance plus que douteuse rien ne présageait que le petit boulot qui l'attendait serait facile à réaliser.. Il continua de suivre le petit en attendant patiemment d'atteindre le fameux lieu...

[Taliesin]

Nul brigand embusqué ne l'assaillit lorsqu'il eut franchi le tournant. Il découvrit simplement, de l'autre côté de la rue, une taverne d'allure médiocre, pour ne pas dire plus.
-Voilà, on y est. Vous reste plus qu'à entrer et à parler au type borgne et balafré qu'est assis à une des tables, au fond. Dites-lui que vous v'nes pour le travail.
Le gosse tendit la main.
-Maint'nant, filez moi l'aut' pièce d'or.

[Roye]

Roye regarda vers la taverne, puis son regard se posa sur le petit, il ne pu s'empêcher d'esquisser un sourire.

- Très bien petit ! Je dois dire que jusqu'ici tu as tenu parole !

Il fouilla dans ses vêtements afin de mettre la main sur sa bourse, il y prit une pièce d'or et la lança au gamin. Celui-ci disparu presque instantanément. Il ne restait plus qu'à entrer dans cette taverne et voir en quoi consisterait le travail qui l'y attendait. Roye pressentait déjà que ça n'aurait rien d'honorable...

[Taliesin]

L'établissement était aussi minable à l'intérieur qu'à l'extérieur et ses clients ne semblaient guère valoir mieux : peut-être n'étaient-ils pas des canailles issues tout droit des bas-fonds mais, avec leurs mines patibulaires et peu engageantes, ils ne devaient pas en être loin. Cependant, ils ne lui cherchèrent pas noise : tous se contentèrent de lui jeter un regard en coin avant de retourner à leurs affaires. Tous sauf un : un homme grand et mince, avec un bandeau noir masquant son œil gauche et, en dessous, une joue zébrée d'une vilaine cicatrice. L'individu en question ne parut pas le moins du monde surpris lorsque Roye marcha droit vers lui.
-Voyons voire ce que le mioche nous a ramené, cette fois... lâcha-t-il. Assieds-toi.
Et de désigner l'un des tabourets libres à sa table - il en était le seul occupant.

[Manfred]

Kededric, accompagné de son si grincheux associé, avait donc quitté l’un des cartiers les plus pauvres des quais. Le voilà désormais dans une rue où florissaient les demeures de riches marchands. Le jour était désormais bien levé. Melandis s’était tout à fait éveillé et cela s’en ressentait. Il faisait beau et nombre de citadins étaient de sortie. La clameurs de voix nombreuses, les claquements des sabots des chevaux sur les pavés, les bruit de bottes des patrouilles du guet... la ville s’exprimait sans retenue. Un marché se tenait sur une place, non loin, ajoutant encore un peu d’effervescence. L’assassin, guidé par les instructions contenues dans son message crypté, bifurqua bientôt dans une venelle un rien plus paisible. C’était au fond de celle-ci que logeait Irène Beau-Saba, l’une des trois cibles de Griscieux. Sa demeure était un édifice haut de deux étages. Pas de parc, sa façade donnait directement sur la ruelle. D’autres bâtiments l’enserraient. Un homme en arme surveillait visiblement la porte d’entrée. En tout cas, il était appuyé contre le mur. Orchandelle, quant à lui, venait de remarquer un chat mort et il trouva ce spectacle absolument fascinant.

[Kededric]

C'était à prévoir : les cibles habitaient dans des quartiers autrement plus surveillés que le port ou les taudis, et leurs demeures étaient gardées. À tout le moins pour la première victime. Il faudrait probablement ruser pour entrer, car tuer le garde attirerait inévitablement l'attention. Or, il fallait rester discret, la tâche du peintre nécessiterait un temps sans doute assez long, malgré ses allégations. Une toile ne se peignait pas en cinq minutes, surtout du genre de celles qu'il avait pu voir dans le salon d'Orchandelle.

