[Habitations] Quartier d'habitation

[Althéa]

Séraphin la regarda avec stupeur durant quelques secondes mais ne se permit aucune remarque. Le juge Doyle revint et elle n'était pas seule. Meridith était accompagnée d'un homme d'une trentaine d'années. Plutôt grand, les pomettes hautes, les cheveux châtains légèrement ondulés. Ses vêtements bien taillés laissaient à penser qu'il gagnait bien sa vie, ce qui était le cas de ceux qui l'entouraient à bien y regarder. Il étudia la nouvelle venue pendant quelques secondes avant de s'approcher d'elle, la main tendue.

"Bonjour. Je m'appelle Dimitri. Le juge Doyle m'a dit que vous aviez besoin de voir un avocat."

Il eut un petit sourire. Louison grogna.

"Arrête ! Tu vas finir par lui faire peur.
- Commençons-nous ou attendons-nous demain ?", demanda le juge Doyle.

[Echo]

Chance fit disparaître les dernières miettes de biscuits dans sa main avant de saisir celle de son interlocuteur. Il semblait assez sûr de lui mais cela n'eut pas l'air de bouleverser la tieffeline outre mesure ; il lui faudrait un peu plus que de jolis vêtements pour la déstabiliser. Il aurait sûrement de meilleurs résultats avec une série de questions gênantes, et elle ne doutait pas que ces dernières ne tarderaient pas à être posées.

- Chance.

Les présentations à peine terminées, le juge Doyle montra une fois encore qu'elle n'était pas du genre à tourner autour du pot. La tieffeline appréciait cela.

- Très bien, commençons.

[Althéa]

Le juge Doyle se leva.

"D'accord. Je vais donc quitter la pièce. Quand je reviendrai, je serai simplement juge. On annoncera la cour et vous devrez vous lever. Ne me demandez pas pourquoi, c'est dans le protocole. Dimitri, vous représenterez la défense et Meridith la partie adverse. Chance serez donc avec Dimitri. Louison, tu seras le greffier. Si vous voulez bien disposer les chaises comme il se doit pendant mon absence."

Elle sortit donc.

"Je pense qu'elle va être terrible.", souffla Meridith.


Elle, Louison et Dimitri disposèrent donc deux chaises d'un coté, deux autres de l'autre. Une autre qui leur faisait face pour que le juge Doyle puisse s'asseoir. Dimitri et Chance prirent place sur une des rangées.

"Vous êtes prêts ?", demanda le juge Doyle depuis le couloir.

[Echo]

Cette simulation s'annonçait drôlement réaliste. Tout le monde se prêta au jeu avec beaucoup trop de sérieux, si bien qu'elle oublia un instant que le destin d'Arthemis ne se jouait pas aujourd'hui. Il fallait qu'elle garde ça à l'esprit, sinon la tentation de partir en courant serait bien trop tentante.

- Prêts, annonça Chance une fois qu'ils furent tous à leur place.

[Althéa]

Doyle entra sans attendre. Les avocats dans la pièce, plus sérieux que des helmites se levèrent à l'unisson. La juge resta debout quelques secondes et après un léger signe de tête prit place sur sa chaise.

Louison expliqua à Chance.

"Là, normalement, on lance un sort de vérité qui couvre toute la salle d'audience puis on demande aux gens de prêter serment.
- Veuillez décliner votre nom, prénoms, âges et professions.", l'interrompit Doyle.

[Echo]

- Ah.

Un sort de vérité, sérieusement ? Mauvaise nouvelle. Comment était-elle supposée gagner le procès si elle devait dire la vérité ? Il n'y avait plus qu'à espérer que les questions qu'on lui poserait ne nécessiteraient pas de mensonges. Oui, on pouvait toujours rêver.

La tieffeline se racla la gorge.

- Je m'appelle Chance. J'ai... une vingtaine d'années, je suppose.

Elle ne savait pas exactement l'âge qu'elle avait, et elle doutait de l'avoir jamais su.

- Aucune profession, ajouta t-elle ensuite. Elle se demanda si cette réponse passerait lors du véritable procès ; mais ce n'était que la vérité après tout.

[Althéa]

Si Doyle sembla quelque peu tiquer sur l'absence de profession, elle n'en dit cependant rien, préférant enchaîner sur l'interrogatoire.

"Pouvez vous me dire quel est votre lieu de résidence, Chance ? Et dans quelles circonstances avez vous rencontré Arthemis de Lenclos ?"

A coté d'elle, Dimitri et Meridith attendaient ses réponses, concentrés.

[Echo]

[Ceci est mon 1000ème message.]

- Vous voulez dire mon lieu de résidence actuel ?

