[Commerce] Auberge du Bon Barde

[Vel Cheran]

Jordin sourit : il était curieux de découvrir ce jeu, et de voir si son habileté aux dés ne s'était pas émoussée avec le temps.

"Avec plaisir, j'aime bien voir de nouvelles têtes", répondit-il. "J'ai un pichet de vin, si ça vous dit de le partager !"

[Voyageuse]

" Ça nous dit, ça nous dit !, fit le vieillard le précédent d'un pas lent en direction de la tablée de son petit-fils. Les jeunes préfèrent la bière, mais mes fils et moi, on aime mieux un bon rouge."
La tablée en question était entièrement masculine, et, devina-t-il, exclusivement familiale : des gars un peu trapus, le teint et les cheveux clairs, les mêmes yeux d'un bleu acier. Le vieil homme lui désigna les deux convives les plus âgés, qui devaient avoir approximativement l'âge de Jordin.
" Max et Jeannot, mes deux fistons... Et les deux jeunots, là, c'est les fils de Max. Mes petits-fils, donc."
Les quatre gars en question jetèrent de concert un regard intrigué au nouveau venu.
" Faites pas cette tête, c'est un étranger mais pas un mélandien, il a pas l'accent d'là-bas ! Il veut juste jouer, et il fournit la boisson.
- Ah bah si c'est pour jouer ! Fallait l'dire ! On va vous faire une place !, s'exclama le dénommé Max d'un ton chaleureux, avec un sourire épanoui. On est toujours prêts à plumer de nouvelles victimes... hum, pardon, à jouer avec de nouveaux adversaires, ajouta-t-il avec un clin d'oeil.
- On va TE faire une place, corrigea son frère, dont le regard flou et l'élocution hésitante trahissait, tout autant que son haleine, une consommation d'alcool déjà excessive. J'te préviens juste, l'étranger, moi je joue pas avec les coincés du cul qui ont besoin qu'on leur donne du "Môssieur" et qu'on les vouvoie. Pas d'objection ? Comment faut-y qu'on t'appelle ?"

[Vel Cheran]

"Pas d'problème, l'ami, "répondit le moine en s'asseyant, "je ne suis pas amateur de courbettes non plus. Appelle-moi Jordin."

Il posa son pichet de vin sur la table et proposa de remplir les verres de chacun.

"Par contre, va falloir m'apprendre les règles du jeu, pour que j'ai une chance de pas trop m'faire enfler !"

[Voyageuse]

On lui expliqua les règles du jeu... de façon totalement décousue et chaotique, ses interlocuteurs se coupant la parole et se contredisant les uns les autres. Il compris néanmoins que le jeu ressemblait à bien d'autres qu'il avait pu pratiquer. Il y avait une somme à miser -il s'en doutait-, et il fallait obtenir avec 5 dés de meilleures combinaisons de dés que ses adversaires, les combinaisons en question étant tout ce qu'il y avait de plus classique : carré, quintes, brelans ou suites. Il y avait un nombre défini d'essais, où on relançait tout ou partie des dés, et il fallait savoir choisir de s'arrêter ou de poursuivre au risque de tout perdre. On pouvait jouer en solo ou en duo, mais personne ne se risqua à faire équipe avec un débutant.
Les deux plus jeunes joueurs, tandis que leurs ainés expliquaient laborieusement le jeu, avaient commandé un pichet de bière supplémentaire pour leur consommation personnelle, et en avaient bu plus de la moitié quand la partie commença enfin. Les mises proposées par chacun étaient évidemment modeste : quelques pièces de cuivre seulement. Max, dont l'allure joviale cachait un tempérament plus réfléchi, remporta les premières. Jeannot avait trop bu et prenait trop de risques, et les jeunes -Jérémy et Marco- en prenaient encore davantage. L'ancêtre de la famille, quant à lui, avait une malchance assez tenace, apparemment connue de tous. Et finalement, Jordin ne s'en sortait pas si mal. Il remporta la troisième partie et la cinquième.

