[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Le gosse fronça le nez, manifestement peu convaincu. Ce n'était sans doute pas la première fois qu'un adulte l'assurait de quelque chose qui se révélait ensuite complètement faux. Il regarda autour de lui, les arbres, le morceau de ciel prisonnier de leurs branches puis poussa un bref soupir et trotta jusqu'à son alcôve.
Wilmarin eut un sourire privé, sans pour autant regarder le barde. Il ne restait plus à celui-ci qu'à rejoindre sa propre place.
Une fois qu'ils furent tous installés, le sage elfe prit une place plus centrale dans la clairière, demeurant à l'extérieur de la ruine et se mit à chanter. Ce n'était pas vraiment un chant, davantage une vibration de gorge, un son soutenu, variant en intensité, en hauteur, comme une note irrégulière et pourtant harmonieuse. Il avait fermé les yeux, campé sur ses jambes, les mains légèrement écartées devant lui. Taliesin eut la sensation que le vent se levait, puis il fit soudain froid, puis très chaud, il fut forcé de tousser, les yeux piquant d'une poussière invisible, sentit la pluie ruisseler sur son visage sans qu'il n'y en ait la moindre goutte, éternua, puis se couvrit de sueur, la lumière flamba, il fit nuit, oppressant puis il eut l'impression de voler un instant, sans que rien n'ait bougé autour de lui. Enfin, comme la litanie de Wilmarin atteignait un point critique, toute la ruine s'illumina, la pierre luisant d'un halo grisé, mouvant, comme si des courants couraient sous la surface de la pierre.
L'elfe se tut et rouvrit les yeux. De là où il était, Taliesin ne voyait pas les enfants mais il n'entendit aucun bruit venant de leurs alcôves. Difficile de savoir s'ils étaient ébahis ou terrorisés.
Lui-même percevait la magie qui l'environnait comme une caresse ténue, en résonance discrète avec quelque chose en lui-même, quelque chose d'enfoui dans ses tripes, dans un endroit qu'il ne frôlait jamais. Cela n'avait rien à voir avec les murmures et les embrasements habituels de la Toile dont il usait d'ordinaire.
" Taliesin, vous d'abord, dit Wilmarin. Claquez les silex, cela suffira."

[Taliesin]

-Entendu, répondit-il en elfique.
Cependant, avant de s'exécuter, il prit le temps de s'adresser aux enfants, en commun.
-Tout va bien, les gars : le rituel suit son cours. A présent, c'est à moi d'intervenir avec mes silex. Mais votre tour d'agir ne tardera plus !
Puis il s'exécuta enfin, non sans enthousiasme. Pour qui était curieux de savoir, de savoir arcanique en particulier, ce qui était en train de se passer était passionnant, pour dire le moins.

[Galathée]

Mais il n'eut pas matière à s'émerveiller davantage. Une étincelle surgit au second coup entre les silex et tout s'embrasa, une fraction de seconde, autour de lui.
Puis il se retrouva ailleurs. Il reconnut la ruine qu'il avait dégagée avec les enfants quelques jours plus tôt, au pied de la butte de Champsdor. C'était le crépuscule mais un petit feu brûlait dans la clairière. Marius musardait dans les broussailles, un bâton à la main. Wilmarin était en train de faire griller quelque chose sur la flamme et Taliesin réalisa qu'il avait grand faim.

[Taliesin]

L'elfe demeura un moment immobile, quelque peu déconcerté par ce qu'il découvrait.
Ce n'était pas la téléportation qui le laissait perplexe : à cela, il s'était attendu. Non, ce qui le déroutait, c'était l'impression que les autres étaient déjà là depuis un petit moment, avaient déjà pris leurs marques...
Lui-même avait-il mis plus de temps à émerger ? Avait-il eu une absence ?
Le meilleur moyen de le savoir, c'était de rejoindre ses compagnons, ce qu'il fit d'autant plus promptement que son estomac criait famine.

[Galathée]

" Bienvenue. J'ose espérer que vous avez fait bon voyage." dit Wilmarin comme il approchait.
Deux lièvres rôtissaient sur la flamme.
" Vous devez mourir de faim. C'est un contrecoup typique des passages de feu. Je n'ai jamais réussi à le comprendre ou le contrecarrer. Mais je vous ai préparé quelque chose. Nous avons encore un peu de temps avant l'arrivée du cornu."

