[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Ils purent déterminer que les chevaux n'avaient pas traversé, c'était déjà une première chose. Pour le reste, la route était constellée de traces et de marques, y repérer les empreintes de leurs cavaliers était pour le moins compliqué : bien sûr, les fers avaient une marque particulière, comme souvent, mais bien des cavaliers et des véhicules étaient passés par là depuis.
" C'est peine perdue. Et à cheval, avec deux jours d'avance... Bah !" grommela Phelan au bout d'un moment.

[Taliesin]

Taliesin expliqua la situation à Titus et lui demanda s'il pouvait interroger quelques insectes des environs : peut-être ceux-ci se souviendraient-ils de ces cavaliers ayant jailli hors de la forêt... et du côté qu'ils avaient pris. Il ne se faisait guère d'espoir, le signala au jeune faune pour que celui-ci ne se mette pas une pression inutile mais... cela valait la peine d'être tenté.
-Il y a quelque chose de louche dans cette vallée, dit-il ensuite à Phelan. J'ai déjà entendu une histoire asez bizarre... Peut-être les deux sont-elles reliées ? Quoi qu'il en soit, j'avoue que je serai plus tranquille quand j'aurai retrouvé les garçons. Te sens-tu d'attaque pour cavaler à nouveau à travers bois ? Ne te sens pas obligé, cependant : nous pouvons très bien nous retrouver demain...

[Galathée]

" Non, on peut y aller. J'espère qu'on retrouvera le chemin... mais comme on n'a pas été très prudents... On devrait retrouver nos propres traces."
Titus avait fait chou blanc, de son côté : la route proposait une abondance de nourriture pour les insectes, et ils étaient trop affairés à se nourrir pour surveiller les alentours. Un crottin, une croupe, un bac de légumes à l'arrière d'une charrette, le monde était prodigue et leur mémoire courte, subordonnée à leurs pulsions alimentaires.

[Taliesin]

Après avoir soigneusement mémorisé le point précis de la route où avaient débouché les cavaliers - qui sait si cela ne pourrait pas se révéler utile à l'avenir -, Taliesin donna le signal du départ.
Il n'était pas convaincu que le garde-chasse ait sciemment essayé de les piéger et qu'il représente une menace pour les garçons. Toutefois, il y avait un petit quelque chose d'étrange dans cette histoire, un petit quelque chose qui, il le savait, suffirait à nourir son inquiétude. Or, il s'inquiétait déjà suffisamment concernant Cordélia pour ne pas en rajouter...

[Galathée]

Ils repartirent donc. Il leur fallut une bonne heure pour regagner la clairière, signe que, comme l'avait dit Phelan, ils avaient marché plus que ne l'avait cru Taliesin. La monotonie de la recherche lui avait peut-être donné l'impression qu'ils ne bougeaient pas. Les enfants et le garde-chasse avaient donc deux bonnes heures d'avance, sûrement plus, mais l'homme marchait lentement, encore éprouvé par sa blessure, aussi pourraient-ils sans doute le rejoindre assez rapidement.
" Vous avez pensé qu'ils n'ont peut-être pas pris le même chemin pour rentrer ? Après tout, nous avons suivi une piste, à l'aller... Le garde chasse connait sans doute une voie plus directe..."

[Taliesin]

-Nous suivrons leur piste comme nous avons suivi celle du garde-chasse. Ce qui sera plus facile, puisqu'elle est plus récente et puisqu'ils sont trois. Par ailleurs, si nous avons le moindre doute, les insectes devraient pouvoir nous renseigner, nous dire s'ils les ont vus passer...
Pour le coup, du moment qu'ils se montraient vigilants, la tâche ne lui semblait pas insurmontable.

