[Lieu] Les Rocheuses du Dragon

[Galathée]

Ils quittèrent la butte peu après. La brume était dense, presque palpable, mais on pouvait voir à environ deux mètres, ce qui s'avéra suffisant pour qu'ils se déplacent sans grands risques. Les animaux tâtaient le sol du sabot, les autres gardaient un oeil sur les herbes sèches et les rocailles du plateau, comme ils l'auraient fait en plein soleil. Il faisait froid et humide, comme s'ils avançaient dans un nuage. Reposé, le cerf marchait devant, aux côtés de son maître et de Dimitri. Puis venaient Kimik, Kalju, Astrée et Jolien en petit groupe plus compact, ensuite Jeroen et Mathieu, suivis de la mule placide. Il leur fallut un certain temps pour s'extirper de leur torpeur matinale. Le gris de l'univers entier autour d'eux n'aidait pas à trouver son élan : on ne se voyait pas progresser, privé de repères visuels sur lesquels mesurer son parcours. Mais ils émergèrent peu à peu, prirent de la vitesse, et avancèrent dans le brouillard.

[Voyageuse]

Astrée avançait d'un pas machinal, les yeux fixés sur le dos de Dimitri pour ne pas le perdre de vue dans le brouillard. Elle se sentait comme en-dehors de la réalité, dans un monde parallèle et gris, aux sons étouffés et aux directions toutes semblables. Elle savait ne pas pouvoir compter sur ses sens, malgré ses efforts pour scruter les alentours et tenter de percevoir des bruits suspects : guetter ainsi lui demandait un effort plus soutenu que d'ordinaire. La grisaille encourageait à la passivité. Se contenter de suivre Dimitri sans réfléchir était tellement plus facile.

Elle était stupéfaite qu'il réussisse à se diriger dans ces conditions. Elle avait suffisamment l'expérience du brouillard pour savoir combien il était difficile de s'y orienter, même en connaissant bien le terrain. Elle s'y était perdue plusieurs fois, se retrouvant à émerger à bonne distance de l'endroit prévu, allongeant ainsi son itinéraire de plusieurs lieues parfois. Elle s'attendait à demi à ce qu'il leur arrive la même mésaventure... Mais peut-être n'était-ce pas très grave : après être sortis du brouillard, ils finiraient par se retrouver en terrain connu et en seraient quitte pour un bivouac supplémentaire, dans le pire des cas. L'essentiel était de rester groupés.

[Galathée]

Ils marchaient depuis un moment, dans un silence que ne brisait que le crissement de leurs pas dans l'herbe et le souffle de leurs respirations, quand Dimitri fit un geste qui les arrêta tous. Il s'éloigna ensuite de quelques pas et le brouillard l'avala. Jeroen et Jolien resserrèrent les rangs, mais sans nervosité particulière. Puis, brusquement, la mule lâcha un braiment sonore, qui résonna autour d'eux un instant, puis se répercuta en écho sur des parois invisibles. Jeroen jura et Mathieu se porta à la tête de l'animal, mais le mal était fait. Dimitri reparut, manifestement contrarié.
" Qu'est-ce qu'on fait ? dit Jolien.
— Est-ce qu'on sait porter ce qu'elle porte ? Abandonner le reste ?"
Il se tourna vers le yak.
" Je pense qu'on ne peut plus trop charger de ce côté-là."

[Voyageuse]

" Kimik est costaude, fit remarquer Astrée en veillant à ne pas élever le voix. Elle a porté le cerf hier..."
Le yack lui semblait tout à fait capable de porter le reste du chargement... enfin, pour peu qu'on parvienne à le fixer.
Mais le véritable problème n'était pas là.
" Vous comptez laisser la mule en arrière ? Elle va vouloir nous suivre de toute façon...."
A moins, réalisa-t-elle, que les mercenaires ne songent à la tuer...
Mais peut-être qu'ils n'envisageaient rien de tel et qu'ils considéraient que son braiment n'était qu'un signe de fatigue ?

[Galathée]

HRP : désolée du retard, je n'ai pas tellement le temps d'allumer mon ordi en ce moment...

" On va l'attacher, dit Jeroen. Il y a assez de grosses pierres pour coincer une longe quelque part. Mais il faut qu'on se dépêche."
Dimitri regardait le yak.
" Oui, on va pouvoir conserver la plus grosse partie... mais ça veut dire que le cerf doit tenir le coup tout seul, sans quoi...
— On pourrait pas laisser le cerf plutôt que la mule ? Il est complètement inutile..." souffla Jolien.
Dimitri eut une grimace.
" Ce n'est pas une option, non."

