[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Baptiste poussa un bref soupir.
" Mais si c'est trop tard, hein ? Tu feras quoi si c'est trop tard ?"
Il relâcha sa respiration.
" Je vais compter sur ton bon sens."

[Taliesin]

-Je serais prudent. Et si malgré tout, la situation devait en venir à dégénérer... Souviens-toi que je peux me rendre invisible ou convoquer des créatures pour ralentir mes poursuivants. Je peux même utiliser un sort de domination pour prendre le contrôle de quelqu'un, quoique je n'aime guère cette méthode... Bref, je ne suis pas dénué de ressources. Et, peut-être plus important encore, autant je ne pourrais pas partir sans rien tenter, autant je n'ai pas l'intention de risquer ma vie : je n'oublie pas mes responsabilités envers vous. Comme je le disais, elles constituent ma priorité.

[Galathée]

Baptiste acquiesça. Son expression se figea, cependant, et Taliesin devina qu'ils n'étaient plus seuls (ils ne l'avaient sans doute jamais été, car il était difficile de savoir où se trouvait le pixie...).
" Oh, tu es déjà là ? fit la voix de Victor, dans son dos, encore pâteuse. Est-ce que ça veut dire que le bivouac est terminé ? Tu as vu notre super cabane ?"

[Taliesin]

Victor ?! Réveillé si tôt ?! C'était proprement... déconcertant.
-Salut bonhomme, répondit-il en se tournant vers lui. J'ai vu votre cabane, oui : félicitations ! Quant au bivouac... Non, il y a de très fortes chances qu'il ne soit pas terminé.
Nul doute que le gosse allait plus fortement protester que son frère mais... il ne se sentait pas d'aborder immédiatement le sujet de manière frontale.

[Galathée]

" Ouf, parce que certains d'entre nous ont dû mettre de l'eau dans leur vin, hier soir..."
Baptiste haussa les épaules en secouant la tête.
" C'est pas si confortable, le hamac.
— Tu dis ça maintenant, mais hier soir tu disais pas ça."

[Taliesin]

-Bah, vous êtes parvenus à trouver un terrain d'entente, c'est tout ce qui compte.
Que Victor se réjouisse de la prolongation du bivouac était plutôt bon singe : il n'allait pas insister mordicus pour le suivre.
-Vous avez de quoi déjeuner ou voulez-vous que je remonte là-haut pour aller nous chercher le nécessaire ?

[Galathée]

Victor rit doucement.
" Heu... On avait prévu de passer trois ou quatre jours ici en bas... On n'a pas besoin que tu nous apportes quoi que ce soit.
— Le pixie nous a apporté de quoi manger. Et j'avais des réserves, dit Baptiste.
—*Mais tu peux te joindre à nous, si tu veux."

[Taliesin]

Il n'aurait plus manqué qu'on le pousse dehors, tiens ! Lui qui se sentait déjà complètement isolé, ça aurait bien arrangé son humeur...
-J'accepte bien volontiers votre invitation. Et tu peux te rassurer, Victor : passé ma visite de ce matin, vous serez tranquilles... Des jours et des jours.
Tout était tellement difficile, dans cette vallée de malheur, qu'il faudrait une veille au bas mot pour mener l'enquête à bien - si jamais ils y parvenaient. Ensuite, resterait à trouver le moyen le plus rapide possible pour rentrer à la maison.
Une chose était certaine : s'il en repartait jamais, de ladite maison, ce ne serait plus pour suivre les plans désastreux de Tim. Oh non, ses vacances, il se les organiserai lui-même.

[Galathée]

Mais Victor s'était figé sur le pas de la cabane. Baptiste en profita pour filer avant l'orage.
" Des jours et des jours ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Tu vas aller où, au juste ? Si c'est pour sauver Cordélia, je viens avec !"

[Taliesin]

Dire qu'à peine une minute plus tôt, Victor était content que le bivouac se prolonge...
-Mon pauvre, il vaut vraiment mieux que tu t'épargnes cela. Tu devrais voyager en compagnie de trois elfes décidés à mener une enquête patiente et dont l'essentiel sera dépourvu de la moindre action : bref, tu trouverais ça ennuyeux à mourir au bout de seulement cinq minutes. Par ailleurs, comme il y a fort à parier que quand nous ne serons qu'entre nous, nous deviserons en elfique, tu ne comprendras rien. Et ça vaudra sans doute mieux, parce qu'aussi ouverts d'esprit puissent-ils être par rapport à leurs concitoyens, mes deux compagnons risque de passer leur temps à critiquer ces humains dont ils devront prendre l'apparence et dont il leur faudra supporter la compagnie des jours durant.

[Galathée]

Victor croisa les bras.
" Je vois que tu essaies de me présenter les choses pour que je pousse des cris et retourne me terrer dans les bois... Mais j'ai pas peur du mépris des elfes. Franchement. J'ai une tête à me soucier de ce genre de trucs ? J'avais pas peur des centaures, non plus. J'ai toujours pas peur, d'ailleurs. Et je n'ai pas l'impression que tu reviendras me chercher pour l'action."

