[Lieu] La Vallée Fertile

[Galathée]

Amrod et Taliesin continuèrent leur route vers la porte qui menait de l'enceinte des prêtres à celle des femmes. La zone n'avait pas beaucoup changé depuis que Taliesin l'avait arpentée la veille. Pour l'heure, elle ne contenait aucune équipe de travail mais ils entendirent du bruit vers le portail principal et retrouvèrent Wilmarin, les elfes et les humains. Il y avait là, outre le sage et Aegon, les jumeaux Caenlyn et Dothiel, ainsi que trois elfes des bois issus de la tribu établie près de la Vallée. Les humains étaient sept en comptant l'officier qui avait participé aux délibérations aux côtés de Rodolphe dans l'auberge. Wilmarin parut ravi de les voir arriver.
" Enfin ! Dépêchez-vous, les loirs !" s'exclama-t-il.

[Taliesin]

Eh bien, plus le temps passait, plus le vieux sage se déridait, montrait davantage d'émotions. Et plaisantait, même !
Ce la ne gâtait en rien le personnage, loin s'en fallait.
Les loirs ? Je trouve au contraire avoir dû me lever scandaleusement tôt ! répondit-il en manière de salut.

[Galathée]

" Se lever, voilà bien des manières humaines." lui répondit le mage.
Une fois qu'ils eurent rejoint le groupe, Wilmarin incanta brièvement pour dissiper une sorte de barrière d'énergie bleuâtre qui avait remplacé les portes défoncées la veille. Le groupe franchit l'ouverture et se sépara aussitôt en deux équipes, composées à moitié d'elfes et à moitié d'humains. Apparemment, ils avaient discuté de l'organisation du travail avant leur arrivée.
" Je fais quoi, moi ? demanda Amrod, légèrement décontenancé.
— Vous restez là. Tout ce qui va être trouvé va vous être apporté. Vous devez le cataloguer.
— Le cataloguer ?
— C'est votre créneau, non ?
— Heu... Je suppose.
— Je vous rejoindrai dans un moment. Je dois d'abord m'occuper de Taliesin et du dragon."
Plantant là le marchand, Wilmarin entraîna Taliesin vers l'entrée de l'abbaye.
" Bon. Vous vous sentez d'attaque ?"

[Taliesin]

-Autant qu'on peut l'être avant d'aller trouver un dragon qui sera probablement mal disposé...
Il sourit.
-Mais si j'arrive à faire en sorte qu'il ne m'attaque pas durant les premières minutes, j'imagine que cela devrait aller. Comme je le disais hier, je ne l'ai pas senti fondamentalement mauvais : on n'a pas réussi à totalement le pervertir.

[Galathée]

" Il est très jeune, encore, moins d'un siècle à mon avis. Je ne l'ai pas bien vu, nous avons dû nous hâter et ces ténèbres étaient surnaturelles."
Ils étaient entrés dans le hall et bifurquèrent dans le couloir des bibliothèques. On voyait désormais normalement au travers des fenêtres. Un des groupes composés à moitié d'humains à moitié d'elfes s'était attaqué au mur que Maric avait érigé dans l'embrasure de la première porte.
" Mais vu sa taille... il n'y a aucune issue dans le Temple qui lui permette de passer... et c'est un cuivre, cela veut dire qu'il ne peut pas se métamorphoser. Le faire sortir va demander un certain travail... Même s'il est fondamentalement bienveillant... Il faudra absolument attendre la nuit."

[Taliesin]

De fait, les choses auraient été plus simples avec un dragon d'or ou d'argent...
-Bah, c'est pour la bonne cause. Et puis, s'il nous voit nous donner tant de mal dans l'unique but de lui rendre sa liberté, cela achèvera de le convaincre de notre bienveillance à son égard, s'il nourrit toujours des doutes à ce moment-là.

[Galathée]

" Ma crainte est qu'il ne connaisse rien d'autre que cet endroit. Je ne suis pas certain qu'il aura un grand concept de ce qu'est la liberté."
Il se tourna vers le barde comme ils atteignaient la porte qui menait au sanctuaire.
" Je vais vous protéger contre l'acide. Vous ne devez pas vous soucier de la durée du sortilège, mais s'il vous canarde vraiment... vous devrez battre en retraite pour que je vous protège à nouveau. Vous le percevrez en temps utiles."
Il soupira.
" Je ne vous cache pas que si vous échouez, nous serons contraints de... gérer ce problème de manière plus radicale. Ce n'est pas ce que je souhaite, mais nous ne pouvons pas laisser un dragon dans cette Vallée, quelle que soit sa couleur."