[Voyageuse]

HRP : Pas grave, tu fais comme tu peux, ma grande...

Astrée était d'accord sur ce point : non, laisser le cerf n'était pas une option. Mais laisser la mule en arrière, attachée, à la merci des prédateurs, n'était guère mieux. L'idée la mettait mal à l'aise.
Évidemment, personne ne partagerait ce genre de scrupule, elle en était consciente, aussi usa-t-elle d'arguments plus rationnels.
" Si on l'attache, elle va braire et les attirer, et il leur sera facile de suivre notre piste ensuite... Peut-être qu'il vaut mieux juste la surveiller de près... "

[Galathée]

" C'est déjà fait, les attirer, et le problème n'est pas les trolls. Le problème vient des airs, et va venir la chercher quoi qu'on fasse. Si nous sommes dans les parages, nous risquons davantage que si nous sommes à bonne distance. Ni Kimik ni le cerf ne feront de bruit."
Jeroen commença à ôter le bât de l'animal, posant les sacs à terre, que Jolien saisit aussitôt pour les amener vers Kimik.
" Suivez-moi, dit Dimitri à Astrée. Nous devons nous écarter rapidement."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça en silence et obéit. Il n'y avait rien d'autre à faire. Puisque la menace venait des airs, son argument ne tenait pas la route : effectivement, la créature risquait de chercher l'origine des cris jusqu'à ce qu'elle la trouve... et ne remonterait aucune piste ensuite.
Elle se demandait de quel genre de créature il s'agissait. Un drake, comme l'avait évoqué le mercenaire la veille ? Et comment diable savait-il... Mais elle jugea que le moment était mal choisi pour questionner et se contenta de suivre Dimitri, prête à aider au chargement de Kimik si nécessaire, ou à avancer au plus vite.

[Galathée]

Mais ils laissèrent Kimik avec Jeroen, Jolien et la mule. Dimitri rassembla les autres — arrachant Félicie à son perchoir — et les entraîna dans la brume. Mathieu avait l'air désemparé mais se garda bien de protester, ce qui ne fut pas le cas de tout le monde.
" Je vais rester avec Kimik, déclara Kalju en s'immobilisant quelques pas plus loin.
— Ce n'est pas nécessaire.
— Je ne vais pas la laisser affronter je ne sais quoi...
— Elle est en sécurité avec Jolien et Jeroen.
— Alors moi aussi.
— Ils la protégeront. S'ils doivent vous protéger vous en plus... C'est plus difficile."
Le génasi croisa les bras puis lâcha un bref soupir, et suivit.

[Voyageuse]

Astrée serra les dents et ne dit rien. Elle comprenait la réaction de Kalju, et si le génasi avait insisté davantage pour rester auprès de Kimik, elle se serait bien évidemment proposée pour rester avec lui : n'était-il pas son "binôme" officiel ? Mais il était plus équilibré que les combattants de l'équipe se répartissent dans les deux groupes : laisser Dimitri tout seul à veiller sur Mathieu, Félicie et Eyri n'aurait pas été raisonnable.
Elle suivit donc leur guide en silence, en se positionnant de façon à fermer la marche. Elle garderait ainsi un oeil sur Kalju.... et également sur Félicie, susceptible de fatiguer très vite. Peut-être serait-il nécessaire de faire appel aux services de Prince si le yack ne les rejoignait pas rapidement.
Frustrée de ne pas savoir ce qui se passait derrière eux, elle écoutait de toutes ses oreilles, à défaut de pouvoir distinguer quoi que ce soit.

[Galathée]

Mais ils ne marchèrent pas très longtemps : Dimitri les fit avancer d'une centaine de mètres avant de s'immobiliser pour attendre les suivants. Mathieu fit mine de dire quelque chose, mais un doigt fermement pressé sur les lèvres lui fit comprendre que ce n'était pas le moment. L'air était toujours opaque et glacial, mais il flottait aussi une odeur désagréable et nouvelle dans l'air, comme l'égout à ciel ouvert d'un village. Félicie ne paraissait pas particulièrement impressionnée, mais elle avait choisi Kalju comme garde du corps. Dimitri avait la main sur le manche de son épée, de manière plutôt détendue.
Un braiment proche retentit, plus agacé qu'apeuré, et Mathieu frémit. Puis, quelques secondes plus tard, Jolien, Kimik et Jeroen apparurent. Il n'y eut aucun mot échangé et la caravane se remit en route, une fois Félicie perchée sur Kimik. La mule appela encore une fois dans la brume, mais personne ne se retourna.

