[Aventure] Les Écrits de Vartang Alec

[Kededric]

Même avec la possibilité de voir dans l'obscurité, il devait s'arrêter de temps à autre car le contraste entre les zones bien éclairées et celles, juste un peu plus loin, plongées dans les ténèbres, lui fatiguait rapidement la vue. De toute manière, il ne comptait pas se presser : il aurait du travail exploratoire avant de trouver un moyen de regagner ses pénates.

L'enseigne d'une possible taverne attira son œil. Un squelette de chat ? Quelle curieuse enseigne ! De la musique émanait de la bâtisse. Il pourrait peut-être croiser des créatures plus à même de le renseigner sans chercher à le clouer sur un mur pour l'écorcher vif l'instant d'après. Avec un peu de chance, les lieux étaient fréquentés par des humains, ou apparentés.

Kededric poussa la porte, malgré lui un peu inquiet de ce qu'il trouverait à l'intérieur.

[Diane d'Orlac]

Kededric entra donc dans l’auberge.
Sitôt la porte poussée, il fut accueillit par une atmosphère chaude et moite, chargée de fumée. L’odeur de la viande grillée surnageait par-dessus des odeurs de sueurs moins ragoutantes. La salle commune était assez vaste et toute en pierre. Haute de plafond, avec des fenêtres étroites mais allongées, des flambeaux et des lustres l’éclairaient raisonnablement. Il fallait ajouter à cela les deux énormes cheminées, au fond, dans lesquelles crépitaient un feu infernal. L’assassin ferait bien d’éviter de trop s’en approcher s’il ne voulait pas fondre sur place. Au-dessus des flammes agressives cuisaient les carcasses luisantes de graisse de choses impossible à identifier. Derrière le comptoir se tenait un être énorme et obèse. Sur le plan matériel, on aurait pu croire à un humain avec du sang d’ogre, ou à un semi géant. Mais il était probable que ce soit un démon. La peau cireuse, les traits flasques, totalement chauve et imberbe, il arborait une mise plutôt ordinaire pour un aubergiste. Ses petits yeux noirs tombèrent sur Kededric et le détaillèrent. L’assassin put y lire une méchante intelligence.
La clientèle, installée sur des chaise en fer, autour de tables en fer, buvaient, mangeaient, riaient, beuglaient. Il y avait là beaucoup des grands blafards décharnés qui constituaient la population locale. Seulement, Kededric avait vu juste, il voyait des visages différents, certains totalement humains. Dans un coin, il repéra quelqu’un en grand manteau encapuchonné, seul à sa table. Difficile de dire de quelle race il était, celui-là.
Dans un autre coin, proche des cheminées, une estrade. Et sur cette estrade, des musiciens. C’était eux qui faisaient retentir flûtes et tambours. Ils se débrouillaient bien, même si la musique, certes entrainante, avec un côté anxiogène et stressant.

[Kededric]

La chaleur étouffante contrastait avec le froid glacial qu'il avait enduré quelques heures seulement auparavant. Heureusement, ici, ce serait de courte durée, et il pouvait quitter la salle à son aise s'il venait à avoir réellement trop chaud.

Les créatures présentes étaient bel et bien d'autres démons... mais il put voir d'autres sortes de personnages. Peut-être des humains, peut-être des démons à visage humain... impossible à dire. Et il faudrait bien qu'il prît le risque, car, en s'exprimant en commun, il se dévoilerait rapidement s'il s'adressait à une créature démoniaque.

Il ne pouvait pas non plus donner le change en commandant une boisson : l'aubergiste le dévoilerait aussitôt. Aussi, il se résolut à faire mine d'écouter la musique produite, envahissante, pour ne pas trop éveiller les soupçons. Du coin de l'œil, il cherchait d'autres visages humains, outre l'homme encapuchonné.

[Diane d'Orlac]

La personne encapuchonnée ne laissait pas voir son visage. Impossible dès lors de deviner si elle était humaine ou pas.
Des personnes avec des visages humains, il y en avait une demi dizaine dans la salle. Il y avait notamment un individu assez élégant, en mise aristocrate, qui conversait avec un démon assez hideux, mais lui-aussi plutôt richement vêtu. Kededric se rendit compte qu’il pouvait comprendre leur conversation, elle était en commun. Le sujet portait sur le cirque de la cité. Le démon en faisait l’éloge.
Les autres personnes d’apparence humaines ne parlaient pas, ou le faisait en abyssal, de ce que pouvait en juger l’assassin.
Un morceau de musique s’acheva. Un autre débuta.

