[Lieu-dit] Le Port de Melandis

[Manfred]

« Intéressant. Très intéressant, commenta Griscieux avec un fantôme de sourire sur les lèves. Tout ceci vous sera fort utile si vous acceptez le petit travail auquel je pense. Vous devrez également être à dessin assez, disons, effrayants. Il se trouve que je m’entoure de gens effrayants, chacun à leur façon, une marque de fabrique, une signature. Les apparences ont une telle importance en ce bas monde ! Je tiens à soigner mon image, ma réputation car ainsi, parfois, mon seul nom suffit à prendre cet avantage psychologique qui facilite fort les choses. »
Le capitaine sirota son verre. Ses manières étaient à mi chemin entre la rudesse du marin et le raffinement de la noblesse.
« Je ne manque pas d’or. Je peux vous payer une jolie somme. Nous en fixerons le montant. J’aime les contrats en bon et dû forme. Cela dit... êtes-vous joueur ? Seriez-vous disposé à me faire une petite démonstration de vos talents disons, juste après le repas, moyennant un petit extra. Cela pourrait influencer quelque peu mes exigences à venir. »
Le poulet était absolument succulent, tout comme le vin. Kededric n’allait assurément pas regretter d’avoir mangé ici.

[Kededric]

Tout en savourant son repas, Kededric écoutait son interlocuteur avec attention. Son côté plus décontracté tranchait avec son employeuse habituelle, qui menait une vie compliquée. En-dehors de cela, il semblait avoir des attentes assez semblables : il devrait le débarrasser de quelqu'un, lui soutirer des informations ou quelque objet, ou simplement le convaincre de réaliser tel ou tel acte. Qu'il en soit ainsi ! Son rôle de méchant lui seyait assez bien, et il n'avait aucun scrupule à user de violence ou de persuasion si d'autres moyens échouaient. Or, ils avaient probablement déjà échoué, sans quoi le capitaine ne l'aurait pas fait mander.

"L'or n'est pas ce que je recherche. Attention, je ne dis pas que je travaille gracieusement, mais je fais ce travail parce que je l'aime. J'aime les défis, j'aime la prise de risques. C'est davantage cela qui me motive que la récompense en espèces sonnantes et trébuchantes. Cela dit, il faut bien vivre..."

Il leva son verre et fit un bref signe de la tête, comme s'il portait un taust au capitaine. "Va pour la démonstration. Je ne voudrais pas vous décevoir en vous promettant la lune et en revenant bredouille." Il dégusta une petite gorgée du cru, moelleux à souhait.

[Manfred]

« Ha, la passion ! fit le capitaine en répondant au toast. Je suis de ceux qui pensent que c’est un facteur déterminant. Comment bien agir si ce n’est par passion ? L’or est une fin en soi trop banale. On peut avoir la passion de l’or, mais alors, on ne se contente plus de piécettes, il faut des coffres, des calles pleines, des trésors dignes d’un dragon et c’est déjà plus intéressant comme motivation ! Mais il est vrai, il faut bien vivre, ce qui contraint à un peu de pragmatisme. »
Griscieux vida son verre et le reposa avec un rien de fermeté sur la table, provoquant un bruit sec.
« La démonstration donc. La chose est assez simple. Il se trouve qu’il y a peu, un rat-garou est monté à bord du navire. Il a mordu le mousse, un charmant garçon. Pour l’anecdote, j’ai trouvé ce bambin la corde au cou. Les gens du bourg le détestait tant qu’ils étaient prêt à le pendre en dépit de sa jeunesse. Il me le fallait forcément dans mon équipage. Enfin bref, il a été mordu. Je suis quelqu’un de pressé, comme je vous l’ai déjà dit. Hors de question d’attendre la prochaine pleine lune avant de constater si oui ou non il a été contaminé. J’ai donc employé un petit sortilège, obtenu chez des Malarites, qui accélère les choses. Bien sûr, il y a quelques effets secondaires, mais passons. Le résultat est sans appel. Mon mousse est beaucoup plus poilu qu’avant. Votre tâche consiste à lui faire reprendre forme humaine. Il devrait en être capable grâce au sortilège, mais il lui faut pour cela déployer un effort de volonté qu’il n’est pas disposé à fournir. Je crois qu’il m’en veut un peu, en vérité. Il est encore assez jeune pour croire qu’il a le droit de bouder sans ma permission. Je m’apprêtais à faire preuve d’autorité, mais puisque vous êtes là... »
Il eut un semblant de sourire.
« Je tiens à ce qu’il reste en vie, cela va de soi. Après, s’il garde un mauvais souvenir de cette soirée, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même. Je vous laisse une heure. Réussissez et, hum, je vous offre une des armes de ma collection. Qu’en dites-vous ? »