[Voyageuse]

Astrée suivit le mouvement en silence, les yeux rivés sur le sol. Ses pensées allaient vers la mule abandonnée au milieu de nulle part, et elle dut résister à l'envie de tourner la tête lorsque celle-ci appela. Mais c'était inutile : dans le brouillard, elle n'aurait de tout façon rien vu.
Elle ferma un instant les yeux, et forma une prière silencieuse à l'adresse de Mielikki, pour cet animal qu'elle abandonnait à son sort, priant la déesse qu'elle ne souffre pas trop et n'ait pas le temps d'avoir trop peur. Elle se sentait coupable, tout en sachant pertinemment que c'était la seule chose à faire. Elle n'avait pas identifié l'odeur et n'osait pas demander s'il s'agissait d'un drake... mais les explications devraient attendre un lieu plus propice.
Elle se concentra à nouveau sur le chemin à suivre, fixant des yeux ceux qui la précédaient pour ne pas les perdre de vue.

[Galathée]

Ils marchèrent dans le froid et le silence, coupés du monde alentours. Dimitri menait toujours, puis le groupe s'échelonnait en frissonnant dans la brume. Ils n'entendirent plus la mule, seulement le mugissement du vent, de temps à autres. Puis, soudain, ils émergèrent du brouillard comme d'un nuage, et se retrouvèrent en contrehaut d'une vallée, au bord d'une paroi accidentée, pas complètement verticale. Ce fut le signal de la pause pour tout le monde et le cerf fut le premier à se coucher. Kimik en profita pour brouter placidement les herbes sèches, tandis que Félicie mettait pied à terre avec l'aide de Kalju. Les trois mercenaires se rassemblèrent sur le bord de la falaise pour discuter, pointant différentes directions possibles pour la suite de leur parcours. Après tant d'heures dans un cocon aveugle, l'amplitude du panorama avait quelque chose d'étourdissant. Ils étaient au coeur du massif, parmi les rocs et les neiges éternelles, très haut dans l'absolu, mais encore bien en deçà des sommets magnifiques qui s'élevaient autour d'eux.

[Voyageuse]

Astrée se laissa subjuguer par la beauté des lieux, observant de tous ses yeux le panorama qui s'offrait à elle, la vallée en contrebas, les sommets habillés de neiges éternelles d'un blanc éclatant, qui paraissaient si proches désormais... et qui étaient pourtant encore si loin. Elle songea avec un frisson d'exaltation que c'était là-bas qu'elle se rendrait dans les jours à venir, encore plus haut, minuscule humaine perdue au milieu des montagnes. C'était une sensation grisante, et, malgré le drame qui venait de se jouer, elle savourait la chance qu'elle avait de pouvoir explorer de telles immensités. Ces montagnes étaient plus belles encore qu'elle l'avait imaginé, plus majestueuses que les Montagnes de Fer ou les Pics des Orcs, mais moins hospitalières également, elle en avait douloureusement conscience.

Elle finit par se rapprocher de ses compagnons de route, laissant les mercenaires discuter entre eux de l'itinéraire : en ce domaine, elle ne pouvait être d'aucune utilité, ne connaissant pas ces montagnes. Elle avait d'ailleurs eu tout le loisir de regretter son ignorance durant leur traversée du brouillard : s'ils avaient été séparés, qu'aurait-elle fait ? Elle avait étudié la carte, mais de façon trop succincte. Elle comptait remédier à cela en interrogeant Dimitri, dès qu'il en aurait fini avec ses collègues.

[Galathée]

HRP : encore sorry... et je ne suis pas là demain...

Ils paraissaient avoir décidé de la suite, mais le signal du départ ne fut pas donné pour autant. Tout le monde avait besoin de se reposer et de reprendre ses esprits avant d'entamer la descente, qui promettait d'être ardue. Aucun chemin n'était clairement visible, mais il fallait bien qu'il y en ait un...
Quand Astrée l'interrogea, Dimitri se fendit d'un léger sourire.
" Je m'oriente à l'aide de ceci, dit-il en sortant de sa poche un petit objet rond, argenté, finement ouvragé. C'est une boussole. Je ne sais pas si vous en avez déjà vu. Elles sont rares dans ces contrées, mais pas inexistantes."

