[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Ce n'était pas évident : le sol était mouillé, certes, mais la route était bien entretenue, plus caillouteuse que terreuse, et il s'y marquait peu d'empreintes. De surcroît, quand il y avait des traces, on réalisait qu'il y en avait plus d'une : le pas de bien des paysans, de leurs bêtes, de leurs chariots, s'était imprimé sur le sol. Baptiste finit par attirer l'attention de Taliesin.
" Est-ce qu'on ne peut pas partir du principe que le fils du fromager est lié à cette disparition nocturne ?"

[Taliesin]

-Si tu as des raisons de penser que c'est avec ce garçon qu'il s'entend le mieux et qu'il serait susceptible d'organiser une excursion nocturne, je te suis.
De toute façon, retrouver Victor sans la moindre piste s'apparentant à chercher une aiguille dans une meule de foin, il était prêt à se raccrocher à la moindre intuition de Baptiste.

[Galathée]

" Je n'ai aucune raison de penser quoi que ce soit, dit le gosse, penaud. Je disais ça comme ça... Il ne ma pas exactement raconté ce qu'il avait fait ces derniers jours, hormis... vivre des aventures, comme il dit."
Il regarda la nuit, haussa les épaules.
" En plus, je ne sais pas où c'est, la fromagerie."

[Taliesin]

-Moi non plus.
Soupir.
-Bon, comme il est impossible de remonter sa piste, comme on n'a pas la moindre idée de l'endroit où il est allé, le mieux est sans doute de se promener dans le village, en commençant par les environs immédiats de la maison de Mona. Peut-être finira-t-on par entendre quelque chose. Ou par percevoir des effluves de frômage.

[Galathée]

Ils marchèrent un moment dans le noir et la pluie, arpentant les rues du village, main dans la main. Baptiste se rapprocha contre le barde.
" J'espère que personne va nous voir... sinon on risque de nous prendre pour des rôdeurs... de la mauvaise sorte."
Pas d'odeur de fromage, pas de traces nettes, juste les maisons, le ciel couvert, le silence de la nuit.
" Où est-ce qu'ils ont pu aller ?"

[Taliesin]

-Aucune idée.
Il sentit la colère l'envahir en même temps que l'inquiétude.
Il semblait que dans cette vallée maudite, il ne puisse décidément rien faire, rien réussir...
Il secoua la tête. La frustration n'était pas bonne conseillère.
-Bon, rentrons : sans le moindre indice, nous ne pouvons absolument rien faire, sinon attendre son retour.
S'il rentrait : il se passait tellement de choses horribles, en cette contrée...

[Galathée]

" Attends, dit Baptiste en le retenant par la manche. Si tu invoquais ton chien, comme l'autre jour ? Ça avait marché, alors qu'on n'avait pas grand chose à lui faire sentir... Ici, on peut aller chercher une vieille chaussette de Victor : il les laisse traîner partout. C'est sûr qu'il pleut, mais pas très fort... Ça devrait pouvoir marcher, non ?"

[Taliesin]

Il acquiesça.
-C'est une bonn idée. Et on ne perd rien à essayer.
Se morigénant de ne pas y avoir pensé lui-même et d'avoir perdu beaucoup de temps de ce fait, il ne tergiversa pas davantage. On verrait bien ce que donnerait la manœuvre.

[Galathée]

Baptiste l'abandonna dans la rue pour aller chercher la chaussette en question et Taliesin put incanter à son aise, derrière un appentis, histoire de ne pas attirer l'attention. Le chien céleste au pelage argenté apparut, s'ébroua sous l'ondée printanière, puis s'assit sur le sol en remuant la queue, attendant les ordres. Le petit garçon parut peu après, empressé, et tendit sa trouvaille à l'animal invoqué.
Celui-ci renifla longuement la chaussette odorante puis mit la truffe au sol et se dirigea vers le centre du village.

[Taliesin]

-Avant-hier matin, il était monté avec d'autres enfants dans un arbre qui pousse sur la place. Mais je le voyais mal y retourner en pleine nuit...
Il le voyait toujours mal le faire, d'ailleurs, au point qu'il doutait que ce soit vers ce fameux arbre que les guidait le chien.
Enfin, ils verraient bien...

[Galathée]

Le chien les guida jusque là... mais continua sa route sans s'arrêter. Il traversa la petite place et s'engagea sur la voie pavée qui menait à Champsdor. Il n'y avait chez lui pas l'ombre d'une hésitation : il se dirigeait vers la campagne ténébreuse, hors du village.
" Bigre, il a l'air d'être parti loin... On devrait voir des torches, au moins..."
Il scruta l'obscurité.
" Mais on voit rien."

[Taliesin]

-Oui...
Depuis combien de temps Victor était-il sorti ? Et si cette sortie était à l'origine volontaire, ce qui paraissait certain, n'aurait-elle pas pu se prolonger contre son gré, suite à une mauvaise rencontre ? Tout lui semblait possible, ici... D'ailleurs, il pressa le pas. Il aurait bien renvoyé Baptiste chez Mona mais d'une part il ne serait pas rassuré de le laisser marcher seul dans les rues du village et, d'autre part, il lui semblait impératif de ne pas perdre de temps.

