[Ambre] Une maison en plein désert

[Féérune]

En provenance d'ici

Une villa du Sud américain… Luonto émit l’ombre d’un soupir, qu’elle retint à temps pour ne pas offenser sa mère*; le résultat fut une espèce de toux en mode suraigu qui fit sursauter Missou.

- Hé*! Tu me cries dessus*!
- Mais non, mon Mimiss, ce n’est rien.

Tout en s’extirpant de la voiture, la princesse luttait contre la pensée d’une Finlande dirigée par Flora. Sûr, je vais cauchemarder cette nuit… Si toutefois il y a un repos cette nuit, ce qui semble un peu compromis.

Missou s’était lancé dans une série de récriminations pépiantes en mode râleur d’élite. Luonto finit par le caresser au niveau du cou, le calmant en quelques secondes.

- Mère*! Attends, je vais t’aider.

Elle ferma le coffre de la voiture et vint soutenir le cadavre.

- Ou tu es particulièrement forte, ou le cadavre est vraiment léger… Rien à voir, mais j’aimerais tout de même revoir ce pauvre Juuso. Abandonné sans explications*! La vie n’est pas simple, pour ces pauvres humains.

Luonto faillit trébucher sur les escaliers de la villa et reprit*:

- Je suppose que tu as une petite idée de ce qu’est ce sinistre cadavre*? Et pourquoi ces types m’ont attaquée*?
- Et pourquoi ils se font aider par des corneilles, aussi*!

Missou se rengorgea, fier d’avoir mis l’accent sur un point qu’il jugeait important.

[Vel Cheran]

"La vie parmi les humains t'aurait-elle fait oublier la force supérieure dont notre famille bénéficie ?" commenta Flora d'un rire cristallin.

Tout en parlant, elle ouvrit d'une main la porte de la demeure et traversa un vestibule surplombé par un imposant escalier en pierre à double volée. Elle négligea ce dernier et se dirigea vers un cellier situé sur la gauche, où elle déposa son fardeau sur une table en marbre.

"Bon, au moins, on devrait être tranquilles un bon moment ici. Ça nous laissera le temps de discuter. Et de répondre à tes questions. Mais d'abord, mettons-nous à l'aise..."

Flora fit alors signe à Luonto de la suivre dans une pièce attenante, qui se révéla être un petit salon aux murs masqué par deux imposantes bibliothèques ; deux fauteuils et une banquette, d'un style évoquant le XVIIIe siècle français, promettaient une assise confortable. Ouvrant les portes d'un buffet, elle en sortit deux verres et quelques bouteilles.

"Qu'est-ce que tu boiras ? Brandy ? Scotch ? J'ai aussi une excellente absinthe que m'avait recommandé Verlaine, mais elle a peut-être mal vieilli."

[Féérune]

Luonto s’installa sur la banquette et ne put s’empêcher de frémir. Elle se sentait mal à l’aise. Je déteste les déserts… Missou, sentant son inconfort, se faufila près de ton cou et lui bécota l’oreille.

- Un petit scotch, bien sûr. Je vois que tu as cet incomparable Talisker… Sec, évidemment.
- Et moi, j’ai soif aussi*!
- Missou, veux-tu bien éviter de me crier dans l’oreille*! Un verre d’eau, pour Missou, si tu veux bien…
- Avec du miel dedans*! Oh oui*!
- S'il y a du miel, une lichette, pour ce gourmand*! s’il y en a trop, tu auras les plumes poisseuses.

La princesse regarda autour d’elle. Belle maison. Beaux meubles. Bref, ma mère a du goût, ce qui n’a rien d’étonnant, d’ailleurs…

- Tu sais quoi*? Ta maison serait magnifique, en pleine forêt*! Ici… Eh bien, tu sais que je n’aime pas trop le désert… Enfin*! On s’y fera*!

Son visage pâlit légèrement.

- Dis-moi… Tu ne comptes pas disséquer le type griffu qu’on a laissé dans le cellier*? Rassure-moi…

[Vel Cheran]

Flora servit deux verres de Talisker, qu'elle posa sur la table, avant de faire un tour en cuisine. Elle revint avec un bol d'eau à la couleur légèrement ambrée.

"Deux verres de whisky, et de l'eau au miel pour Missou !"

Elle s'assit dans un fauteuil et poussa un soupir de soulagement.

