[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

Mathilde ne relança pas la conversation et pendant un moment, on n'entendit plus rien que le son de leur respiration et parfois un bruit de pas étouffé au-dessus de leur tête.
" Ça vous gêne si j'allume une lampe ?" finit par demander sa voisine.

[Voyageuse]

" Non, allez-y, si vous voulez de la lumière."
Il n'y avait pas de fenêtre, et elle avait fermé la porte, qui de surcroît donnait sous le pont. Elles ne risquaient pas d'attirer l'attention.
Elle n'avait même pas songé qu'il puisse y avoir une lampe, sur cette barge elfique. Mais après tout, c'était peut-être celle de Mathilde.

[Galathée]

C'était une lampe à huile toute simple, qui diffusait une lumière bleuté et un peu odorante. Assise en équilibre précaire dans son hamac, Mathilde chercha un endroit pour la fixer en hauteur puis, satisfaite, se pencha et attrapa son sac, d'où elle sortit un livre. Elle se réinstalla ensuite et l'ouvrit. Le silence retomba dans leur alcôve. L'huile dégageait une odeur assez forte mais pas désagréable, légèrement citronnée. Mathilde lisait à voix basse, concentrée. Toujours pas de traces de Gaelin, pas de libération...

[Voyageuse]

Il n'y avait qu'une chose à faire : attendre. Elle aurait peut-être dû demander à Gaelin si ça serait long... mais c'était trop tard. Il restait à espérer que Mathilde ait une patience suffisante. Mais avec un livre pour l'occuper, ça irait sûrement.
Pour sa part, elle n'avait pas de livre, à part celui, désormais inutile, acheté avec la carte à Togoria. Elle ne pouvait donc que se reposer, se détendre en se laissant bercer par le mouvement du hamac, et laisser vagabonder ses pensées. Pas forcément vers des idées très positives, d'ailleurs. Que se passerait-il si on découvrait que Mathilde était Mathieu ? Et qu'est-ce qui lui avait pris, à elle, de se laisser embarquer là-dedans ? Elle courait un risque idiot dont elle aurait pu se dispenser. Et puis... Est-ce que les elfes seraient aussi froids et distants avec eux durant toute la traversée ? Ça pouvait devenir un peu pesant, à la longue. L'elfe aux cheveux blancs, si mystérieux, était pourtant capable d'être agréable, lui semblait-il, et Gaelin était sympathique également. Mais pourquoi le capitaine détestait-il les humains ? Avait-il vécu la guerre ?
Elle réprima un soupir et s'obligea à cesser ces interrogations stériles, se concentrant plutôt sur les mouvements du bateau et les rares sons en provenance de l'extérieur.

[Galathée]

Peu de temps après, elle entendit des pas dans le couloir puis on frappa à leur porte.
" Vous pouvez ressortir." dit la voix de Gaenlin.
Mathilde fut sur ses pieds avant Astrée.
" Diable, j'ai faim !"
Elle ouvrit la porte et fila dans le couloir.

[Voyageuse]

Elle la laissa filer, et prit le temps d'éteindre la lampe avant de sortir à son tour de la cabine, plissant les yeux pour se réhabituer à la pénombre. Elle comptait jeter un coup d'oeil à la coquerie, que Mathilde avait certainement trouvé aussitôt, pour vérifier que celle-ci avait de quoi se sustenter. Pour sa part, elle préférait remonter sur le pont et se réinstaller à sa place habituelle, sauf bien sûr si Gaelin se trouvait à la coquerie et d'humeur à discuter.

[Galathée]

Gaelin était dans la coquerie avec Mathilde, qui l'interrogeait sur le contenu de son gruau d'elfe. Le quartier-maître ne parut pas s'en formaliser, la servit puis accompagna les deux femmes sur le pont.
" La zone est sûre jusqu'à la nuit, mais ce soir, nous nous arrêterons dans un endroit où, à nouveau, il vous faudra rester à bord et ne pas vous montrer.
— Moi qui croyais qu'on aurait l'occasion de profiter un peu plus du paysage, dit Mathilde avec une grimace.
— Demain en fin d'après-midi, ce sera possible. Et nous serons déjà à Anarion dans la matinée du lendemain.
— On est obligées de descendre à Anarion ?"
Gaelin pinça les lèvres.
" Je le crains."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça silencieusement, en soupirant intérieurement. En résumé, le voyage s'annonçait court et ennuyeux. Il fallait apprécier le seul avantage de la situation, cependant : les risques que Mathieu soit découvert d'ici au surlendemain, en restant presque constamment enfermé, étaient faibles. C'était bien la seule pensée positive qui puisse lui venir à l'esprit. Elle songeait qu'elle aurait bien prolongé la traversée au-delà d'Anarion, pour sa part. Naviguer sur la Sylvestre était plutôt agréable.... quand on pouvait mettre le nez dehors, bien sûr. Evidemment, s'il fallait rester enfermée en cabine avec Mathilde, ça l'était moins. Mais donc, il lui faudrait décider de ce qu'elle ferait une fois à Anarion.
Mais pour l'heure, elle décida de profiter de la présence de Gaelin pour lui poser la question qu'elle avait en tête depuis... une éternité :
" Dites, je voulais vous demander.... C'était quoi, la grande statue qu'on a aperçue avant l'arche ?"

