[Lieu] Les habitations du Quartier Ouest

[Chandara]

Chandara esquissa une grimace compatissante et entrevit tout de même une ouverture dans ce que venait de lui révéler Victoria. Elle parla d'un ton sincère en la regardant dans les yeux :

- Non, loin de moi l'idée de réclamer quoique ce soit en un jour qui devrait être heureux pour vous : ce serait cynique et blasphématoire en plus d'être voué à l'échec. Sans vouloir vous vexer, je ne me soucie pas de m'attirer les bonnes grâces de votre père dont je ne connaissais même pas l'existence il y a une heure à peine... Non, si je voulais vous parler, c'est parce que j'ai rencontré un jeune-homme en détresse qui s'est épris de vous et que je m'intéresse à votre sort à tous les deux.

[Galathée]

" Ah. Vous avez vu Colin."
Elle poussa un profond soupir.
" Il ne comprend pas que parfois... Il y a des impératifs plus puissants que le coeur."
Elle laissa son regard courir sur l'effervescence qui régnait dans la cour, puis revint à Chandara.
" Il doit être dans un état plutôt moche, je suppose."

[Chandara]

Chandara jaugea un instant la jeune-femme mais elle avait bien trop conscience que cette petite bulle de calme et d'intimité était des plus fragiles et temporaires. Elle ne voulait pas jouer la carte de l'apitoiement concernant Colin mais elle ne voulait pas non plus mentir à Victoria sur ce point : elle avait déjà été bien trop souvent tangente avec la vérité ce jour-ci :

- Oui, il était plutôt désespéré quand je l'ai rencontré dans la rue...

Inutile de s'attarder, en revanche, sur sa tentative de suicide et ses menaces de recommencer...

- Pardonnez-moi si je vous parait présomptueuse mais j'ai l'impression que ce mariage ne vous remplit pas de joie. J'ai un peu l'impression que ce n'est pas vraiment votre choix, qu'on vous l'a imposé...

[Galathée]

La carrosse s'était mis en marche vers le portail de la propriété, un équipage le précédant, un autre le suivant. Victoria eut un léger sourire.
" On me l'a imposé... d'une certaine manière, oui. Mais mon promis n'est pas un mauvais homme, pas du tout. Il n'est pas aussi mignon que Colin, mais c'est assurément un meilleur parti. Et il a les faveurs de ma famille, mon père en premier lieu. Alors même si ce n'est pas l'homme que j'aurais choisi... il convient vu les circonstances. C'est ça que Colin refuse de comprendre."

[Chandara]

C’était donc bien un mariage de raison et Victoria semblait en avoir pris son parti, confirmant ainsi ce qu’elle avait appris auprès de la nourrice sur l’éducation que la jeune-femme avait reçue en la matière.

Mais tout cela heurtait les conceptions romantiques que Chandara s’était faite d’un mariage, de l’importance de choisir soi-même un homme pour partager sa vie sans se soucier qu’il soit un parti acceptable ou non. Elle savait pourtant que confronter brutalement Victoria à sa propre vision n’aboutirait probablement qu’à une impasse. Il fallait trouver un autre angle d’approche et s’assurer que Victoria avait bien mesuré toute la portée de sa décision – même si elle n’était pas la sienne à l’origine :

- Vous avez sans doute eu tout le temps nécessaire pour réfléchir à votre situation et je me rends bien compte que je débarque à l’improviste… Mais avez-vous écouté votre propre cœur, vos propres aspirations ? J’ai l’impression que les étouffer pour accepter un mariage raisonnable n’est pas une bonne idée. Certes, vous garderez la faveur de votre famille, votre mode de vie et c’est important bien sûr. Mais je ne crois pas que cela puisse vous rendre heureuse. Et que vous le soyez me semble être le plus important. Il faut que vous pensiez à vous avant tout, sans penser à Colin, à votre père, à votre fiancé ou à personne d’autre.

[Galathée]

Victoria eut un sourire un peu triste.
" Je peux vous poser une question, à vous ?"
Elle n'attendit pas la réponse.
" Est-ce que vous aimez vos parents ? Est-ce que vous avez envie... qu'ils soient fiers de vous ? Qu'ils vous soutiennent ?"

[Chandara]

Chandara comprit où elle voulait en venir mais elle ne chercha pas à biaiser la question : elle se devait de se montrer honnête avec Victoria, elle ne voulait pas risquer d'influencer ses choix par la rouerie. Alors, elle répliqua sur un bref sourire :

- Oui, bien sûr : je les aime beaucoup. Et j'ai la chance qu'ils m'aiment eux aussi en retour. Même si certains de mes choix ne leur ont pas plu. Oui, je suis privilégiée qu'ils aient été compréhensifs et qu'ils aient songé à mon bonheur en premier lieu...

