[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

C'est seulement une fois qu'ils eurent laissé les lumières du Portail de la Lorien que les voiles se déployèrent brusquement, claquant dans la nuit comme un coup de tonnerre. A côté d'Astrée, Mathilde étouffa un bâillement.
" Je ferais bien un petit somme, moi. La journée a été longue."
Mais elle ne bougea pas de son banc pour autant. L'Ecureuil continuait de voguer mais sa vitesse s'était réduite. L'elfe qui s'était tenu à la proue repartit vers l'arrière du navire, toujours sans leur adresser la parole. Une autre silhouette s'approchait, armée d'une lampe à huile, et l'elfe plus âgé s'apparut dans la lumière.
" Bien. Les règles à bord, à présent. Il est interdit d'entrer dans le château arrière sans autorisation. Vous logerez sous le pont, dans une petite salle que je vous montrerai. Des hamacs sont à votre disposition. Vous savez cuisiner ?
— Je le savais, dit Mathilde. Vous ne trouvez pas la cuisine humaine infecte ?"

[Voyageuse]

Astrée leva les yeux au ciel, vaguement amusée. Mais Mathilde n'avait pas tort.
" Je sais cuisiner, oui. Mais pas forcément à votre goût", répondit-elle en écho.
Cela dit, elle n'avait rien contre apprendre quelques recettes elfiques.

[Galathée]

L'elfe eut un sourire.
" C'est ça ou repriser des chaussettes, dit-il.
— Je préfère les chaussettes, en ce qui me concerne. Mais je vide pas mal le poisson. Après, je le braise.
— On va se débrouiller." répondit leur interlocuteur.
Mathilde bâilla à nouveau, derrière ses deux paumes ouvertes.
" Je vais vous conduire en bas.
— Avec plaisir, mon ami.
— Mon nom est Gaelin. Je suis le quartier-maître. Toutes vos demandes passent par moi, aucune par le capitaine, d'accord ?
— Aucun souci, je n'ai pas l'intention de me faire arracher la gorge parce que je me plains des poux dans la toile du hamac..."
Cette fois l'elfe manqua rire. Mathilde se leva.
" J'imagine que vous allez rester regarder le lever du soleil, Astrée ?"

[Voyageuse]

Astrée avait écouté l'échange avec un certain amusement. Mathilde avait un certain don pour dérider ses interlocuteurs, il fallait lui reconnaître. Mais se moquer impertinemment du capitaine lui semblait tout de même risqué. Même si elle allait clairement s'efforcer de ne jamais avoir affaire à lui.
" Oui, répondit-elle à sa question. Je vais vous laisser dormir, j'ai tout le temps de découvrir les lieux plus tard. Et... je cuisinerai, ne vous en faites pas."

[Galathée]

" C'est une chance pour nous tous."
Elle la gratifia d'un clin d'oeil et emboîta le pas du quartier-maître dans la pénombre. L'accès au sous-sol se faisait via un escalier longeant la cabine du capitaine, et les deux silhouettes disparurent rapidement. Le ciel s'éclaircissait toujours, le soleil ne tarderait sans doute plus, mais l'Ecureuil fut englouti par la forêt avant l'aube et les ténèbres se firent plus denses, vert sombre, comme s'ils étaient entrés dans un tunnel. Deux lumières pâles marquaient le flanc gauche et le flanc droit de la barge, mais on n'y voyait pas davantage. Il sembla à Astrée que des branches basses frôlaient le navire, que des racines griffaient sa coque, mais il continuait à fendre les flots à une allure respectable, oiseau noir dans la forêt obscure.

[Voyageuse]

Tant pis pour l'aube. Elle avait escompté voir la lumière du soleil, une dernière fois avant un bon moment, mais la Lorien venait de les engloutir en son sein et le jour serait invisible.
Naviguer ainsi dans l'obscurité était impressionnant, même si elle savait que les elfes aux commandes de la barge y voyaient beaucoup plus clair qu'elle. Elle se recroquevilla un peu, de crainte d'être heurtée par une de ces branches basses qu'elle ne verrait pas venir. L'abeille cachée dans ses cheveux ne devait pas y voir davantage qu'elle, et resterait probablement cramponnée à sa chevelure un bon moment.
Elle laissa un moment ses pensées dériver, s'interdisant cependant de songer aux risques que Mathieu soit découvert. Il était trop tard de toute façon. Mieux valait, simplement, profiter du voyage et apprécier chaque parcelle de forêt qui s'offrirait à ses sens. La Lorien devait être magnifique, vue depuis la rivière. Si toutefois la végétation s'éclaircissait suffisamment pour laisser passer une parcelle de lumière.