Les esprits s'échauffaient, tant sous l'effet de l'alcool que sous l'excitation du jeu. On commanda de nouvelles cruches de bière et de vin ainsi qu'un peu de charcuterie, et on décida d'une trêve. L'aïeul se retrouva à raconter ses souvenirs de la guerre contre Mélandis -pas la dernière, celle d'avant, insista-t-il, décrivant les mélandiens comme des êtres vils, cruels, foncièrement mauvais, dépravés, menteurs, porteurs de tous les défauts qu'il semblait possible de concevoir. Ses fils ne le contredisaient pas, mais ne cherchaient pas non plus à aller dans son sens, se contentant d'écouter poliment une histoire mille fois entendue en réprimant prudemment leurs objections. Il crut deviner qu'ils ne partageaient pas forcément toutes les opinions de l'aïeul. Ses petits-fils, eux, acquiesçaient avec enthousiasme. Jordin finit par apprendre que la ville en question se trouvait sur l'île voisine.
Il crut remarquer aussi qu'un petit groupe de jeunes gens, à une autre table, jetaient de fréquents coups d'oeil dans leur direction tandis qu'ils évoquaient Mélandis.

" J'étais soldat, vous comprenez ! J'devais obéir, poursuivait le vieillard. Mais j'trouvais nos officiers bien trop cléments avec c't'engeance ! Pour sûr que Maelwedd, lui, aurait pas hésité à tous les massacrer !
- Papa, tu fatigues notre invité, fit remarquer Max d'un ton aussi diplomate que possible. Il n'a pas forcément envie de parler politique, il ne connait rien d'ici. D'ailleurs, tu viens d'où, raconte voir ? Tu nous a pas dis... Tu es un marchand ? Un aventurier en quête de territoires à explorer ?"
Cinq paires d'yeux curieux se tournèrent vers lui -enfin, surtout quatre, le grand-père semblant un peu vexé d'être coupé dans sa diatribe.

[Vel Cheran]

Diplomatiquement, Jordin adressa un sourire à l'aïeul.

"En vérité, je connais si mal le coin que toute histoire m'intéresse. Moi, je ne suis ni marchand, ni aventurier : je fais partie d'un ordre de moines, qui m'a envoyé ici pour y fonder une école."

Il précisa, anticipant les réactions qu'il avait déjà constatées depuis son arrivée à Luménis :

"Nous ne sommes pas liés à une religion, nous visons plutôt la connaissance de notre corps et les exercices physiques. Mais je ne vais pas vous barber avec ça..."

[Voyageuse]

Quelques haussements de sourcils et un éclat de rire -celui de Max- accueillirent ses explications. L'aïeul, lui, semblait intéressé.
" En fait, vous faites des exercices physiques... comme les militaires ?...
- La connaissance du corps, moi ça m'fait marrer. Tout le monde sait comment on est fait, non ? Deux bras, deux jambes...
- Et une bite...
- T'es vulgaire, toi !
- Bah c'est p'têt ça qu'y z'étudient ?"
Les rires se généralisèrent.
" Hum... Pardon, ça ne se fait pas de se moquer... Mais bon, les moines qui font des exercices physiques, ça fait un peu penser à des paladins...
- Et les paladins, par ici, on les moque un peu, tu vois... Tout le monde sait qu'ils ont un balai dans l'fion !, intervint l'un des jeunes.
- 'fin, sans vouloir te vexer..."

[Vel Cheran]

Jordin fut d'abord surpris par la réaction de ses partenaires de jeu, avant qu'un sourire ne s'étale sur son visage. Il finit par lâcher un petit rire.

"On est très différents des paladins sur beaucoup de sujets : on ne donne pas de leçons de morale et nous n'allons pas défendre la veuve et l'orphelin... Mais tu n'as pas complètement tort sur le balai dans le fondement, si j'puis dire : les journées dans un monastère vous paraîtraient tristes à mourir... En gros, on suit un entraînement martial assez strict et on médite le reste du temps."

Il but une gorgée de vin avant de continuer, hésitant.

"Ça m'a... vraiment aidé, quand j'ai rejoint cet ordre, plus jeune. On oublie ses démons du passé, et on se recentre sur soi-même. Mais bon, contrairement au reste de mon Ordre, j'oublie pas de m'amuser de temps en temps."