[Galathée]

L'elfe parut ennuyé.
" C'est... le genre de choses que les humains ne sont pas censés voir, ni connaître." intervint alors une autre voix, et l'elfe aux cheveux blancs posa la main sur l'épaule du quartier-maître.
Celui-ci parut immensément soulagé de cette intervention et en profita pour détaler vers l'arrière du bateau.
" C'est une divinité de la Lorien." ajouta le nouveau venu.
Il s'assit alors sur le banc, non loin des deux femmes. Mathilde le dévisagea, puis dévisagea Astrée, puis eut un sourire léger.
" Je crois que... je vais aller laver mon bol. Excellente idée. Nécessaire en plus."
Elle se leva et s'esquiva à son tour vers la poupe.

[Voyageuse]

Astrée en resta bouche bée. Que Mathilde s'esquive pour échapper à une possibilité de bavarder, ça la dépassait. Et le regard qu'elle leur avait lancé à tous les deux... Elle se sentit rougir. Bon sang, ça se voyait tant que ça qu'elle avait envie de discuter avec cet elfe ? Sans savoir quoi lui dire, d'ailleurs. Comme à son habitude.
" Je suis désolée d'avoir posé une question indiscrète, alors", fit-elle simplement.
Elle aurait voulu en savoir plus sur cette divinité, poser des questions sur l'arche, aussi. Mais elle n'osait plus.

[Galathée]

" Je suis désolé, dit l'elfe. Content pour vous que vous puissiez atteindre votre destination, comme vous l'espériez, mais désolé que les secrets de la Lorien vous soient refusés. Une partie du moins. Ce que vous allez voir, le long de la rivière, bien peu d'humains l'ont contemplé. Mais en contrepartie, vous devez accepter que tout ne vous est pas offert. Les mystères de ces lieux ne vous appartiennent pas. Prendre à un peuple, ce n'est pas seulement lui voler ses objets ou ses lieux, c'est aussi s'approprier son savoir."

[Voyageuse]

Elle hocha la tête. A demi convaincue, peut-être. Mais elle pouvait comprendre, en y réfléchissant un instant.
" Je comprends... Même si je n'aurais pas fait le moindre usage de ce savoir, je l'aurais gardé pour moi, ça ne vous aurait pas porté préjudice. C'était de la simple curiosité. Mais... je comprends très bien que vous vouliez préserver les secrets de votre peuple. Ils vous appartiennent."
Elle sourit.
" Et donc, je ne poserai plus de question indiscrète."
Même si elle en avait une demi-douzaine d'autres en tête.

[Galathée]

" Oh mais vous avez le droit de poser des questions, dit l'elfe, aussi longtemps que vous m'octroyez le droit de ne pas y répondre. Et que vous le supportez, je suppose."
Il eut un doux sourire.
" Vous avez de bonnes intentions, dame, mais dans le fond, vous ne pouvez pas deviner aujourd'hui ce que vous ferez de votre savoir dans cinq, dix ou vingt ans. Même dix jours, en réalité. Vous ne savez rien des méandres que va emprunter votre vie, des choix que vous aurez à poser, des dilemmes à venir, des crises, des décisions vitales. En cela... Contemplez. Les yeux suffisent parfois, les mots ne sont pas toujours nécessaires ou même utiles."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça, doucement.
" C'est vrai, vous avez raison. Je ne sais pas de quoi sera fait l'avenir...".
Contempler.... elle avait passé la journée à le faire.
" Et je comprends très bien que vous refusiez de répondre à mes questions, ajouta-t-elle avec un sourire. Parce que malheureusement, toutes celles qui me viennent à l'esprit me sont certainement interdites... Comme par exemple, savoir ce qu'était cette arche, ou comprendre ce qu'est un arbre sacré... Je suppose que je n'en ai pas le droit."