Non, elle voulait sûrement parler de l'endroit où elle vivait avant de venir à Manost, mais cela l'arrangeait de faire comme si elle n'avait pas vraiment compris la question. On était roublard ou on ne l'était pas. Elle aurait pu mentir mais autant s'habituer dès maintenant à ne pas dire toute la vérité, puisque c'est ce qu'elle serait contrainte de faire lors du vrai procès.

- Je suis arrivée en ville aujourd'hui alors je crois qu'on peut dire que je n'ai pas de résidence.

Elle soupira.

- Et avant ça, je cherchais à fuir la guerre. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas passé deux nuits de suite au même endroit. Lorsque j'ai rencontré Arthemis, j'avais trouvé refuge chez une habitante de la région.

[Althéa]

Félicitations

Doyle sembla tiquer quelque peu mais ne posa pas d'avantage de questions. Après tout, de nombreux réfugiés avaient franchi les portes de Manost.

"Pourriez vous me raconter les circonstances exactes dans lesquelles vous avez rencontré l'accusée. Où vous vous trouviez et ce que vous faisiez ? Soyez la plus précise possible si vous le voulez bien."

[Echo]

Chance sembla sourire à une plaisanterie connue d'elle seule. Elle se souvenait dans les moindres détails des quelques minutes qui avaient précédé sa rencontre avec Arthemis mais elle doutait que le juge Doyle ait vraiment envie de l'entendre les décrire "le plus précisément possible". Et c'est justement pour cette raison qu'il était tentant de lui répondre dans lui faire aucune cachotterie, cette fois. C'était aussi une occasion de fêler le masque de sérieux qu'ils portaient tous.

- Voyons... Il me semble que je venais tout juste d'embrasser un barde. C'était drôlement agréable ! Et une fois fini, je me suis dit que ce serait une bonne idée de recommencer exactement la même chose, mais avec la langue cette fois.

Tout sourire, elle observa leur réaction. Puis elle reprit avec plus de sérieux :

- Mais je n'ai pas eu le temps. On a entendu un cri et on est descendu voir ce qui se passait. Arthemis était là, traînant sa sœur derrière elle pour la mettre à l'abri. Trop tard...

[Althéa]

Si Louison lança à Chance un regard quelque peu envieux, Doyle pinça les lèvres.

"Je me permets de vous interrompre. Ne dites jamais que vous dites que vous embrassez qui que ce soit au tribunal. A Manost, cela fait partie de la sphère privée. On embrasse à l'abri regards. On évite même de se tenir la main en public, voyez-vous alors les baisers. Quant aux bardes à part les non agréés, ils ne sont pas très bien vus en ville. Peut-être pouvez-vous vous dispenser d'expliciter trop ces détails."

[Echo]

- Quelle ville charmante ! Personne n'est jamais mort d'ennui ?

Alors ça, c'était une découverte pour le moins étonnante : les manostiens n'avaient pas d'humour. Bon, en réalité, elle s'en était un peu doutée, elle n'avait juste pas réalisé à quel point c'était vrai. À ce rythme, elle n'allait pas survivre jusqu'à la fin du procès. Elle commençait à comprendre pourquoi Louison rêvait en secret que quelqu'un l'emmène loin d'ici, elle aurait certainement souhaité la même chose à sa place.

Elle poussa un long soupir et leva les yeux aux ciel.

- Bien évidemment que je ne parlerai pas de ça pendant le procès. J'ai bien compris qu'il ne fallait pas vous brusquez, vous autres manostiens, railla t-elle.

Voilà qu'elle était en colère maintenant, et elle ne chercha même pas à s'en cacher. L'atmosphère se fit soudain glacial.

- Bon, finissons-en vite avec tout ça, il me tarde de partir d'ici.

[Althéa]

Une seconde, elle surprit le petit sourire de Louison puis l'air interloqué de Doyle qui laissa passer l'orage sans broncher ni ployer. Elle ne parla pas tout de suite et Chance devina qu'elle cherchait ses mots.

"Je comprends que l'exercice soit difficile. Moi aussi, j'aurais préféré en rire. Mais une jeune femme est menacée de mort. Votre aide est on ne peut plus providentielle. Grâce à votre témoignage, nous pourrions démontrer qu'Arthemis a fait son devoir de soldat en venant en aide à deux civils ce qui annulerait l'accusation de désertion. Vous avez l'air d'avoir du caractère et c'est tant mieux car je pense qu'il en faudra devant les juges. Ils feront tout pour vous déstabiliser croyez-moi. Parce que nous avons perdu la guerre et que l'armée cherche à faire un exemple, une personne pour cristaliser sa déception ..."