[Voyageuse]

HRP : Attention, ma pôv' Gal, le surmenage te guette... (mais ça fait du bien, un p'tit post !)

Astrée admira comme il se doit le petit objet. Elle savait que les marins utilisaient des boussoles pour se repérer en mer, et l'Oasis d'Isnaël en vendait. Mais c'était le genre d'objet dont elle n'aurait pas eu l'idée de se servir elle-même.
" J'en avais entendu parler, maintenant que vous le dites : un marchand de Lumenis m'avait dit en avoir une ou deux. Mais je n'en ai jamais utilisé. Je voyage généralement dans des secteurs où il suffit d'observer la mousse sur les troncs des arbres pour repérer le nord. Je comprends mieux comment vous vous repérez dans le brouillard..."
Elle sourit.
" Mais puisque je n'ai pas de boussole, est-ce que vous pouvez me donner quelques points de repère pour la suite de l'itinéraire ? Puisqu'on est en hauteur, autant en profiter. C'est juste au cas où on se trouve séparés, comme vous le dites parfois... Si ça devait arriver, il faut que je sache par où on doit aller. "

[Galathée]

" Repérer le nord, c'est une chose, mais une boussole est beaucoup plus précise que ça."
Il rempocha l'instrument, le rangeant dans la poche intérieur de son manteau.
" Nous allons descendre le long de cette montagne, ici à gauche. Il y a un sentier, mais on ne ne le voit pas très bien... Il est à la hauteur de la veine grise..."
Il désigna la paroi.
" Ensuite, nous arriverons en contrebas, à hauteur de cette zone violacée... Nous allons longer le bord de ce pic et disparaître dans le creux, là."

[Voyageuse]

" D'accord, je vois. La descente a l'air raide..."
Elle scrutait l'itinéraire indiqué. Évidemment, la vue n'allait pas très loin...
" Et ensuite ? On continue à peu près dans cette direction, je suppose ? On doit remonter quelque part, vers un col, ou continuer à descendre la vallée ? J'imagine qu'on est encore loin de notre destination... mais si j'avais une idée approximative de la direction, ça me rassurerait... juste en cas de pépin."
Elle savait pourtant qu'en montagne, une idée approximative pouvait être particulièrement floue : le chemin était long d'une vallée à l'autre, et il suffisait d'une petite erreur à un col pour se retrouver mal orientés.

[Galathée]

" A mon avis, nous en avons pour encore six ou sept heures de marche, en fonction du terrain. Nous devrions atteindre la zone pourpre d'ici deux bonnes heures environ, puis le contournement nous en prendra une autre, et nous aurons encore trois heures de marche dans la vallée voisine. Le terrain est relativement plat jusque là. Il n'y a pas trente-six chemins possibles. Nous ferons un dernier point avant d'arriver dans les parages du chantier. Les trolls nous y attendent et il y a quelques consignes à respecter pour que tout se déroule sans heurts."
Il la regarda en coin.
" Je ne sais pas si vous voulez d'autres informations."

[Voyageuse]

Il fallait espérer que les trolls ne les attendent pas plus tôt que prévu. Mais dans le cas contraire, elle était rassurée d'en savoir un peu plus sur l'itinéraire.
Astrée secoua lentement la tête en réponse à la question du mercenaire.
" Je ne crois pas.... Rien d'urgent ou d'indispensable en tout cas."
En réalité, elle avait d'autres interrogations, mais elle craignait qu'elles soient jugées indiscrètes. La façon dont il s'y prenait pour voir ou deviner autant de choses dans l'obscurité de la nuit, par exemple... Elle risqua finalement :
" J'ai juste une question de pure curiosité. Tout à l'heure, c'étaient des drakes, c'est ça ? Et comment vous saviez qu'ils étaient tout proches ?"