[Kededric]

Les deux hommes semblaient bien se comprendre, et Kededric hochait la tête tandis que le capitaine lui racontait par le menu ce qu'il attendait de lui. Convaincre le jeune homme d'accepter de reprendre définitivement sa forme humaine, voilà qui promettait d'être intéressant. Il n'avait pas souvent l'occasion de pousser les gens à agir pour leur propre bien... et cette fois, il n'avait pas la possibilité de menacer réellement.

"Bien, bien. Une tâche originale ! Le manque de volonté de ce garçon peut se comprendre ; les lycanthropes ont des pouvoirs indéniables, et s'il comprend qu'il peut en bénéficier, c'est tout à son avantage. Il faut donc trouver un bénéfice supérieur au fait de rester humain, et membre de votre équipage..." Il réfléchissait autant à voix haute qu'il ne s'adressait à Griscieux.

"Concernant l'arme, nous verrons si je parviens à mener cette mission à bien !"conclut-il avec un sourire. Il avait pratiquement terminé son plat, maintenant. Un régal... il n'avait pas l'intention de laisser de restes.

[Manfred]

« Que nenni, Monsieur, vous m’avez mal compris. Loin de moi l’idée de vouloir rendre au mousse son humanité. Comme vous l’avez justement soulignez, les lycanthropes ont des dons intéressants et je compte bien profiter de ceux du garçon. En cela, il a pris à mes yeux d’avantage de valeur. Seulement, pour qu’un lycanthrope soit utile, il doit au préalable contrôler ses aptitudes et, dans une moindre mesure, réprimer la bête qui l’habite. Si le mousse arrive à reprendre les traits de l’enfant qu’il était initialement avant le terme du sortilège, il progressera bien plus rapidement par la suite. En revanche, s’il n’y parvient pas, il devra tout apprendre de zéro et je trouverai cela... frustrant. Le convaincre de se métamorphoser, voilà votre tâche. Une métamorphose difficile car il ne l’a encore jamais exécutée, mais rendue possible par le sortilège. Pour parvenir à vos fins, vous êtes libre d’employer les méthodes de votre choix. S’il vous faut un peu de matériel, demandez. Je vous déconseille toutefois d’employer des procédés magiques. Le sortilège Malarite pourrait interférer. S’il faut cogner, cognez. Les garous sont solides et j’ai à bord deux prêtresses qui peuvent remettre à neuf n’importe qui. S’il faut terrifier, terrifiez. J’emploie moi-même la terreur au quotidien avec un certain plaisir. Si vous préférez la douceur, soyez doux. Mais le mousse, lui, n’est pas un tendre. Au fait, il se nomme Guilem. Si vous avez des questions, n’hésitez pas. Sinon, procédez. Le mousse se trouve dans la pièce d’à côté. Première porte à gauche une fois de retour dans la coursive. Une heure, pas une minute de plus. »
Le repas était terminé. Le capitaine, toujours assis, tapota le bois de la table avec son crochet.

[Kededric]

L'affaire se découvrait progressivement. Kededric sourit doucement lorsqu'il comprit les intentions réelles de Griscieux : se servir du mousse comme d'une bête capable de se faufiler un peu partout, pour ensuite reprendre son apparence humaine et agir de façon sournoise dans n'importe quelle situation. Astucieux. Et opportuniste. Il ne manquait pas d'audace et de ressources...

"Très bien, j'accepte. Je vais aller tenter de le convaincre et en faire un membre d'équipage de choix." Kededric se leva et effectua un bref salut au capitaine avant de se rendre au-devant de la porte indiquée. Il tapota doucement le bois, puis entra sans attendre. Il fallait montrer qu'il était en position dominante, dans cette affaire, et non laisser le mousse prendre la direction des opérations. Et cela commençait par là...

[Manfred]

« Fort bien. Bonne chance, cher Monsieur. J’observe tout cela avec un vif intérêt. Et n’oubliez pas, si vous avez besoin de quelque chose, demandez. »

Griscieux, même s’il avait affirmer vouloir observer, demeura tranquillement assis à son bureau. Il fit tinter une petite clochette et les pas lourds de l’ogre s’approchèrent, probablement pour débarrasser la table. Cela ne concernait pas Kededric qui, à présent, pénétrait dans la pièce indiquée.