[Kededric]

Il préféra ne pas prendre le risque d'engager la conversation avec une créature qui ne comprenait peut-être pas le commun... mieux valait s'intéresser au noble et au démon, même s'il devrait s'immiscer dans la conversation. Après tout, il pouvait bien expliquer être arrivé récemment via un portail ; c'était monnaie courante dans les Plans Extérieurs.

Kededric s'approcha tranquillement du duo. Il attendit qu'une pause se fît dans la conversation pour s'asseoir à leurs côtés.

[Diane d'Orlac]

L’assassin s’attira sans surprise à lui l’attention de l’aristocrate et du démon.
Le premier devait bel et bien être de sang noble, ses traits en témoignaient. Son attitude aussi. Élégance et vanité, des choses courantes dans les hautes sphères. Il fallait quand même concéder que l’homme avait un charme certain. Bien bâti, il devait être formé au maniement des armes. D’ailleurs, il avait une épée au côté. Kededric l’imaginait sans mal revêtu d’une lourde armure et monté sur un destrier. Ses longs cheveux blonds lui tombaient sur les épaules et encadraient son visage souriant.
Le démon n’était pas un natif de cette cité. Ce n’était pas une grande créature blanche et maigre. Il était au contraire plutôt petit et gras. Affreusement laid, il avait un épiderme rouge et il faisait un peu penser à une sorte de crapaud. Il portait une mise bouffante à vives couleurs avec une multitude de bijoux. Mention spéciale pour la bonne dizaine de colliers dorés qui tintinnabulaient autour de son cou quasiment inexistant.
« Un tieffelin, constata le noble, affable.
- Peut-être quelqu’un d’intéressant », ajouta le démon.
Sa voix étrangement agréable fut entendue par l’assassin à la fois par ses oreilles mais aussi directement dans sa tête. Le démon, en plus de parler, usait de télépathie et c’était plutôt troublant au début.
« Vous êtes là pour le cirque, vous aussi ? reprit le noble. Ou recherchez-vous un spectacle moins violent ? »

[Kededric]

Il fut soulagé, d'une certaine façon, que les deux personnages ne cherchaient pas à en savoir davantage sur lui. Son déguisement et son apparence avait fonctionné, au moins jusqu'ici. Un bon point...

"Un cirque ?" fit-il, l'air dubitatif. "J'ignorais qu'il y avait un cirque ici... non, en vérité, je suis à la recherche de portails. Je ne connais pas les lieux et je suis arrivé ici par accident, voyez-vous."

Les portails, outre celui qui s'était trouvé dans le livre de Vartang Alec, pouvaient aussi se dissimuler un peu partout dans le multivers. Les voyages non désirés n'étaient pas si rares, surtout sur certains plans. Kededric en savait à peine plus quant à ces portails, mais cela suffirait peut-être à savoir que chercher.

[Diane d'Orlac]

« Ha, je vois… fit le noble, amusé. Vous êtes un égaré. J’ai connu cela et il n’est jamais à exclure que je le connaisse à nouveau. Les portails, c’est toute une histoire. »
Le démon eut un air de profond dédain, sur quoi le noble précisa :
« C’est toute une histoire pour ceux qui n’ont pas la faculté innée de changer de plan. »
Puis, de nouveau pour Kededric, il poursuivit :
« Mais le sort a été clément avec vous. Vous voici à Neczul l’insouciante, une cité qui offre bien des choses aux visiteurs, même d’un jour. Quand je dis clément, en vérité, vous êtes un miraculé car Neczul l’Insouciante se situe dans une strate abyssale aux conditions climatiques particulièrement hostiles. C’est un monde de feu et de glace. »
Kededric choisit cet instant pour éternuer.
« Ha, mais », vous devez déjà le savoir, constata le noble.
Il appela d’un geste l’un des serveurs et commanda, dans la langue des démons, quelque chose. Il en profita pour vider un peu plus sa chope pleine d’un liquide moussu, sans doute de la bière.
« Neczul dispose d’un portail vers le plan matériel, si c’est bien là que vous souhaitez vous rendre. Mais l’accès est contrôlé par le grand Sultan de la cité. Entre qui veut mais ne sort que ceux qui y sont autorisés. Et pour y être autorisé, il vous faut payer cinq âmes. »

[Kededric]

Un plan de feu et de glace ? Certes, il s'en était rendu compte. Finalement, il était bien tombé : à quelques kilomètres près, il n'aurait pas eu le temps de rejoindre la cité et pouvoir s'y réchauffer les os...