[Taliesin]

Les conséquences étaient donc différentes selon l'alcôve où l'on se trouvait, l'élément auquel on recourrait : la faim, le temps s'écoulant plus ou moins...
-Merci, c'est très attentionné de votre part, répondit-il. Et j'espère que tout se passera bien pour Titus.
Quant à Marius, il donnait l'impression de ne pas avoir trop mal supporté son séjour en la seule compagnie du sage elfe.

[Galathée]

" Ne vous inquiétez pas pour lui. Les passages de terre sont toujours les plus ralentis quand le site est aérien. Il arrivera d'ici une petite heure au grand maximum. Et cela n'aura duré qu'un instant pour lui."
Il lui tendit un des lièvres.
" Cela dit, si les humains ferment les portes de leur ville pour la nuit, vous pourriez vouloir y rentrer avec la fouine. Je vous rejoindrai avec le cornu demain matin."

[Taliesin]

Le barde s'empara de sa pitance avec reconnaissance.
-Oh, m'est avis qu'ils nous ouvriront les portes toutes grandes, quand ils sauront qui vous êtes et que vous êtes là pour les aider. Et même si cela ne devait pas advenir... Bah, j'attendrai avec vous. Je me verrais mal aller profiter du confort de la demeure de maître Amrod tandis que vous devriez camper...

[Galathée]

Le lièvre était savoureux, bien qu'il ne soit que rôti et saupoudré de quelques herbes forestières. Marius s'approcha, silencieux comme un chat sauvage, et Wilmarin lui tendit une cuisse qu'il accepta avec hésitation avant de retourner s'asseoir plus loin dans le sous-bois.
" Vous êtes bien optimiste si vous pensez que mon nom va vous ouvrir des portes, dit le vieil elfe avec un sourire. Rares sont les humains de cette vallée qui ont entendu parler de moi, bien heureusement. Et vous êtes bien... humanisé pour penser que je puisse préférer le confort de la demeure Amrod à l'accueil de la forêt."

[Taliesin]

-C'est plutôt que vous avez quitté votre demeure à cause de moi : dès lors, il me paraît plus correct de demeurer en votre compagnie jusqu'à notre destination. Pour le reste... J'imagine que l'état-major aura prévenu les gardes de ma mission et que ceux-ci se montreront conciliants. Et même s'ils ne sont pas au courant... Un messager envoyé à leurs supérieurs les informera bien vite de la situation.
Il ne se faisait guère de souci à ce niveau.

[Galathée]

Wilmarin leva les yeux vers le ciel et fronça les sourcils. Il faisait presque nuit.
" Les créatures maudites qui hantent la butte vont bientôt passer à l'acte. Je sens leur énergie maléfique frémir dans l'air."
Il haussa les épaules.
" Enfin, c'est presque terminé, de toute façon. Dites-moi plutôt... Qu'a dit le cornu des moustiques ?"

[Taliesin]

-Je ne lui ai pas demandé de les interroger, répondit le barde. Alors que vous vous prépariez, il jouait tranquillement avec Marius : je n'ai pas voulu le déranger. Et depuis... Cela ne s'est pas vraiment présenté. Mais je le ferai quand il nous aura rejoint.
De toute façon, les chances pour que Victor se soit trouvé à proximité de la chênaie étaient pour le moins faibles : sinon, maître Wilmarin l'aurait probablement su.

[Galathée]

" Vous me semblez étrangement ambivalent, dit l'elfe avec un sourire. Mais c'est sans doute le reflet de votre foi en ses capacités. Vous êtes sûrement un peu lathandrite, vu les endroits où vous évoluez."
Il croisa les bras.
" Dites-moi. Y a-t-il des choses que je devrais savoir sur ces cultistes, avant de me risquer à les affronter ?"

[Taliesin]

Peut-être y avait-il de cela. Peut-être y avait-il, aussi, un reflet de son sentiment d'impuissance totale à gérer ce gosse.
-Eh bien, je ne sais malheureusement pas grand chose sur eux, moi non plus, répondit-il, passant à des sujets plus immédiats.Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'ils se faisaient passer pour des Chauntéens, que leur magie préservait la vallée, lui offrant une nature docile, domestiquée, et qu'ils maintenaient enfermées en leur abbaye de nombreuses femmes et petites filles, quitte à les enlever...