La pièce en elle-même n’avait rien d’extraordinaire. Un lit, une table, deux chaises, un coffre dans le coin... Guilem était assis sur le lit. Il se trouvait présentement sous une apparence hybride à mi chemin entre l’homme et le rat, ce qui lui conférait une allure particulièrement repoussante. Il mesurait environs un mètre, à vue d’œil, et ne devait pas peser très lourds. Un avorton en somme. Il avait un pelage brun sombre, assez luisant, qui ne couvrait pas ses mains, ses pieds et sa queue, ces derniers affichant une peau assez bronzée. Les griffes de ses doigts et orteils ne devaient pas être pris à la légère, tout comme ses dents dont deux longues incisives jaunes émergeaient de sa gueule. Pieds nus, il était affublé de nippes crasseuses qui semblaient un peu trop grandes pour lui. De surcroit, la manche gauche de sa tunique était déchirée presque jusqu’à l’épaule et tâchée de sang séché. Ce devait être là qu’il s’était fait mordre par le rat-garou.

Le mousse n’était pas vraiment en position de dominer qui que ce soit car il avait les maints attachées dans le dos et son museau était étroitement ficelé. Le regard fou furieux qu’il lança à Kededric permit de deviner que s’il avait été entravé, ce devait être avant tout pour éviter qu’il ne se mette à morde et à griffer tout le monde. Pour autant, Guilem n’avait pas perdu ses capacités de réflexion puisqu’il afficha une certaine surprise en constatant que celui qui venait lui était inconnu. Il cessa de se contorsionner. Il avait tenté d’arracher la corde qui le muselait avec ses pieds. Il avait largement assez de souplesse pour tenter une manœuvre de ce style, mais n’était arrivé à rien.

[Kededric]

Le mousse était... intéressant. Kededric n'avait jamais pu observer de rat-garou, de près ou de loin. C'était une créature... répugnante, et cette forme hybride, grotesque et dénaturée, passait pour encore davantage effrayante qu'un simple rat géant. L'assassin savait en outre qu'ils étaient tout aussi agiles que des rats normaux, mais dotés d'une force bien supérieure. Ceci étant, Guilem n'avait pas encore réussi à défaire ses liens.

Était-ce une étape intermédiaire ? Kededric n'avait pas une connaissance suffisamment pointue sur le sujet. Peut-être était-ce simplement... autre chose. Qu'on obtenait en prenant un autre chemin que celui emprunté pour se transformer en rat pur et simple.

En tout cas, pour l'instant, le... jeune homme... était plus empressé de se délivrer et de laisser libre cours à sa fureur que de souhaiter reprendre son apparence humaine.

"Bonjour", fit-il en guise de préambule. "N'ayez crainte, je ne suis pas là pour vous tourmenter. Si vous vous tenez calme, tout se passera bien pour nous deux. Sinon, ce sera plus compliqué... pour vous." Mieux valait mettre les choses au point dès le début. Il se trouvait face à une créature potentiellement dangereuse, et ce n'étaient pas ces quelques cordes qui le maintiendraient muselés si l'envie lui prenait vraiment de s'évader. La colère pouvait donner une force insoupçonnée...

[Manfred]

Forcément, Kededric n’obtint aucune réponse, le garou étant muselé. Ce dernier se contenta de le toiser avec méfiance en cessant de s’agiter. Difficile de savoir s’il désirait être coopératif. Il devait juste chercher à savoir à qui il avait à faire et pourquoi cet inconnu débarquait là. Quoi qu’il en soit, l’assassin put constater que les cordes liant le museau et les poignets de la créature avaient l’air robustes. Peu probable que le monstre puisse s’en défaire, même sous le coup de la fureur. Il n’avait absolument pas le bon gabarie pour cela.

[Kededric]

Jugeant qu'il serait plus constructif de pouvoir mener une conversation à deux plutôt qu'avec des monologues incessants, Kededric décida d'ôter le bâillon qui ornait le museau du mousse velu. Il enfila une paire de gants solides et procéda, évitant de se trouver trop près du visage de la créature. Ses crocs étaient impressionnants, malgré sa corpulence somme toute relative. Les loups-garous étaient des formidables adversaires, mais les rats-garous étaient davantage repoussants que dangereux pour un guerrier accompli - chose qu'il n'était pas lui-même.