"Je vois, tout se monnaie... en revanche, je n'ai jamais possédé d'âmes, outre la mienne, bien sûr. Quel est le moyen d'en obtenir ?" Il n'était pas certain que la méthode serait simple. Mais ça pouvait s'avérer très instructif. Qui sait, peut-être pourrait-il s'en servir, une fois de retour à Melandis. L'idée était plaisante... mais il faudrait d'abord sortir d'ici.

"Pardonnez mon empressement. Voyez-vous, je ne suis pas accommodé aux Plans Extérieurs, malgré mon ascendance... j'ai toujours vécu sur le Plan Matériel."

[Diane d'Orlac]

« Les premières fois sont toujours un peu déroutantes, concéda le noble, compréhensif. Et même après, la surprise est souvent au rendez-vous. Les âmes sont, dans les plans inférieurs, comme l’or dans le plan matériel. Il est excessivement difficile pour nous autres mortels de les extraire, à moins d’être versé dans les arts sombres. Ce sont là affaires de magiciens ou de sorciers. Non, pour nous, il est plus simple de les obtenir déjà toute prête. Par chance, c’est sous cette forme qu’elles circulent en tant que monnaie. »
Sur ce, après avoir plongé la main dans une poche de sa riche tunique, il en sortit comme une perle de verre translucide à l’intérieur de laquelle brillait une lueur bleuâtre.
« Vous pouvez trouver des âmes par bien des moyens dans la cité. Il y a beaucoup de jeux d’argent, comme les paries. Au cirque, il y a moyen de se faire une fortune si vous avez de la chance, et un bon flair la stratégie. Tenez, prenez cette âme en guise de ma sympathie. Je suis le Chevalier Danval. Et vous, à qui ai-je l’honneur ? »

[Kededric]

Malgré lui, il fut un peu déçu. Il aurait bien aimé s'accaparer les âmes de certaines personnes pour les monnayer, justement... d'un autre côté, pouvoir simplement les gagner au jeu ou en travaillant présentait un avantage non négligeable : c'était bien plus simple que de passer par de la magie probablement de haute voltige.

"Oh. Je vois. Tout se monnaie VRAIMENT, alors !" fit-il, étonné. Tout était différent, ici, et cette histoire d'âmes n'était qu'un exemple, semblait-il.

"Je me nomme Philibert Blanpain. Comme je vous le disais, j'ai surtout été imprégné de la culture des humains...", déclara-t-il pour expliquer son patronyme certes peu en accord avec son "héritage" démoniaque. "Puis-je me permettre une question ? Parier contre des démons, n'est-ce pas... risqué ?"

Les démons avaient la réputation de ne jamais tenir leurs engagements. Ils pouvaient tout aussi bien changer les règles du jeu ou l'enjeu du pari en cours de route... à ses dépens.

[Diane d'Orlac]

Le Chevalier Danval eut un petit sourire entendu.
« Cher Philibert, chaque jeu a ses règles. Il en faut un minimum pour que le jeu puisse ne serait-ce qu’exister. Je suis tenté de dire que cette cité toute entière n’est qu’un jeu. Un grand, fabuleux et cruel jeu. Or tricher fait partie du jeu. Il ne faut juste pas se faire prendre, car se faire prendre, c’est aussi le jeu. »
Il désigna d’un petit geste de la main un groupe de garde attablé dans un coin et déjà passablement éméché.
« Certains gardes sont vigilants. Ils font respecter les règles. N’ayez donc pas peur de parier à la vue de tous, surtout d’une foule. Tricher devant tant de monde est pur suicide. Seulement, disons que si vous gagnez beaucoup, vous vous ferez des ennemis, des ennemis que vous pourriez bien croiser dans une ruelle par un curieux hasard. Se suriner dans le noir, ça fait partie du jeu. »
L’affreux démon crapaud rit, puis déclara, à la fois de sa voix ordinaire et de celle qui raisonnait dans la tête :
« Chevalier, votre vision de Neczul est fort amusante. J’ai entendu d’autre la décrire en des termes bien différents, mais après tout, tout n’est que point de vue. »

[Kededric]

La loi régnait-elle donc un minimum, ici ? Curieux, mais pas totalement fou. Il n'avait pas vu de grand bain de sang en arrivant, et les patrouilles de gardes, même s'ils étaient sous l'influence de l'alcool, témoignaient d'une relative prise en main des choses. Ç'aurait pu être pire, s'il avait atterri au beau milieu d'une bataille de la Guerre Sanglante ou au sein d'un quartier de démons tous plus retors les uns que les autres. Néanmoins... il se méfiait de tout le monde, y compris de ce chevalier dont rien ne disait qu'il était animé par autre chose que le profit personnel.