[Echo]

Chance prit elle aussi son temps avant de répondre, visiblement aux prises avec sa colère. Mais les mots du juge Doyle firent leur chemin. Des mots qu'elle aurait aimé entendre plus tôt, histoire de mieux cerner la situation.

Elle avait imaginé que cette condamnation à mort n'était rien de plus que ce qu'elle était : une application stricte des règles, au mépris du reste, comme le fait que la personne condamnée n'était coupable que d'avoir cherché à protéger une personne chère. Et cela n'avait rien d'étonnant que ce genre de choses arrivent à Manost.

Mais si la condamnation d'Arthemis était motivée par autre chose que la bête application des lois, alors cela changeait... peut-être pas tout, mais quelque chose.

- Je comprends.

En revanche, elle ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Manost renoncerait-elle à faire d'Arthemis un bouc émissaire ?

- Je pensais qu'Arthemis était juste la victime d'une justice beaucoup trop zélée. Et pire encore, j'avais l'impression que vous attendiez de moi que j'y fasse quelque chose, alors que vous êtes tous manostiens et que vous avez tous votre part de responsabilité si la justice marche sur les mains et tue des gens que vous aimez. Ou les empêche de vivre comme ils l'entendent.

Cette dernière réplique visait directement le juge Doyle dont le fils était obligé de se cacher pour être lui-même.

[Althéa]

Le juge Doyle hocha pensivement la tête.

"Vous avez raison sur beaucoup de points. J'ai l'impression que vous êtes intelligente et comprenez tout très vite. Quant à notre justice ... Il y a malheureusement un décalage entre ce que nous préscrivons en tant que tyrite et le pouvoir en place. Nos dirigeants sont helmites, ne l'oubliez pas. Mais les temps sont en train de changer. Helm est mort et Torm a pris sa place. On murmure aussi que la Cavalière Rouge cherche à installer son pouvoir en ville. Cela fait beaucoup de forces en présence. C'est à celui qui se distinguera le plus ... C'est une bien sombre période ..."

[Echo]

- Sombre mais propice au changement.

Changement n'était pas synonyme d'amélioration mais Chance ne voyait pas la mort de Helm comme quelque chose de négatif, et ce malgré le chaos que cela avait engendré. Et, quelque part, être témoin des changements qui s'opéraient dans cette ville austère rendait son séjour presque supportable. "Presque", parce que Torm et la Cavalière Rouge étaient des dieux au moins aussi ennuyeux que Helm. Décidément...

- Bien, reprenons. Nous avons un procès à gagner.

[Althéa]

Le juge Doyle eut un petit sourire et hocha la tête. Elle semblait un peu moins gardée, comme si la discussion lui avait fait du bien.

"Donc nous étions aux circonstances qui ont fait que vous avez rencontré Arthemis et qu'elle a décidé de vous escorter jusqu'à Graëlon. Cette phase là est importante. La moindre faille risque d'être utilisée par la partie adverse."

[Echo]

Chance abandonna sa posture de défiance également et la tension retomba aussi vite qu'elle était montée.

- Comme je l'ai dit, elle a débarqué un soir dans la maison où on s'était réfugié. Sa sœur était déjà morte lorsqu'elle est arrivée et elle a été obligée de... d'enterrer son corps dans le jardin. Et comme vous vous en doutez, elle ne s'est pas précipitée au combat après ça. Mais c'est seulement le lendemain matin que j'ai eu l'occasion de lui parler. Je lui ai dit qu'on avait l'intention de se rendre à Graëlon et elle n'a pas hésité à nous accompagner.

Elle fit une pause et hésita à ajouter quelque chose. Finalement, elle reprit :

- Pour être tout à fait honnête avec vous, notre sécurité n'était sûrement pas sa seule motivation. Je crois surtout qu'elle avait l'intention de revenir vivante auprès des sœurs qui lui restaient. J'imagine que c'est le genre de chose à ne pas dire pendant le procès ?

[Althéa]

Doyle jeta un léger coup d’œil à Louison dont le regard se perdit quelques secondes du coté de la fenêtre avant de répondre.

"C'est effectivement un point de vue que nous pouvons omettre. Plus nous présenterons Arthemis comme un soldat prêt à faire son devoir plus nous la rendrons honorable. De nombreux manostiens sont partis en laissant derrière eux des enfants, des frères, des parents ou des compagnons. Arthemis est la seule à être jugée pour désertion ..."

[Echo]

Ne pas mettre l'accent sur le côté humain d'Arthemis mais sur son côté héroïque, bien, cela ne devrait pas être trop compliqué. Après tout, son comportement avait été suffisamment honorable pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en rajouter des tonnes.

- Alors tout le monde sera ravi de savoir qu'elle n'a pas hésité à faire demi tour pour aider la famille qui nous avait hébergés lorsqu'elle a vu qu'un groupe de mélandiens se dirigeait vers leur maison ?