"C'est vrai que le paysage n'est pas très vivant, mais ça fait parfois du bien de sortir de chez soi et de n'avoir que du sel à perte de vue. Ça me change les idées, quand je me lasse d'Ambre ou de New-York."

Tout en sirotant son single malt, son regard se perdit dans le vague, un instant, avant de revenir sur Luonto.

"Et pour répondre à ta question : non, je ne vais pas jouer aux médecins légistes. Ce n'est pas que ça ne serait pas instructif, mais plutôt que ça serait inutile : j'ai déjà assisté à la dissection d'une telle créature, il y a longtemps - avant ta naissance, d'ailleurs. Et j'en ai gardé un souvenir suffisamment vif pour ne pas ressentir le besoin de recommencer."

Après une légère pause - Luonto connaissait suffisamment bien sa mère pour savoir que c'était calculé pour donner un effet théâtral -, elle poursuivit.

"La première fois que j'ai rencontré de telles créatures, c'était chez moi, à New-York. Corwin était mon hôte et Random était venu se placer sous sa protection pour leur échapper. Nous leur avons réglé leur compte ensemble. J'ignorais à l'époque de quelle Ombre elles étaient sorties - et je l'ignore toujours - mais j'ai appris depuis aux ordres de qui elles obéissaient."

Pause théâtrale, gorgée de whisky, regard vers l'horizon à travers la fenêtre. Il y avait de quoi être exaspéré.

"Ta très chère tante Fiona."

[Féérune]

Luonto écoutait sa mère, tout en surveillant Missou du coin de l’oeil. Le petit oiseau, perché sur le bord du bol, buvait avec ravissement.
Les noms de Random et Corwin la laissèrent sans réaction notable. Toujours à se mettre dans les aventures les plus inattendues, ces deux-là*! Corwin est un type bien, mais Random… Il est prêt à toutes les compromissions pour parvenir à ses fins… Et là il nous fait apparaître des monstres mi-aquatiques d’on ne sait où. Bref, rien de bien nouveau…

Les derniers mots de Flora la firent autrement réagir.

- HEIN*?

La princesse d’Ambre avait failli en lâcher son verre.

- Mais quand Fiona arrêtera t-elle de chercher à détruire notre famille*? C’est insupportable*! Faut-il qu’elle aime à ce point nous haïr*?

Sans attendre la réponse de sa mère, elle ne put s’empêcher de poser la question qui venait de lui traverser l’esprit*:

- Dis-moi… Comment se fait-il que Corwin ait été chez toi*? Ne me dis pas que cette visite était tout à fait fortuite, je n’en croirai rien.

Luonto porta l’alcool à ses lèvres. Le whisky dansa dans son verre de cristal et son reflet roux se perdit dans la chevelure de la princesse. Elle but lentement, appréciant le goût boisé du Talisker.

[Vel Cheran]

Flora eut un léger rire devant la réaction outrée de sa fille.

"Ah, ça, c'est une longue histoire. Je ne sais plus trop ce que tu as déjà appris ou non à ce sujet, alors je vais essayer d'être la plus concise possible sans omettre de détails importants."

Gorgée de whisky.

"J'imagine que tu as déjà entendu parler de notre frère Éric ? Corwin et lui ont passé leur jeunesse à se disputer la succession d'Obéron, chacun avec ses propres arguments. Un duel a fini par mal tourner entre eux deux, et Éric a abandonné Corwin en Ombre-Terre, en pleine épidémie de peste noire paraît-il. Il a survécu, mais amnésique, et a passé ensuite plusieurs siècles à errer dans cette Ombre à la recherche de son identité, surveillé par mes bons soins - j'y suis chez moi, après tout", ajouta-t-elle, comme pour tenter de se justifier.


"Bref, il a fini par retrouver des bribes de mémoire suite à une tentative d'assassinat de Brand - oui, notre famille a toujours été très aimante et soudée - et ça l'a mené chez moi. Quant à Random, il avait tenté de délivrer Brand, qui avait entre-temps été mis en prison par Fiona - nous y voilà - et fuyait les horreurs qui lui servaient de gardiens. Jusque chez moi, donc."

D'un air pensif, elle conclut :

"Étant donné les actes dont Brand s'est rendu coupable par la suite, je ne pourrais totalement l'en blâmer... Mais qu'elle envoie ses sbires pour tenter de te nuire est par contre tout à fait inacceptable."