"Vraiment ?", répondit Kededric à l'encontre du démon. "Quelle serait votre propre vision de Neczul, si je puis me permettre ?"

Plus que par politesse, il avait posé la question pour entendre son point de vue à lui. Multiplier les sources d'information sur un lieu nouveau était sans doute une précaution des plus élémentaires, même si ces informations ne pouvaient être considérées comme étant très fiables.

[Diane d'Orlac]

« Il se raconte que Neczul n’existe que pour le bon plaisir des filles du sultan, commença le démon crapaud de sa double voix. Elles s’y promèneraient, parfois invisibles, parfois sous des traits anonymes, parfois encore sous leur véritable apparence, afin de jouir de tout ce que la cité a à offrir. Une cité façonnée à leur image. Elles aiment le sang, le sexe, l’art et le commerce. Alors, à Neczul, vous trouvez du sang, du sexe, de l’art et des commerces.
- Et des jeux, ajouta Danval, mutin.
- Cher chevalier, si jeu il y a en ces murs, nous en sommes les pions, répliqua le démon, soudainement agacé.
- Mais alors, pourquoi être venu, vile ami ? demanda le chevalier, provocateur. Aimez-vous tant que ça être un pion ?
- Mes affaires ne regardent que moi », lâcha le démon qui se leva, paya et s’en alla.
Le Chevalier Danval semblait satisfait.

[Kededric]

Le chevalier avait la langue bien acérée et l'assurance claire pour ainsi taquiner un démon sur son propre terrain. En était-il lui-même un ? Les apparences n'étaient jamais fiables, Kededric était bien placé pour le savoir...

"Je crains que vous l'ayez vexé, mon cher monsieur", souffla-t-il doucement. "Mais je lis sur votre visage que c'était un peu votre but... je ne puis m'empêcher de me demander pourquoi. Dans une cité vouée à la cause du Mal, j'aurais tendance à éviter ce genre de choses. Mais... je ne suis pas vous, et inversement, bien sûr."

Le chevalier avait bien déclaré adorer les jeux. À un tel point ? Cela pouvait s'avérer très dangereux pour lui. Et pour Kededric aussi, s'il traînait trop avec cet homme. Il ne devrait pas trop traîner à Neczul, s'il tenait à la vie.

[Diane d'Orlac]

Le Chevalier Danval rit avec légèreté.
« Ce démon là, je le connais de réputation. Il n’est pas bien dangereux. Et quand bien même le serait-il que la prudence n’aurait pas été forcément la bonne solution. Qui ne tente rien n’a rien et la chance sourit aux audacieux. Sachez que je jouis d’une certaine notoriété en ville. Je la dois à ma manière d’être, manière qui, il faut le croire, a plu à l’une des filles du sultan. »
Le chevalier se leva, repoussa sa chope vide, laissa sur la table une poignée d’âmes en billes en paiement, puis proposa :
« Votre compagnie m’est agréable. Voudriez-vous que je vous fasse visiter Neczul ? Devant moi, bien des portes s’ouvrent. »

[Kededric]

Bravade ou vérité ? Impossible à dire pour l'instant, mais l'invitation du chevalier eut l'heur de plaire à Kededric. Si sa notoriété se confirmait réellement, il pourrait se révéler être un allié précieux dans sa recherche d'une porte de sortie vers le Plan Matériel.

"Ma foi, je m'en voudrais de refuser pareille offre. Et puis, cette cité semble tellement particulière que j'aurais tort de ne pas en apprendre un peu plus à son sujet avant de songer à m'en retourner chez moi..."

Ne pas paraître trop pressé, même s'il souhaitait ne pas s'éterniser ici.