[Taliesin]

-J'espère vraiment que nous ne devrons pas en arriver là. Ce serait... abominable. Et des abominations, il y en a déjà eu beaucoup, beaucoup trop ici.
Il réfléchit quelques instants.
-Mais peut-être sera-t-il nécessaire de le conduire quelque part où il pourra... être éduqué. Connaissez-vous d'autres dragons de cuivre établis sur cette partie d'Hélonna ? Ou... quelqu'un qui pourrait le prendre en charge, dans quelque lieu isolé ?

[Galathée]

" Je connais un dragon d'argent, plus au nord de la Lorien, et dans le temps, il y avait un dragon d'or juste au sud de Solarcis, mais des cuivrés... Hélonna n'a jamais été leur domaine. Il y en avait sur Dorrandin, autrefois, mais je doute qu'il en reste beaucoup. Ce ne serait pas lui rendre service que de l'envoyer dans le désert mélandien, de toute façon. Peut-être chez les bronzes de l'extrême nord... Il y en avait cinq ou six, là en haut, dans ma jeunesse. Mais le tempérament des cuivrés les rend... difficilement supportables à moyen terme pour les autres dragons. Ce n'est pas une mauvaise idée mais... je vais y réfléchir. Peut-être trouverait-il davantage sa place avec une autre espèce... Je ne sais pas ce qui existe encore dans les falaises du sud... C'est un endroit où je ne suis plus allé depuis quatre siècles, en fait."
Il haussa les épaules, et incanta, couvrant Taliesin d'une lueur argentée.
" Je vais y réfléchir. Nous trouverons une solution. Et il n'est peut-être pas aussi inadapté qu'il en a l'air."

[Taliesin]

-En tout cas, il préfère bavarder que tuer : c'est déjà bon signe.
Même si, à bien y réfléchir, il avait commencé par leur souffler son acide dessus...
Mais ensuite, il avait malgré tout discuté.
-Bon, j'imagine que le mieux est de franchir le pas sans trop réfléchir...
Plus il attendrait, plus il songerait aux risques.

[Galathée]

Taliesin entra donc dans la pièce et dès qu'il le fit, il y eut un mouvement. Il ne vint pas du sol cependant, il vint du mur de gauche. Le dragon y était perché, comme s'il eut été une araignée démesurée. Il était encore à bonne distance et le barde eut donc le loisir de l'observer à loisir. C'était effectivement un dragon de cuivre, d'une belle taille déjà, aux cornes courtes et au museau court. Caressé par la lumière du jour, qui perçait de nombreuses fenêtres sur le toit du dôme, il avait une couleur cuivrée teintée de bleu. Ses ailes s'étendaient de ses épaules à sa queue mais paraissaient curieusement flasques, davantage comme une cape repliée sur ses flancs. Il regarda le barde en plissant les yeux, sans quitter son perchoir.
" Tu es revenu. J'espère que tu as une blague qui vaut le coup."
Ses pattes arrière étaient enchaînées au plus large des piliers, au centre de la pièce. Il ne pouvait sans doute pas approcher davantage du barde.

[Taliesin]

On aurait pu imaginer pire entrée en matière.
Il fallait croire qu'au-delà de tout le reste, il avait apprécié leurs échanges.
-J'en ai plusieurs en réserve. Quant à savoir si elles vous plairont...
Et le barde constata alors qu'il était étrange comme l'on ne se souvenait plus de la moindre histoire drôle, lorsqu'on vous en demande une à brûle pourpoint.
Mais il allait bien falloir qu'il en troue une. Et sans doute plus.
-C'est l'histoire d'un tavernier qui, un soir, voit un colossal barbare entrer dans son établissement. Celui-ci s'avance droit vers le comptoir et déclare d'une voix tonitruante : "Une bière ou bien...". Le tenancier, paniqué, ne désirant pas d'esclandre, lui sert aussitôt sa bière et ne proteste pas quand le barbare sort sans payer. Le lendemain, il est de retour et la scène se déroule à l'identique. C'est encore la même chose le surlendemain puis le jour suivant. Enfin, le tenancier décide de réagir, de ne plus céder aussi facilement et quand le barbare revient et s'exclame "Une bière ou bien...", il réplique : "Ou bien quoi ?". "Ou bien un hydromel, ça me va aussi."

[Galathée]

Le dragon renifla comme pour contrôler son rire puis le laissa résonner dans la pièce, ses ailes flasques s'agitant comme des drapeaux. Des jets d'acide jaillirent de sa gueule, retombant ici et là dans la pièce, sans viser le barde particulièrement, mais plusieurs gouttelettes firent mouche, sans pour autant le blesser.
" Elle est meilleure que celle de hier." finit par dire le dragon.
Il descendit le long du mur, retrouva le sol et s'assit.
" Pourquoi est-ce que tu es revenu ? J'ai vraiment faim, maintenant."