Kededric retourna se poster en vis-à-vis de Guilem, à un bon pas de lui.

"Bien. Hum. Excusez ma question, mais, pouvez-vous me parler distinctement sous cette forme ? J'aimerais m'assurer qu'il n'y a pas de méprise entre nous."

Presque naturellement, il affichait une mine bonhomme destinée à tenter de gagner la confiance du mousse. Même si cette tactique ne devait pas marcher, il fallait au moins essayer. Et c'était au début qu'il fallait la tenter, car par la suite, la diplomatie échouait une fois que les menaces avaient été proférées...

[Manfred]

« T’es bien le premier pompeux qui me vouvoie ! » répondit Guilem d’un ton railleur.

Le mousse pouvait donc parler. Sa voix était certes un peu étrange, nasillarde, d’une tonalité désagréable et haut perchée, mais parfaitement compréhensible. C’était une voix qui n’avait pas encore muée riche en tonalité vulgaire. Kededric pouvait aisément deviner qu’il avait à faire à quelqu’un de très peu cultivé, probablement illettré. Quelqu’un qui n’avait absolument pas peur et qui avait probablement déjà tué, son regard mauvais ne trompait pas.

« Fin bref. T’es qui ? Tu veux quoi ? L’capitaine m’a vendu comme bête de foire ? Ce serait bien son genre, tiens ! Vas-y, accouche, merde ! J’en ai raz l’cul d’rester là ! »

[Kededric]

Au moins, ils pourraient converser, même si le mousse ne semblait guère vouloir y mettre beaucoup de volonté.

"Le capitaine m'a invité pour le dîner. Nous avons pu faire plus ample connaissance, mais je suppose que cela vous importe peu. Alors... que voudriez-vous donc faire ? Sortir d'ici et hanter les rues de Melandis, au risque de vous faire repérer par les gardes, et vous faire tuer à vue ?"

Il paraissait sanguin. Kededric, même s'il avait pour habitude de savoir répliquer en combat rapproché et très rapide, doutait de venir facilement à bout d'une telle créature si elle parvenait à lui sauter dessus. Il valait mieux tenter de réfréner ses pulsions meurtrières pour l'instant. D'autant que reprendre sa forme humaine demanderait sûrement de la concentration, chose dont il semblait manquer en ce moment même.

[Manfred]

Guilem toisa Kededric, montrant à demi les dents. Il devait s’agir d’un rictus, mais il était difficile d’interpréter les expressions faciales sur un visage aussi bestial.
« J’suis pt’être con, mais y’a un truc que je pige pas. C’est c’que tu veux, toi. Arrête ton blabla de cul doré et joue cartes sur table. Le blabla, avec moi ça marche pas. Mon père il blablatait et j’lui ai ouvert l’bide ! C’rien que des p’tites merdes c’gars qui embobinent et qu’ont en fait rien dans l’froc ! »

[Kededric]

Bien. Le mousse semblait bien parti pour se montrer agressif jusqu'à... quel point ? Sans doute testait-il la patience de Kededric, qui pouvait être grande, mais pas inépuisable. Dégainant sa rapière, l'assassin la fit jouer au-dessus de la tête de Guilem, et frappa un point imaginaire situé juste entre les pointes de ses deux oreilles.

"J'ai moins à y gagner que ce que tu as à y perdre, mon garçon. Alors, sois un peu plus coopératif et écoute-moi. Le capitaine m'a demandé un service, que je n'ai pas de raison de lui refuser. Tu es capable de prendre cette forme hideuse, mais utile. Lui souhaiterait que tu puisses reprendre ton apparence humaine. C'est aussi simple que cela. Et pour y arriver, il faut se concentrer. Et pas se disperser sur des menaces en l'air dont je doute que tu parviendrais à les mettre à exécution. En revanche, pour ma part..." Il afficha un sourire carnassier, cette fois, et pointait l'estoc de son arme vers le visage hirsute du mousse. "Je ne te blesserai que si nécessaire. Mais n'aie crainte, je ne retiendrais pas ma lame, dans ce cas."