[Diane d'Orlac]

« Voilà de bonnes paroles ! » déclara, en souriant, le chevalier.
Il se leva et tapa sur l’épaule de Kededric.
« Maintenant que vous êtes là, autant en profiter mon cher Philibert. Sait-on jamais, peut-être aurez-vous envie de revenir… Cette ville est pleine de charme ! Venez donc, suivez le guide ! »

Le charme, il ne sautait quand même pas aux yeux. À la suite de Danval, l’assassin évolua dans des rues oppressantes et enténébrées. Le roc se dressait de toute part, massif et façonné. De rares lanternes brûlaient dans l’air tiède et c’était autant de petite flaque de lumière incertaine au milieu du noir. Le chevalier tourna à bien des croisements, dévala bien des escaliers, tantôt droits, tantôt en colimaçon, traversa des ponts, remonta d’autres escaliers. Kededric, à force de monter, descendre et de tourner, doutait maintenant pouvoir retrouver le chemin qui l’avait mené à la cité. L’auberge du chat squelette était loin.

Le trajet fut exempte d’incidents. Les ruelles étaient plutôt calmes, le chevalier étant visiblement un adepte des raccourcis loin des grandes allées. Chemin faisant, il dispensait quelques remarques sur tel ou tel édifice, mais ce n’était jamais sans grand intérêt pour l’assassin, à tel point que ce dernier eut bientôt l’impression que son guide faisait exprès de parler sans rien dire. Cherchait-il à l’égarer au milieu d’un sordide quartier, loin des regards ?

« Ha, on approche ! » finit par déclarer Danval.
Une rumeur commençait à se faire entendre, de nombreuses voix, de l’activité. Une odeur capiteuse passa fugacement à la faveur d’un courant d’air. Kededric remarqua alors qu’ils longeaient un édifices ornés de sculptures de créatures diverses en pleine orgies et massacre, une fresque démoniaque à n’en pas douter. De nombreuses fenêtres étaient illuminées, craint d’autant plus de points de lumière dans une obscurité toujours tenace.
« Jusque là, Philibert, vous n’avez encore rien vu. Ou plutôt si, vous n’avez vu que la carapace de ce joyau des abysses. »

[Kededric]

La cité était étrange et son ambiance malsaine. Lui, Kededric, homme craint dans son milieu de malandrins mélandiens, assassin redoutable et comploteur invétéré au sein de la cour, ressentait une impression de malaise latent en parcourant les rues de cette ville sinistre, rouge et chaude, où tout puait la corruption et le Mal absolu. Son guide n'était pas en reste, d'ailleurs, sur ces domaines, et Kededric ne commettrait pas l'erreur de s'y fier trop. Son apparence humaine pouvait celer bien de noirs desseins à son encontre, et il n'avait peut-être rien à envier aux démons qui peuplaient Neczul.

"Une carapace bien épaisse. J'imagine qu'elle recèle bien des choses, en effet !" fit-il avec un enthousiasme un peu forcé.

[Diane d'Orlac]

« Oui, bien des choses ! répondit, tout sourire, le Chevalier Danval. Certains minuscules commerces vendent des raretés de grandes valeurs, certaines gargotes offrent des spectacles vraiment particuliers, parfois sur mesures à telle ou telle demande débridée. Mais n’en demeure pas moins que le cœur de Neczul est ici ! »
Disant cela, il tourna à un angle de la ruelle. Dès lors apparût aux yeux de Kededric une vaste place fourmillant d’activités. Ce qu’on remarquait en premier lieu, outre le monde et le bourdonnement des voix, c’était les nombreuses lumières. Ici, l’obscurité reculait à regret devant la lueur des grands flambeaux. Les hauts bâtiments qui ceinturaient la place pavées d’un roc noir et luisant, semblaient avoir d’innombrables fenêtres éclairées, autant de yeux jaunes dans la nuit rouge. Tout ceci engendrait des ombres, mais petites et distordues.
L’air tiède était chargé d’odeurs sucrées et délicieuses… même si parfois un relent désagréable s’y glissait. Des musiciens de rue jouaient de la flûte et du tambour, un air entraînant et obsessionnel.
« Ici, le cirque ! » annonça Danval.
Il désignait le bâtiment de droite. Son entrée était ouvragée à la manière d’une gueule de dragon. Du fond de son gosier, en vérité le couloir menant à l’intérieur de l’édifice, s’entendait un grondement fiévreux et excité.
« Et là, le grand marcher ! »
Cette fois, Danval désignait la gauche où une construction aux allures de palais attirait le regard. L’architecture de Neczul se montrait ici dans toute sa démesure. La ville savait être belle à sa manière. Les artisans ayant réalisés cet endroit avait un vrai talent… et sans doute une bonne dose de folie également.
« Au cirque, vous avez la promesse d’un spectacle sans fins et toujours amusant ! Les paries vont bon train ! On devient riche et pauvre en un instant ! Parfois, les spectateurs deviennent acteurs ! Non, vraiment, le frisson à l’état pur ! Et au marcher… ne cherchez pas, vous trouvez de tout ! Des esclaves, des armes fabuleuses, des services exotiques, des prostituées, des mercenaires… tout ! Vous remarquerez que c’est un palais. En vérité, c’est celui du sultan lui-même. Sa demeure est en libre accès, à l’exception des quartiers privés, au sommet. »