[Voyageuse]

" T'as bien raison, s'amuser, c'est l'essentiel !", confirma Jeannot.
Max et son père s'étaient tu, avec dans le regard une lueur d'attention plus soutenue, ou peut-être de compassion. Jeannot était trop imbibé de vin, et les deux autres trop jeunes, pour relever l'allusion à son passé. Ou peut-être qu'ils s'en moquaient.
" On a tous des démons du passé, fit remarquer l'aïeul avec une certaine douceur dans le ton. Moi, par exemple... j'pardonnerai jamais aux mélandiens ce qu'ils ont fait... et encore tout récemment dans notre ville.
- C'est pas vraiment leur faute, papa, tu sais bien.
- C'était quand même eux !
- Oui mais... c'est le système qu'est pas bon. Celui qu'ils ont connu là-bas, et l'accueil qu'ils subissent ici.
- Attends, ici, y sont mille fois mieux ici que là-bas ! Et avec tout ce qu'on fait pour eux, y'en a quand même qui viennent foutre la merde, intervint Jeannot avec fougue. On d'vrait tous les virer....
- Toi, tu fréquentes trop ton groupe aux écharpes blanches...", fit remarquer Max sur le ton raisonnable qu'on utiliserait avec un jeune adolescent trop fougueux.
Jordin nota qu'il avait baissé la voix, et jetait des regards un peu inquiets vers une table voisine.
" Je'fréquente qui j'veux ! Et toi, t'as toujours été bien trop optimiste, répliqua Jeannot sans paraitre conscient de l'inquiétude de son frère.
- Je l'ai toujours dit, acquiesça son père. Un vrai lathandrite..."
Ce ne semblait pas vraiment être un compliment.
" Non, c'est pas le terme que j'aurais choisi, répondit Max en souriant.
- Voyons, pépé, tu oublies tout le côté révolutionnaire des lathandrites ! s'exclama l'un des deux jeunes avec enthousiasme.
- Ah, évidemment, ça, ça te parle, Rémy...
Max sourit et secoua la tête avant de reprendre, plus bas, en regardant son frère avec une certaine insistance.
" Bref. Chacun ses idées. Mais ce n'est pas le lieu pour les débats politiques...
- Pourquoi ? questionna le second de ses fils. En plus, il a pas tort, Jeannot...
- Ah, non, tu vas pas t'y mettre ?
- Ton père a raison, ill y a trop d'oreilles, répliqua Jeannot, comprenant enfin le regard de son frère. Allez.. on reprend la partie ? Et on change de sujet.
- Bon d'accord... heu.... par exemple, raconte-nous des combats : tu dois être un bon guerrier si tu passes ton temps à t'entraîner ! Même meilleur que pépé !
- Puis les histoires de pépé, on les connait déjà par coeur, ça va nous changer !"

[Vel Cheran]

L'air de rien, Jordin ne perdit pas une miette de l'échange qui venait d'avoir lieu. Il aurait beau s'en défendre, la politique l'intéressait toujours. Néanmoins, la discussion ayant dérivé de nouveau sur sa personne, il en suivit le cours.

"J'imagine que oui, même si nous mettons assez peu souvent notre entraînement en pratique. En gros, on s'entraîne à se battre à mains nues et avec un bâton. Parfois, on organise des spectacles auprès des villages avoisinants, ça nous permet de récolter des sous pour le monastère, et ça nous arrive aussi d'accepter des missions de mercenaires, du style escorte. Tant que ça respecte le code d'honneur de l'Ordre - on ne nous embauche pas pour aller casser les dents d'un gars qui n'aurait pas remboursé ses dettes..."

À son tour, Jordin prit les dés et les lança à plusieurs reprises. Devant le résultat assez catastrophique de ses lancers, il préféra continuer de parler.

"Du coup, je n'ai pas de combat très palpitant à raconter à partir du moment où je suis devenu moine. Bon, il y a bien cette fois où j'ai réussi à battre notre Grand Maître lors d'un affrontement amical, grâce à une clef de bras peu conventionnelle, mais je ne me souviens plus des détails. Seulement que j'ai réussi à lui bloquer le bras avec l'aide de mon tronc et de mes narines. Les doigts dans l'nez, si on peut dire..."