[Féérune]

Luonto appuya le front contre son verre et ferma les yeux. J’avais oublié… J’avais tenté d’oublier les luttes incessantes de cette famille… Ma famille.

- Mais pourquoi me nuire à moi*?

Elle parvint à éviter un ton las, à le dire sur un ton juste étonné. Moi-même, je suis tout aussi hypocrite que le reste de ma famille, je cherche à tromper ma propre mère alors qu’elle est venue à mon secours… Elle se décida à jouer franc jeu.

- Mère… Excuse-moi…

La princesse but lentement une gorgée de Talisker et reprit*:

- Tu comprends… J’ai échappé à toutes ces histoires de famille, ces derniers temps. Et j’en ai été très heureuse… Enfin j’aime ma famille, j’aime Ambre bien sûr… Mais les querelles de pouvoir… Je les hais. J’envie, au fond, ces tristes humains à la si courte vie*! Ceux qui travaillent pour gagner leur vie, ceux qui n’ont pas de grosses responsabilités, juste occupés à se construire une vie la plus heureuse possible*!

Tout en prononçant ces paroles, Luonto en saisissait toute l’absurdité. Princesse d’Ambre je suis et princesse d’Ambre je serai*! Le Talisker me fait juste trop d’effet*!

Elle esquissa le geste de reposer son verre et reçut une giclée d’eau vaguement poisseuse.

Missou, qui n’écoutait plus, prenait son bain dans le bol d’eau au miel. Soudain aux aguets, il prononça d’un ton vif*:

- On peut se débarrasser d’eux, sûrement*! Mais les corneilles, par contre, c’est moins sûr.

[Vel Cheran]

Sa mère eut un sourire las. Une lueur de compassion traversa son regard et elle se pencha en avant pour tapoter la main de sa fille.

"Si tu savais combien je te comprends. Vivre aussi longtemps parmi les Ombres m'a permis de remettre beaucoup de choses en perspective."

Ce bref moment de complicité passa, et elle s'adossa de nouveau à son fauteuil, verre en main.

"Mais que notre ascendance soit vue comme un don ou une malédiction, c'est notre lot que de l'accepter. Je n'ai hélas pas de réponse à te donner quant aux raisons qui auraient pu pousser Fiona à envoyer ces créatures à ta recherche, mais peut-être que te relater les événements récents nous aidera à y voir plus clair, toutes les deux."

Elle but une gorgée et sembla hésiter, avant de poursuivre.

"Te souviens-tu de Iarbonel ?"

[Féérune]

- Iarbonel…

Les yeux de Luonto se perdirent loin dans ses souvenirs. L’enfant si curieux de tout, qui avait malheureusement appris la fierté de son rang avant des choses autrement plus importantes… Mais qui restait tellement attachant*!

- Oui, oui, moi je sais*!

Missou s’ébroua, projetant une multitude de gouttelettes à l’entour.

- Tu sais, le gars fier comme Arban…
- Artaban…
- Oui, voilà.
- Un gentil jeune homme, malgré sa fierté exacerbée. C’était un enfant intelligent et qui venait volontiers discuter avec moi. Il adorait me regarder fabriquer des bijoux, ou peindre… Dis-moi, mère, il ne lui est rien arrivé de grave*? Que le pavois de Gérard l’a protégé*?

[Vel Cheran]

Flora ne répondit pas tout de suite. Elle porta son verre à ses lèvres, et le vida d'une traite. Poussant un long soupir, elle prit la main de Luonto dans la sienne.

"Je suis désolée, ma chérie, je... Je ne savais pas que vous étiez aussi proches... Je... Iarbonel a été tué."

"Je suis désolée", répéta-t-elle, ne sachant manifestement quoi dire.

[Féérune]

Un cri aigu se fit entendre.

- Non*! Dis que ce n’est pas vrai, s’il te plaît, dis*!
- Du… Du calme, Missou… Viens là…

Vieille habitude ; Luonto se réfugiait vers son oiseau, caressant le ventre du petit animal.

Iarbonel… Si jeune… Pourquoi*?

Elle fit distraitement tourner le whisky dans son verre et le reposa. Embrassa Missou et le remit doucement au creux de son cou. Sa voix devint rauque, au moment de poser les questions lapidaires mais angoissantes à sa mère*:

- Pourquoi*? Comment*? Où*?

