[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

" Les restrictions placées sur les voyages à travers la Lorien ne sont déjà pas du goût de tous, alors si en plus, on ne peut pas passer pendant plusieurs jours, l'humeur de certains va griser... Les marchands, de manière générale, ont des délais à respecter."
L'homme bien habillé s'était retiré. Il y avait encore une dizaine de personnes à proximité de l'arbre, ainsi que les trois patrouilleurs.
" Peut-être que notre meilleure chance, c'est la magie. Mais je ne suis pas certain qu'un portail de téléportation ferait davantage notre affaire. Est-ce que les chariots passent à travers ce genre de trucs, je n'en sais rien... Et ça doit coûter un pont. Au sens propre."

[Voyageuse]

" Ça coûterait sûrement trop cher. L'idée du pont suspendu est peut-être plus simple, en transportant tout à dos d'homme et en récupérant des chariots et des montures par l'autre côté. On peut s'arranger, les échanger avec ceux qui viennent en face, peut-être. Mais même dans le meilleur des cas, les marchands vont perdre plusieurs jours. "
Astrée haussa les épaules.
" Mais on tire des plans sur le sable. Les patrouilleurs ont raison, il faut attendre de voir ce que disent les elfes. Espérer qu'ils nous autorisent à contourner, exceptionnellement. Et sinon, tant pis, perdre du temps fait partie des aléas de tout voyage..."

[Galathée]

" Perdre du temps, sûrement. Il faudra voir combien de temps."
Et le temps, justement, s'étira. Les gens faisaient des allers et retours entre l'auberge et l'arbre, et les premiers voyageurs en provenance du Portail de la Lorien arrivaient, cavaliers et chariots. Peu à peu, la foule sur la route enfla. D'autres patrouilleurs étaient arrivés de la Vallée, mais ils étaient six ou sept au total, pour plus d'une centaine de personnes bloquées, et certaines ne paraissaient pas avoir la patiente des premiers. Un marchand, en particulier, à la tête d'un convoi de six chariots chargés, paraissait furieux, bien qu'il ne puisse absolument pas forcer le passage.
Des elfes, en revanche, nulle trace.

[Voyageuse]

Astrée sentait la tension monter. On devait savoir désormais, dans la vallée, que la route était bloquée, mais les voyageurs continuaient d'affluer plutôt que de se résigner à choisir une autre route. Qu'espéraient-ils ? Il était probable que l'arbre ne bouge pas avant plusieurs jours, peut-être plusieurs veilles, ou pire.
La situation allait dégénérer, si rien n'était décidé rapidement. Mais sans doute les elfes devaient-ils se concerter, et peut-être qu'ils venaient de loin et ne seraient là que demain.
Elle décida de faire un aller-retour jusqu'à l'auberge, elle aussi. Pour boire un thé, et surtout écouter ce qui se disait, voir si la tension était encore pire. Auparavant, elle se chercha un coin calme pour méditer. Il lui semblait qu'elle aurait peut-être besoin d'avoir en mémoire certains sortilèges si la situation dégénérait. Elle avait toujours des sorts de soins, mais si quelqu'un avait la mauvaise idée de mettre feu à l'arbre -le genre d'acte stupide et désespéré auquel elle espérait que personne ne songerait-, il faudrait aussi qu'elle puisse produire de l'eau. Juste au cas où...

[Galathée]

L'auberge était comble et Astrée dut jouer des coudes pour atteindre le comptoir et commander son thé. Il lui fallut ensuite retourner boire son thé à l'extérieur — il ne restait aucune table libre — mais le temps était magnifique et l'ombre des arbres maintenait une fraîcheur agréable dans le sous-bois. Les discussions allaient bon train, partout, et même s'il n'y avait pas encore de réelle tension, tout le monde s'accordait plus ou moins sur l'idée qu'il fallait que cet arbre dégage, et vite, que c'était bien beau les traditions anciennes mais qu'il fallait rester pragmatique : la route était utile, nécessaire, et elle devait retrouver sa fluidité si pas le jour même, au pire le lendemain.

[Voyageuse]

Astrée se contentait d'écouter, n'osant pas se mêler aux conversations. De toute façon, ils n'allaient pas tenir compte du point de vue d'une étrangère. Il était pourtant évident que l'arbre ne bougerait pas, ni aujourd'hui, ni le lendemain, aussi nécessaire que ça puisse leur sembler. Bien sûr, elle ne partageait pas vraiment leur point de vue : la route était très utile, mais certainement pas indispensable. On pouvait toujours faire le tour de la forêt... même si c'était beaucoup, beaucoup plus long. Dégager l'arbre et rouvrir la route était cependant un symbole, une volonté de maintenir les échanges, et donc la paix. Et même les elfes avaient intérêt à ces échanges commerciaux.
Pour l'heure, les voyageurs se contentaient de dire haut et fort leur volonté. Il fallait espérer que personne ne soit assez inconscient pour aller au-delà des mots.