Il allait parler de cela avec l'artiste lorsqu'il vit que ce dernier s'intéressait de près au cadavre d'un chat. Drôle de type... Kededric aimait tuer, mais il n'avait pas une fascination aussi... dérangeante que Orchandelle pour les cadavres. Il était heureux que l'homme fût un artiste et non un guerrier, sans quoi, il aurait pu être réellement dangereux.

L'assassin choisit de laisser Orchandelle prendre son temps pour observer la pauvre créature roulée en boule inerte dans le caniveau. Il en profita pour imaginer une raison de se présenter au garde et pénétrer dans le domaine de sa maîtresse. Et il avait idée que la notoriété assez importante de Orchandelle en ville pourrait l'y aider.

[Manfred]

La notoriété de Blasius Orchandelle pouvait certes en séduire certains, mais assurément en révulser d’autres. Quant à savoir à quelle catégorie Irène Beau-Saba allait appartenir, c’était impossible pour l’instant. De cette riche commerçante, l’assassin ne savait rien. Quoi qu’il en soit, le garde restait à sa place et l’artiste détaillait toujours le chat mort. Si Kededric restait sur place trop longtemps, il risquait d’attirer l’attention car la venelle était presque déserte, contrairement à la rue qui y menait.

[Kededric]

Le garde ne le fixait pas encore, mais cela ne tarderait guère. Devait-il laisser Orchandelle admirer le chat plus avant ? Ou le brusquer un peu, au risque de le froisser et de compromettre leur mission ? Il décida qu'il valait mieux lui indiquer qu'il ne pourrait pas lui passer tous ses caprices, surtout s'il commençait si tôt.

"Nous sommes attendus, je crois. Dame Irène Beau-Saba n'aimerait pas que nous la fassions piaffer. Et puis... l'art nous attend", conclut-il, espérant le titiller sur ce dernier point.

Kededric fit mine de s'approcher de la demeure Beau-Saba. Il avait plusieurs possibilités en tête pour tenter de convaincre le garde de façon naturelle. Ensuite, il aurait évidemment la solution du sortilège pour le pousser à accepter de les laisser entrer, mais cela pouvait s'avérer délicat également. Et enfin, le meurtre pur et simple, mais ils devraient alors se presser pour accomplir leur tâche, et Orchandelle voulait de la minutie. Lui-même n'appréciait pas d'être obligé de travailler trop rapidement pour ce genre de mission. De l'organisation et de la rigueur, voilà ce qu'elle nécessitait.

[Manfred]

« J’espère bien que l’art nous attend et non un affreux gâchis de temps ! » répliqua Orchandelle, d’un ton pédant.

Cette pique lancée, il se tint silencieux, suivant Kededric. Voyant les deux hommes approcher, le garde de la porte se redressa très légèrement. Il portait une cotte de mailles ainsi qu’une cervelière. Son expression, son maintien, son attitude en générale prouvait qu’il n’était pas un arriviste. Non, cet individu savait se battre. L’air de rien, une de ses mains errait non loin de la poignée de son épée. Lorsqu’il s’exprima, ce fut avec une rudesse presque militaire :

« Vous êtes qui et vous voulez quoi ? »

[Kededric]

Orchandelle restait fidèle à lui-même. Mais au moins, il se mit à le suivre, ce qui était l'effet escompté...

Le garde ne semblait pas être né de la dernière pluie. Il allait falloir se montrer sous un jour engageant pour qu'il acceptât de les laisser entrer. Le problème était de savoir comment, lui, les percevait. Kededric avait sa petite idée, qu'il mit à exécution sans tarder. Il se concentra sur le garde, uniquement sur le garde, et entièrement sur le garde. Il étudia ses traits, son expression, sa gestuelle. Puis il fixa ses yeux, eux-mêmes rivés sur les deux arrivants. Kededric commença à les sonder intensément, cherchant à savoir.

Tout cela ne lui avait prit que le temps d'un battement de cœur ou deux.