[Vel Cheran]

"Je ne sais plus trop ce que tu sais ou non... Pour faire court, Iarbonel a tué en duel un duc, très bon ami d'un monarque d'une Ombre voisine d'Ambre avec laquelle nous étions en pleins pourparlers commerciaux. Honnêtement, je ne sais pas trop s'il était en tort ou non, mais Random l'a très mal pris. Pour éviter toute discorde avec Bénédict, il a écarté son fils de la Cour en le renvoyant dans son Avalon natale, avec un titre d'Émissaire de la Couronne ou quelque chose dans le genre. C'était il y a un an, je crois."

Flora s'interrompit quelques instants, posant son menton dans sa main droite d'un air pensif.

"Maintenant que je te dis ça... L'idée que sa mort puisse être liée à ces événements ne m'avait même pas effleuré l'esprit. Mais... non", se reprit-elle, "Avalon est bien trop éloignée d'Ambre pour qu'un non-initié puisse s'y rendre facilement. Et, surtout, le mode opératoire ne me paraît pas du tout coller."

Elle se redressa dans son siège, avec un soupir de dépit.

"Ça s'est passé en Avalon, lors d'un duel - évidemment, puisque Iarbonel défiait tout le monde en duel. On n'a pas retrouvé son adversaire, seulement Iarbonel, abattu d'une balle dans le dos."

[Féérune]

- Une balle dans le dos… Quelle lâcheté*!

Luonto se leva et fit quelques pas rageurs.

- Une honte*! C’est infâmant*! On ne tue pas un prince d’Ambre ainsi*!

Missou écoutait, presque tremblant, la colère de sa maîtresse.

- Mère*! Ce crime ne doit pas rester impuni. Il en va de la dignité de notre sang. Même si Iarbonel avait des torts, il est impossible de ne pas réagir fermement au meurtre d’un prince d’Ambre.

Elle réfléchit un instant, puis parla plus lentement.

- Qu’en pense Random*? Et Corwin*?

Missou se glissa près de son oreille et murmura*:

- Tu sais, je crois que même une corneille n’aurait pas fait une horreur pareille.

[Vel Cheran]

"Random doit être actuellement en Avalon pour les funérailles - et aussi pour tenter de raisonner Bénédict."

Flora but une nouvelle gorgée d'alcool - elle en avait déjà ingurgité une bonne quantité, sans paraître le moins du monde éméchée. L'endurance légendaire des Ambriens ne s'appliquaient pas qu'à la course de fond...

"Ta mention de Corwin est surprenamment appropriée, car il y a encore des éléments que je ne t'ai pas dits. En apprenant la mort de son fils, Bénédict a accouru sur place pour enquêter. Les armes à feu n'existent pas en Avalon, ou disons plutôt que la poudre utilisée en Ombre-Terre y est inerte, comme en Ambre. Or, Corwin est arrivé un jour en Ambre avec des armes à feu : il avait découvert un substituant fonctionnel à la poudre. Et Bénédict a mis la main sur un témoin qui affirme avoir aperçu un être étrange non loin des lieux du crime, petit, très poilu et très brun. La description correspondait de manière étrange aux soldats qui accompagnaient Corwin lors de sa fameuse arrivée en Ambre avec des fusils."

D'un air contrarié, elle se frotta les tempes.

"On n'a que très peu revu Corwin depuis la Guerre de la Marelle, mais il paraîtrait qu'il serait en Ygg, à s'occuper de la Marelle qu'il y a tracé à l'époque. Je ne comprends pas ce qui aurait pu le pousser à s'en prendre à Iarbonel - pour autant que j'en sache, je ne suis même pas sûr qu'il soit au courant de son existence. Et puis, comme tu le dis, une balle dans le dos est une manière de lâche, et ça n'a jamais été le style de Corwin. Fourbe, oui, sans aucun doute, mais lâche, je ne crois pas. C'est sans doute ce que Random est en train de répéter à Bénédict à l'heure actuelle pour éviter une nouvelle vendetta familiale..."

[Féérune]

Missou lâcha un petit soupir sifflant d’oiseau modérément bien élevé. Encore des histoires de famille*! On était trop bien, dans notre Ombre…

- C’est Arantol qui nous a traînés dans cette histoire, tu vois*! Tu fais des grâces à un écureuil, et voilà ce qui nous arrive*!
- Excuse-le, mère…

Luonto venait de se rasseoir. Son air désemparé avait laissé place à un visage déterminé.