[Kededric]

Le spectacle était fascinant. À côté, les jours de marché à Melandis passaient pour ternes et sans vie. Certes, on y trouvait des choses exotiques et chères, mais ici, rien n'était commun, tout paraissait sortir d'un conte de fées... ou d'un récit diabolique. Kededric voyait des milliers de créatures devant lui, toutes s'affairant, se promenant, marchandant ou observant ce qui était proposé sur les étals. Il aurait presque regretté de ne pas avoir d'âmes avec lui pour aller faire quelques emplettes...

Quant au palais, il ne ressemblait à rien que l'assassin eût pu contempler jusqu'alors. Un enchevêtrement de murs, de colonnes torsadées, d'arches, de fenêtres gigantesques... aucune symétrie, aucune uniformité, mais il s'en dégageait une sorte d'harmonie dans le désordre qui avait quelque chose de génial et de déroutant. Et de fatiguant, aussi. Le regard était sans cesse attiré vers quelque détail dans l'architecture, et l'ensemble était si bigarré qu'il en donnait le tournis.

Kededric resta coi un long moment, bouche bée, les yeux furetant en tous sens.

[Diane d'Orlac]

Le Chevalier Danval se tourna vers Kededric, satisfait de son expression.
« Déroutant, n’est-ce pas ? Allez, je me sens généreux aujourd’hui. »
Il sortit une bourse rondelette de la poche de son habit et la tendit à l’assassin.
« J’aurais aimé que quelqu’un fasse pareil pour moi, lorsque j’ai découvert cet endroit. Prenez, ça me fait plaisir. Et ne songez pas à me rembourser. Pas avec des âmes en tout cas. Pas avec la votre non plus, ne prenez pas peur, quoi qu’il soit quand même utile de le préciser en un tel lieu. Non, disons juste que si, un jour, j’ai besoin d’un petit service, vous serez bien aimable de me le rendre. Je suis sûr que vous pouvez rendre bien des services intéressants. »
La bourse contenait non pas des pièces d’or, mais une quantité non négligeable de ces petites sphères translucides, chacune emprisonnant une minuscule silhouette évanescente. Le chevalier souriait, mais quelque chose disait à Kededric qu’il n’était pas du genre à oublier une promesse, que ce service, il faudrait le lui rendre, qu’il y avait bien peu de chance que ce ne soit que des paroles en l’air.

[Kededric]

Il revint brusquement à la réalité. L'affaire se précisait donc, et le chevalier lui faisait maintenant une offre qu'il ne pouvait pas refuser... mais qu'il devait, malgré tout. Un pacte avec quelqu'un dont il ignorait tout, mais dont on pouvait penser que, même s'il avait un aspect humain, il était peut-être une créature démoniaque, dont chacun connaissait la propension à lier les mortels par des contrats tacites ? Il devait refuser, mais...

... il accepta, hochant simplement la tête en guise d'assentiment. Il se trouvait presque subjugué par le chevalier et ses propos si rassurants, si affables, qu'il ne songea plus à sa sécurité ni à sa survie. Danval souhaitait l'aider ? Il ne pouvait refuser, non, décidément.

Il parvint à bredouiller : "Merci, mais... je... qu'est-ce que j'en fais, au juste ? Je... vous m'avez dit que j'en aurais besoin pour emprunter un portail menant au Plan Matériel, mais j'imagine que j'ai peut-être d'autres possibilités quant à leur usage ?"

Sot ! Pourquoi ne s'était-il donc pas contenté d'accepter et de se précipiter vers ledit portail ? Agissait-il sous l'influence du chevalier ? De l'atmosphère de la cité, si repoussante et fascinante à la fois ?