[Manfred]

Alors il sut...
Il sut que le garde les avait vu dès leur arrivée dans la ruelle.
Il sut que le garde avait remarqué l’ébahissement d’Orchandelle et qu’il le prenait pour un probable dément.
Il sut aussi que le garde supposait qu’ils étaient d’autres fournisseurs étranges car Madame Beau-Saba n’arrêtait pas d’en avoir.
Il sut enfin que le garde avait fichtrement faim et qu’il espérait vite pouvoir manger quelque chose.

[Kededric]

Tant d'éléments ! Kededric n'en demandait pas tant... ils pourraient se faire passer pour des commerçants ambulants proposant des lotions pour la peau. En brodant un peu, bien entendu. Et si le garde avait faim, ils auraient une bonne occasion de le tenir à l'écart pendant que lui-même œuvrerait et qu'ensuite le peintre immortaliserait la mort. Délicieux oxymore...

"Bonjour, mon cher. Je ne voudrais pas vous faire perdre du temps... nous sommes marchands, et nous proposons à nos clientes des baumes pour soigner la peau, lui donner un aspect plus jeune et vigoureux. Nous aimerions donc savoir si dame Beau-Saba accepterait de nous recevoir quelques instants afin que nous puissions lui en parler plus en détail."

Il jeta un coup d'œil au peintre. Il fallait éviter qu'il ne sursautât devant le mensonge éhonté de Kededric. Aussi guettait-il sa réaction...

[Manfred]

Blasius Orchandelle se comporta merveilleusement bien. Il avait adopté une attitude joviale et le mensonge de son compagnon ne le fit pas sourciller. Sans doute avait-il quelques dons d’acteur. En tout cas, il ne fit rien qui aurait pu nuire au subterfuge de l’assassin. Le garde se frotta le menton, qui était rasé de près. Il ne fut pas long à répondre d’un ton nullement surpris :

« Des baumes vous dites... Un instant je vous pris. »

Il appuya sur une cordelette située derrière lui. On put entendre à l’intérieur du bâtiment une clochette tinter. Le garde s’était à peine détourner et demeurait vigilant. Il y eut des pas, puis la porte s’ouvrit, dévoilant un autre homme en arme.

« Ces gens vendent des baumes pour la peau », expliqua simplement le premier garde.

Son collègue hocha la tête et s’adressa aux prétendus commerçants :

« J’ose espérer que vous n’êtes pas des escrocs. Madame Beau-Saba n’achète que des marchandises de première qualité et suffisamment exotique, comme vous devez le savoir. Et elle a horreur de perdre son temps. Qu’est-ce que vos baumes ont de spécial ? »

[Kededric]

Le garde restait méfiant, ce qui était tout à son honneur. La dame devait lui avoir laissé des consignes strictes pour éviter d'être dérangée par des inopportuns... dans leur genre. Mais Kededric ne se laissa pas démonter et répondit, tout sourire :

"Je le conçois fort bien. Voyez-vous, nos baumes sont certes d'excellente qualité, mais en plus de cela, ils ont été fabriqués et améliorés à l'aide de procédés de magie mineure. De la transmutation, parfaitement. Non seulement, ils ont un effet apaisant immédiat sur la peau, mais ils donnent un éclat plus dynamique et ce de manière nettement plus pérenne. Je n'oserais pas affirmer qu'il s'agit d'une crème de jouvence, mais... nous n'en sommes pas loin, n'est-ce pas ?"

Il tendit la main vers l'un des récipients censés contenir un baume, dans la trousse de l'artiste, et l'ouvrit. Il fit mine de toussoter et de se racler la gorge, mais c'était afin de masquer l'incantation qu'il voulait lancer.

Kededric ---> sons illusoires ---> flacon de peinture

Très inspiré, l'assassin choisit de reproduire des sons envoûtants d'une sirène chantant langoureusement au large des côtes. Le volume sonore était faible, pour éviter que toute la rue n'entendit ces sons, mais aussi pour empêcher un vacarme assourdissant qui n'aurait rien de charmant, et passerait pour de la magie noire.