[Taliesin]

-Je te l'accorde. D'un autre côté... Combien de parents iraient de leur plein gré jeter leurs enfants au beaumilieu d'une bataille ? Combien les conduiraient sciemment en un endroit qu'ils savent dangereux, alors même que rien ne les oblige ? Aucun. A moins de tomber sur des parents inconscients ou désireux de se débarrasser de leurs rejetons.
Il soupira.
-Pour le reste, je sais que tu n'as peur de rien. Et c'est justement pour cela que je ne peux pas te faire confiance : tu fonces tête baissée dans le danger, tu manques te faire tuer... et tu te feras tuer avant longtemps si je ne veille pas au grain.

[Galathée]

" Je ne me suis pas encore fait tuer, jusqu'ici. Et si on fait le compte, peut-être que tu te serais fait tuer si je n'avais pas été là pour te sauver la mise à l'une ou l'autre reprise."
Il secoua la tête.
" Je ne suis pas n'importe quel enfant. J'ai de l'expérience, moi aussi. Est-ce qu'il n'y a pas un dicton qui dit que l'âge, c'est pas un truc très important ?"

[Taliesin]

-"La valeur n'attend pas le nombre des années", dit le dicton. Lequel n'a pas tort : tu es valeureux, c'est certain, et je suis très souvent fier de toi. Très souvent mais... pas toujours.
Il le regarda bien en face.
-Par exemple, as-tu conscience que si je n'étais pas parti sur tes traces au beau milieu de la nuit avant de m'élancer immédiatement aux trousses du centaure, tu serais probablement mort, à l'heure qu'il est ? Tu vois, c'est à cause d'événements de ce genre que je ne peux pas sérieusement envisager de t'emmener avec moi. Parce que je sais que s'il y a du danger, tu ne seras pas prudent et, au contraire, fonceras dans le tas.

[Galathée]

" Mais est-ce que ça vaut vraiment le coup de vivre si on ne peut rien faire parce qu'on a toujours peur de tout ? Est-ce que parfois, prendre des risques, ce n'est pas justement... le sel de l'existence ? D'accord, j'aurais pu... mais je ne suis pas mort. Avec des si, on mettrait Luménis dans une outre !"
Il haussa les épaules.
" En même temps, je comprends que cela te stresse : c'est ton rôle, hein."
Il eut un sourire.
" Mais j'ai l'impression que c'est... dépassé. Je pourrais me casser le cou en escaladant un arbre. Après... Je suis heureux d'avoir approché un centaure, maintenant. Je n'aurai rien à regretter."

[Taliesin]

-Sauf que tu as eu une chance énorme : celle que nous nous rendions compte de ton absence en pleine nuit, et non à l'aube. Tu as aussi eu de la chance que ceux qui ont assailli le camp des centaures ne s'en soient pas plus massivement pris à moi : sinon, nous y aurions tous deux laissé la vie.
Il soupira.
-Du moment qu'elle ne paralyse pas, la peur n'est pas une mauvaise chose : elle permet de mesurer les risques, elle incite à la prudence. Et c'est primordial car au fond... tout est une question d'équilibre. Oui, si on est effrayé par tout, si on ne fait rien par crainte de se mettre en danger, sans doute ne vit-on pas vraiment. Mais si on est effrayé par rien et si on tente tout en se fichant complètement de se mettre en danger... peut-être vit-on pleinement mais seulement pour connaître une mort aussi brutale que prématurée. Puisque nous en étions aux dictons... L'un d'entre eux dit "Qui veut voyager loin ménage sa monture" : on pourrait adapter ça en "Qui veut vivre moult aventures ne doit pas périr lors de la première".

[Galathée]

" Allons... s'il m'arrivait quelque chose, tu me ressusciterais ! Je suis certain que le pipeau en est capable !"
Il sourit.
" Ou alors Lathandre m'accueillerait dans sa gloire..."

[Taliesin]

-Et ta mort nous laisserait tous anéantis.
Il soupira à nouveau.
-En tout cas, force est de constater que la stratégie ne fait pas partie de tes qualités. Parce que m'expliquer que tu ne regrettes rien quant à tes actions téméraires, que tu n'as aucune intention de te montrer plus prudent et que tu t'en fiches complètement de mourir, ça n'est pas exactement le meilleur moyen pour me convaincre de te laisser m'accompagner. Ce serait même plutôt tout l'inverse.

[Galathée]

Il s'empourpra.
" Heu. Hum. Mais je serai sage ! Cette fois-ci ! Promis ! Je ne ferai rien d'inconsidéré ! Je me tiendrai... comme si j'étais Baptiste, tiens. Toujours réfléchi. Promis."
Il sourit en écarquillant les yeux, faisant sa mine innocente.
" S'il te plaaaait ?"