- Il faut trouver le coupable, il faut qu’il soit châtié. De manière exemplaire.

Son esprit s’égara vers des tortures antiques, mais elle se souvint de la nécessité de l’évolution du mot «*humanité*». On ne crucifie plus, et c’est tout de même un grand progrès…

- Concernant Corwin, je suis d’accord avec toi. Il n’est pas indigne, en tous cas pas au point d’être lâche*! Mais s’il a attiré pour son bénéfice un être malfaisant au point de tuer un prince d’Ambre, s’il a diffusé en Avalon une manière de poudre à fusil fonctionnelle… Alors il porte une part de responsabilité.

Elle finit son whisky lentement.

- As-tu interrogé notre cher Corwin*sur ce sujet ? Qu’en dit-il*? Et quel rapport avec les êtres qui m’ont attaquée en Finlande*?

Luonto pensait que Random était peu indiqué pour éviter de verser de l’huile sur le feu, mais décida de ne pas aborder le sujet. Du moins pour l’instant.

[Vel Cheran]

De manière trop opportune pour être une coïncidence, Arantol apparut à la mention de son nom, bondissant à travers l'embrasure de la porte. En quelques bonds rapides, il avait atteint le sommet d'une bibliothèque. Perché au bord d'une rangée de livres, il en déplaça un, fouilla derrière et en sortit une noisette qu'il se mit à grignoter avec ardeur.

"Justement, je n'ai pas revu Corwin depuis des années. Lorsque nous avons appris la nouvelle, nous étions - mes chers frères et sœurs et moi-même - presque tous réunis en Ambre, répondant à l'appel de Random. Je crois que Fiona était à l'origine de cette réunion, mais je n'ai pas eu le temps d'en savoir plus : dès que la nouvelle de la possible implication de Corwin dans l'assassinat de Iarbonel nous est parvenue, chacun s'est discrètement éclipsé l'un après l'autre. Autant te dire que je n'ai pas trop traîné non plus : j'ai préféré envoyer Arantol veiller sur toi, et me prévenir en cas de danger."

Flora eut un pâle sourire.

"J'avais l'impression d'être soudain devenue une mère paranoïaque, mais force est de constater que j'avais raison de me méfier, même si la présence de créatures de Fiona plutôt que de Corwin n'est pas pour clarifier la situation. En tous cas, on dirait que quelqu'un - ou quelques uns - cherche à s'en prendre à notre famille. Je ne crois pas trop aux coïncidences."

[Féérune]

A la vue d’Arantol, Luonto sentit les plumes de Missou se hérisser d’agacement. Elle décida de l’ignorer.

- Mère… Ecoute… Il faut que nous puissions interroger Fiona sur le sujet. Si toutefois c'est encore possible... Et judicieux ! Sais-tu où elle se trouve actuellement*? En Ambre*?

Elle sentait la tension de Missou s’accroître. Lorsque Arantol s’installa tranquillement en haut de la bibliothèque pour décortiquer sa noisette, les vannes cédèrent. Un petit oiseau furieux fonça – ou plus exactement tenta de foncer – interrompu par la main ferme de sa maîtresse.

- Et pour finir… Merci. Merci infiniment de m’avoir protégée. Il est bon de savoir que notre famille comporte des gens aimants.

Missou finalement calmé, elle tendit la main vers le Talisker.

- Puis-je me resservir*? Je crois bien que j’en ai besoin…

[Vel Cheran]

Flora lui passa la bouteille d'un air distrait, non sans avoir sourit en entendant les remerciements de sa fille.

"Fais donc, fais donc. Concernant Fiona, elle a été parmi les premières à mettre les voiles quand la possible implication de Corwin a été révélée. Je ne saurais dire où elle est maintenant, mais je peux toujours tenter de la contacter par Atout."

Elle alla chercher son sac à main avant de se rasseoir dans son fauteuil, entreprenant d'en extraire le contenu.

"J'ai rangé mes Atouts là-dedans, toute à l'heure, mais avec les cahots de la route, tout s'est mélanger."

L'air de rien, Flora posa sur la table basse deux grenades, un revolver .357 Magnum, une clef à molette, une boîte de tournevis et ce qui ressemblait à une bielle, avant de s'emparer d'une boîte rectangulaire en bois finement ouvragée.