[Galathée]

L'atmosphère demeura feutrée, sombre, mais le jour se leva néanmoins et le soleil perla entre les branchages. La Sylvestre elle-même s'élargit, forçant les arbres à s'élever pour la couvrir, et si l'ambiance générale resta celle d'un tunnel enfoui, Astrée commença à s'habituer à la faible luminosité des lieux. Il était clair que ces berges n'étaient arpentées par personne : chaotiques, couvertes de plantes, escarpées par endroits ou invisibles sous la végétation, on n'y voyait aucun endroit pour poser le pied. De nombreux oiseaux et animaux étaient perchés ça et là et les observaient sans fuir lors de leur passage, mais la jeune femme ne distinguait que des silhouettes, des yeux brillants, parfois le reflet d'une écaille ou le tracé d'un bec. Il faisait frais, beaucoup plus qu'à l'extérieur. La barge avait ralenti car le vent était moins fort sous la ramure épaisse des maîtres de la forêt et la rivière paraissait plus nerveuse que jamais.

[Voyageuse]

Astrée contempla un long moment, en silence, le paysage qui s'offrait à ses yeux. La forêt ici était incroyablement belle et sauvage, loin de toute influence humaine. C'était juste... magnifique. Les arbres immenses étaient incroyablement majestueux, et, sous ses pieds, la rivière grondait, indomptable, image même de la puissance et de la force de l'eau. Elle se sentait, au milieu de ce déferlement de sensations, aussi négligeable qu'un simple grain de poussière.
Elle observait de tous ses yeux, de tous ses sens. Sa pauvre vision humaine ne parvenait pas à identifier les rares bêtes qu'elle apercevait, mais ça n'avait pas d'importance. L'ambiance du lieu suffisait à l'émerveiller.
Elle finit cependant par reporter son attention vers la barge, curieuse d'observer les manœuvres, de comprendre le rôle de chacun.

[Galathée]

Pour l'heure, il y avait peu de mouvement sur la barge. Le capitaine était à la barre, le quartier-maître près du mât, et ni le plus jeune elfe, ni celui aux cheveux blancs n'étaient visibles. S'il y en avait davantage, Astrée ne le savait pas. La voile était gonflée, le bateau progressait au centre de la rivière, et c'était un tableau tranquille qui s'offrait aux yeux de la druidesse. La lumière s'intensifiait, tout en restant adoucie par le feuillage. L'eau la renvoyait en éclats parfois aveuglants. Les oiseaux s'étaient mis à chanter, en trilles mélodieuses, entrecoupées de temps en temps d'un cri plus inquiétant dont il était impossible de deviner l'auteur. De temps en temps, Astrée devinait un rocher gris au bord de l'eau mais pour l'heure, il n'y avait aucune trace de vestige ou de ruine, pas plus que de pont.
" Vous avez faim ?" lui demanda soudain le quartier-maître, qui s'était approché sans un bruit.

[Voyageuse]

Astrée réussit de justesse à ne pas sursauter. Ces elfes avaient décidément un don pour la discrétion qui dépassait tout ce qu'elle-même pourrait jamais faire.
Elle leva les yeux vers le quartier-maître. Gaelin, se souvint-elle.
" Heu.... oui, un peu...."
Elle n'avait pas déjeuné ce matin mais le spectacle lui avait fait oublier ce détail.
" Mais si la question signifie qu'il est l'heure de me mettre aux fourneaux... je vous suis", ajouta-t-elle avec un sourire joyeux.

[Galathée]

" Pas cette fois. Nous allons nous en tenir à ce que je vais préparer. Je vous apporte un bol. C'est comestible, je vous le promets."
Il s'esquiva de son pas de chat. Quelques minutes plus tard, il lui apporta ce qui ressemblait à une sorte de gruau, de couleur jaune soutenu, parsemé de morceaux rouges, oranges et verts, de ce qui devait être des fruits.
" Sous le pont, vous trouverez une petite salle qui nous sert de coquerie. Si vous voulez du thé, vous pouvez aller vous en faire. Vous avez de quoi ?"