[Galathée]

" Ah. Ce genre de cultistes."
Il eut un sourire tranquille.
" Et donc je présume qu'il reste plein de ces femmes et enfants là en haut."
Le ciel était désormais noire, zébré d'étranges lambeaux de nuages rouges. Marius s'était rapproché.
" C'était pour les bébés, intervint-il. Les femmes, elles ont des bébés, puis ils prennent les bébés. Les fruits de Chauntéa, quelque chose comme ça. Après, les bébés, ils les donnent à des familles qui peuvent pas en avoir dans la Vallée. Des bébés bénis, évidemment. C'est complètement stupide : y'a déjà bien assez d'orphelins comme ça."

[Taliesin]

Il acquiesça mais n'en pensa pas moins.
A son avis, cette histoire de bébés confiés à des familles bienveillantes était un mensonge destiné à faire tenir les captives tranquilles. Non, le sort réservé aux malheureux nouveaux-nés devait être autrement plus tragique. A moins, bien sûr, qu'ils n'aient des propriétés particulières, qu'ils ne soient destinés à perpétuer la secte, génération après génération. Dans ce cas, toutefois, ceux qui en avaient la garde ne devaient pas ignorer ce qui se tramait à l'abbaye et être des complices dissimulés parmi la population...

[Galathée]

Wilmarin ne dit rien dans l'immédiat, lui non plus, puis poussa un bref soupir.
" Quoi qu'il se passe là haut, c'est bientôt terminé."
Il se tourna vers Taliesin.
" As-tu une idée du nombre d'otages qui se trouvent là-haut ? Des dizaines ? Davantage ? Ça n'a pas l'air très grand, comme ça..."

[Taliesin]

Le barde fouilla ses souvenirs de la brève incursion au sein de l'abbaye.
-Malgré tout, ils retenaient pas mal de captives... Quelques dizaines, je dirais. Peut-être Marius a-t-il une idée plus précise du nombre ?
Et d'interrogé l'intéressé à ce sujet : sans doute cela lui ferait-il plaisir d'être ainsi consulté, de pouvoir ainsi se rendre utile. En tout cas, c'était une chance qu'ils l'aient avec eux.

[Galathée]

Mais Marius ouvrit de grands yeux un peu surpris.
" Heu... Les chiffres, c'est pas mon fort." dit-il finalement avec une grimace.
Il haussa à demi les épaules.
" Il y en avait... plein ? Genre... douze ? C'est beaucoup, douze ?"
Wilmarin sourit.
" On va tabler sur cinquante, alors."

[Taliesin]

Bigre, ce môme aurait bien besoin d'aller à l'école. Mais il savait que s'il ne faisait même qu'évoquer cette possibilité au conditionnel, l'intéressé fuirait instantanément à bride abattue. Et c'était grand dommage, tant l'éducation était importante...
-Je pense que c'est le mieux, répondit-il à Wilmarin.
Sans doute cet élément entrait-il en ligne de compte dans les mesures envisagées par le vieux sage.

[Galathée]

A cet instant, il y eut un léger sifflement et Wilmarin se leva. Une seconde plus tard, Titus apparut dans un craquement et un nuage de poussière, dans l'alcôve de terre. Il se mit à tousser et émergea de la brume en titubant, couvert de boue. Wilmarin marcha à sa rencontre et le guida vers le feu. Le petit faune était dans un état épouvantable, comme s'il était tombé à plus d'une reprise dans une grande mare.
" Voici pourquoi les passages de terre étaient les moins empruntés, dit l'elfe au gosse stupéfait. Viens."
Il le guida vers une autre alcôve. Titus était trop sonné pour résister. Wilmarin se remit à chanter à mi-voix, mains légèrement écartées, et soudain, il se mit à pleuvoir, mais uniquement à l'intérieur de l'alcôve. D'abord surpris, le faune comprit ce qu'on attendait de lui et profita de l'ondée pour se décrasser. A sa mine souriante, Taliesin devina que l'eau devait être d'une température parfaitement agréable. Ensuite, l'elfe ramena le gamin vers le feu.

[Taliesin]

Titus avait décidément un bon caractère : il en connaissait d'autres qui auraient bien davantage récriminé face au conséquences de cet itinéraire...
-Tout va bien ? lui demanda-t-il néanmoins en sylvestre.
Sans doute attendraient-ils un moment avant de se diriger vers les portes de la ville : il avait bien le droit de prendre le temps de souffler, de se remettre un peu de son étrange périple.