[Manfred]

Guilem, quand était venu le coup au-dessus de sa tête, s’était baissé, instinctivement. Il sembla ensuite prendre un peu plus au sérieux Kededric. Il le fixa, fixa aussi la pointe de la rapière, médita les paroles de l’assassin puis, après plusieurs secondes de réflexion, il déclara d’une voix encore très assurée :

« Je pige. Là, au moins c’est clair. J’veux bien tenter, gars. C’est que t’as l’air de savoir te servir de ton bout de métal. Alors bon, autant être pote. Seulement v’là, y’a c’te corde qui me brûle les poignets. Essaie de t’concentrer avec des picotements dans les mains, c’pas facile. Détache-moi et j’tente. Et on sera tous contant. »

[Kededric]

Le garçon semblait vouloir tenter de se calmer. Ou en tout cas, d'afficher le fait qu'il voulait se calmer. Sa proposition pouvait évidemment passer pour un piège grossier... mais Kededric n'avait pas peur de la créature. Il disposait de ses sortilèges pour lui échapper si la situation venait à s'envenimer.

"Bien. Ta demande est légitime. Mais je préfère t'avertir que si tu comptes m'attaquer, je sais me défendre..."

Kededric se positionna sur le côté de Guilem et entreprit de découper en partie les liens qui lui maintenaient les poignets. En les entaillant suffisamment fort du bout de sa lame, le rat-garou pourrait forcer dessus et s'en libérer, laissant alors assez de temps à Kededric pour reculer de quelques pas.

L'assassin était curieux d'attendre la réaction du mousse.

[Manfred]

Guilem rompit les liens que Kededric venait d’entailler. Il se massa ensuite les poignets tout en observant l’assassin. Son affreux rictus ne le quittait plus.

« Merci, gars. T’es vraiment un chic type. »

Le ton sonnait faux. Le mioche promenait désormais son regard dans toute la pièce, comme s’il y cherchait quelque chose. Il se leva, peut-être pour se dégourdir les jambes.

« Bon ben, j’ai plus qu’à me concentrer et l’affaire sera réglée. Et m’sieux l’Capitaine sera content ! »

Et Kededric eut la conviction que le mousse ne voulait pas que le capitaine soit contant. Vif comme l’éclair, Guilem saisit la couverture du lit pour la lancer sur l’assassin. L’instant d’après, dissimulé derrière l’étoffe, il fonçait, gueule grande ouverte, prêt à mordre et à griffer. Kededric, cependant, avait pris ses distances. Il pouvait, devait réagir.

[Kededric]

L'attaque ne le surprit qu'à moitié. Kededric avait flairé quelque chose de suspect dès lors que le mousse se montrait trop facilement convaincu de ce qu'il devrait faire... Doté de réflexes probablement comparables à ceux du rat-garou, l'assassin se débarrassa au plus vite de la couverture miteuse et effectua un long pas de côté pour s'écarter de la trajectoire de la créature. Il n'avait pas lâché son arme, et entendait bien s'en servir... mais sans trop le blesser. De toute manière, les lycanthropes avaient la réputation de régénérer très rapidement leurs blessures. Les rats-garou devaient en bénéficier également, non ?

Kededric tenta de s'agenouiller pour frapper le mousse aux jambes. Avec un muscle blessé, il ne pourrait pas bondir aussi facilement...

[Manfred]

Guilem fit preuve d’une certaine maladresse. Il devait encore se sentir étranger dans ce corps bestial. Ses mâchoire claquèrent dans le vide là où, un instant plus tôt, se trouvait approximativement l’entrejambes de l’assassin. Nul doute que le gamin avait bien compris quel point sensible il pouvait le plus facilement atteindre avec sa petite taille. Une attaque lâche mais fichtrement radicale qui en disait long sur la personnalité de celui qui la tentait. Kededric, hors de portée, fit mouche avec sa rapière. La lame de son arme entailla la cuisse gauche du rat-garou, déchirant en cet endroit son pantalon miteux et faisant gicler du sang. Le mousse, déséquilibré et emporté par son élan, alla percuter l’un des murs de la pièce, puis s’effondra au sol. Impossible d’évaluer la gravité de sa blessure à la jambe à cause du vêtement, mais le sang était très loin de couler à flot. Le monstre, un peu étourdit, grogna. Il allait sous peu se remettre, c’était certain. Cela dit, Kededric avait l’initiative.

[Kededric]

Les lycanthropes avaient la peau solide. Kededric l'avait peut-être blessé, mais il doutait que le mousse tarderait à revenir à lui sous peu. Mieux valait en profiter pour le maîtriser, définitivement, cette fois. Il s'approcha de Guilem et lui administra un coup de la garde de sa rapière, sur la tête, pour l'assommer un peu plus et se donner quelques instants de répit supplémentaire. Le mousse grogna, mais il restait encore éveillé, quoique peu réactif. Solide, le gaillard... ou le rat-garou, à tout le moins.