[Manfred]

À nouveau, Orchandelle ne fit rien de préjudiciable. Alors qu’en temps ordinaire il aurait probablement déversé un déluge d’insultes sur la misérable vermine qui aurait osé toucher à son si précieux matériel de si talentueux artiste, là il conserva un sourire radieux. Le garde debout dans l’encadrement, quant à lui, ne put réprimer un soupçon de surprise en entendant les douces notes sortir du flacon. Cela sembla le convaincre.

« Bon, suivez-moi. »

Tout en retrouvant son attitude maussade, il invita d’un signe les prétendus marchands à entrer, puis les guida au travers d’un hall et d’un corridor fort coquet. Irène Beau-Saba avait visiblement de gros moyen et beaucoup de goût. Elle aimait aussi les objets insolites comme en témoignait l’animal empaillé au milieu de son salon et dont l’espèce demeurait un mystère pour Kededric. La bestiole, plutôt volumineuse, tenait à la fois de l’aigle et du lézard, avec un soupçon de félin. Une espèce de chimère en somme.

« Attendez là, je vous prie », dit le garde.

Et il s’en alla par la porte d’en face. Les deux visiteurs pouvaient s’installer sur de confortables fauteuils. Un domestique, dans le couloir, restait sur place, apparemment pour surveiller. Blasius Orchandelle s’était mis à tout observer d’un air presque absent. Il ne dit mot.

[Kededric]

Ils se trouvaient à l'intérieur. Le plus délicat était fait, probablement, même s'il restait à garder les domestiques à l'écart de leur patronne pendant qu'il œuvrerait et qu'Orchandelle peindrait la mort de la dame. Là encore, il faudrait sans doute ruser, car Kededric doutait que dame Beau-Saba accepterait de les recevoir sans quelqu'un à proximité.

Mais l'assassin avait encore des idées en tête...

Il observait poliment l'intérieur décoré avec goût, sans trop se montrer curieux. Inutile de passer pour des rustres alors qu'ils étaient censés être habitués à ce genre de maisons bourgeoises. Kededric considéra son compère avec circonspection. Son calme apparent tandis qu'il baratinait tranquillement les gardes l'avait étonné, et l'artiste continuait à se montrer parfaitement patient. Pour l'instant... s'agissait-il d'une splendide maîtrise de lui-même ? Ou son caractère était-il simplement très volatile ? L'avenir le préciserait sans doute...

Pour l'heure, il ne leur restait qu'à attendre de voir comme la dame se comporterait vis-à-vis d'eux : avec défiance ou intérêt.

[Manfred]

L’attention de Kededric finit par être attirée par une plante en pot posée sur un buffet. Il s’agissait d’une simple pâquerette mais elle était d’une taille peu commune. Ce végétal insolite soulignait l’attrait de la Maîtresse des lieux pour les curiosités. L’assassin allait détourner les yeux lorsqu’il remarqua que la fleur le fixait. Car oui, elle le fixait. Son cœur jaune entouré de pétales blancs comportait deux petits yeux noirs et une bouche souriante, une bouche qui finit par se mouvoir.

« Bonjour ! Je suis Flowey, Flowey la fleur ! Tu veux de l’amour ? »

[Kededric]

L'assassin resta interloqué. De la magie, il connaissait. Des plantes... qui parlaient, moins. Il avait eu vent de certaines créatures aux origines végétales, mais à Melandis, la chose était probablement assez rare pour ne pas être trouvé sous le sabot d'un cheval. Et encore moins dans un salon de ce genre...

Avait-il consommé quelque aliment hallucinogène ? L'artiste l'avait-il ensorcelé d'une manière ou d'une autre ? Ou était-ce simplement son imagination qui lui jouait des tours ?