[Galathée]

Victoria acquiesça.
" Avez-vous un prétendant ? Un fiancé ? Que feriez-vous s'ils étaient convaincus — vos parents — que ce n'est pas la bonne personne pour vous ? Que vous vous laissez guider par des sentiments qui s'étioleront dans quelques années ? Qu'il ne vous rendra pas heureuse parce qu'il a beau avoir un sourire enchanteur et des paroles douces à l'oreille, il ne sera pas capable de vous apporter ce dont vous avez besoin au quotidien ? Que feriez-vous si... le jugement de vos parents avait toujours été sans failles, jusque là ? Ne les écouteriez-vous pas ? Seriez-vous persuadée, absolument persuadée, que vous savez mieux qu'eux ce qui est bon pour vous ?"

[Chandara]

Chandara ne put s'empêcher de sourire d'un air rêveur en songeant à Arthur mais elle revint rapidement à la réalité du moment : c'est de l'amour de Victoria qu'il était question. Cela lui faisait étrange de se sentir investie du rôle de conseillère en la matière : c'était une énorme responsabilité et elle ne s'en sentait pas pleinement légitime... Elle fit néanmoins de son mieux pour répondre aux questions de la luménienne :

- Oui, j'ai un prétendant. Je ne pense pas qu'il déplairait à ma famille mais si c'était le cas, je ne pourrai pas faire autrement que de l'aimer. Est-ce que vous ressentez ça pour Colin ? Si c'est le cas, je crois que vous devriez en tenir compte. Je crois qu'il nous appartient, en tant que femme, de prendre des risques, de faire parfois nos propres erreurs. Nos parents ne peuvent pas nous enseigner ce que sont ce genre de sentiments, c'est à nous de le découvrir. Vous ne devriez pas penser à ce qui pourrait advenir de cet amour : un amour se vit. Puis parfois se fane. Mais ce n'est pas toujours le cas !

[Galathée]

Victoria paraissait sceptique.
" Vous le pensez vraiment ? Vous trahiriez ainsi vos parents ? Leur causeriez du chagrin ? Prendriez le risque de ne plus les revoir ? Pour... un élan du coeur ?"
Elle secoua la tête.
" Vous êtes aussi... frivole qu'une Sunite. C'est de l'égoïsme pur. Je ne suis pas comme ça. Perdre l'amour de mon père me serait insupportable."

[Chandara]

La vigueur de la réponse la fit hésiter un instant. Elle ne mesurait pas à quel point Victoria pouvait se sentir proche de son père mais elle aurait pu s'y attendre étant donné la perte de sa mère... Cela entama un peu son assurance - par crainte de lui donner des conseils égoïstes comme la luménienne le soulignait si bien - et elle prit le temps de réfléchir. Pouvait-on sacrifier son amour pour faire plaisir à quelqu'un de très proche ? N'était-ce pas se trahir et même trahir son lien avec cette personne ? N'était-ce pas y faire peser une trop grande responsabilité de ne pas assumer ses propres choix de peur de blesser ? Elle se tourna à demi pour plonger son regard dans celui de Victoria :

- Ce n'est pas frivole ou égoïste de choisir de vivre plutôt que de s'effacer. Je crois que ce serait entretenir une fausse image de vous-même de vous marier uniquement pour cette raison. Votre père semble vous aimer et vous pouvez vous en réjouir : c'est loin d'être donné à tout le monde. Mais s'il vous aime, c'est pour ce que vous êtes et non pas pour ce qu'il voudrait que vous soyez. Et même s'il sera certainement en colère ou déçu que vous ne suiviez pas ses conseils, il finira par se souvenir pourquoi il vous aime. Je suis peut-être naïve ou même frivole mais je ne peux pas croire qu'il puisse en être autrement.

[Galathée]

" Je ne sais pas, dit Victoria. Je n'ai pas suffisamment confiance en les élans de mon coeur. Je connais bien des personnes qui se sont amourachées à tort... et j'ai confiance, par contre, dans le jugement de mon père. Il a de l'expérience, il a connu bien des hommes... S'il pense que le fils de Dame Garnell me conviendra... Il a peut-être raison. Choisir c'est renoncer, vous savez... Cette histoire... Ça m'a fait réfléchir à mon lien avec Colin... et je me dis que c'est peut-être bien une relation de gamine... et que je suis mûre pour devenir une femme."
Elle haussa les épaules, la mine bien plus vulnérable que cinq minutes plus tôt.
" L'homme que vous aimez... C'est le premier ? Je veux dire... Vous ne vous êtes jamais amourachée de personne, avant ?"