[Voyageuse]

Astrée acquiesça.
" J'ai ce qu'il faut, oui, répondit-elle en souriant. Je vais descendre m'en préparer. Merci beaucoup."
Le capitaine détestait peut-être les humains, mais le reste de l'équipage était plutôt sympathique. Heureusement pour elle. Elle songea que cette dague devait être rudement importante pour que le capitaine accepte de les laisser monter à bord.
Elle goûta le gruau avec curiosité. Après la cuisine centaure et la cuisine karaturienne, elle n'en était plus à une découverte près. Elle descendrait ensuite à la recherche de la coquerie.

[Galathée]

C'était assez spécial. Pas mauvais. Et peut-être pas aussi exotique que ça, vu le temps qu'elle avait récemment passé en compagnie d'un autre elfe... mais les morceaux verts étaient incroyablement piquants, et certains des rouges tellement sucrés que c'en était écoeurant. Mais en associant les uns avec les autres... et en offrant certains autres aux poissons... Il y avait moyen de faire un petit déjeuner acceptable.
Elle descendit ensuite à la coquerie, une petite pièce ronde située plus ou moins sous la cabine du capitaine. Il ne s'y trouvait personne mais une sorte de poêle y flamboyait et elle put aisément y faire chauffer de l'eau et la mélanger avec les plantes qu'elle avait dans son sac. La barge se mouvait souplement, sans à-coups, on aurait pu oublier qu'on naviguait sur l'onde sauvage de la Sylvestre.

[Voyageuse]

Astrée attendit que son thé infuse, en silence, se demandant où se trouvaient l'elfe aux cheveux blancs et le plus jeune de l'équipage. Sans doute avaient-ils une cabine, quelque part. Elle ne savait d'ailleurs pas où était la sienne, et n'avait pas envie d'écouter aux portes pour tenter d'entendre la respiration de Mathieu endormi. Non. Mathilde, pas Mathieu. Il fallait absolument qu'elle oublie qu'elle avait pu le rencontrer avant, et qu'elle se concentre sur son apparence actuelle. Le plus simple était de ne pas trop avoir à lui parler, ni à parler de lui. Enfin, d'elle. Bref. Mathilde était une charmante jeune femme tout à fait convainquante, et Mathieu n'existait pas. Il fallait juste se mettre ça en tête. Facile à dire.
Elle avait descendu son sac et ses armes dans la coquerie en attendant de pouvoir les ranger. Assise dans un coin, elle savoura son thé, et aussi le fait d'être seule un moment. A vivre à six sur une barge, la promiscuité pouvait finir par peser, et puis le capitaine pouvait apprécier de ne pas avoir d'humains en vue pendant un moment.

[Galathée]

Astrée eut largement le temps de terminer son thé sans que personne ne vienne l'importuner. C'est seulement alors qu'elle terminait de nettoyer sa tasse qu'elle vit sortir le plus jeune des quatre elfes d'une des pièces latérales — il n'y en avait que deux — et entrer dans la coquerie. Il parut surpris de l'y voir mais ne dit rien et se dirigea vers le fourneau, où trônait une imposante marmite qui contenait le gruau elfique. Il s'en servit, silencieux comme une ombre, jetant de temps en temps de petits coups d'oeil inquiets à la jeune femme. Il était clair qu'il s'esquiverait dès que possible.

[Voyageuse]

Astrée devinait le malaise du jeune elfe, et n'avait pas envie d'imposer sa présence à quelqu'un qui ne le souhaitait pas. La solution la plus tentante était de s'éclipser très vite pour le laisser seul.
Mais, puisqu'ils risquaient de se croiser régulièrement dans les jours à venir, elle préféra tenter de rompre la glace, en proposant avec douceur.
" Je peux refaire du thé, si vous en voulez ?"
C'était la moindre des politesses après tout : elle utilisait leur coquerie.

[Galathée]

A voir la manière dont l'elfe écarquilla les yeux, stupéfait et encore plus mal à l'aise qu'une seconde plus tôt, Astrée réalisa qu'il n'avait peut-être rien compris à ce qu'elle venait de dire. De toute leur entrevue de la veille, il n'avait jamais ouvert la bouche que pour parler elfique avec son aîné. Et s'il avait paru suivre les conversations, c'était peut-être purement parce qu'il était présent...
Il s'éclaircit la gorge, grimaça, puis fila sans demander son reste.