[Galathée]

" Plutôt des griffons ou des hippogriffes. Il y a des harpies, parfois aussi, dans la région. Il y avait plusieurs fientes, à proximité de notre passage. Je m'étais écarté pour aller en relever une, au moment où la mule a crié. Je suppose qu'elle les a flairés, c'est pour ça qu'elle a eu un moment de panique. Ce n'est pas de chance, mais nous nous en sommes tirés à bon compte. Ce ne sont pas des animaux agressifs avec les humains, mais ils n'aiment pas qu'on s'interpose entre eux et une bonne proie. C'est une chance que nous ayons pu nous dégager avant qu'ils ne repèrent Kimik."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
" Oui, j'imagine que le yack fait une proie bien plus tentante..."
Elle secoua la tête et sourit.
" Y'a pas à dire, vous connaissez vraiment bien le secteur et les créatures qui s'y trouvent, fit-elle, sincèrement admirative. Je suppose que ça fait un bon moment que vous arpentez les montagnes... mais c'est quand même remarquable."
Quoique... Mathieu n'avait-il pas fait état de rumeurs diverses semblant indiquer qu'il n'était pas là depuis si longtemps que ça ? Evidemment, ça n'était que des racontars...

[Galathée]

" Je connais le coin, oui." répondit-il sobrement, avant de faire un pas vers le groupe affalé dans les hautes herbes.
Tous comprirent que la fin de la pause avait sonné et se relevèrent avec plus ou moins d'énergie.
" Prochaine pause dans deux heures, avant cela, on va descendre. Le chemin est escarpé et difficile. Vous devez avoir les mains libres. Nous allons vous distribuer une substance dont enduire la semelle de vos bottes, pour assurer une meilleure adhérence. Il a plu, ça va glisser, et toute chute est fatale."
Il se tourna ensuite vers Eyri et lui répéta quelque chose en elfique. Mathieu écoutait avec attention, comme pour entraîner ses propres compétences linguistiques. Jeroen, de son côté, avait déjà sorti quelques petits pots de son sac à dos.

[Voyageuse]

La descente n'inquiétait pas Astrée. Elle avait une bonne habitude des zones escarpées, et songeait que la roche avait dû commencer à sécher dans les endroits exposés au soleil. Mais elle n'en enduisit pas moins consciencieusement ses semelles de la substance visqueuse qu'on leur distribuait : c'était une variante originale des accessoires de métal qu'elle fixait parfois à ses bottes pour améliorer leur adhérence. Bien plus léger et sans risque d'être perdu en cours de route...
Puis elle attendit les consignes, prête en cas de besoin à aider ceux de ses compagnons qui étaient les moins habitués à ce genre de terrain. Mais Kalju vivait en montagne, Eyri était un elfe, et Mathieu était plutôt souple et agile de constitution. Quant au yack, il était certainement habitué lui aussi au relief, même si elle était curieuse de voir comment une bête de ce poids négociait une telle descente. Le cerf aurait peut-être plus de mal, mais il était agile. A bien les observer, il lui semblait qu'aucun membre du groupe ne devrait avoir trop de mal à descendre.

[Galathée]

Dimitri parlementa avec Eyri un moment, puis l'elfe s'approcha de son cerf et lui parla un moment à l'oreille. Ensuite, Dimitri lui tendit une corde et ils attachèrent le cerf au yak. Ils repartirent, suivant le bord de la falaise un moment, en file indienne, à la limite entre le plateau embrumé et la vallée lumineuse. Ils atteignirent ensuite le début du sentier — si c'en était un, c'était difficile à deviner et il n'était sans doute emprunté que par des créatures des hauteurs, chèvres, gazelles ou panthères, et non par des êtres humains — et entamèrent la descente. Jeroen passa devant avec Mathieu, suivis par Astrée et Kalju, puis Jolien et le yak, enfin le cerf, Eyri et Dimitri. De tous, le cerf et Félicie étaient les plus épouvantés. La halfeline ferma d'ailleurs les yeux au bout de quelques secondes et noya son visage dans le paquetage de Kimik. Cette dernière paraissait tout à fait tranquille et malgré sa masse, avait le pied d'une sûreté absolue. Mathieu était pâle, Kalju prudent, Eyri stupéfait par ces espaces à mille lieues de ses forêts denses qu'il n'avait sans doute jamais quittées. Les trois mercenaires étaient concentrés mais calmes et ils avançaient à une vitesse soutenue mais supportable. Après moins d'une demi-heure, cependant, la descente était déjà éprouvante pour les mains et les genoux, et le sol de la vallée paraissait encore immensément loin...