[Galathée]

Le chien suivit la route un moment, trottinant devant eux, la truffe toujours au sol. Taliesin vit des premières traces de bottes plus claires. Il y en avait plusieurs : celles de Victor, sans doute, mais il n'était manifestement pas seul dans son équipée nocturne. Toutes les empreintes étaient de taille moyenne, cependant : uniquement des enfants, peut-être un jeune adolescent ou l'autre, pas d'adulte. Ils dépassèrent des champs et des potagers, ils marchaient déjà depuis une demi-heure. Sans doute le chien ne tarderait-il pas à se volatiliser...

[Taliesin]

Ce n'était pas un problème : la piste était désormais aisée à suivre et, en cas de besoin, il pourrait toujours convoquer un nouveau chien céleste.
-Je me demande ce qui a bien put passer par la tête de ces gosses... dit-il à Baptiste après l'avoir informé de ses observations. D'accord, la vallée est d'ordinaire un coin paisible mais là, se hasarder dans la campagne en pleine nuit, avec tout ce qu'il se passe... C'est de l'inconscience.
D'ailleurs, il se tenait sur ses gardes.

[Galathée]

" Peut-être que les adultes leur racontent pas grand chose, proposa Baptiste. Et puis... peut-être aussi qu'ils ne se sentent pas concernés... Ou alors ils se sentent tellement concernés qu'ils ont décidé de faire quelque chose..."
Il frissonna.
" C'est peut-être simplement l'aventure... l'interdit... ce genre de choses. Je me souviens quand j'étais à la commanderie : les novices planifiaient toujours de faire le mur. Pour le principe. Le défi. Ils terminaient avec des punitions carabinées, mais ils avaient l'impression d'avoir gagné quelque chose, quand même, au final..."

[Taliesin]

-Je ne vais pas te mentir : j'ai aussi fait les quatre cent coups quand j'étais petit, alors je peux comprendre en partie. Mais en partie seulement : il s'est tout de même passé des choses très graves, récemment, ils doivent bien s'en rendre compte...
Il secoua la tête.
-J'espère que Victor en leur a pas parlé des ruines. Ou qu'ils ne se sont pas mis en tête d'aller voir les centaures. Mais ça... Seul l'avenir le dira.

[Galathée]

Baptiste n'extrapola pas davantage et continua à marcher à ses côtés tandis que le chien remontait la piste. Ils virent soudain une lueur, plus loin sur la route. Plusieurs lueurs, même. Des torches. Au début, ils ne distinguèrent que des points lumineux, ceux qui les portaient étaient encore à bonne distance. Mais au fur et à mesure qu'ils avançaient, ils purent les compter. Il y en avait plus de quinze. Et, chose surprenante, peut-être, elles paraissaient de plus en plus proches.

[Taliesin]

La troupe serait-elle sur le chemin du retour ?
C'était le plus probable, de son point de vue.
Néanmoins, il ne baissa pas sa garde, espérant identifier les promeneurs nocturnes avant qu'ils ne puissent l'apercevoir. Après tout, il n'y avait pas que des gosses inconscients à pouvoir se promener ainsi, à la brune...

[Galathée]

Les torches continuèrent à se rapprocher. Puis elles parurent s'immobiliser. Taliesin réalisa alors que, vu que le terrain était plat jusqu'à Champsdor, elles se trouvaient bien trop en hauteur pour être portée par des enfants. Elles étaient même hautes pour des adultes. Le plus vraisemblable était qu'elles étaient portées par des cavaliers. Ils avaient atteint la limite des champs et désormais s'étendaient devant eux les pâturages qui encerclaient la butte de l'abbaye. Les lumières demeurèrent immobiles un moment, puis se remirent en mouvement. Vers le nord. Les ruines. Le campement des centaures.

[Taliesin]

Mais que se passait-il, ici ?
Les cavaliers ne pouvaient être des centaures : pour autant qu'il sache, ces derniers voyaient dans le noir et n'avaient donc pas besoin de torches.
Pouvait-il s'agir d'habitants de la vallée décidés à régler le problème par la force ?
Pouvait-il s'agir des fameux cavaliers ayant enlevé Cordélia ?
Bon sang, la marmaille avait vraiment mal choisi sa nuit pour aller se promener dehors...
-J'ai comme l'impression qu'on a bien fait de se lancer aux trousses de ces idiots... murmura-t-il à l'intention de Baptiste, auquel il n'avait rien caché de la situation. Mais si ça se complique vraiment, je te trouverai un coin où te cacher : je ne veux pas t'exposer.

[Galathée]

Le groupe armé de torches avait définitivement quitté la route. On apercevait, ténues, les lueurs de Champsdor dans le lointain. Le chien poursuivait sur la piste, lui, et il le fit encore quelques minutes, avant de s'immobiliser. Il chercha un instant puis bifurqua à son tour vers le nord, dans le pâturage. Il était probable que tôt ou tard, leur trajectoire rencontre celle des autres promeneurs nocturnes. Quelques toises plus loin, le chien se volatilisa.