[Voyageuse]

Les deux plus jeunes le regardaient avec de l'admiration dans le regard. Sa carrure confirmait si besoin était la véracité de ses dires, et seul l'aïeul semblait n'accorder au récit qu'une attention polie, comme s'il en avait vu d'autres -ce qui était certainement le cas.
" Ça doit être cool, de savoir se battre aussi bien, fit remarquer le plus jeune -Jordin avait appris au cours de la partie de dé qu'il se nommait Jonathan.
- Pourquoi, t'as besoin de te battre ? s'étonna son frère.
- Bah, tu sais, avec toute la racaille qui traîne...
- Tu dramatises !
- Ah non, vous n'allez pas recommencer, soupira Max, avant de se tourner vers Jordin pour lui expliquer : mes fils passent leur temps à être en désaccord sur tout.
- Ça doit être de famille, railla Rémy.
- Pas faux, s'amusa l'aïeul, en lançant à son tour les dés et en laissant échapper un soupir face au score désastreux. Mieux vaut en rester aux récits de combat, si vous voulez mon avis. D'ailleurs, j'avoue que j'ai du mal à visualiser la scène que tu décris... Faut dire qu'on voit pas trop des gens armés juste de bâtons sur les champs de bataille. Feraient pas le poids face à une épée.
- Ouais, mais dans la vie quotidienne, ça doit quand même être pratique de savoir se défendre ! Moi, ça m'tenterait bien d'apprendre... Mais je crois que je serais allergique aux séances de méditation ! Y'a pas des cours... heu... hors temple ?"

[Vel Cheran]

La conversation prenait un tour intéressant : arriverait-il à trouver déjà de futurs élèves, avant même d'obtenir des locaux pour l'école ?

"Tout élève n'est pas forcé de devenir moine, et donc de passer sa journée au monastère. On enseigne aussi à ceux qui le veulent l'art du combat, et/ou la méditation. La seule constante, dans notre enseignement, est de transmettre nos valeurs : nous ne tenons pas à former des gens qui utiliseraient ensuite leur savoir à des fins malveillantes."

Il ajouta, à destination de l'aïeul :

"Nous ne formons pas des futurs soldats - en tous cas, ça n'est pas notre doctrine. J'ai aussi été soldat, dans une autre vie, et c'est vrai que ça n'a pas grand-chose à voir avec notre enseignement..."

[Voyageuse]

" Oh, tu as été soldat ? Là-bas où tu vivais ?"
Le grand-père s'était penché en avant, subitement intéressé, mais son petit-fils lui coupa la parole.
" Moi, c'qui m'intéresserait, c'est savoir si botter l'arrière-train des mélandiens qui nous envaissent, c'est contraire à ces valeurs...
- Jon' !, s'exclama son père. C'est pas vrai... On a dit qu'on n'en parlait plus, non ?
- Bah, quoi, j'me renseigne ! Puis bon, j'suis sûrement trop vieux, à 26 ans.
- Ca pourrait peut-être être une bonne idée pour mon Jules, remarqua Jeannot. Il passe ses journées à traîner je-ne-sais où...
- T'inquiète pas pour lui, va... Il est grand...
- Oui, c'est bien c'qui m'inquiète, qu'il ait toujours cette attitude à bientôt 20 ans. Ils prennent les jeunes jusqu'à quel âge, dans ces temples ?
- Bah, j'parie que c'est payant, de toute façon...

[Vel Cheran]

Jordin n'eût pas le temps de répondre au grand-père - il réalisa d'ailleurs qu'il ne connaissait pas son nom - que la conversation avait déjà dérivé. Ce n'était sans doute pas plus mal, car il n'était pas spécialement pressé de raviver ses vieux souvenirs de Thurmish. Ou bien l'était-il ? Pourquoi aurait-il évoqué son passé de soldat, sinon ?

Mais il ne s’appesantit pas davantage là-dessus pour répondre aux questions sur l'école qu'il était venu fonder.

"Eh bien... Déjà, il n'y a pas de limite d'âge pour recevoir notre enseignement. J'ai personnellement rejoint mon monastère vers trente ans. Et nous n'avons pas de temple, nous ne sommes pas des prêtres", ajouta-t-il à Jeannot avec un sourire.

Il n'hésita pas longtemps avant de poursuivre.

"Et concernant l'argent... Nous voulons pouvoir enseigner à quiconque le demande. Donc, si un élève ne peut pas payer les frais d'enseignement, nous voyons avec lui comment il peut nous rendre service : ça peut aller du coup de main pour faire le ménage, à l'encadrement des élèves les plus jeunes, ou encore du bricolage, par exemple. L'argent nous sert seulement à manger et à faire fonctionner l'école."