[Galathée]

Ils avaient effectivement emprunté un chemin légèrement différent, mais il ne fut pas difficile de les suivre : Victor avait démoli la végétation sur son passage, sans doute à grands coups de morceaux de bois, symbole de sa mauvaise humeur. Ils marchèrent ainsi un bon moment avant d'entendre puis de distinguer ceux qu'ils suivaient. Victor, Baptiste et le garde-chasse qui les regardèrent approcher, un peu surpris.
" Vous l'avez trouvée ? demanda le blondinet.
— Ou vous avez perdu la piste ?" fit Baptiste, moins optimiste.

[Taliesin]

-On l'a perdue mais pas sans avoir, au préalable, appris un certain nombre de choses, répondit l'elfe qui avait poussé un profond soupir de soulagement en les apercevant. A moins d'une heure de la clairière, nous avons retrouvé le trophée récupéré par Cordélia, le groin du sanglier ; nous avons aussi découvert des empreintes de chevaux ; en les suivant le long d'une sente à peine tracée, nous avons débouché sur la grand-route.
Tout en parlant, il observait la garde-chasse à la dérobée.

[Galathée]

Le garde-chasse était très pâle, peut-être un peu verdâtre, même, mais il écouta les informations de Taliesin avec attention.
" Pourquoi vous êtes revenus en arrière ?
— Pour nous chercher ! Yahou ! s'exclama Victor.
— On n'atteindra pas la cabane avant la nuit... si on marche vite. Que proposes-tu, Taliesin ?"

[Taliesin]

-Si nous sommes revenus en arrière, c'est parce que nous ne savons pas quelle direction ont pris les cavaliers, prit-il le temps de répondre à Baptiste.
Puis il se tourna vers le garde-chasse.
-Messire, auriez-vous une idée de qui était susceptible de fréquenter ces bois ?

[Galathée]

Le garde-chasse parut un peu interdit.
" A priori, pas grand monde. Comme je vous l'ai dit, nous étions en dehors des limites de la Vallée... Alors sans doute que des aventuriers en goguette s'y promènent parfois, pour établir un campement en dehors de la route... Mais à ma connaissance, on n'y trouve pas de ruines à explorer, et le gibier n'y est pas plus intéressant qu'ailleurs... Des brigands, peut-être ? Mais j'imagine qu'on en aurait entendu parler jusqu'à Champsdor. Hormis ce maudit sanglier, c'était plutôt tranquille, en ce moment."

[Taliesin]

Se pouvait-il vraiment qu'il ne sache rien ? Qu'il ait été de bonne foi depuis le début ?
[color=#FFF66]-A quel niveau avez-vous été attaqué par les chauves-souris ?[/color] demanda-t-il.
Après tout, ils n'avaient pas vu la moindre trace de l'attaque. Ils avaient pu passer à côté sans s'en rendre compte, cependant.

[Galathée]

" A quel niveau ? Qu'est-ce que ça veut dire ?"
Phelan s'humecta les lèvres.
" A quelle distance de la clairière, il veut dire...
— Je ne sais pas... une centaine de toises ? Pas davantage, je ne crois pas. Je ne sais plus bien. La piste n'était pas facile à suivre, j'ai beaucoup... zigzagué... Mais je dois avouer que mes souvenirs sont un peu flous. C'était peut-être plus près. Ou plus loin."

[Taliesin]

-Je comprends.
Il n'allait pas l'asticoter davantage. Quelque chose continuait à le troubler mais si le garde-chasse avait été de mèche avec les ravisseurs de Cordélia, ils ne l'auraient ni attaqué, ni laissé pour mort dans les bois.
-Bon et bien, je crois que nous n'avons pas d'autre choix que de rentrer.
Ils avaient épuisé tous les moyens à leur disposition pour retrouver la jeune femme : désormais, il fallait espérer un miracle pour que quelque chose les remette sur sa piste brutalement interrompue.

[Galathée]

Victor ne l'entendait pas de cette oreille.
" Quoi ? On ne va pas chercher ? Je suis sûr que... on pourrait demander aux gens, non ? Je veux dire... Elle est pas si discrète, Cordélia !
— Chercher des cavaliers qui sont passés sur une route il y a plusieurs jours ? Et qui ne sont peut-être même pas retournés vers la Vallée ? Qui vas-tu interroger ?
— Ben.. J'sais pas."
Le gosse se tourna vers Taliesin.
" On va quand même pas laisser tomber !"