[Taliesin]

-Je suis revenu car je souhaitais m'entretenir avec vous de sujets importants.
Autant être honnête.
-Cependant, nous ne sommes pas pressés et je peux demander à ce que l'on vous apporte de la nourriture. Si vous me dites ce que vous souhaitez manger, je m'efforcerai de vous le procurer, dans la mesure de mes moyens...
En espérant qu'il n'ait pas trop pris goût à la chair humaine, ce qui serait fort ennuyeux.

[Galathée]

" Un mouton." dit le dragon.
Il inclina la tête.
" Mais avant... J'ai une devinette pour toi. Un berger a cent moutons. Il veut en vendre quatre-vingt-neuf. Combien lui en reste-t-il ?"

[Taliesin]

Le barde se frotta le menton.
-Eh bien, il lui en restera onze, quand il les aura vendus. Mais...
Car il y avait forcément une astuce.
-Mais comme, pour l'heure, il n'en est encore qu'à vouloir les vendre, il lui en reste toujours cent...
S'il avait vu juste, restait à savoir s'il n'aurait pas mieux fait de se laisser prendre au piège, pour mettre le dragon de bonne humeur.

[Galathée]

Effectivement, le dragon parut un peu déçu que le barde ait trouvé la réponse à sa devinette et retourna vers le pilier auquel il était attaché. Il se coucha lourdement sur le sol et darda ses yeux bleutés vers le visiteur.
" Qu'est-ce que tu es comme bête, alors ? Un nain ?"

[Taliesin]

Le réflexe, quand on était confronté à une énigme, c'était de trouver la solution. Néanmoins, et quoique le dragon ne l'ait pas trop mal pris, il le laisserait l'emporter la prochaine fois.
-Je suis un elfe, plus particulièrement un elfe du soleil, répondit-il, amical. Si vous le souhaitez, il n'est pas impossible que je puisse vous faire rencontrer des elfes d'autres types, ainsi que des humains. En revanche, je n'ai pas vu beaucoup de nains dans les alentours...

[Galathée]

" Ah ! Un elfe !" s'exclama le dragon.
Il s'approcha à nouveau mais il semblait bien connaître la longueur de sa chaîne, car il ne la tira pas jusqu'au bout avant de se recoucher.
" J'en connais une bonne sur les elfes ! Combien d'elfes faut-il pour remplacer une bougie ?"

[Taliesin]

HRP : C'est SCANDALEUX !

-Hum... Un seul ?
Évidemment que ce n'était pas la réponse attendue...
Et heureusement que les mômes n'étaient pas là !

[Galathée]

HRP: on ne connait pas la même...

" Non ! s'exclama le dragon, joyeusement. Il en faut au moins mille ! Un pour déclamer une ode à la vieille bougie consumée. Un pour prétendre qu'elle n'a pas vraiment fondu et ne s'est pas dissipée en fumée, mais s'est plutôt transportée en Arciredor, l'au-delà verdoyant et idyllique des bougies. Un pour rappeler à tous les fameuses Bougies Elfiques d'Autrefois, ces créatures conscientes à la fibre artistique, dont la lueur éternelle n'était pas seulement faite de lumière, mais aussi d'amour, de magie, de sagesse, et de sérénité. Tous les autres pour danser et gambader au hasard pendant ces récits. Bien sûr, la bougie n'est jamais remplacée, mais il n'y a pas de raison de se dépêcher, vu que les elfes pensent qu'ils peuvent encore patienter un millénaire ou deux..."
Et pour couronner le tout, le dragon éclata de rire, projetant des éclats d'acide sur le barde.
" Vous êtes drôles, les elfes. Je ne vous imaginais pas comme ça."

[Taliesin]

HRP : Si si, je pense qu'on connaît la même. Mais Talie n'a certainement pas envie que ses gosses entendent ce genre de blagues : ils lui la resserviraient tous les jours !

C'était moins pire que prévu.
Mais heureusement quand même que les mômes n'étaient pas là.
-Ellle est drôle, acquiesça-t-il, souriant.[color=#FFFFF66] Et, par certains points, pas totalement dépourvue d'un soupçon de vérité. Ceci dit, tous les elfes ne sont pas vraiment comme cela.[/color]
Il jeta un regard par dessus son épaule.
-Je vais vous laisser quelques instants pour demander s'il est possible de vous procurer un mouton. Je ne peux cependant vous garantir que ce sera faisable : il y a eu beaucoup de combats et de destructions, dehors, et tout le monde est occupé à inventorier ce qui peut être récupéré. Mais je vous promets que le maximum sera fait pour vous l'obtenir.
Au pire, il ferait dire que le fameux mouton serait payé avec ses propres derniers.