[Galathée]

" Vous supposez mal. Mais c'est sans doute normal, de ne pas pouvoir débrouiller l'accessoire du critique, quand on aborde une culture dont on ne sait rien."
Il sourit.
" L'arche n'est rien d'autre que le signe du passage d'un territoire à un autre. Quant aux arbres sacrés... et bien je suppose qu'il s'agit d'arbres... qui sont sacrés. Comme les vaches sont sacrées à certains endroits, ou... certaines pierres... ou un temple ?"
Son sourire s'élargit.
" Vous savez que les elfes de la lune ne sont pas exactement des elfes des bois, n'est-ce pas ? Et encore moins des elfes sauvages ? Et que les elfes des bois de l'ouest ne sont pas les elfes des bois de l'est, et encore moins les elfes des bois de la Forêt Maudite ? Que les Lunaires de la rivière sont différents des Lunaires de Loth Imharil, et des Lunaires de feue-Valnimbreth ou des Lunaires d'Anarion ? Et que donc, ça ne veut rien dire, un arbre sacré, même si vous parlez d'un arbre sacré pour les elfes ? Quels elfes ?"

[Voyageuse]

Astrée secoua la tête avec un sourire amusé.
" Bon, d'accord, je renonce à parler de choses dont j'ignore tout ! Je me contenterai d'observer ce qui se présentera à mes yeux."
Les elfes étaient probablement un peuple bien trop complexe pour être compris par un humain, de toute façon, à moins d'y passer une vie entière, et encore : en se limitant à une seule tribu.
" Je suis consciente de la chance que j'ai déjà de pouvoir être là, tout simplement, ajouta-t-elle plus sérieusement. Et c'est à vous que je le dois. Je voulais vous en remercier. Même si le voyage sur cette barge sera trop court à mon goût, je sais que c'est déjà beaucoup..."

[Galathée]

" Vous ne me devez rien. Vous avez aidé à résoudre un problème qui constituait... une épine dans le pied de notre capitaine, dirons-nous. Et nous sommes désormais liés par le serment secret des malfaiteurs. Comment dit-on, déjà ? L'honneur parmi les voleurs, voilà. Vous avez payé votre passage, voilà tout. Il est des choses que... les humains savent faire et que les elfes ne peuvent pas se permettre."

[Voyageuse]

Astrée réprima une grimace. Elle n'avait rien fait du tout.
" Hum... J'avoue que j'ai laissé l'essentiel du boulot à ma collègue...," avoua-t-elle en fixant le bout de ses pieds.
Elle ne méritait pas vraiment son passage, au fond. Mais d'un autre côté, elle avait accepté d'être complice indirecte de ce vol. Ça devait suffire.
" Mais je me dis que cet objet doit être rudement important pour que votre capitaine en vienne à accepter de transporter deux humaines. Je sens combien ça lui pèse."

[Galathée]

L'aveu d'Astrée avait mené une expression un peu suspicieuse, bien que toujours amicale, sur le visage de l'elfe.
" Vous n'avez pas idée." dit-il.
Il jeta un coup d'oeil derrière son épaule, vers le gouvernail.
" Mais... c'est un elfe d'honneur, et vous ne devez donc pas vous soucier de ses humeurs. Il s'en tiendra à ce qu'il a promis et il restera civil, tant que vous respectez ses consignes et gardez vos distances."

[Voyageuse]

L'expression de suspicion n'avait pas échappé à Astrée. Elle aurait dû se taire... Mais elle n'aimait pas mentir ou se faire passer pour ce qu'elle n'était pas. Et elle n'avait pas envie de se défier de lui. Elle le paierait peut-être...
Elle préféra se concentrer sur ses paroles et oublier le reste.
" Ne vous en faites pas, j'obéirai au doigt et à l’œil et je ferai en sorte que ma présence soit la moins gênante possible. J'ai une petite expérience de ce genre de situation... en pire."
Elle se souvenait que la haine de Sheldon, brûlant dans son regard, lui glaçait le coeur. Et puis le capitaine n'était qu'un elfe : il n'allait pas lui briser le crâne d'un coup de sabot.
" Et je me doute que je n'ai aucune chance de le convaincre de m'emmener au-delà d'Anarion. Dommage."

[Galathée]

" Vous avez l'art de vous glisser à des endroits qui ne vous conviennent guère, dans ce cas, dit l'elfe. Ou vous aimez dépasser vos limites... votre... comment dit-on... zone de confort. Cela existe, je n'en doute pas."
Son regard se porta vers l'amont de la rivière.
" Pour le reste... C'est exactement comme au Portail de la Lorien : si vous parvenez à convaincre le capitaine, qui sait ? Mais j'ai l'impression que votre collègue est mieux placée pour arriver à ce genre de résultats. Vous pourriez lui demander conseil."
Il y avait, indéniablement, une petite trace d'humour dans ces dernières paroles.