[Chandara]

Chandara s'efforça d'afficher un sourire encourageant et réconfortant d'autant plus qu'elle avait conscience d'avoir ébranlé les certitudes de la jeune-femme et qu'elle ne s'en sentait pas particulièrement fière :

- Oui, mon prétendant est la première personne pour laquelle je ressens un sentiment si fort... Mais je pense que chaque expérience est particulière et personnelle en matière d'amour. Je crois que la question que vous devriez vous poser est si vous ressentez ou non la même attirance pour votre fiancé. C'est certainement un bon parti et quelqu'un de gentil mais vous allez partager bien plus qu'une amitié avec lui. Vous aurez sans doute des enfants aussi : se marier ne doit pas être une décision à prendre à la légère. Ecouter vos proches est naturel et sain mais la décision finale doit vous appartenir. Avez-vous passé du temps avec votre promis ? Qu'avez-vous ressenti avec lui ?

[Galathée]

" Je ne le connais pas bien, dit Victoria, mais les gens disent qu'il est intelligent, honnête et travailleur. Je ne suis pas certaine que les amants fantasques fassent de bons maris. Tous ces artistes, par exemple... Ils sont beaux, ils parlent bien, mais dès qu'il s'agit de s'engager, oups, ils disparaissent ! Donc franchement... Je serais bien la dernière à juger de ce jeune homme avant de l'avoir vu à l'oeuvre. Je ne l'aime pas, mais ça ne veut pas dire que je ne l'aimerai pas. Colin... Je l'aime sans doute aujourd'hui, mais je ne suis pas certaine que je l'aimerai demain. Sa situation financière, déjà, est déplorable, et je me connais... l'odeur de poisson finira par me rendre folle."
Elle eut un sourire mutin.
" Mais sous les draps, c'est quelque chose, c'est sûr."

[Chandara]

Avant de rencontrer des Sunites et surtout de ressentir des sentiments puissants pour Arthur qu'elle parvenait à contrôler à grand peine en sa présence, Chandara aurait probablement rougi de deviser ainsi de la vie intime d'une inconnue.

Victoria ne semblait pas inexpérimentée en la matière et il paraissait évident qu'elle recherchait autre chose qu'un amour de jeune-fille. Il fallait bien sûr en tenir compte pour s'assurer de lui donner de bons conseils.

- C'est sûr qu'il ne parait pas très riche mais il m'a donné l'impression d'être quelqu'un de passionné. Il avait l'air très attachée à vous mais je crois qu'il n'est plus celui que vous recherchez : est-ce que cela fait longtemps qu'il est votre amant ? Et est-ce que vous imaginez le revoir ? Je sais que ça fait beaucoup de questions et qu'elles sont terriblement indiscrètes...

[Galathée]

Le carrosse cheminait désormais dans les rues encombrées du quartier du port. Les badauds s'écartaient sur son passage. Victoria n'y prêtait guère attention.
" J'imagine que ce serait la chose décente à faire, le revoir. Mais dans le même temps... Vous connaissez Colin. Il risque de se jeter sur moi de manière tout à fait... ridicule et inconvenante. Je ne sais pas si je lui rendrais service."
Elle grimaça.
" Vous voyez... Il a ce côté... excessif... Rien que ça, c'est un tue l'amour, vous ne pensez pas ?"

[Chandara]

A la lumière de leurs premières interactions, Chandara était quasiment certaine que la réaction du jeune-homme serait excessive mais elle se devait de l'aider lui aussi : c'est pour cela qu'elle s'était lancée dans la périlleuse démarche de rencontrer Victoria.

- La passion peut être une chose formidable quand c'est ce que vous recherchez mais c'est certain que ça dépend des circonstances. Je pourrais peut-être - je ne sais pas - arranger une rencontre et rester près de vous en cas de besoin. Il est important qu'il puisse passer à autre chose, rendre une autre femme heureuse, peut-être. Mais, en même temps, je peux bien comprendre que ce serait douloureux pour vous.

[Galathée]

" Surtout pour lui, à mon avis. Oui, je serai ennuyée de le mettre dans cet état mais... Soyons réalistes. Je vais me marier dans quelques minutes. Ensuite je partirai en voyage de noces... Je ne reviendrai pas avant deux veilles. Je crois que je pourrai expliquer à mon époux que je dois revoir Colin pour mettre les choses au point mais... Vous pensez vraiment qu'il va se tenir à carreau jusque là ?"
Elle eut un sourire narquois.
" Moi je sais que non."