[Taliesin]

Taliesin rit.
-C'est déjà mieux. Mais le changement est trop brusque et trop radical pour paraître d'emblée crédible : c'est le genre de chose que l'on juge sur la longue durée. Non, parce que là, ça fait tentative d'attendrissement. Or, je suis insensible à ce genre de manœuvre !
Il lui ébouriffa affectueusement les cheveux.
-Allez, viens : je ne sais pas toi mais moi, j'ai bien envie de déjeuner.

[Galathée]

" Hum. Je n'ai pas dit mon dernier mot."
Il se tourna vers un arbre voisin.
" Baptiste doit être en train de mitonner quelque chose... Il ne pourrait pas entamer la journée sans un petit machin exquis à se mettre dans l'estomac. Mais... moi je peux me passer de ça... je suis un spécialiste du baroudage. Je ne me plaindrais jamais ! Et puis je connais bien les humains... accessoirement."

[Taliesin]

-C'est vrai.
Et il avait le chic pour se faire accepter même de parfaits inconnus.
-Mais il n'y aura pas de baroudage au cours de cette mission : il s'agira juste d'enquêter, de poser des questions, de faire preuve de patience... Sincèrement, Victor, tu trouverais ça ennuyeux à mourir. Et tu te plaindrais tout le temps !

[Galathée]

" Je suis capable d'enquêter et de poser des questions... beaucoup plus naturellement que toi ! Tu as perdu la main... ou plutôt la voix... ces derniers temps !" s'exclama-t-il en le gratifiant d'un coup de coude amical.
Baptiste avait effectivement allumé un petit feu dans un cercle fortifié de cailloux, défense obligatoire pour protéger les bois alentours.
" On peut faire un concours... Le premier qui retrouve Cordélia. En plus, les gosses, on s'en méfie moins !"

[Taliesin]

-Proposer un concours de rapidité et suggérer que nous nous séparions alors qu'il faudra privilégier la prudence vu que Champsdor est plus dangereux qu'on ne pourrait le croire... Là encore, ça n'est pas très stratégique.
Il s'assit près du feu. Certains des arguments mobilisés par le gosse étaient pertinents mais... bigre, l'embarquer avec lui dans de telles conditions, vers un tel endroit, ça ne lui plaisait vraiment, vraiment pas.

[Galathée]

" Rien de tel qu'un concours pour se motiver ! Et puis ça ne veut pas dire que je ne serais pas prudent. J'ai besoin d'un défi pour me mettre en mouvement. Ensuite, évidemment, je te raconterai ce que j'ai trouvé. Puis je n'essaierai pas de sauver Cordélia sans toi, bien sûr. Je viendrai te chercher et si tu veux, je me mettrai même en retrait au moment de la victoire, pour que tu récoltes toute la gloire ! Enfin... sauf si on reprend Phelan avec nous."

[Taliesin]

-Nous ne l'approcherons pas : cela risquerait de mettre à mal notre couverture, surtout s'il est surveillé par les autorités, comme je le crois.
Il soupira.
-Mais sinon, pour changer un peu de sujet... Qu'avez-vous fait de beau avec la fée ? Vous a-t-elle dit son nom ?
Il n'était pas dit que la manœuvre fonctionnerait mais comme il y avait fort à parier qu'il ne reverrait pas ses fils avant longtemps, il aimait autant ne pas passer toute la matinée à parler de l'opération difficile et périlleuse qui se préparait.

[Galathée]

Victor haussa les épaules.
" On n'a pas fait grand chose de spécial avant le soir. Après, elle a fait des lumières."
Il dévisagea le barde.
" Tu es certain que c'est une fille ? Moi j'aurais pas pensé ça."
Il y eut un gloussement dans les arbres, mais la créature ne se mêla pas davantage de leur conversation.
" Quoique vu sa tendance à pincer les fesses et tirer les cheveux..."

[Taliesin]

-Les pixies sont des êtres volontiers facétieux. Et en réalité, je ne sais pas si c'est une fille ou un garçon : il faudra lui demander.
Il sourit.
-Mais donc, il vous a donné un spectacle hier soir ? Bigre, j'ai de la concurrence !

[Galathée]

" Elle n'a pas chanté, je te rassure, dit Victor en riant. Ni raconté d'histoire, d'ailleurs."
Une bonne odeur de gruau flottait désormais dans l'air et Baptiste avait commencé à remplir des bols. Il leur sourit quand ils s'approchèrent mais ne s'enquit pas de leur conversation. Il avait l'air passablement perdu dans ses pensées.
" Et quoi, l'idée c'est de camper ici pendant dix jours, alors ?"

[Taliesin]

-Je ne sais pas combien de temps ça durera mais... oui, c'est ça l'idée.
Il soupira.
-Je suis désolé que les choses tournent de la sorte. Mais... voilà, il faut faire avec tout ce qui nous est tombé dessus. Cependant, ce n'est pas donné à tout le monde de pouvoir camper dans la Lorien, sur les terres d'un sage telle que maître Wilmarin et en compagnie d'une fée. C'est même une sacrée expérience.