[Voyageuse]

Astrée s'amusait intérieurement des réactions d'Eyri, imaginant la fierté qu'il éprouverait à son retour à raconter son voyage et ses péripéties. De son point de vue d'humaine, il n'aurait pu rêver meilleure initiation à la vie hors Lorien... mais elle savait que son propre amour des montagnes lui ôtait toute objectivité en ce domaine.
La réaction de Félicie était plus inquiétante, mais pas surprenante étant donné sa tendance au vertige sur une simple mezzanine. Heureusement qu'elle pouvait compter sur Kimik... Quant au cerf, elle n'avait pas imaginé son vertige, mais à bien y réfléchir, c'était prévisible. Elle croisait les doigts pour qu'il tienne le coup jusqu'au bas de la pente.
Pour sa part, elle économisait son souffle et ses gestes, concentrée, négociant chaque difficulté du terrain avec calme et méthode. Elle était dans son élément -elle adorait escalader des parois- mais restait parfaitement consciente du danger inhérent à cette activité. Elle savait que les descentes pouvaient être parfois plus éprouvantes que les montées, et elle guettait des signes de fatigue excessive chez ses compagnons : peut-être serait-il prudent de s'encorder, comme ils l'avaient fait pour le cerf, si l'un ou l'autre -Mathieu peut-être- faiblissait.

[Galathée]

Même s'il n'en menait pas large, Mathieu ne faiblit pas et arriva plus frais qu'Astrée en bas de leur descente (peut-être parce qu'il n'avait pas passé la nuit à communiquer avec les bêtes sauvages). Ils négocièrent la paroi avec prudence, lentement, et si le cerf glissa une fois ou l'autre, il ne perdit jamais pied et la substance abrasive qui engluait semelles et sabots prouva son efficacité. Ils étaient cependant tous passablement épuisés, les rotules douloureuses et les mains écorchées, lorsqu'ils s'arrêtèrent dans les bruyères pourpres qui poussaient sur le site de leur halte. Vu d'en bas, le plateau paraissait inaccessible et on devinait à peine la sente qu'ils avaient empruntée. A l'exception de Dimitri et Jolien, tout le monde s'affala dans les broussailles. C'était le bon moment pour casser la croûte, avant de repartir.

[Voyageuse]

Astrée s'affala comme les autres sur le sol, soulagée de se reposer enfin. L'étape du jour était décidément longue et éprouvante, surtout quand on songeait au risque de rencontrer des trolls en fin de journée, alors qu'ils seraient tous épuisés. Fuir, ou pire, combattre, serait compliqué. Elle se demandait s'il n'aurait pas fallu raccourcir l'étape et dormir une nuit de plus dans les hauteurs... Mais le risque d'être repérés et attaqués était trop important. Et puis, il n'y avait peut-être pas de lieu sûr pour bivouaquer.

Non, la seule solution était de profiter au maximum des temps de repos. Trop lasse pour vouloir bavarder, elle se rapprocha simplement de Félicie, pour vérifier que la halfeline se remettait bien de la descente vertiginieuse.

[Galathée]

Félicie avait retrouvé son allant avec le plancher des vaches, mais lorsqu'Astrée s'enquit de sa bonne santé, elle grimaça spectaculairement.
" Honnêtement, si j'avais su... J'espère qu'on va tomber sur un mage téléporteur, quelque chose comme ça, parce que je n'ai aucune intention de refaire le chemin dans le sens inverse. Aucune."
Mathieu poussa un gémissement.
" Dieux, ne parle pas de ça ! Quelle cruauté !"
Il se tourna vers Jeroen.
" Et vous faites ça, comme ça, par plaisir ! Vous êtes un peu dingues."
Le mercenaire se contenta d'en rire.

[Voyageuse]

Astrée sourit à Jeroen, partageant pleinement son goût pour ce genre d'activité, et se tourna vers Mathieu.
" Bah, ce sont des paysages magnifiques, non ? Et puis, c'est une expérience à tenter au moins une fois... Et ensuite, toutes les balades en plaine paraissent mornes et monotones ! Mais je crois qu'il existe plusieurs itinéraires, si ça peut vous rassurer tous les deux... On a simplement pris le plus beau et le plus sportif."
Malgré sa fatigue, elle se releva pour se rapprocher du yack et fouiller dans leurs provisions. Il n'y avait rien de tel que des estomacs remplis pour gagner en optimisme.