[Althéa]

"Ma soeur, c'est la meilleure !", s'exclama Louison.

Doyle se tourna brièvement vers elle, ce qui suffit à la calmer. Penaude, elle baissa la tête avant de s'excuser sans remarquer que la juge souriait.

"Ce serait parfait. C'est ainsi que les manostiens aiment leurs soldats. La partie adverse ne trouvera sûrement rien à redire là-dessus."

[Echo]

Finalement, nul besoin d'inventer des histoires pour espérer gagner le procès, c'était rassurant.

Chance leur conta ensuite le reste de leur voyage. Ce dernier se passa sans incident notable, du moins jusqu'à ce qu'ils arrivent aux portes de Graëlon et qu'Arthemis soit mise aux arrêts.

Mais une autre question la taraudait et elle osa finalement la poser :

- Entre nous, et tout à fait honnêtement, vous ne pensez pas que mon... apparence risquerait de jouer contre nous ?

[Althéa]

Doyle considéra Chance un long moment avant de répondre.

"Je ne sais pas. Avec d'autres vêtements et une autre coiffure cela devrait passer. Les manostiens ne sont pas très regardants sur l'apparence tant que vous ne sortez pas trop de ce qu'ils ont l'habitude de cotoyer. Avec tous les éléments nouveaux que vous venez d'apporter, je suis convaincue que tout se passera bien."

[Echo]

- Si vous le dites.

Chance ne sortait donc pas trop de ce que les manostiens avaient l'habitude de côtoyer ? Elle avait un léger doute à ce sujet et ne pensait pas vraiment qu'une coiffure y changerait quoi que ce soit. Mais soit, si le juge Doyle était confiante, elle n'avait pas de raison de ne pas l'être elle aussi.

Il lui semblait avoir fait le tour de son témoignage, elle attendit donc les éventuelles questions qu'on pourrait lui poser.

[Althéa]

Doyle interpréta son silence avec justesse car elle enchaîna.

"Je ne vois pas trop sur quoi la partie adverse pourrait porter son attaque mais ils trouveront sûrement. Peut-être vous interrogeront-ils sur l'endroit d'où vous veniez quand vous avez rencontré Arthemis mais je n'y crois pas spécialement. Il va de soi qu'ils voudront rencontrer le barde qui voyageait avec vous pour être sûr que son témoignage est en adéquation avec le vôtre. Il me semble important que nous le rencontrions."

Louison hocha la tête les yeux soudain brillants.

[Echo]

A l'évocation d'Elzen, son visage se ferma.

- Non.

Elle aurait du s'y attendre ; pourquoi se contenter de son témoignage alors qu'ils étaient deux à savoir ce qu'il s'était passé ? Mais l'idée d'entraîner Elzen dans cette histoire ne la réjouissait guère. Il n'était pas mélandien mais il avait servi dans l'armée, et ça, c'était pire. Elle ne doutait pas que les questions qu'on lui poserait finiraient par porter là-dessus, et puisque mentir avec ostentation était exclu... Non, elle devait éviter que cela arrive.

[Althéa]

La juge Doyle eut l'air franchement surprise.

"Non ? Chance, vous êtes intelligente et savez sûrement que deux témoignages valent mieux qu'un. La partie adverse se demandera sûrement pourquoi il n'est pas venu à la barre. Cela leur paraîtra suspect. Ils pourraient très bien interpréter son silence par un désaccord avec votre version des faits. De quoi avez-vous peur ?"

[Echo]

La tieffeline baissa les yeux, mal à l'aise.

- Je n'avais pas envie de le mêler à ça. Vous ne pouvez pas me promettre que ça se passera bien, il pourrait...

Elle soupira.

- Comprenez bien qu'avoir affaire à la justice manostienne ne faisait pas vraiment parti de nos projets. Je n'ai pas envie de lui créer des ennuis, d'accord ? Mais si les questions qu'on lui posera seront exactement les mêmes que celles que vous m'avez posées, alors peut-être... peut-être que ça ira. J'imagine que vous pouvez au moins le rencontrer, concéda t-elle à regret.

[Althéa]

"J'aimerais bien.", souffla Doyle quelque peu ennuyée.

Elle avait visiblement surpris le malaise de la jeune barde et n'y était pas insensible.

"Nous verrons ce qu'il nous sera possible d'envisager. Quand pourrais-je le voir ?"

[Echo]

Chance hésita.

- Demain ? proposa t-elle. Je dois d'abord lui en parler.

Et il accepterait sûrement sans broncher, le connaissant. N'avait-il pas proposé de s'en charger à sa place dès le début, après tout ?