[Chandara]

Et Chandara partageait elle aussi cet avis : même si Colin ne mettait pas sa menace de suicide à exécution quand elle viendrait lui annoncer son échec total - ce qui n'était pas gagné - elle doutait qu'il prendrait la nouvelle avec philosophie. Mais Victoria n'y pouvait rien changer : elle avait fait son choix et elle ne voulait pas la pousser à aller à l'encontre de ses sentiments.

Car même si elle éprouvait encore quelque-chose pour Colin, cette relation semblait effectivement vouée à l'échec : elle et lui n'y recherchaient pas la même chose. Et Chandara voulait croire que Victoria pourrait elle aussi tomber amoureuse de son époux. En tous cas, la jeune bourgeoise semblait bien décidée à lui laisser une chance...

C'est bien pour toutes ces raisons que l'ancienne paladine n'avait pas cherché à insister. Peut-être se trompait-elle, peut-être qu'elle n'avait pas agi comme sire Séverin l'avait encouragé, qu'elle avait-elle trahi les concepts qu'elle s'était promis de faire siens. Ou peut-être que non : que l'amour devait être encouragé mais pas quand il allait à l'encontre du bonheur à venir de l'un des deux amants. Tout cela ne l'aidait toutefois pas à trouver une solution pour raisonner Colin.

- Je ne crois pas non plus, je ne vous le cache pas. Je vais avoir besoin de conseils pour lui faire comprendre que sa vie amoureuse n'est pas finie avec sa relation avec vous. J'espère que mes amis Sunites sauront m'aider mais peut-être sauriez-vous comment vous il convient de s'y prendre avec lui.

[Galathée]

Victoria pinça les lèvres.
" Je pourrais lui écrire une lettre, je suppose. Mais il ne sait pas bien lire... Vous pensez... vous lui liriez pour moi ? Bon... Le temple de Waukyne n'est plus très loin... Hum. Je ne vais pas avoir le temps... Sauf si... Nous devrions créer une diversion, qu'en pensez-vous ? Si vous les occupez un moment, je pourrais vite griffonner quelque chose ? Mais il faudrait que le chariot s'arrête un moment... C'est sans doute un peu trop vous en demander."

[Chandara]

Ce n'était pas du tout trop lui demander, non : c'était bien le moins qu'elle puisse faire pour tenter d'aider Colin. Elle n'avait pas su faire changer d'avis Victoria comme elle s'était mise en tête de le faire en quittant le jeune pêcheur alors peut-être pouvait-elle accomplir ce dernier geste pour ne pas paraître trop honteuse et préserver ce qui pouvait encore l'être.

- Bien sûr que non : je me suis engagée à aider Colin et je suis prête à tout pour vous permettre de m'y aider ! De combien de temps pensez-vous avoir besoin ?

Elle avait fait cette déclaration avec fougue et conviction mais il restait maintenant à la mettre en pratique. Et donc à trouver une raison pour faire immobiliser le carrosse. Ou en tous cas permettre à Victoria d'y demeurer quelques instants après qu'ils soient parvenus au temple de Waukyne. Elle jeta un regard par la fenêtre de la porte pour tenter de trouver une idée lumineuse tout en se disant qu'elle pourrait toujours sortir la première et simuler une chute. Le temps qu'on l'aide à se relever serait peut-être suffisant. Surtout si elle faisait mention de s'être fait mal.

[Galathée]

HRP : ce sont des carrosses ouverts, il n'y a pas de toit...

Il y avait un véhicule devant, puis le leur, enfin la suite, mais Chandara ne put compter les véhicules car ils venaient de bifurquer dans une nouvelle allée, et le coin de la rue précédente lui bouchait la vue. Les passants les regardaient passer avec admiration, envie ou agacement, et les chevaux trottaient allègrement, dans un concert de grelots. Victoria s'était penchée sous les fleurs qui les encombraient, sans doute pour chercher de quoi écrire. Le train était rapide, mais la paladine ne connaissait pas assez Luménis (même pas du tout) : impossible de savoir où se trouvait le Temple de Waukyne et, au milieu des édifices bariolés du quartier, le reconnaître ne serait peut-être pas si évident...

[Chandara]

HRP : Oups ! Je suppose que l'on peut parler au conducteur, du coup ?