[Voyageuse]

" Oh...."
Quelques instants de silence suivirent ces paroles. Il devinait qu'au moins deux de ses interlocuteurs soupesaient les possibilités qu'il évoquait.
Max lança à son tour les dés, désireux de relancer la partie. Puis ce fut le tour de Rémy. Et soudain, la porte de l'auberge s'ouvrit sur une femme d'une cinquantaine d'années, petite et trapue, les cheveux gris rassemblés en chignon, qui s'avança droit vers eux d'un air sévère.
" Jeannot !"
Le sus-nommé parut se faire tout petit, rougit, bredouilla quelque chose d'incompréhensible.
" Dites, Anatole, pourriez pas encourager vos fils à autre chose que boire et jouer ?, apostropha-t-elle ensuite l'aïeuil -ce qui permit à Jordin de connaître enfin son prénom, les autres convives l'ayant toujours appelé papa ou pépé.
- Bah, on fait rien d'mal... C'est si tard que ça ?
- L'dîner va r'froidir ! Max, ta femme t'attend aussi.
- Hum... Oui, j'me doute..."
Les yeux sévères de la nouvelle venue se fixèrent sur les deux plus jeunes, ignorant superbement Jordin.
" Heu... J'crois qu'ma copine m'attend aussi..., bredouilla Rémy.
- La mienne aussi....
- D'puis quand t'as une copine, toi ?
- Hey, j'te dis pas tout !"
Déjà, leur tante faisait demi-tour, suivie par Jeannot qui s'excusa platement et suivit sa femme d'un air parfaitement soumis.

[Vel Cheran]

Jordin jeta un œil par la fenêtre, pour constater que le soleil était déjà masqué par les toits des bâtisses alentours. Le temps était passé plus vite que prévu. À regret, il allait devoir prendre le chemin du retour vers le port.

"Messieurs, merci pour les parties de dé et pour la conversation, mais il se fait tard, en effet", lança-t-il en se levant. "Je n'veux pas vous retenir ici contre votre gré."

[Voyageuse]

" Oh, mais ne t'en fais pas, nous, on a tout notre temps ! s'exclama l'aïeul après avoir vérifié, par un coup d'oeil à la fenêtre, que le couple s'éloignait. D'abord, moi, j'ai plus d'femme...
- Et moi, ma femme à l'habitude que je rentre tard... j'ai pas épousé un dragon, moi ! plaisanta Max.
- Papa, t'es pas très gentil avec cette pauvre tante Mireille..."
Le large sourire de Rémy démentait ces paroles, et son frère pouffa de rire.
" Mais donc, tu ne loges pas ici ?" s'étonna Max, plus sérieusement.

[Vel Cheran]

Après un bref instant d'hésitation, Jordin se rassit. Il ne savait trop pourquoi, en fait, mais il avait vraiment envie de rester. La compagnie de gens "normaux" lui avait sans doute manqué.

"Non, j'ai pris une chambre avec mon apprentie dans une taverne près du port. Nous n'avons pas cherché bien loin, on ne connaît pas du tout la ville. J'imagine qu'on n'a pas pris la moins chère, du coup..."

[Voyageuse]

Max haussa les épaules.
" Bah... pas forcément. Les auberges des bourges sont dans le quartier sud. Celles près du port ont des prix corrects, d'ailleurs il y a de la concurrence.
- Mais si vous voulez changer d'auberge, n'hésitez pas ! La Patronne sera ravie d'avoir un moine à demeure, ça la changera...
- Heu... C'est pas forcément un bon conseil, ça. Il risque d'être déçu au niveau du confort.
- Ça vaut bien un bouge de marins !, protesta l'aïeul.
- Oui, mais pas la Bienveillance..."
La jeune serveuse s'était approchée pour débarrasser la table voisine pendant leur discussion.
" On parle pas d'la concurrence !"
Son ton revêche était démenti par un sourire charmeur à destination de Rémy.
" Hum... S'cuse-moi, Tika...
- On a tout c'qui faut pour vous satisfaire ici, M'sieur, ajouta-t-elle en se tournant vers Jordin. Même un magicien pour les spectacles, ajouta-t-elle en désignant un jeune homme barbu qui faisait le service à l'autre bout de la salle. Voudriez une chambre ?"