Kededric entreprit de sortir la corde de son sac. Elle était très longue, mais il en coupa une portion d'environ trois mètres, qu'il utilisa pour saucissonner le mousse, cette fois. Il ne lésina pas sur la quantité de nœuds effectués, y compris à des endroits que Guilem ne pourrait atteindre du bout des doigts griffus.

Puis il tira le mousse et le souleva pour le jeter sur la couche. Et il patienta, tandis que l'autre reprenait lentement ses esprits.

Pourquoi fallait-il se compliquer la tâche ? Kededric ne disposait pas de beaucoup de temps, selon le capitaine. Il ne voulait pas perdre une belle occasion de vivre une mission palpitante et pleine de promesses... pas à cause d'un stupide morveux qui prétendait vouloir le vaincre en duel... Guilem avait mal choisi son adversaire, sur ce plan. La force brute ne lui avait été d'aucune utilité.

Kededric finit par lui passer de l'eau sur la figure afin d'accélérer quelque peu les choses.

"Allons, réveille-toi, imbécile." fit-il à Guilem.

[Manfred]

Guilem revint à lui. Il serra les dents, serra les poings, força sur ses liens. En cet instant, il ressemblait d’avantage à une bête prise au piège plutôt qu’à un prisonnier humain. Mauvais comme une teigne, il fixa ensuite l’assassin de ses yeux à la franche hostilité. S’il avait encore pu lui sauter dessus, il l’aurait fait sans hésiter. Le morveux était du genre tenace. Tenace et peu impressionnable.

« Fils de chien, j’en ai raz l’cul qu’on me dise c’que j’ai à faire ! Toi et l’capitaine, allez au diable ! J’suis un monstre, j’fais c’que j’veux ! Et tant mieux si ça t’plait pas ! »

Il poursuivit tel un Chartier. La quantité astronomique d’injures qu’il était capable de cracher était digne d’un loubard quinquagénaire ayant trainé toute sa misérable existence dans les bas-fonds de Melandis. Il traita notamment Kededric de grosse truie bouffeuse de merde, ou encore de raclure débile sortie du fondement d’un troll. Et pendant ce temps, le temps filait justement. Il devait s’être écoulé un petit quart d’heure jusqu’à présent. Il restait donc quarante-cinq minutes.

[Kededric]

Peu sensible à ce genre de flatterie, Kededric le laissa cracher son fiel pendant quelques instants, puis il coup court à ses récriminations.

"Que tu le veuilles ou non, c'est le capitaine qui décide de ton sort. Et tu ferais bien de l'écouter... je te l'ai dit : marche dehors avec cette tête de rat, et la garde t'aura éventré dans l'heure. Tu crois vraiment que la population acceptera qu'une créature comme toi puisse rôder dans les rues sans être inquiété ?" Le tableau aurait le mérite d'être intéressant. Néanmoins, le garçon pouvait aussi bien aller se terrer dans les égouts et y mener sa vie crasseuse. Les arguments rationnels ne marcheraient pas sur lui, ni les menaces... fallait-il lui promettre d'autres choses ?

"Réfléchis un peu. Tu risques fort bien d'être traqué de tous, si tu t'en vas d'ici. Au mieux, que feras-tu ? Tu te cacheras et tu craindras les gardes et les mercenaires... sans parler des aventuriers en mal de sensations fortes et enclins à se promener dans les égouts. Là où tu risques de finir... mais si tu acceptes d'obéir au capitaine, tu auras la protection, et tu lui seras très utile. Il te considérera bien mieux que comme un simple déchet de la société qu'il a ramassé par hasard dans le caniveau, tu ne crois pas ?"

Attaquer sur la fierté, ça pouvait marcher. Peut-être...

[Manfred]

« Rien à foutre !!! » brailla Guilem.

Sa voix vibrait de colère et de frustration. Pour le coup, cela n’était pas sans rappeler un caprice, un caprice de gamin monstrueux prêt à tuer de sang froid, mais un caprice juvénile, puéril tout de même.