[Taliesin]

-Bien sûr que non : au contraire, on va continuer l'enquête. Simplement, je pense que nous avons remonté cette piste aussi loin que nous l'avons pu. Bien sûr, rien ne nous empêche de retourner à la grand-route mais... qu'y ferons-nous, sachant qu'il n'est plus possible de suivre les traces des chevaux ? N'avons-nous pas davantage intérêt à regagner la vallée pour nous y reposer, nous y ravitailler et réfléchir ?

[Galathée]

" Peut-être." dit Victor.
Phelan secoua la tête.
" Je vous trouve toujours bien pessimistes. Je continue à penser qu'on n'a pas de preuves qu'il lui est arrivé malheur. Je veux dire... C'est pas le genre de fille à se laisser faire, si ? Vous ne pensez pas qu'on aurait vu des signes de lutte, si elle avait vraiment été enlevée ?"

[Taliesin]

-Elle aurait pu estimer la lutte perdue d'avance, puisqu'ils étaient plusieurs. Elle aurait pu, aussi, être piégée... En tout cas, je ne trouve pas sa disparition normale : si elle avait été grièvement blessée, elle n'aurait pas tranché le groin et nous aurions trouvé des traces de sang. Par ailleurs... Nous avions rendez-vous, le lendemain du jour où elle a effectué travail : depuis, plus aucune nouvelle. Enfin, j'ajouterai qu'elle avait besoin de gagner de l'argent : dès lors, pourquoi renoncer à sa prime ? Pourquoi, aussi, abandonner une partie de ses affaires alors qu'elle n'avait pas encore pu en racheter beaucoup ?

[Galathée]

" C'est vrai, dit le jeune homme.
— Ils ont pu proposer de la ramener jusqu'à Champsdor, par exemple. Vu ce qu'elle venait de faire, elle était sans doute fatiguée.
— Elle est pas si naïve ! Elle venait de se faire kidnapper par des gobelins !
— Des gobelins ? Quel est le rapport ?"
Le garde-chasse poussa un profond soupir.
" Si ça ne vous fait rien, je vais continuer, moi. Je ne me sens vraiment pas dans mon assiette."

[Taliesin]

-Bien sûr. Et de toute façon, nous n'allons pas rester à discuter au beau milieu des bois : autant en être sortis avant la tombée de la nuit.
Et à moins que quelqu'un n'insiste pour qu'ils retournent à la grand-route, ils emboîteraient le pas au garde-chasse.

[Galathée]

Personne n'insista bien que l'humeur de Victor demeure sombre. Ils reprirent leur marche dans la broussaille, aussi vite que le leur permettait la fatigue du garde-chasse. Assez vite, Phelan lui prêta son épaule. La nuit commençait à tomber, ils n'arriveraient certainement pas avant qu'il fasse noir. Mais Taliesin y voyait clair, et plus ils avançaient, plus leur compagnon blessé pouvait leur indiquer des points de repère. A nouveau, Titus avait pris ses distances, mais le barde distinguait les légers craquements de son pas dans le sous-bois. Il ne les aurait de toute façon pas abandonnés.
Ils persévérèrent donc. Les enfants fatiguaient, le chemin était long, et ils ralentirent encore. Petit à petit, la forêt s'éclaircissait, signe qu'ils s'approchaient de la Vallée. Puis il se mit subitement à pleuvoir. Le ciel était désormais noir de jais.