Désœuvrée, elle rapporta sa tasse vide au comptoir, et ressortit, en songeant qu'il y avait vraiment trop compte tenu des capacités d'accueil de l'auberge. La nuit serait complexe si rien n'était décidé d'ici là.

Laissant Prince vadrouiller à sa volonté dans les parages -sans s'éloigner, rappela-t-elle-, elle revint vers l'arbre. Si Elseris était dans le coin, elle lui demanderait si elle avait une idée du temps qu'il faudrait attendre. Sans grande illusion sur sa réponse.

[Galathée]

Elseris était effectivement non loin et lui adressa un signe avant de la rejoindre.
" Ne me dites pas que vous avez l'intention de passer, vous aussi. Mais non. J'imagine que vu votre voie, vous avez conscience de la nécessité de temporiser."
Elle sourit.
" Dommage que ça ne soit pas arrivé un peu plus loin. La tribu voisine de ce tronçon est une des plus difficiles à manoeuvrer."

[Voyageuse]

Astrée sourit.
" Ne vous en faites pas, je ne compte pas traverser sans permission. Mon voyage n'a rien d'urgent de toute façon, je peux attendre, et s'il le faut je contournerai la forêt. Mais je ne vois pas bien comment tout ça va évoluer. Il y a de plus en plus de monde qui attend, et je crains que les tensions ne finissent par monter, à force de ne rien savoir..."
Elle haussa les épaules.
" Vous avez une idée de ce que font les elfes, habituellement, lorsque l'un de leurs arbres sacrés meurt ?"

[Galathée]

" Aucune. Je n'ai jamais, de mon vivant, vu un arbre de ce genre tomber à proximité de la route. Et j'imagine que cela doit être secret... Les elfes n'aiment pas que l'on observe leurs rites comme s'il s'agissait de curiosités, je vous l'ai déjà dit."
Elle sourit.
" Il n'est pas impossible qu'il existe des livres là-dessus, cependant."

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
" Je ne savais même pas qu'ils avaient des arbres sacrés, à vrai dire. Je n'imagine pas ce que ça peut représenter pour eux... Mais je songeais, d'une façon plus pragmatique, que ça nous donnerait une idée du temps qu'il faudrait attendre avant que la route soit dégagée. Pour que certains marchands de la vallée puissent anticiper et changer tout de suite d'itinéraire, si jamais on apprend qu'il faut des veilles et des veilles d'attente. J'espère que les elfes pourront rapidement nous le faire savoir. Ils viennent de loin ?"

[Galathée]

Elseris eut un nouveau sourire.
" Aucune idée. Je ne suis pas elfe. Je ne peux pas rentrer là-dedans plus que vous ou votre ami à quatre pattes."
Elle ne parlait sûrement pas de l'écureuil.
" Mais c'est à ça que servent les ambassadeurs. Ils devraient arriver d'un moment à l'autre."

[Voyageuse]

Les fameux ambassadeurs. Eux avaient le droit d'entrer dans la forêt, donc. Ils avaient un statut à part. Leur rôle ne devait pas être facile, surtout dans une situation comme celle qui s'annonçait.
" Ce sont des demi-elfes, eux aussi ?", questionna Astrée avec curiosité.
Ça lui semblait assez logique...

[Galathée]

Elseris secoua la tête.
" Non. Ce sont des elfes à part entière. Mais qui ne sont pas originaires de la Lorien. Les elfes locaux ne les adorent pas, certains les traitent de traîtres, mais comme ce sont des elfes... qu'ils sont respectueux des règles... Ils peuvent entrer dans la forêt et dialoguer avec leurs pairs. Ils nous sont très précieux, je dois vous l'avouer."

[Voyageuse]

" Je me doute que dans la situation d'aujourd'hui, effectivement, ils ont un rôle vital à jouer. Ça risque d'être être compliqué de trouver un compromis..."
Elle réfléchit un instant. Il fallait le temps que les ambassadeurs arrivent, puis le temps qu'ils se rendent auprès des elfes de la Lorien, puis le temps interminable des discussions... tout ça pour, peut-être, aboutir à une solution qui prendrait elle aussi des plombes à être mise en œuvre. Ils n'étaient pas sortis d'affaire.
" Je suppose qu'à la frontière, ils ont été informés que la route est coupée pour probablement plusieurs jours ? Et qu'ils informent les voyageurs ?"
A voir l'affluence, on pouvait en douter... mais peut-être, simplement, que les voyageurs ne comprenaient pas qu'un simple arbre tombé puisse empêcher les échanges.