[Vel Cheran]

Jordin se frotta le crâne d'une main et adressa un sourire avenant à la serveuse.

Ce serait sans doute plus pratique, oui. Est-ce que vous savez s'il y a un service de coursier dans le coin - ou plus simplement des gens qui seraient prêts à porter un message au port en échange de quelques pièces ?

[Voyageuse]

La serveuse -Tika- ouvrit des yeux ronds comme des soucoupes.
" Ben... Chais pas... On m'a jamais d'mandé ce genre d'chose.... Heu... Je vois pas qui...
- Nan mais moi j'peux l'emmener, ton message, intervint Jonathan. J'dois aller voir des potes à moi du côté du port, ce soir...."
Max parut sur le point de le questionner, mais il hésita, et son fils ajouta aussitôt.
" Je finis juste cette partie avec vous. De toute façon, elle a pas tort, la Mireille, va bien falloir que tu rentres dîner... Mais je me chargerai du message, promis !"
La serveuse avait suivi ce bref échange en se dandinant d'un pied sur l'autre, incertaine. Elle se tourna vers Jordin.
" Et... donc... ça veut dire que vous allez passer la nuit là ? Il vous faut une chambre ?"

[Vel Cheran]

"Oui, excusez-moi, je vais prendre une chambre pour la nuit à venir. Je verrai pour les suivantes."

Il sortit de son sac un bout de papier, une plume et un encrier, et écrivit une missive à l'attention de Séraphine, lui indiquant de ne pas l'attendre et d'accepter l'offre d'emploi du dénommé Marcus. Il tendit ensuite la note à Jonathan.

"Si tu as l'occasion, tu pourrais déposer ça à la Taverne de la Bienveillance, pour Séraphine ?"

[Voyageuse]

" Séraphine... Je note ! Je vais essayer de ne pas boire trop de bière pour ne pas oublier...
- Bon, on la finit, cette partie ?", les interrompit l'aïeul.
Et il jeta les dés, à son tour, pour obtenir un résultat lamentable qui lui arracha un profond soupir.

La fin de la partie se déroula sans heurt, simplement interrompue par la serveuse qui apporta à Jordin la clé d'une chambre.
" C'est au deuxième étage, sur la gauche du couloir, côté cour pour avoir moins de bruit, promit-elle. Est-ce que vous dînez ici ce soir ?
- Ou si tu préfères, tu es le bienvenu à la maison, proposa Max. On habite juste à côté...
- J'y vais aussi, ajouta l'aïeul. Je te conseille la cuisine de la Jeanne...
- Dis tout de suite qu'ici c'est pas bon ! s'offusqua Tika, avec toutefois un sourire qui démentait son ton.
- Oh non, voyons, pas du tout, on n'oserait pas ! C'est juste pour qu'il ne soit pas tout seul... Et puis, ma femme à l'habitude de prévoir large en quantité."

[Vel Cheran]

"Ah mais j'ai déjeuné ici aujourd'hui, et c'était bon !" lui lança Jordin en riant. "Mais je ne peux pas refuser une invitation à dîner alors que je viens seulement d'arriver. Et ça me permettra de comparer !" ajouta-t-il avec un sourire.

[Voyageuse]

" Parfait ! Bon, reste plus qu'à boucler le dernier lancer. De toute façon, c'est Jordin qui gagne, à mon avis, à moins que je fasse un carré ou une quinte..."
Il lança les dés, poussa un soupir théâtral, garda les deux dés identiques et relança les trois autres, deux fois, sans succès.
" Rien, même pas l'brelan... Bon ben j'chuis quand même deuxième...
- Oh, te plains pas, t'en as gagné deux, pépé une seule, et Jon' a fait la première. Faut bien en laisser une à Jordin, non ? C'est moi qui devrait me plaindre, j'ai rien gagné !
- Oui mais toi t'as un boulot, t'es riche, répliqua son frère. Donc tu peux perdre quelques sous !"
Jordin remporta donc la mise -une poignée de pièces de cuivre, l'équivalent de deux pièces d'argent peut-être. A peine plus que ce qu'il avait perdu jusqu'ici.