Kededric préféra ne pas répondre à la chose. S'il l'avait imaginée, de quoi aurait-il l'air, à parler tout seul à une pâquerette des plus banales ? Et puis, ses propos étaient abscons. De l'amour... une bonne friche, plutôt !

Il ferma les yeux quelques secondes. Et les rouvrit ensuite. La plante parlerait-elle encore ?

[Manfred]

Une plante ? Quelle plante ? Ha, peut-être s’agissait-il de ces roses élégamment disposées sur le rebord d’une cheminée de marbre. D’insolite, elles n’avaient que leurs couleurs. Point de visage, encore moins de mot. L’assassin avait sans doute été victime d’une hallucination et pourtant, il aurait juré le contraire. Blasius Orchandelle, lui, s’était mis à détailler la curieuse bête empaillée trônant au centre du salon. Il finit par se pencher pour chuchoter quelques mots à son collègue.

« L’inspiration me vient. Je veux que vous assassiniez la dame dans cette pièce. Je veux voir son cadavre chevauché l’animal empaillé. Ho oui, ce sera superbe, surtout si sa vêture s’accorde avec la ramure de la créature... »

Les yeux du peintre brillaient. Il en devenait presque effrayant tant sapassions morbide était palpable. Mais heureusement seul Kededric pouvait constater cela. Orchandelle savait être discret.

[Kededric]

Il secoua la tête, chassant de son esprit cette étrange apparition aussi soudaine qu'inexpliquée. Un moment de flottement, sans doute... une fleur qui parlait, quelle idée absurde !

Orchandelle le ramena à la réalité lorsqu'il lui exposa sa façon de voir les choses. Assassiner la dame ici... c'était bien sûr possible, mais il faudrait convaincre les domestiques d'aller regarder ailleurs pendant ce temps-là. Ou, évidemment, s'assurer qu'ils ne pourraient pas témoigner plus tard de ce qu'ils pourraient voir ici. C'était sans doute le plus prudent ; si les gardes restaient tranquillement en faction au-dehors, les serfs, eux, pouvaient fort bien perdre tout leur sang quelque part dans la cave.

Kededric ne répondit au peintre que par un hochement de tête. Inutile de trop attirer l'attention en évoquant à voix basse un futur meurtre dans la demeure... Orchandelle paraissait excité, maintenant. Un bon point : il resterait concentré là-dessus et oublierait peut-être le reste, à savoir ses accès d'humeur un peu trop prononcés.

[Manfred]

L’avenir allait le dire. En attendant, la demeure étant plongé dans un paisible calme, Kededric n’eut aucun mal à entendre des pas se rapprocher. C’était le garde qui leur avait servi de guide qui était de retour.

« Messieurs, Madame Beau-Saba n’a pas le temps de vous recevoir pour l’instant. Une affaire urgente nécessite son attention. Néanmoins, elle vous fait savoir que ce que vous avez à proposer pourrait l’intéresser. Elle vous invite à revenir en soirée. J’ai ordre de vous reconduire dehors. Veuillez me suivre. »

Orchandelle tiqua. Mon dieu, mais quelle magistrale perte de temps !!!

HRP : jet de chance effectué et magistralement raté.

[Kededric]

Kededric devait bien avouer ne pas s'être attendu à un contretemps de cet ordre. En soirée... il était marri. Sa première pensée fut de vouloir s'en prendre à l'ensemble des personnes ici, dans cette maison, mais il savait qu'il aurait tort de réagir de cette façon : l'alerte serait trop rapidement donnée, et ils n'auraient pas le temps d'agir comme Orchandelle le désirait. Néanmoins, l'envie le titillait...

Il se leva et, prenant une brève inspiration, répondit de la manière la plus courtoise qu'il le pouvait étant donné les circonstances :

"Cela ne fait rien ! Nous avons fort à faire de notre côté. Mais nous pourrons revenir ce soir même pour honorer votre maîtresse."