[Galathée]

" Vous voulez dire au Portail ? Oui, l'information a circulé, mais le contournement prend plus d'une veille ! Il faut retourner jusqu'à Togoria, monter jusqu'à Anarion... La plupart des gens vont sans doute attendre d'être fixés... d'autres négocient peut-être déjà avec les bateliers elfes, mais entre nous, ils embarquent rarement des humains. J'espère que les elfes d'ici vont se montrer compréhensifs... et rapidement compréhensifs, idéalement."
Elle poussa un bref soupir.
" Le pire, c'est que le pied de l'arbre est dans le territoire d'une tribu, et le sommet dans celui d'une autre, à présent. Il va aussi falloir qu'ils s'entendent, ce qui est loin d'être acquis."

[Voyageuse]

" Aïe. Ça n'arrange rien, en effet. Et si on ajoute à ça que la perception du temps n'est pas la même pour eux que pour nous... La décision risque d'être longue à prendre."
Astrée grimaça. C'était ce temps d'attente sans rien savoir qui paraîtrait interminable et risquait de faire monter le mécontentement. Et une fois la décision prise, il y aurait peut-être encore davantage de colère de la part de ceux qui auraient attendu pour rien, s'il fallait attendre encore une veille ou un mois de plus.
" Et c'est sûrement encore plus complexe pour ceux qui viennent d'en face, ajouta-t-elle. Eux n'ont même pas d'itinéraire de secours, puisqu'ils doivent tout retraverser avant de contourner... Vous savez s'ils sont nombreux ?"

[Galathée]

" Sur une journée, à cette saison, ils seront facilement plus d'une cinquantaine. Mais ils ne devraient arriver qu'en fin de journée, et nous avons envoyé des messages à nos patrouilleurs et aux auberges... Avec un peu de chance, ils seront peu nombreux à être effectivement coincés par l'arbre et ils bivouaqueront sur la route, ce qui ne devrait pas poser de problèmes aux tribus voisines."
Elle pinça les lèvres.
" Tout ça va faire l'affaire de ces maudits convoyeurs clandestins..."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça, se souvenant de sa rencontre suspecte.
" J'en ai croisé un, à Togoria. Il comptait prendre la route dans les jours suivants, et il cherchait à recruter des clients... Je ne sais pas s'il en avait déjà. C'était un certain..."
Elle fouilla dans sa mémoire.
" Jack... Deagle, Deagland, ou quelque chose comme ça. Il y en a beaucoup, des convoyeurs comme lui ?"

[Galathée]

" Ah, Jack. C'est une sommité, sur la route. Et honnêtement, c'est loin d'être le pire. Il a des accords avec beaucoup de tribus et je pense qu'il ne prend des risques que dans des zones aux confluents des influences, là où personne ne sait très bien qui décide. Il leur rend des services, vous voyez, aux elfes. Certains détestent venir parmi les humains et c'est pratique, parfois, d'avoir quelqu'un qui accepte de le faire."
Elle haussa les épaules.
" Mais il y a plusieurs convoyeurs, oui. Une douzaine d'habitués, probablement. Ils ont leur utilité : ils canalisent les gens qui veulent absolument traverser par les bois. Certains nous servent d'informateurs : quand une personne trop bizarre, trop... intéressée ou cupide, les contacte, ils nous la renseignent et nous l'interceptons. Les vétérans ne sont pas de mauvais bougres. Ce sont des criminels, évidemment, au regard de la loi. Mais... voilà, ils font partie de l'écosystème de la Lorien. Ce qui m'inquiète davantage, ce sont les amateurs. Des gens du cru qui vont se croire subitement experts ou qui vont être incapables de refuser quand on leur présentera une bourse bien remplie."

[Voyageuse]

Au moins ce Jack n'avait-il pas menti lorsqu'il affirmait avoir des accords avec des tribus locales. Mais son goût affiché pour la transgression des interdits, le mépris des usages, l'avait mise mal à l'aise. C'était un manque de respect du peuple elfe qui ne correspondait pas à ses propres valeurs.
" Si la route est barrée durablement, il risque effectivement d'y avoir beaucoup de gens désireux de traverser par les bois. Donc vous allez vous retrouver avec une flopée de nouveaux convoyeurs... Enfin, c'est surtout un problème pour les elfes : c'est eux qui vont être furieux de voir débarquer des personnes non autorisées... Et quand ils les interceptent, ils les raccompagnent à l'extérieur, ou bien vous les amènent, c'est ça ?"