[Diane d'Orlac]

« Que feriez-vous, avec un coffre plein d’or, au milieu d’un superbe marcher à Eau Profonde ? Ou en tout autre endroit de Thoril ? Que feriez-vous, avec un coffre plein d’or, dans la plus belle des boutiques ? »
Le chevalier sourit encore plus largement et pausa une main amicale sur l’épaule de Kededric.
« Vous en profiteriez. Alors, profitez-en. Faites de bonnes affaires, ou de mauvaises, c’est selon votre bon sens. Je peux juste vous assurer que si vous rêvez de quelque chose, il y a de grandes chances que vous puissiez l’acheter ici. »
Le chevalier retira sa main, s’écarta d’un pas.
« Mais je ne vous accompagne pas. Vous m’avez l’air d’être quelqu’un qui sait se débrouiller. En plus, quantité de marchands parlent le commun. Et les interprètes sont légions. Si vous me cherchez, je serai au cirque. Le spectacle promet d’être superbe ! Il ne commence pas tout de suite, vous avez le temps. »
Danval se détourna et commença à se perdre dans la foule.
« Allez, Philibert, c’est jour de fête ! » conclut-il, devant crier pour que sa voix porte malgré l’animation.

[Kededric]

Kededric était maintenant seul au beau milieu du marché. Enfin, seul, c'était un point de vue philosophique, car il était en réalité entouré de créatures aussi diverses que variées, d'étals tout aussi étranges, et envahi par un vacarme épouvantable mais néanmoins familier, même s'il ne comprenait pas grand-chose des conversations qui se tenaient non loin de lui.

Il arpenta donc les allées, jetant des coups d'œil d'un air qu'il voulait détaché, mais dont il savait très bien qu'il ne pouvait pas donner réellement le change : tout était étrange. Même des ustensiles à l'air simple ne semblaient pas avoir de fonction particulière, et il se demanda si ces instruments de torture qu'il voyait, là, sur une table crasseuse, n'étaient pas en réalité des outils pour la cuisine. Ou des instruments de musique, au fond, pourquoi pas...

Que désirait-il le plus ? Pas grand-chose de matériel, somme toute. Ses aspirations étaient plus spirituelles. Mais il se trouvait en un lieu tellement incroyable, et dans lequel il n'aurait sans doute plus jamais l'occasion de venir, qu'il se surprit à vouloir acheter quelque chose. Restait à savoir quoi, et à quel prix...

[Diane d'Orlac]

La vaste place du centre ville, coincée entre l’arène et le palais du sultan, était encombrés de marchands ayant disposés leurs articles de manière assez anarchique. Certains, demeurés mobiles, se baladaient sac ou balluchon sur l’épaule, tout en criant pour appâter le client. On vendait de tout, ici, et dresser la liste des étrangetés que put voir Kededric serait bien trop longue. D’ailleurs l’assassin, submergé par tant de nouveautés, ne garderait au final que des souvenirs assez confus de cette traversée.
Il n’allait par contre pas oublier le filou qu’il aperçut en train de dérober une bourse. Ce dernier fut également repéré par plusieurs gardes en patrouille qui le prirent en chasse, le rattrapèrent et l’exécutèrent sur place sans autre forme de procès. Et déjà l’on nettoyait la flaque de sang, et déjà on évacuait le cadavre, et déjà l’incident était clos et tout le monde s’en retournait à ses affaires.

Kededric réalisa alors se trouver au seuil du palais. Un seul coup d’œil à l’intérieur lui apprit que c’était là-bas qu’on trouvait le meilleur, le plus précieux, le plus étrange, et sans doute aussi le plus maléfique et dangereux. Des flambeaux éclairaient d’une lumière tamisée des allées marbrée où gouvernait l’ordre et un calme relatif, presque feutré. Rien que dans le hall était installée deux boutiques, chacune délimitée par des rideaux rouges astucieusement entrouverts pour capter le regard du curieux. La boutique de gauche semblait vendre des poignards absolument splendides, certain manifestement magiques. La boutique de droite faisait dans les riches costumes. Et plus loin, qui avait-il ?
Mille sombres merveilles, assurément…

[Kededric]

L'exécution du voleur l'avait surpris. Pas tant dans le principe que dans sa rapidité et le fait que personne n'eût esquissé un geste ni même jeté un coup d'œil au maladroit qui s'était fait prendre. L'ordre régnait par-dessus le désordre... l'inverse de Melandis, pour ainsi dire. Il n'était pas certain d'apprécier ou de détester cela. En tout cas, cette constatation le mettait une nouvelle fois mal à l'aise. Toutes ses habitudes étaient totalement inversées, et, au lieu de se trouver en situation dominante de prédateur, il était devenu une proie facile de par son manque de connaissances des lieux.