[Voyageuse]

Astrée leva les yeux au ciel avec un sourire, un peu contraint peut-être.
" Oh, oui, admit-elle. Elle s'en tirerait sûrement mille fois mieux que moi."
Mathieu avait l'art d'embobiner son monde... Talent dont elle-même se sentait bien dépourvue. Tant pis, on ne se refaisait pas. Mieux valait se résigner à l'avance.
" Mais donc, si jamais je ne peux pas convaincre le capitaine et qu'il nous faut descendre à Anarion... Y a-t-il des choses utiles à savoir avant de débarquer ? Ça a l'air d'être une ville carrefour, d'après la carte."

[Galathée]

" C'est effectivement une cité cosmopolite, où vous rencontrerez des elfes et des humains, mais aussi des halfelins et des gnomes, et de nombreux hybrides. Je ne la connais pas très bien, nous nous y arrêtons généralement très peu de temps et je ne descends que très rarement à terre. Ce n'est pas mon élément."
Il sourit.
" Mais comme votre carte vous l'aura montré, il y a la route, et c'est l'endroit où la Sylvestre se subdivise en deux. Vous y trouverez assurément de quoi poursuivre votre voyage, et si vous montez vers Nauru, la forêt vous sera plus ouverte, bien qu'elle reste très luxuriante et donc peu hospitalière pour ceux qui la connaissent mal."

[Voyageuse]

Son élément, à lui, c'était la rivière, songea Astrée. Un peu comme le sien, dans une moindre mesure, était la montagne... Mais Anarion devait être une ville intéressante à voir, s'il y avait une telle diversité de population. Elle verrait bien.
" La Lorien est bien plus hospitalière que la Forêt Maudite près de laquelle j'ai vécu quelques temps. Et surtout bien plus belle. J'avoue que c'est un peu frustrant pour moi de ne pas avoir le droit d'y pénétrer, même si j'en comprends très bien les raisons. Pourquoi dites-vous qu'elle sera plus ouverte en allant vers le nord ? N'est-elle pas, là aussi, interdite aux humains non accompagnés par un elfe ?"

[Galathée]

" Il y a la théorie, et il y a la pratique. Comme vous le savez sûrement, il n'y a pas de gouvernement elfique centralisé : chaque tribu a ses règles, dans les limites définies par les accords de paix et la loi luménienne. Les tribus du sud de la Lorien et du nord transigent généralement davantage sur l'accès à la forêt. Cela ne veut pas dire que tout vous sera accessible ou montré ou offert, mais vous devriez pouvoir aller faire un tour, oui... Si vous négociez, à nouveau. Il va falloir apprendre, si vous voulez obtenir des choses rares."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
" Je ne suis pas très douée pour ça... Mais après.... je verrai bien comment les choses se présentent, au fil des hasards des rencontres. Je ne suis que de passage... Si je peux rendre mon voyage plus intéressant que simplement suivre une route, je profite de la chance qui m'est offerte, sinon, ça n'est pas dramatique. Et voyager en barge sur la Sylvestre, c'est déjà une chouette expérience. Vous continuez dans quelle direction, après Anarion ?"

[Galathée]

" Vers Belred Luyn, a priori. Peut-être pas. Cela dépend de... ce que nous avons en cale. Nous sommes une barge de transport."
Il sourit.
" Mais vu votre coup d'éclat au Portail, je ne suis pas certain que nous allons ressortir de la forêt dans l'immédiat."

[Voyageuse]

Astrée sourit.
" Bah, de toute façon, je parie que vous préférez être ici, en Lorien, que dans la vallée peuplée d'humains. C'est plus votre élément..."
Le capitaine, en tout cas, préférait sûrement cette option. Lui... certainement aussi.

[Galathée]

" C'est certain, dit l'elfe. Mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut. On fait aussi ce qu'on doit."
Il y eut un bruit d'éclaboussure derrière eux, et il se retourna.
" C'est l'heure de la pêche, je vois. Et je vais vous laisser. Profitez bien de la suite du voyage et... je répondrai à vos questions plus tard, si je le peux."

[Voyageuse]

" A plus tard. Et merci d'être venu bavarder un moment", répondit Astrée en souriant.
Elle le regarda s'éloigner, un peu songeuse. Elle ne l'avait pas questionné sur ce lien qu'il entretenait avec la rivière. C'était trop indiscret, lui semblait-il. Et puis, ça lui sautait aux yeux sans qu'elle ait besoin de demander, après tout. Il avait raison : elle devait observer, contempler... sans trop questionner. Même si l'envie l'en démangeait.
Le plus surprenant, finalement, était que Mathilde ne soit pas venue s'incruster dans la conversation. Mais elle n'allait pas s'en plaindre, au contraire.