[Galathée]

" Ça c'est la version douce. Dans certains coins. La version rude est beaucoup plus... sanglante. Dans d'autres coins. Ils ne nous les ramènent pas toujours complètement indemnes, voyez-vous. Franchement, il faut éviter de s'y risquer. A moins d'avoir beaucoup de bagout et neuf vies, comme les chats."
Elle se retourna vers l'auberge.
" Mais même si dix, douze, cent voyageurs tentent le coup, ça n'arrangera pas les chariots. Passer à cheval en Lorien est déjà presque impossible, à cause de la densité des buissons, des racines, des crevasses... A vous briser un jarret dans la première heure. Les elfes n'en utilisent d'ailleurs pas. Mais en chariot, c'est tout simplement impossible. Donc les haches vont sortir. En journée, ça ira. A la nuit... Je n'ose imaginer."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça.
" Moi, je les imaginerais bien tenter d'y mettre le feu dans un acte désespéré. C'est plus rapide que la hache, une fois démarré. Et ça pourrait faire énormément de dégât... Enfin, à moins que cet arbre un peu magique soit immunisé contre les flammes. Mais vu les risques d'un incendie incontrôlable, j'espère que personne n'aura cette idée..."
L'incendie menacerait leurs propres vies : ce serait prendre un risque trop important.

[Galathée]

" A mon avis, ça ne brûlerait pas. Il fait trop humide sous la canopée... Il y a trop de mousse... trop de feuilles vertes... Il faudrait vraiment qu'ils y boutent le feu à dix endroits en même temps, en aspergeant le tout d'huile... Je n'y crois pas. Il brûlerait pendant des jours, en plus, vu sa taille. Non, la hache, c'est plus efficace, croyez-moi. Ça, ou la magie. Mais je n'ai pas vu de magicien dans les voyageurs, c'est toujours ça en moins dont il faut s'inquiéter."

[Voyageuse]

" Ils ne transportent pas forcément d'assez grandes haches avec eux. Donc on est peut-être tranquilles pour aujourd'hui. Mais le village avant le portail est proche, et ils peuvent sûrement y trouver ce qu'il faut si les choses s'éternisent...."
Cette nuit serait peut-être calme, mais la suivante était à redouter. Et puis, un magicien pourrait survenir, tôt ou tard. Elle en connaissait au moins un, croisé quelques jours plus tôt, un certain Maximilien... Mais elle ne l'imaginait pas faire la bêtise d'intervenir à mauvais escient.
Elle haussa les épaules.
" Bon, mais je comprends mieux pourquoi vous disiez qu'il se passait toujours quelque chose sur cette route et que votre métier n'est pas monotone", conclut-elle avec un sourire. Bon courage pour gérer cette crise... Et si je peux être utile à quoi que ce soit, n'hésitez pas à me le dire !"

[Galathée]

" Vous devriez réfléchir à vos propres dispositions pour les jours à venir, si vous voulez mon avis, dit Elseris. Plus vous tardez, et plus vous risquez d'avoir accès à un éventail d'options limité, car d'autres vous auront devancée. Vous sembliez n'avoir nul projet précis... Peut-être pourriez-vous trouver une place sur une barge. Les elfes sont plus tolérants avec les femmes : vous pourriez trouver un capitaine prêt à vous embarquer pour un prix modique."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça.
" Je vais y réfléchir. Le trajet en barge me tenterait assez, si la route est coupée durablement. Si je trouve quelqu'un qui m'accepte à bord, bien sûr. Mais je voulais d'abord savoir comment les choses allaient évoluer ici, si la situation a une chance de se résoudre dans les prochains jours ou pas. Un peu comme tout le monde, en fait."
Le problème, effectivement, c'était que si elle attendait trop, elle ne serait pas la seule à chercher une solution de secours.
" Si d'aventure je cherche une barge, y a-t-il un endroit précis où je dois m'adresser, un port d'embarquement quelconque ?"

[Galathée]

" Vous pouvez aller voir au Portail... C'est la dernière escale avant la lisière, et beaucoup de monde y descend et y monte. Mon conseil est de ne pas trop tarder : les prix vont monter. Après, c'est certain que le tracé de la Sylvestre n'épouse pas celui de la route : vous vous retrouverez à Anarion d'abord. Ensuite, vous aurez le choix entre reprendre la route ou rester sur la rivière... D'Anarion, vous pouvez monter tout au nord, à Nauru... puis reprendre le bateau pour atteindre l'extrême nord des rocheuses. C'est peut-être un coin moins dangereux que celui près de Belred Luyn. Sauf si vous montez vers le canyon, bien sûr, mais vous n'êtes pas suicidaire."
Le regard d'Elseris fila subitement au-dessus de l'épaule d'Astrée.
" Je vais devoir vous laisser : je vois qu'arrivent nos ambassadeurs."