Il fallait à tous prix retarder un peu le chariot pour laisser le temps à Victoria d'agir... Et la vue de la foule admirative lui donna immédiatement une idée qui pouvait leur faire gagner quelques précieuses secondes sinon davantage. Chandara se redressa donc pour s'approcher du poste de conduite et parler au domestique qui menait leur véhicule. Elle adopta une voix charmeuse pour tenter de le convaincre :

- Mon brave, est-ce que vous pourriez ralentir un peu l'allure ? C'est un très grand jour pour la demoiselle Victoria et une allure de parade la mettrait davantage en valeur !

[Galathée]

" C'est qu'on d'jà en r'tard, ma p'tite dame ! s'exclama le cocher. Pourront l'admirer avec son Jules une fois qu'c'est réglé ! Sinon l'père va m'tomber sur l'pal'tot, et çui d'mes copains ! Pis Wilfried prend d'l'avance, gare !"
Le carrosse devant eux les distançait en effet légèrement, agrandissant l'espace entre eux, et les risques d'interférence, si bien que le cocher fit claquer son fouet.

[Chandara]

Sa première tentative avait malheureusement eu l'effet inverse de celui escompté mais Chandara n'était vraiment pas du genre à renoncer aussi facilement, surtout quand elle se sentait investie d'une mission :

- Allons, vous seriez vraiment très aimable de reconsidérer la question : une jeune épousée se doit de faire un peu attendre son promis et vous ne voudriez pas que rouler trop vite la rendre malade ? D'ailleurs, tous ces rebonds sur les pavés me donnent un peu le tournis à moi aussi !

D'autant que Victoria aurait à écrire par dessus le marché ce qui n'était jamais très agréable dans de telles conditions !

[Galathée]

Il parut moins assuré.
" Arf... J'voudrais pas qu'vous gerbiez sur vot'robe ! Oups, pardonnez le langage."
Il fit ralentir les chevaux.
" Ça va mieux pour vot'tête ?"

[Chandara]

C'était déjà ça de gagné mais peut-être ne serait-ce pas suffisant pour que Victoria trouve le temps d'écrire tout ce qu'elle avait sur le cœur pour tenter de rasséréner Colin. Elle avait bien conscience que l'exercice était incroyablement malaisé mais la jeune-femme semblait courageuse et déterminée à ne pas faire souffrir son amoureux éconduit. Pour l'heure néanmoins, Chandara songea que se montrer insistante ne ferait probablement qu'éveiller la méfiance du conducteur et qu'il valait donc mieux acquiescer, quitte à intervenir à nouveau si elle s'apercevait qu'ils allaient arriver avant que Victoria n'en ait terminé :

- Oui, comme ça, ça va un peu mieux...

Puis une idée qui pouvait lui faire gagner beaucoup de temps lui traversa l'esprit :

- Mais je crois que je serais bien plus à l'aise si je montais à l'avant en fait. Pour pouvoir voir directement la route... vous croyez que vous pourriez vous arrêter juste un instant pour que je prenne place à vos côtés ?

[Galathée]

Le cocher parut scandalisé.
" Ce serait tout à fait... très... contraire au protocole, dit-il d'une voix outrée. Et les gens vont penser que vous essayez d'attirer l'attention ! Le jour du mariage de Miss Victoria... C'est très... osé, vous savez ?"

[Chandara]

Oui, elle devait bien convenir que la manœuvre était osée mais peut-être plairait-elle justement à Sunie ? Les prêtres ne l'avaient-ils pas incité à oser et à ne pas hésiter à se mettre en avant ? D'un autre côté, voler la vedette à une future mariée serait certainement mal venu et atrocement impoli. Avant de répondre, elle devait de toute façon savoir si Victoria semblait s'en sortir ou si elle avait besoin d'un nouveau coup de pouce...

[Galathée]

Mais Chandara n'eut pas le temps de regarder ce que faisait Victoria car brusquement, le carrosse heurta quelque chose dans un bruit de bois brisé des plus sinistres. Le cocher, distrait par le bavardage de la paladine, n'avait pas fait attention à la route devant lui et ses chevaux s'étaient déportés sur la droite. Il venait d'arracher l'étal d'un vendeur de fruits exotiques, répandant melons, abricots et pêches sur la chaussée. La roue du chariot s'était encastrée dans les planches et plusieurs essieux semblaient brisés.
" Oh non non non non !" s'exclama l'homme, stupéfait, tandis que le marchand contemplait son gagne-pain éparpillé sur la rue.
Victoria décocha un clin d'oeil à Chandara.
" Bien joué !"