Néanmoins, il ne put que s'arrêter devant la boutique de couteaux. Il avisa également les vêtements richement décorés, mais il songea rapidement que des atours trop exotiques risquaient d'être compliqués à porter, même à Melandis. Sauf, évidemment, dans des soirées très particulières... Mais un couteau enchanté ? Toutes les occasions vaudraient la peine de s'en servir, non ?

Il prit une décision : il achèterait un couteau, s'il en trouvait un qui lui convenait, et s'il lui restait assez d'âmes pour acheter une parure et payer le dû pour emprunter le portail vers le plan Matériel, il le ferait. C'était somme toute assez sage.

Il entra chez l'armurier.

[Diane d'Orlac]

« Venez, venez très cher client ! Je suis certain que j’ai une lame pour vos dessins ! »
Le marchand de couteau était une créature reptilienne faisant immédiatement penser à un serpent. Néanmoins humanoïde, il portait une mise en soie noire. C’était un personnage à la fois élégant et malsain dont la voix quelque peu sifflante, mais très douce, lui allait à merveille. Il s’inclina, mais ne s’imposa pas, laissant Kededric observer les dagues, couteaux et autres poignards proposés à la vente.
Cela pouvait rappeler la collection d’épées de Griscieux, sauf qu’ici, c’était une collection pour assassin. Les armes semblaient toutes plus mortelles les unes que les autres et que dire de leur aspect parfois stupéfiant ?

HRP : tu trouveras ci-dessous les articles qui retiennent l’attention de ton personnage. Note que la bourse qu’il possède contient 132 âmes.
• Un poignard d’argent, sobre et raffiné, avec pour seule fantaisie de discrètes lignes abstraites courant sur son manche. L’objet n’est à priori pas magique. Prix : 22 âmes.
• Une orgueilleuse dague d’or sublimement ouvragée. Sa lame ondule et son manche est couvert de gravure noble et terrifiante. L’objet est magique, ça saute au yeux. Prix : 58 âme.
• Un simple couteau. Il semble être de qualité, mais n’a rien de remarquable. Néanmoins, vu son prix, il doit être magique. 71 âmes.
• Une inquiétante dague d'os qui irradie de puissance magique. 350 âmes.

[Kededric]

Il hochait lentement la tête en examinant les diverses lames présentées dans le magasin. Tant de styles différents ! Même le plus fin armurier mélandien n'était pas capable de produire de telles dagues. Il devait y avoir le concours de la magie pour l'imprégnation et le façonnage de ces armes, c'était quasiment certain.

Kededric avait une envie irrépressible d'acheter l'une de ces armes, mais il faudrait faire un choix. Outre le prix qui en éliminait une d'office - il n'avait guère envie de prendre du temps pour gagner des âmes - la question de leur efficacité était bien sûr primordiale. Et leur aspect pouvait également jouer : les lames, pour splendides qu'elles pouvaient être, attireraient peut-être trop l'attention des autres malandrins, sur le Plan Matériel.

Cette sélection faite, il ne restait, en premier examen, qu'une seule arme, la plus simple mais non la meilleur marché : le couteau...

"Mmh... qu'a donc ce couteau de si particulier pour valoir un tel prix ?" demanda l'assassin au marchand vipérin.

[Diane d'Orlac]

« Ha, cette arme… répondit l’inquiétant marchant, de sa voix reptilienne au s sifflant. Vous avez l’œil, un objet pour le meurtre sournois. La lame est faite de derniers soupires et de hoquets de surprises. Pareille alchimie… »
Il prit le couteau avec ses longs doigts agiles et transperça une assiette de métal sans doute là pour cela. Il sembla ne fournir aucun effort et pourtant l’arme traversa la matière, puis se retira sans même y laisser un trou.
« …ignore superbement les armures et autres babioles que pourraient avoir les malheureux ayant mérités votre courroux. Je suis persuadé que vous en ferez bon usage. Ce couteau est fait pour vous, c’est évident ! »