[Taliesin]

Si les nuits de la Vallée fertile n'avait été régulièrement pluvieuses, il aurait vu là une étrange ressemblance entre son humeur et le climat.
Certes, leur expédition dans les bois n'avait pas été vaine : ils avaient pu sauver le garde-chasse et en apprendre un peu plus sur le sort de Cordélia. Mais ces informations apportaient davantage de questions que de réponses et, surtout, ils n'avaient plus aucun moyen de remonter sa piste.
Enfin, chaque chose en son temps. Pour l'heure, il était urgent de se mettre à l'abri...

[Galathée]

Ils atteignirent la cabane du garde-chasse sous la pluie. Phelan aida ce dernier à monter les escaliers et une fois à l'intérieur de la maisonnette, Baptiste s'affaira à allumer un feu, tandis que l'homme s'allongeait péniblement sur sa couche. Ils étaient tous trempés. Bien sûr, Titus était resté à l'extérieur.
" Bon, on fait quoi, maintenant ?" demanda Victor dans un bâillement.

[Taliesin]

Il se tourna vers le garde-chasse.
-Y aurait-il, à proximité, une autre cabane où nous pourrions nous installer ? Ou simplement un endroit où nous pourrions nous abriter de la pluie ? Nous ne voudrions pas vous envahir...
Et surtout pas laisser le pauvre Titus tout seul dehors.

[Galathée]

Mais le garde-chasse dormait déjà, épuisé. Phelan avisa les lieux.
" Si on pousse la table et les chaises, qu'on se serre, on se tiendra chaud. Et le petit peut venir : je crois pas qu'il risque grand chose : notre ami ne se réveillera pas avant longtemps... Il a l'air vraiment claqué."
Baptiste s'était assis en tailleur devant le feu et il poussa un soupir.
" Je nous fait une bonne soupe ? J'ai l'impression qu'on en a tous besoin."

[Taliesin]

-Bonne idée. Mais d'abord, avec Victor, aidez Phelan à déplacer les meubles pendant que j'essaie de convaincre Titus de nous rejoindre.
Et il gagna le seuil pour appeler le petit faune. Et s'il fallait le chercher à l'extérieur... Bah, il était déjà trempé, un nouveau séjour sous la pluie n'aggraverait pas la situation.

[Galathée]

Titus était méfiant mais il répondit à l'invitation de Taliesin. Malgré son affinité avec la nature, il avait l'air aussi piteux que n'importe qui, trempé, et il se réfugia devant le feu avec la même félicité que ses compagnons. Baptiste lui passa une couverture dans laquelle il s'enveloppa avec un merci en commun dans lequel ne perçait plus qu'un accent très léger. Le plus âgé des enfants se leva pour chercher une petite marmite dans les affaires du garde-chasse, puis entreprit de couper des légumes. Phelan lui prêta main forte.

[Taliesin]

Après s'être assuré que tout le monde avait bien, avait chaud, il retourna à la porte et s'alluma une pipe.
La fatigue commençait à le rattraper, accompagné d'un certain découragement.
Tous ces efforts pour absolument rien, ou peu s'en faut.
Et il restait tant de dossiers ouverts...
Ah, vous parlez de vacances...

[Galathée]

L'odeur de la soupe envahit bientôt l'atmosphère humide de la cabane. Baptiste vint lui porter un bol à la porte, ainsi qu'un morceau de pain, puis s'esquiva sans rien dire. Victor le rejoignit à son tour, l'expression toujours belliqueuse.
" On va la retrouver, j'en suis sûr, dit-il. Et on va arranger le portrait de ceux qui lui ont fait du mal !"
Il semblait tout prêt à en découdre dans l'instant.
Comme de coutume, la cuisine de Baptiste s'avéra roborative et délicieuse. Même s'il continuait à pleuvoir à verses dehors, leur abri devenait de plus en plus chaleureux, comme un rempart à la nuit.

[Taliesin]

-Ce qui est certain, c'est qu'on ne va pas la laisser tomber, répondit-il. Et qu'on va éclaircir tous ces mystères.
Car il discernait bien des choses étranges sous le vernis tranquille de la Vallée fertile. Des choses dont la plupart des habitants n'avaient peut-être pas conscience.