[Taliesin]

Il en convoqua aussitôt un autre.
Certes, en cas de grabuge, il tenait à conserver un maximum de sortilèges. Mais il pouvait, lui semblait-il, utiliser à nouveau celui-ci sans trop se démunir. Et puis, le temps pressait : il tenait à rejoindre les mômes avant que ne le fassent les cavaliers...
Bref, pas une seconde à perdre.

[Galathée]

Ils poursuivirent donc leur route sur la piste du chien, hâtant le pas. Il était néanmoins manifeste qu'ils ne rejoindraient pas aisément les cavaliers, qui progressaient beaucoup plus vite qu'eux. Baptiste, en particulier, ne parvenait plus à suivre le rythme.
" Je crois que... je vais t'attendre ici... dit-il au bout d'un moment. J'ai surestimé mes forces..."
Il était hors d'haleine.

[Taliesin]

-Le problème, c'est que je ne suis pas certain qu'il y ait de bonnes cachettes dans les parages...
Soupir.
-Penses-tu pouvoir continuer si nous ralentissons le pas ? Nous sommes de toute façon incapables de les rattraper.

[Galathée]

" Je vais essayer, en tout cas." dit l'enfant, tout en cherchant un refuge du regard.
Il y avait quelques arbres épars et il n'était pas interdit de penser qu'ils tomberaient tôt ou tard sur une bergerie. Mais avec l'inquiétude des éleveurs alentours, sans doute serait-elle gardée par un chien, a minima.
" A mon avis... Ils sont allés chez les centaures... ou alors au cimetière... à la cabane... Victor n'aurait jamais trahi tes ruines... mais on n'est pas non plus sûrs que c'est lui le leader..."

[Taliesin]

Il espérait vraiment qu'ils aient opté pour la cabane ou le cimetière et pas pour les centaures : nonobstant leur éventuelle implication dans le massacre des elfes, ceux-ci avaient conscience de l'hostilité des gens de la région et devaient donc être sur leurs gardes - doux euphémisme -, prêts à repousser un éventuel assaut...
-Le chien nous mènera à eux où qu'ils aient été. Mais croisons les doigts pour qu'ils fassent preuve de vigilance et se planquent si d'aventure les cavaliers s'approchent d'eux.

[Galathée]

Mais plus le chien progressait, plus il apparut à Taliesin que les enfants — si c'était bien ce qu'ils suivaient*— n'étaient pas allés vers le bois. La trajectoire de l'animal suivait une diagonale au coeur de la prairie, vers un endroit sombre, où s'était probablement tenu le camp centaure. Taliesin en eut la confirmation quand son oeil acéré devina une étincelle, le reflet encore lointain d'un feu. Les cavaliers progressaient toujours dans cette direction, mais ils s'arrêtèrent subitement dans la plaine. Pendant un moment, les torches restèrent immobiles, puis elles se déplacèrent, gagnèrent le sol, et s'éteignirent une à une, plongeant à nouveau la vallée dans le noir.

[Taliesin]

Certain d'être sur la bonne piste - il avait évidemment pris soin de faire sentir la chaussette au chien -, Taliesin maudit intérieurement Victor et le reste de sa bande. Si les centaures étaient toujours dans leur bivouac, les gamins seraient pris entre deux feux, à moins qu'ils n'aient déjà été capturés par les habitants du lieu. Et si ces derniers étaient partis, le groupe devait bivouaquer joyeusement autour d'un feu, inconscient de ce qui se rapprochait...
Restait à espérer que les cavaliers ne soient pas animés de trop mauvaises intentions...
En tout cas, désormais, il fallait progresser prudemment pour ne pas être victime d'une embuscade.

[Galathée]

Taliesin commença à pouvoir percevoir plus clairement ce qui se déroulait encore loin devant lui. Il y avait un groupe qui progressait à pied à partir de la gauche. Une vingtaine d'hommes, peut-être plus. La pluie s'était arrêtée et le ciel se dégageait, révélant une lune argentée qui profiterait sans doute à leurs yeux humains. Le campement était toujours en place, le feu allumé était de petite taille, dissimulé par une des tentes. Pour l'heure, il n'y avait aucun bruit. Le chien avançait plus rapidement, maintenant, filant vers la partie la plus au nord du bivouac. Il sembla alors à Taliesin qu'il apercevait quelque chose bouger dans l'herbe, dans cette direction... C'était encore hors de portée d'un cri, et difficile à distinguer, cela pouvait être un animal... mais cela pouvait aussi être un enfant.

[Taliesin]

C'est dans cette direction qu'il se dirigea, essayant de concilier rapidité et discrétion, essayant surtout de ne se faire repérer ni des hommes, ni des centaures.
La raison pour laquelle les premiers étaient venus ici ne l'intéressait pas dans l'immédiat : ce qui comptait, c'était de mettre les gosses à l'abri avant que ça ne dégénère.
Si tant est que cela soit encore possible...