« Je me retransformerai quand JE l’aurai décidé ! Tes conseils, tes ordres, tes menaces, tu les prends, tu les tailles en pointe et tu te les mets... »

La suite fut encore plus vulgaire, plus obscène que tout ce qu’il avait dit jusqu’à présent. Une vraie petite prouesse, il fallait l’avouer. De surcroit, il fallait un courage certain, ou une bonne dose d’inconscience, pour insulter avec une telle véhémence tout en étant ligoté. Le môme essaya à nouveau de forcer sur ces liens sans quitter des yeux Kededric. Il avait envie de le mordre à la première occasion, c’était une évidence.

[Kededric]

La voie de la raison ne marcherait donc pas... l'ennui, c'est qu'il pouvait difficilement le menacer sérieusement. À moins...

"Très bien. Puisque nous sommes d'accord, je vais commencer à opérer... autrement."

Kededric, toujours prudent vis-à-vis du mousse, s'approcha sur son côté et le poussa pour le faire basculer au sol. Il en profita pour s'assurer que la corde était toujours bien solidement attachée : il ne fallait pas qu'il arrivât à se défaire de ses liens, cette fois.

Se saisissant de la dague qu'il portait à la ceinture, Kededric commença à en enfoncer l'estoc dans le cuir du rat-garou. La peau était épaisse, mais l'assassin était assez fort pour pouvoir s'assurer de le piquer comme il le fallait, et ce, à de nombreux endroits différents. La douleur l'aiderait peut-être à revenir sur sa décision... Kededric sourit, et songea à la prochaine étape. Il pourrait toujours lui briser un membre, mais il n'avait pas vraiment d'outil adapté pour cela. Il demanderait. Le capitaine lui avait donné carte blanche, après tout.

[Manfred]

Effectivement, Kededric avait carte blanche. Sachant de surcroît qu’il pouvait demander à peu près n’importe quel outil pour mener à bien sa mission et qu’il y avait à bord des prêtresses capables de guérir n’importe quelle blessure, cela lui laissait une très grande liberté. Il était enfin à peu près certain qu’en trois quarts d’heure, il arriverait à faire craquer un môme, fut-il changé en monstre. La question n’était donc pas de savoir s’il allait réussir le défi de Griscieux, mais de quelle manière il allait le réussir. Le Capitaine devait tout observer depuis sa cabine. L’assassin voulait-il lui montrer une froide efficacité ? Ou une cruauté sans limite ? Ou l’art d’une effroyable mise en scène ?

Pour l’instant, le rat-garou tenait bon. Il s’accrochait, il était têtu comme une mule. Il serrait les dents, il grognait, parfois criait et dès qu’il en avait l’occasion, il insultait avec une hystérique véhémence. Sans doute repoussait-il la peur et la douleur par la fureur. Il se tortillait dans tous les sens, ne parvenant qu’à se rendre plus pathétique qu’il ne l’était déjà. Ses loques trop grandes et crasseuses collaient curieusement bien à sa dégaine de rongeur misérable. Avec l’agitation, à cause aussi de sa queue qui avait poussée en bas du dos, il avait presque perdu ses chausses. Niveau dignité, il atteignait quasiment le néant.

HRP : si jamais ton personnage demande quelque chose qui peut se trouver sur un bateau ou dans l’attirail d’une prêtresse de Loviatar, tu peux considérer qu’il l’obtient rapidement.

[Kededric]

Il fallait le lui reconnaître, il était tenace. Une telle volonté devant la douleur laissait presque Kededric admirateur. Dommage que le garçon ne mettait pas cette force à profit pour se contrôler davantage...

Néanmoins, le mousse résistait encore. La dague était un outil de torture improvisé, qui pouvait déjà faire beaucoup, mais celui-ci était trop têtu pour craquer... L'assassin s'interrompit donc et alla ouvrir la porte pour demander quelques crochets, des clous, un marteau et un maillet en bois. Cela pourrait probablement le convaincre définitivement.

Tandis qu'il patientait pour recevoir son petit matériel, Kededric interpella à nouveau le rat-garou.

"Tu sais... je ne vais pas m'arrêter de sitôt. C'est toi qui décides lorsque tu veux que cela cesse."

Le demi-orque finit par revenir avec ce qu'il avait demandé. Kededric le remercia chaleureusement et disposa le matériel hors de portée du mousse, avant de se saisir du maillet en bois.

"Voyons voir. Une patte cassée, ça fait mal. Commençons par là, avant de continuer avec... autre chose." Il asséna un violent coup sur ce qui aurait dû être un pied humain, mais était présentement une patte griffue et velue, plus large et courte, mais aussi plus robuste. Les os semblaient tenir bon. Un second coup bien placé survint alors.