"Attention, il est chargé", précisa-t-elle à propos du revolver, tout en fouillant dans son paquet à la recherche de l'Atout de Fiona.

Arantol avait suivi tout cela sans bouger de son perchoir, d'autant plus après la démonstration colérique de Missou.

[Féérune]

La main de Luonto se crispa légèrement sur le col de la bouteille de whisky. Sans avoir franchement eu de mauvais rapports avec sa parente Fiona, elle avait toujours été vaguement mal à l’aise en sa présence. Pour tout avouer, je n’ai jamais été très à l’aise avec aucun des membres de la famille… Même Corwin et Bénédict, les plus honnêtes… Mais il est vrai que je ne les ai pas vraiment fréquentés. C’était Iarbonel, au fond, avec lequel je me sentais le plus en confiance…

Elle versa un fond de whisky dans son verre, puis se décida pour un trait de plus.

Corwin était toujours par monts et par vaux. Quant à Bénédict, il est naturellement assez distant… Etrange, d’ailleurs*? Non. Comme moi, il se tient autant que possible au-dessus de la mêlée… Et éloigné d’un manipulateur du genre de Random, ou d’un être autrefois haineux comme Eric l'avait été.

- Aïe*! Missou, retiens-toi. Pense comme nous aurions pu mal finir sans l’aide d’Arantol.
- C’est Juuso qui nous a aidés*!
- Et si j’avais été plus proche de Juuso, c’est de lui dont tu aurais été jaloux. Allons. Du calme.

Les Atouts luisaient faiblement dans les mains de Flora. Soudain un frisson parcourut l’échine de Luonto*: sa mère extrayait un Atout du paquet de cartes.

HRP : en italique et en vert, les pensées de Luonto

[Vel Cheran]

Flora avait en effet trouvé l'Atout de Fiona, et se concentrait pour établir le contact - les connaissances de Luonto en la matière lui permirent de sentir qu'une tentative de contact avait lieu. Au bout de quelques instants, néanmoins, Flora abaissa la carte et la rangea dans son paquet.

"Je n'arrive pas à la joindre", expliqua-t-elle.

Luonto savait qu'il pouvait y avoir plusieurs raisons à cela : Fiona pouvait déjà être en contact avec quelqu'un d'autre, être occupée et donc bloquer tout contact, voire avoir identifié que Flora l'appelait et la bloquer spécifiquement.

"Les explications devront attendre", fit-elle pensivement en reprenant son verre.

"Mais dis-moi", lança-t-elle d'un coup, semblant sortir de sa rêverie, "tu ne m'as encore dit comment tu t'étais retrouvée en Finlande, poursuivie par ces créatures. Peut-être que ça pourrait nous donner une piste."

[Féérune]

Luonto but une nouvelle gorgée de Talisker. L’alcool l’empêcha de trembler au souvenir de sa chère grotte inondée, dans laquelle elle avait cru sa dernière heure venue. Fidèle à son habitude, elle passa la main sur le dos de Missou, sentit la tension de l’oiseau renaître à la pensée de leur aventure.

- Mère… Nous étions dans l’Ombre que j’affectionne le plus, une grotte loin de tout, loin des Ambriens et des humains… Une Ombre de calme et de sérénité.

Elle reposa son verre et prit Missou, le caressa tendrement. Lui aussi se souvient et a encore peur*!

- Il y a eu un terrible orage, tellement fort que notre abri semblait dérisoire malgré sa solidité minérale. Et la pluie est arrivée*; d’abord une bruine, puis une pluie à la bretonne, genre crachin. Ensuite, Arantol s’est présenté dans la grotte, s’adressant à moi en thari… Il n’a pas souhaité dire pourquoi ni comment il était venu. Il est reparti bien vite, d’ailleurs*!

Luonto reprit un peu de whisky, puis reprit son récit.

- C’est quand la pluie a persisté, à la nuit, sous la forme d’une pluie torrentielle, incroyable, qu’Arantol est revenu. Quelle pluie terrible*! En pleine nuit, avec un ciel sombre et sans lune*! Dans des temps anciens, on aurait parlé de punition divine… Nous avons réussi à nous en sortir lorsque j’ai enfin pu faire de la lumière et utiliser un Atout.