[Galathée]

" Le maître ne sera sûrement pas d'accord que tu prennes un de ses moutons. Il n'est sûrement pas d'accord que vous fouiniez dans ses affaires. Il sera furieux. Il vous punira. Il vous transformera en pâtée pour chats."
Le dragon gloussa.
" Un humain, un elfe et un nain rentrent dans une taverne. On leur sert à chacun une pinte de bière. Mais dans chaque chope, il y a une mouche qui flotte.
L'humain attrape la mouche entre deux doigts, la jette par terre, et boit sa bière.
L'elfe regarde dans la chope et la repousse, d'un air dégoûté, sans boire.
Le nain se penche sur sa chope et hurle " RECRACHE ! RECRACHE !""
Il se mit à rire joyeusement à nouveau.
" Dommage que tu n'es pas un nain. Il y en a plus sur les nains que sur les elfes. Les elfes ont l'air ennuyeux."

[Taliesin]

-Certains le sont. D'autres sont très amusants. Cela dépend des cas.
Il hésita.
Ainsi donc, le dragon n'était pas au courant...
Mais il faudrait bien le lui dire, tôt ou tard : le faire juste avant de s'éclipser, le temps donc qu'il intériorise l'information, n'était peut-être pas une mauvaise idée.
-Pour le reste, je me dois de vous dire que le maître n'est plus.

[Galathée]

Le dragon le fixa un instant, les yeux rétrécis. Puis il rit, trois grands éclats de suite, presque identiques, discordants.
" Je ne te crois pas, déclara-t-il finalement, sans le moindre humour. Le maître m'avait prévenu que tu serais retors, que tu mentirais. Le maître est immortel. Le maître a défié le temps pour venir accomplir la volonté des dieux."

[Taliesin]

-Vous avez vu par où je suis parti, hier : vous savez que c'est vers lui que j'allais. Sachant tout le mal qu'il vous a dit de moi, sachant ce qu'il vous avait demandé de me faire, pensez-vous que je me tiendrais là, devant vous, s'il était encore de ce monde ? Et ne pensez-vous pas que s'il avait survécu, il serait venu vous reprocher de m'avoir laissé passer ?
Il réfléchit quelques instants.
-Quand je suis parti, hier, vous avez dit que la colère des dieux allait s'abattre sur vous. Car c'est de cela qu'il vous avait menacé. Mais avez-vous été victime de ladite colère ? Non, les ténèbres se sont même dissipées.

[Galathée]

" Tout vient à point à qui sait attendre. Et qui sème le vent récolte la tempête. Et un elfe qui ment aura toujours moins de barbe qu'un nain qui rit."
Il haussa les épaules, ce qui agita ses ailes flasques.
" Tu m'entourloupes. Les ténèbres étaient juste pour te perdre, toi et tes vilains comparses. D'habitude, c'est toujours le soleil qui passe par les fenêtres. Le maître ne voudrait pas qu'il en soit autrement."

[Taliesin]

Çà n'allait pas être simple.
-Bon, je n'arriverais manifestement pas à vous convaincre par de simples mots. Et malheureusement, je ne puis vous montrer son corps pour vous prouver mes dires : les derniers rites lui ont été rendus. Et de toute façon, vous ne l'auriez pas reconnu : l'apparence sous laquelle il se présentait était un leurre, un masque. Mais bref, il y doit bien y avoir un moyen pour que vous me croyiez...
Réfléchir, réfléchir.
-Ah, tenez : hormis le fait que je puisse me promener à ma guise en sa demeure, alors que je suis son ennemi, quelle autre chose ne pourrait jamais arriver, selon vous, s'il régnait encore sur ces lieux ? Ou, pour formuler autrement : puisque le maître est encore en vie, quels genres de choses ne peuvent pas se produire ?

[Galathée]

Le dragon redressa la tête.
" Tu m'embrouilles. C'est une question bizarre."
Il parut indécis.
" Donne-moi un exemple."

[Taliesin]

-Vous pensez que le maître est vivant : moi, je vous affirme qu'il est mort. Et comme vous ne me croyez pas, j'essaie de vous prouver que je dis vrai. Pour cela, je me propose de faire en sorte que se produisent des choses qui ne devraient normalement pas pouvoir se produire s'il était toujours là.
Courte pause.
-Par exemple, si le maître était toujours vivant, ne m'empêcherait-il pas de l'insulter à tue-tête ? De vous jouer de la musique ? D'aller récupérer un objet auquel il tient ? C'est ce genre de choses théoriquement impossibles que je me propose de faire, pour vous prouver qu'il n'est plus là.