[Manfred]

Guilem, les yeux fermés, beuglait plus fort que jamais. Quelques grosses larmes se mirent à couler sur ses joues velues. Sa patte avait cédé au second coup. À ce stade, plus d’un adulte aurait déjà craqué. Mais le mioche préférait s’entêter. Cela en devenait presque étrange. Que gagnait-il à persister ? Un intense désir de rébellion trop longtemps réprimé peut-être. Il se mit à menacer Kededric, comme s’il était en état de le faire. Il lui jura qu’il allait trouver sa famille et tous les tuer jusq’uau dernier. Il lui jura qu’il aurait sa revanche, qu’un jour, ce serait lui qui tiendrait le maillet. Mais pas que... Il aurait beaucoup d’autres objets avec lesquels s’amuser. Graine de psychopathe assurément. Ses vociférations ne changeait rien au fait qu’il approchait de ses limites, c’était patent.

[Kededric]

La créature souffrait, mais tenait bon. Il aurait fait un bon soldat, s'il avait choisi une autre voie... voire un paladin. En tous les cas, il résistait encore, mais plus pour longtemps, Kededric en était persuadé. Il fit rouler le mousse pour l'allonger sur le dos et taillada promptement ses vêtements crasseux à l'aide de sa lame. Velues et sales, ses parties intimes étaient maintenant exposées, offrant un spectacle des plus déplaisants à l'assassin qui n'avait pas souvent eu l'occasion de détailler l'anatomie de monstres d'aussi près.

"Alors... perçons un trou dans le membre..." Il s'exécuta et perfora le pénis du rat-garou. Du sang commença à couler en abondance, mais Kededric ne s'en inquiéta pas. Tant pis pour lui s'il était si entêté, après tout.

Il agita un crochet devant le visage de Guilem.

"Voudrais-tu que je te suspende par le braquemard, abruti ? Il s'arrachera sous ton propre poids. Même la régénération d'un rat-garou ne suffira pas à te rendre ta virilité."

[Manfred]

Le mousse faillit s’évanouir. Ce fut trop pour lui et il se mit tout d’un coup à beugler qu’il allait collaborer. D’ailleurs il ne se fit pas prier et, moins d’une minute plus tard, l’affreux rat humanoïde adopta les traits du garçon qu’il était à l’origine. Ses yeux ne changèrent strictement pas. Ses cheveux en bataille avaient la même couleur du pelage qui, un instant plus tôt, le recouvrait. Sa peau avait la même teinte que celle du monstrueux rongeur. Il se tordit de douleur et son regard se mit à fixer quelque chose derrière Kededric.

« Voilà une affaire rondement menée », déclara le capitaine.
Il se tenait dans l’embrasure. Sa main valide contenait un sablier dont le sable n’était même pas à demi écoulé. Le sinistre marin avait dû profiter du bruit du supplicier afin d’arriver discrètement.
« C’était... c’était assez long ? » demanda Guilem, les dents serrés, tout en fixant le sablier.
Gred de Griscieux hocha la tête affirmativement, puis fit signe à une de ses sadiques prêtresses de s’occuper du mousse. Ensuite, le capitaine s’adressa à l’assassin.
« Vous avez remporté ce défi haut la main. Vous ferez l’affaire pour ce que j’ai en tète. Concernant Guilem, sachez qu’il est en vérité certainement le plus obéissant des membres de mon équipage. Je suis presque un père pour lui. Je lui ai donné l’ordre de résister le plus longtemps possible pour voir jusqu’où vous irez. »

[Kededric]

Kededric se redressa, non sans avoir déposé ses sinistres outils sur les planches. Ainsi donc, tout cela n'était qu'une comédie. Guilem était plus que crédible dans son rôle de mauvais garçon de la rue prêt à tout pour regagner sa liberté...

"Je dois admettre que votre petit manège a parfaitement fonctionné. Bravo..." Il regarda une fois encore le mousse, pour s'assurer que c'était bien un simulacre. L'assassin hocha lentement la tête. Très bon, vraiment.

"Cela aura au moins pu vous démontrer que je puis aller... loin." Et même plus encore. "Nécessité fait loi", disait le dicton, mais dans le cas de Kededric, la nécessité et le plaisir se confondaient parfois un peu trop.

L'assassin rengaina sa dague, non sans l'avoir essuyée à l'aide d'un mouchoir.