L’angoisse palpable de Missou disparut. Luonto le sentit devenir plus léger au creux de sa main.

- C’est là que nous nous sommes trouvés près du lac Saimaa au début du printemps mais il y avait de neige oui oui oui de la belle neige et j’ai crié pour appeler et la neige d’un arbre est tombée sur ma maîtresse et Arantol est parti mais en fait non il est juste allé chercher des pommes de pin et Juuso est arrivé sorti de sa maison et nous a accueilli et le kalakukko était très bon voilà toute l’aventure mais on a eu peur oh ça oui on a eu peur…
- Oui, Missou, merci*!

Luonto sourit. Vraiment ce qu’il aime parler, mon petit chéri*! Trop, parfois*!

- Juuso nous a emmenés en bateau à Vehkataipale. Il nous a laissés le temps d’aller ranger une caisse dans le coffre de sa voiture, et ces types nous sont tombés dessus. Enfin, nous seraient tombés dessus si Missou n’avait pas eu la présence d’esprit d’aller provoquer des corneilles, lesquelles se sont envolées vers les types en question. J’ai mis à profit leur surprise pour m’enfuir, Juuso est très opportunément revenu en voiture – tu connais la suite*!

[Vel Cheran]

"Je vois", fit Flora, méditant sur ce qu'elle venait d'apprendre.

Après quelques instants, elle se mit à réfléchir à voix haute.

"Ce Juuso, il t'a paru réglo ? Je veux dire, tu tombes sur lui totalement au hasard, d'accord. Mais ensuite, il t'emmène pile sur des créatures d'Ombre qui tentent de te nuire... Et, en même temps, c'est lui qui arrive à point nommé pour te tirer de là, alors qu'il t'aurait sans doute abandonnée sur place s'il était de mèche avec eux. Curieux. Plausible, mais curieux quand même."

[Féérune]

Luonto sourit. Décidément… On est si méfiant, en Ambre*! Un trait de caractère de la famille dont je manque, assurément*! Missou frémissait d’indignation dans sa main.

- Sincèrement je ne vois pas pourquoi Juuso aurait été à la solde de qui que ce soit. C’est un Finlandais à l’ancienne, aimant la nature et la solitude – comme moi, d’ailleurs – mais non dénué de sociabilité. Il m’a proposé plusieurs solutions, dont le bateau jusqu’à Vehkataipale. La décision m’est donc revenue. Il ne semblait pas avoir de téléphone, n’a pu contacter personne… Ou peut-être la nuit*? Mais je l’aurais entendu… Ni Missou ni Arantol ne m’a dit avoir entendu une conversation téléphonique, ni le cliquetis d’un échange de mails, ni vu aucun écran allumé…

La princesse se redressa et allongea la main vers la bouteille de Talisker. Son visage exprimait une profonde réflexion*: elle repassait mentalement les moindres gestes et paroles de Juuso, cherchant à y détecter l’indice d’une traîtrise. Missou murmurait, toujours frémissant*:

- Ne cherche pas, il est tout à fait correct*! Quelqu’un qui fait un aussi bon kalakukko ne peut être malhonnête. Mais Flora*! c’est évident*! Le problème vient des corneilles*! Elles, ce sont elles qui ont apporté tous les problèmes*!

[Vel Cheran]

"Tu sais, Missou, tu pourrais avoir raison", répondit Flora à l'intention du petit oiseau. "Après tout, tu es toi-même doué de parole, comme Arantol, alors pourquoi ces corneilles ne pourraient-elles pas être plus que ce qu'elles paraissent ?"

Malgré un léger sourire en coin, il était difficile de savoir si elle plaisantait ou non.

"Malheureusement, sans preuves, nous ne pouvons nous contenter que d'hypothèses. Comme pour Juuso."

D'un air nonchalant, elle se leva et lissa sa robe.

"Je propose de retourner en Ambre. Nous devrions au moins y être en sécurité, et peut-être trouverons un début de réponse là-bas."

[Féérune]

Le mot que Luonto craignait le plus était lâché*: retourner en Ambre, oh non… Missou sentit sa réticence et pépia d’une traite*:

- Oui mais en Ambre ton appartement est confortable ça changera un peu des campements que tu affectionnes parce que moi tu sais j’aime bien une maison confortable et j’y ai mon nid dommage que tu ne puisses pas y entrer il est joli mon nid surtout maintenant que j’y ai mis ton petit brace…

L’oiseau lança un cri sourd suivi d’un petit éternuement.