[Voyageuse]

Astrée le regarda partir, embarrassée. Il était possible qu'il ne parle qu'elfique... Elle n'avait pas envisagé la chose une seule seconde, tant le commun était répandu chez toute les races de Toril. Mais après tout, c'était possible. Cela ne laissait donc comme interlocuteur que Gaelin, et l'énigmatique elfe aux cheveux blancs, s'il reparaissait. A moins bien sûr qu'il n'y ait un autre membre de l'équipage qu'elle n'ait pas encore identifié.
Rangeant ses affaires, elle se décida à retourner sur le pont. Elle n'aimait pas tellement être enfermée : respirer les senteurs des bois était plus agréable. Elle veillerait simplement à rester discrète pour ne pas que sa présence gêne quiconque.

[Galathée]

Lorsqu'elle remonta sur le pont, l'atmosphère environnante n'avait pas changé. Il faisait toujours très vert autour d'eux et l'Ecureuil poursuivait son chemin vers le coeur de la forêt. Le jeune elfe avait pris le relais du plus âgé autour du mât et le capitaine était toujours à la barre, concentré. Le quartier-maître finit par revenir vers Astrée.
" D'ici environ une heure, nous allons passer sous une arche en pierre. Ce sera le signal pour vous de descendre sous le pont. Nous entrerons dans une zone où nous pourrions avoir des ennuis si vous étiez aperçue à l'extérieur. Je viendrai vous prévenir quand la voie est libre pour remonter."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça avec un sourire.
" D'accord. Merci."
En langage clair, cela signifiait qu'ils entraient dans une zone particulièrement hostile aux humains. Ou bien interdite, tout simplement. Elle faisait donc bien de profiter de l'air frais du dehors tant qu'elle le pouvait encore.
Elle songea qu'il lui faudrait guetter le réveil de Mathilde pour la prévenir de ne pas monter sur le pont. Mais pour l'heure, elle était curieuse d'apercevoir cette arche de pierre.

[Galathée]

Ils continuèrent à naviguer, peut-être un peu moins vite qu'au départ. La luxuriance de la végétation imposait au capitaine de guider la barge avec plus de précision, évitant les branches qui auraient pu déchirer la voile ou les racines qui auraient pu bloquer l'étrave. Il ne paraissait pas particulièrement inquiet, cependant, juste concentré. De temps en temps, ils devaient contourner un rocher et l'arrivée d'un affluent vigoureux agitait parfois la coque, quelques secondes, avant qu'ils ne retrouvent leur rythme fluide. Ils dépassèrent un troupeau de biches au pelage gris argenté, dérangèrent un groupe de canards d'un rose soutenu, progressèrent un moment au coeur d'un banc de poissons minuscules, qui paraissaient innombrables.
L'elfe aux cheveux blancs finit par apparaître, sortant de la cabine surélevée du capitaine. S'il vit Astrée, il n'en montra rien, et rejoignit le gouvernail. La forêt se fit subitement plus aérée et ils débouchèrent dans une zone plus large au coeur du fleuve, au milieu de laquelle se trouvait une petite île. Une statue colossale y trônait, entre les joncs et les roseaux, représentant un ou une elfe*— c'était difficile d'en juger tant ses traits avaient été usés par le temps*— mais Astrée vit tous les elfes se recueillir un instant, avant que le barge ne reprenne sa course vers le nord-est.

[Voyageuse]

Astrée resta silencieuse, discrète, observant simplement de tous ses yeux. Elle aurait voulu savoir ce que représentait cette statue gigantesque, devant laquelle tous se recueillaient, mais elle n'avait personne à qui poser la question et ne voulait pas déranger le quartier-maître. Peut-être, si elle avait l'occasion de lui parler prochainement, lui demanderait-elle. Mais l'arche de pierre ne tarderait guère à apparaître désormais, donc il était peu probable qu'elle ait le temps d'une conversation. Elle avait observé l'elfe aux cheveux blancs à la dérobée lorsqu'il était apparu, avec un fond de curiosité. Mais, comme l'essentiel de l'équipage, il semblait vouloir ignorer la présence des humaines. Elle devrait s'y faire.