Il se tourna vers le peintre, comme pour l'inviter à accepter le mauvais sort et prendre leur mal en patience.

hrp : le Père Noël n'a pas été gentil avec moi, il risque de sanglantes représailles...

[Manfred]

HRP : malheureux, serais-tu en train de me menacer ?

L’effort que dû fournir Orchandelle pour se contrôler n’échappa pas à Kededric. Ce devait être terrible pour lui de renoncer, temporairement, à la perspective d’un superbe tableau. Il parvint à garder le silence jusqu’au moment de se retrouver dehors. Là, sitôt sorti de la ruelle, sitôt hors de vue du garde de la porte, il explosa. Son teint avait viré au cramoisi et elle serrait les poings si fort que ses jointures blanchissaient.

« Misérable garce ! Comment ose-t-elle me faire perdre mon temps ? À moi ? À moi ?!! Et vous, ne pouviez-vous ne rien faire ? Sombre incompétent ! Mon élan artistique est brisé ! Vous ne pouvez pas imaginer le préjudice que je subis ! »

Quelques passants, intrigués, se retournaient pour voir cet homme hors de lui. Que diable se passait-il ?

[Kededric]

Palsambleu, voilà qu'il explosait au beau milieu de la rue, devant des témoins ! Au moins n'avait-il pas évoqué de meurtre. Quoiqu'assassiner la dame l'aurait sans doute calmé, lui aussi. Toute cette affaire commençait à le rendre nerveux, probablement à cause du caractère très explosif de l'artiste.

Kededric s'affaira donc à lui faire éviter le pire.

"Chut, voyons !", fit-il tout bas. "Élan brisé ou pas, nous n'avons pas le choix. Et cessez de hurler, vous allez attirer l'attention sur nous ! Venez !" Il le tira fermement mais sans brusquerie vers un endroit moins peuplé, avant de poursuivre un peu plus tranquillement. "Nous ne pouvons pas tuer tout ce qui bouge. Si l'alerte est donnée, vous n'aurez jamais le temps de terminer votre toile... et la scène sera perdue à jamais. Il faut que l'occasion soit propice, et non saisie dans la précipitation. Et si nous avions insisté pour voir la dame, les gardes se seraient méfiés aussitôt. Ne doutez pas qu'ils soient tout de même moins benêts qu'ils ne le laissent paraître. Il faut jouer le jeu... jusqu'au bout. La conclusion n'en sera que plus savoureuse, croyez-moi."

Il acheva son petit laïus en observant les alentours. Pas question d'éveiller les soupçons.

hrp : je ne crains rien ni personne !

[Manfred]

HRP : Ha, vraiment ? Et bien c’est ce qu’on va voir.

Blasius Orchandelle semblait se débattre entre sa nature caractérielle et le semblant de raison qu’il devait bien lui rester quelque part dans un coin de son esprit. Il fixait Kededric comme s’il cherchait à le transpercer par l’intensité de son regard.

« Vous ne comprenez pas, cracha-t-il. L’art a ses raisons propres, ses impulsions, ses élans ! Y déroger, c’est s’écarter de la perfection ! J’avais une image en tête, une idée superbe, mais l’aurais-je encore ce soir ? Sera-t-elle aussi pertinente, aussi profonde, aussi exaltante ? Et puis même, au-delà de ces considérations supérieures et impérieuses, qu’allons-nous faire jusqu’à ce soir ? C’est une catastrophe, une catastrophe ! »

Il était si catastrophé qu’il en pleurait presque. Son cinéma finit par attirer plus que des coups d’deuils curieux. L’assassin aperçut une charmante demoiselle se diriger vers eux. Des cheveux d’or, des yeux d’un bleu profond, un teint délicat, une expression de pure innocence, une poitrine attirante, mais une tenue très sobre... pour un peu, il était possible de prendre cette dame pour un ange tombé du ciel.

« Messieurs, quelque chose ne va pas ? Je peux, peut-être, vous aider ? »

Sa voix était comme une caresse.