[Voyageuse]

" D'accord. Bon courage à vous pour la suite des événements... Et merci !"
Astrée la suivit du regard tandis qu'elle rejoignait les fameux ambassadeurs, curieuse de voir les elfes en question. Elle ne devait pas être la seule à avoir les yeux fixés sur eux : tout le monde ici les attendait comme des sauveurs, sans doute. Mais les marchands allaient être déçus s'ils escomptaient une solution rapide.
Elle ne chercha pas à s'en approcher, se contentant d'observer de loin. Elle réfléchirait ensuite à la meilleure option : partir rapidement à la recherche d'une barge, ou attendre un temps indéfini, en compagnie de marchands irrités... La première solution devenait de plus en plus tentante à mesure que le temps passait.

[Galathée]

Les ambassadeurs étaient trois, une femme et deux hommes, elfes appartenant manifestement à des ethnies différentes car un des hommes avait les cheveux très noirs et une peau presque translucide, tandis que les deux autres étaient bruns-roux et la peau plus mate. Tous portaient des vêtements fonctionnels, semblables à ceux qu'auraient porté un voyageur humain, et ne semblaient pas armés. Elseris et un autre patrouilleur les rejoignirent et ils devisèrent un moment au milieu de la route. L'elfe aux cheveux noirs parut être leur porte-parole car il fut le seul à ouvrir la bouche, tandis que les deux autres écoutaient attentivement. A leurs gestes, Astrée devina qu'ils hésitaient sur la direction à prendre, vers le nord ou le sud de la route, et qu'ils étaient peu emballés à l'idée de diviser leur maigre équipe pour rallier les deux tribus de concert.

[Voyageuse]

Trois, ça n'était pas assez. Il aurait fallu qu'ils soient quatre, car Astrée imaginait mal l'un d'eux aller seul à la rencontre de l'une des tribus. Ils allaient donc devoir aller d'abord vers l'une, puis vers l'autre... puis peut-être devoir organiser une réunion commune pour qu'une décision soit prise, ou refaire des allers-retours. En un sens, ce jeu diplomatique était intéressant à observer, mais tout ça allait prendre du temps. Peut-être que la chute d'un tel arbre n'était pas chose courante et qu'il faudrait une enquête, ou peut-être que c'était un événement ordinaire et qu'il y aurait juste un rituel à organiser. Mais ça, c'était l'option favorable. Ils pouvaient aussi décider qu'il fallait attendre quelques veilles... voire plus. Et l'oisiveté forcée en compagnie d'une foule de gens mécontents n'aurait rien d'agréable. Elle ne serait utile à rien ici : les patrouilleurs avaient la situation bien en main.

Astrée, adossée à un tronc au bord de la route, réfléchissait aux autres possibilités qui s'offraient à elle. Rien ne l'obligeait à suivre cette route, et l'idée de la barge était séduisante. En demandant à Prince de rester écureuil, il ne leur faudrait qu'une toute petite place, contrairement à tous ces marchands chargés. Elle y perdait en autonomie, puisqu'elle dépendrait du capitaine du bateau, ce qu'elle n'aimait guère. Mais elle verrait la forêt sous un autre angle, plus sauvage, ce qui la tentait. Et il devait être possible de rallier Belred Luyn par voie fluviale si sa mémoire était bonne.
Certes, comme l'avait fait remarquer la rôdeuse, elle n'était pas obligée de garder cette destination. Cependant, elle savait pouvoir y trouver des informations sur le massif -était-ce le cas à Nauru ?- et Maximilien avait mentionné la présence d'un druide, dans le secteur. Ce qui faisait tout de même deux raisons de s'y rendre. D'un autre côté, Elseris semblait penser que le nord était moins dangereux. Il faudrait qu'elle se renseigne pour en savoir plus. Mais elle avait jusqu'à Anarion pour prendre sa décision.
Et puis, au fond, à quoi servirait d'attendre ici ? Dans le cas le plus favorable, la route rouvrirait vite et il y aurait foule, dans le pire cas, la route fermerait longtemps et tout le monde se précipiterait pour trouver une place sur une barge.
Et puis, de toute façon, le portail n'était pas loin. Il ne coûtait rien d'aller se renseigner pendant que les diplomates palabraient.