- Excusez-moi, je m’enrhume, je crois…
- Tu ne t’enrhumes pas. Tu ne t’enrhumes jamais. Je viens juste de comprendre où est mon bracelet de perles égaré*! Mère, je comprends bien qu’il nous faille rentrer en Ambre. Du diable si je comprends comment nous pourrons enquêter… Interroger les serviteurs, certes*! Mais nous risquons fort de mettre la puce à l’oreille du coupable… Enfin*! Nous verrons bien*! Il faudra veiller à ne pas être suivis par les corneilles, hein, Missou*?

Luonto sourit à sa mère et termina son verre de Talisker.

[Vel Cheran]

Flora fit la moue.

"Je pensais plutôt à en discuter avec le reste de la famille : je ne pense pas que le personnel ait la moindre information sur des faits qui se sont déroulés dans les Ombres. Peut-être que Gérard ou Julian auront des choses intéressantes à nous dire, par exemple. Gérard est resté pour veiller sur le trône en l'absence de Random, et Julian est sans doute quelque part en Arden."

Elle s'étira délicatement.

"Je propose de laisser le cadavre ici pour l'instant : gardons un atout dans notre manche, pour plus tard."

[Féérune]

Luonto eut un geste d’excuse.

- Pourtant, qui mieux que tout au monde peut entendre ce que disent les princes d’Ambre*? Soit l’oreille collée aux portes, soit par la connaissance intime de la personnalité de chacun d’entre nous*? Mais tu as sans doute raison. Les valets ne connaissent pas les Ombres – enfin, pas tous.
- Oui, bon, allez, on y va*?

Missou trépignait d’impatience, comme à son habitude.

HRP : j'y vais un peu au jugé... Pas sûr que je poste avant le 29 au soir.

[Vel Cheran]

HRP : pas de souci !


Flora n'avait jamais eu beaucoup d'estime pour le personnel, aussi se contenta-t-elle de hausser les épaules. Elle fit un signe de tête à l'attention d'Arantol qui, sans lâcher la noisette qu'il tenait entre les dents, plongea en avant, écarta ses pattes pour tendre la membranes lui permettant de voler et plana jusqu'à l'épaule de Flora, où il reprit ses travaux de mastication.

"Puisque Missou semble s'impatienter, alors allons-y !" fit-elle en prenant son sac à main, dans lequel elle avait préalablement rangé toutes ses affaires, armes comprise.

"Je vais appeler Gérard, ça ira plus vite que de faire le trajet à pied."

Et, sans attendre, elle sortit l'Atout de son frère et se concentra dessus.

[Féérune]

Luonto acquiesça d’un lent mouvement de la tête. Missou se crispa légèrement sur son épaule, à la vue de l’écureuil. Une noisette*! Il ose manger une noisette sous mon bec*! Dès qu’on arrive, je demande une noisette, moi aussi j’ai envie d’une noisette*!

Rageur, il fila se cacher dans les cheveux de la princesse, qui attendait le contact de Gérard avec une vague angoisse au coeur.

[Vel Cheran]

Le contact sembla s'établir assez rapidement, car Flora entama la conversation avec la carte qu'elle tenait en main. Après quelques échanges d'usage, elle fit signe à Luonto de rejoindre la conversation - ce qui était aisément faisable en établissant un contact physique avec elle.

Dès que sa fille eut réagi, celle-ci put voir Gérard richement habillé d'un pourpoint bleu ciel et de hauts de chausse de la même couleur. Il se tenait debout dans la petite bibliothèque du palais d'Ambre.

"Ah, Luonto ! Ça faisait longtemps ! Je vous en prie, rejoignez-moi", ajouta-t-il en tendant la main à Flora, qu'elle saisit avant de faire un pas en avant.

La sensation habituelle de basculement se produisit, sans que Luonto ne s'en rende vraiment compte. À leur arrivée, une grande femme élancée se leva de son siège pour les saluer. Sa tenue vestimentaire était très inattendue dans ce contexte : elle portait un t-shirt synthétique ajusté, un caleçon long et des chaussures de sport, et Lunto vit passer une moue désapprobatrice sur le visage de sa mère. Il s'agissait d'Isibeal, l'épouse de Gérard.