[Galathée]

Titus opina du chef puis regarda autour de lui.
" Il fait drôlement noir, ici, remarqua-t-il. Vous êtes là depuis longtemps ?
— Un certain temps, oui." répondit Wilmarin, ce qui fit rougir le gamin.
Le vieil elfe se tourna vers Taliesin.
" Mettons-nous en route. Nous ne sommes pas encore à Champsdor et la nuit va bientôt devenir agitée."

[Taliesin]

Il opina du chef.
-Très bien, allons-y.
Il espérait que les gosses auraient assez d'énergie pour faire d'une traite le long trajet jusqu'à la ville. Si des pauses étaient néanmoins nécessaires... Bah, ils s'en accommoderaient. S'ils trouvaient les portes closes, il demeurait convaincu qu'on les ouvrirait pour eux. Et si les cultistes lançaient leur assaut magique avant qu'ils n'aient pu les atteindre, il faudrait simplement faire montre de vigilance.

[Galathée]

Ils ne durent pas marcher. Wilmarin mena leur procession quelques instants dans les bois, chantonnant à mi-voix, puis les fourrés frémirent et un cerf apparut, flanqué de sa harde. Le vieil elfe s'entretint quelques instants avec le dix cors, dans un sabir incompréhensible mais auquel Titus sembla prêter l'oreille. Ensuite, la bête plia l'épaule et le magicien l'enfourcha.
" C'est une chance qu'aucun d'entre nous ne soit un humain adulte de bonne constitution." dit Wilmarin tandis que les biches s'approchaient des trois autres compagnons, proposant leurs services d'une légère flexion de l'échine.

[Taliesin]

Taliesin se tourna vers les enfants, prêt à les aider, au besoin, à prendre place sur leurs originales montures.
-Ces derniers temps, tu voyages de bien des façons imprévues, pas vrai ? dit-il à Marius, souriant.
Lorsqu'ils seraient "en selle", lui-même s'installerait avec précautions sur l'une des biches, non sans au préalable l'avoir remerciée en sylvestre - faute de mieux.

[Galathée]

Sur un dernier avertissement de Wilmarin — les biches ne galopaient pas, elles bondissaient — la petite troupe se mit en route. Il apparut rapidement à Taliesin que les animaux ne pouvaient pas être de véritables cervidés du petit bois (il n'y avait d'ailleurs aucune faune dans la Vallée sous le règne des cultistes et ce troupeau n'avait certainement pas pu traverser toute une région agricole en quelques jours), car ils étaient bien trop rapides, avec des charges bien trop lourdes, pour des créatures ordinaires. Mais ils avaient une certaine allure lorsqu'ils parvinrent devant les portes de Champsdor... même si elle leur fit apparaître sans doute encore plus sauvages que prévu. Les gardes aux portes ne discutèrent pas longtemps mais les mirent en garde : l'attaque de nuit avait déjà débuté.

[Taliesin]

Il les remercia puis se tourna vers Wilmarin.
-Si vous en êtes d'accord, je propose de commencer par conduire les enfants en lieu sûr, chez maître Amrod. puis de nous rendre tous deux auprès de l'état-major.
Durant le trajet, il faudrait veiller sur Marius et Titus, se tenir prêt à les rassurer : les assauts de la secte, en effet, risquaient fort de les terrifier...

[Galathée]

Ils avaient mis pied à terre, libérant les créatures enchantées dans la campagne avant de pénétrer dans la ville. Wilmarin acquiesça.
" Conduisez les enfants chez Amrod. Je vais me rendre de moi-même au centre de commandement. Cela me permettra de m'imprégner des lieux..."
Il leva les yeux vers le ciel enténébré. Des filaments rouges, comme une promesse d'orage, se dessinaient sur les nuages d'orage.
" Et je ne doute pas d'assister à quelques manifestations intéressantes qui me renseigneront sur l'ennemi."

[Taliesin]

-Très bien : je vous rejoindrai dès que possible.
Il lui indiqua où l'état-major avait établi ses quartiers, lui souhaita bonne route puis se tourna vers les enfants.
-Allez, venez : nous allons retrouver Baptiste. Sur le trajet, vous verrez sans doute des choses impressionantes, mais ne vous en faites pas : si l'on est prudent, on ne craint rien. Par contre, ne vous éloignez pas de moi, d'accord ?