[Galathée]

Astrée ne se trompait pas. L'arche de pierre surgit peu après, une sorte de demi-arc de cercle surplombant la rivière, d'aspect très ancien et en même temps extrêmement gracile, et elle comprit qu'il était temps de se retirer. Le quartier-maître l'accompagna dans les escaliers et lui désigna la porte de gauche, derrière laquelle se trouvait probablement Mathilde. Ensuite il remonta.
La "cabine" qui était dévolue aux deux humaines était, comme l'avait dit Gaelin, petite et sommaire. C'était manifestement une pièce qu'on avait dégagé peu auparavant et il y flottait encore une vague odeur de renfermé. Elle n'avait pas de fenêtre, étant trop basse sur le niveau de l'eau, et on y avait tendu deux hamacs côte à côte. Un baquet de bois était posé à l'envers sur le sol et, hormis le sac de Mathilde, il ne s'y trouvait rien d'autre.
Dès que la porte fut refermée, Astrée se retrouva de surcroît dans le noir le plus total.
" C'est déjà la nuit ?" demanda une voix ensommeillée.

[Voyageuse]

"Non", répondit-elle en rejoignant à tâtons le hamac resté libre.
Elle aurait pu faire de la lumière, d'un simple sortilège. Mais elle s'abstint. Elle avait juste pris le temps, avant d'entrer, de récupérer son propre sac qu'elle avait laissé dans la coquerie
" Apparemment, on entre dans une zone interdite aux humains... Il vaut mieux que personne ne nous voie. Ni ne nous entende, je suppose, ajouta-t-elle plus bas. Donc on reste cloîtrées ici jusqu'à nouvel ordre."

[Galathée]

" C'est plutôt tranquille... le noir... le balancement du hamac... le frottement étouffé de l'eau... très agréable..."
Elle poussa un profond soupir.
" Mais j'ai faim, moi. J'espère que ça ne va pas durer des heures. Comment est la cuisine locale ? Ils vous ont fait préparer le petit déjeuner, au final, ou bien ils ont eu trop peur que vous les empoisonniez ?"

[Voyageuse]

" Pour aujourd'hui, j'ai mangé elfique. Pas mauvais. Un peu épicé... Bon, ce n'est sûrement que partie remise, je cuisinerai un autre jour. Après... si vous avez vraiment faim, il en reste peut-être en coquerie, à coté. Mais je serais vous, je n'irais en chercher que si c'est vraiment nécessaire..."
Astrée parlait à voix très basse, par précaution. Les elfes avaient l'ouïe plus fine que les humains -sans doute pas autant que les centaures- et étant donné le silence qui régnait sur le pont, elle craignait que leurs propres voix puissent être audibles depuis la berge si la rivière était suffisamment calme.

[Galathée]

" Vous avez peur qu'ils vous entendent, dit son interlocutrice, en prenant le même ton de conspirateur. Vous ne croyez pas que vous en faites un peu trop ? Avec tous les oiseaux et le grondement de la rivière... plus le bois... Honnêtement, avec l'ouïe qu'ils ont, je suis sûre que leurs bateaux sont nettement mieux insonorisés que les chambres d'auberge ! Sinon, ils seraient dérangés dès que l'un d'entre eux a des soucis de digestion."

[Voyageuse]

Elle haussa les épaules.
" Peut-être. Je n'en sais rien. Donc je préfère être prudente, c'est tout."
Il était vrai qu'elle n'avait entendu, depuis le pont, aucun bruit en provenance des cabines ou de la coquerie, ou même su gouvernail. Mais c'était peut-être, simplement, parce qu'aucun mot n'avait été échangé à voix haute.
" Tant que la rivière est agitée, son bruit couvre tout, je pense. Mais si on sent qu'on entre dans une zone plus calme, il faudra faire attention."

[Galathée]

" Je n'ai pas l'impression que notre capitaine soit du genre à autoriser une fouille de son navire parce qu'un quidam sur la rive a entendu des voix."
Le hamac grinça.
" Mais ne vous en faites pas, je n'avais nulle intention de pousser la chansonnette."

[Voyageuse]

Effectivement, le capitaine ne semblait pas du genre à autoriser que quiconque monte sur son navire. Mais si l'endroit était interdit aux humains, elle comptait bien se faire toute petite pour ne pas causer d'ennuis à leurs hôtes, aussi étranges et peu sociables soient-ils.
Elle n'ajouta rien et se contenta de s'allonger sur son hamac, avec un soupir. Elle espérait que ça ne serait pas trop long.