Jon' s'éclipsa aussitôt après, prenant avec lui la missive pour Séraphine. Rémy attendit que tous soient prêts : son itinéraire concordait avec celui de son père et il avait l'habitude de faire un bout de chemin avec lui.
Celui-ci, malgré son air jovial, avait l'air un peu préoccupé.
" Tu sais où il va, ton frère ?
- Non, j'chais pas."
Jordin devina, à son ton, qu'il cherchait surtout à éluder la question.
" Il va encore traîner avec les Blancs, j'parie", soupira son père.
Rémy ne répondit pas.

[Vel Cheran]

Jordin brûlait d'envie d'en savoir plus, mais il n'osa pas se montrer indiscret. Il se contenta de finir son verre et de jeter son sac sur l'épaule, ce qui lui rappela qu'il n'avait pas beaucoup d'affaires avec lui : il devrait repasser à la Taverne de la Bienveillance le lendemain, où son apprentie devait confier ses affaires au gérant.

"J'ai cru voir une affiche électorale en venant jusqu'ici", lança-t-il sur le ton de la conversation. "Comment fonctionne la politique, ici ? Je suis curieux, je viens d'une région oligarchique... Je veux dire, dirigée par un conseil de six personnes, sans passer par des élections."

[Voyageuse]

" Ici, y'a des élections, on est dirigés par un conseil de trois dirigeants élus. Mais pas depuis si longtemps que ça, expliqua l'aïeul. On a eu longtemps une espèce d'impératrice... enfin, elle avait pas le titre mais c'était pareil.
- Je croyais que c'était une présidente ? On a toujours été une démocratie, protesta Max.
- Oui, j'exagère un peu. Depuis la fondation de Lumenis, on a toujours été en démocratie, c'est vrai, plus ou moins. Sauf quand les Mélandiens qu'on avait accueillis comme réfugiés ont pris le pouvoir. Ils ont instauré une dictature, il y a quelques années seulement. On a réussi à renverser la tyran, mais il y a toujours le risque que ça reparte. C'est pour ça qu'on ne voit pas les mélandiens d'un très bon oeil. Y'a toujours de la vermine là-dedans. Y s'raient pas là, j'aurais plus confiance !
- Là c'est toi qui exagère ! Ceux qui sont là, ils ont fui la dictature de chez eux, c'est pas pour refaire la même chose...
- Tu es trop naïf, toi ! Y sont pas tous de gentils réfugiés prêts à se convertir au Lathandrisme !
- Papa, tais-toi donc... tu sais que c'est à force de t'entendre dire ça que Jonathan se laisse entraîner vers des fréquentations douteuses... "
Max se tourna vers Jordin avec un haussement d'épaules fataliste.
" La politique, dans notre famille, c'est toujours un sujet épineux. Mais donc, y'a des affiches parce que le Conseil vient juste de démissionner... Et qu'il faudra en réélire un.
" Et pour faire clair, disons que les goûts de mon frère dans ce domaine ne sont pas les mêmes que ceux de mon père," compléta Rémy.

[Vel Cheran]

"Je crois que la politique est un sujet épineux dans toute famille normalement constituée", répondit Jordin avec un sourire fataliste.

"Ce tyran, il avait pris le pouvoir avec un coup d'état ? Ou après avoir été élu ?"

[Voyageuse]

" Il y a eu un coup d'état..., fit Rémy
- Enfin, ça, c'est c'qu'on dit, s'emporta l'aïeul. Moi j'vois pas comment c'est possible qu'une poignée d'homme arrive à attaquer nos dirigeants et prendre le pouvoir, comme ça... On a quand même une armée, des gardes ! J'chuis sûr qu'on nous dit pas tout. Devait y avoir des complicités internes au plus haut sommet de l'état...
- Papa, tu es peut-être un peu parano. Avec la magie, on peut beaucoup de choses, sans complicité.
- Mwouais. T'as pas tort. C'est vrai qu'les mélandiens, y maîtrisent des formes de magie noires. C'est vraiment des pourritures, faut s'en méfier. D'ailleurs, t'as vu, à la table voisine, j'suis sûr qu'ils en étaient. Ils réagissaient dès qu'on parlait de ça.
- C'est vrai que j'les avais jamais vus par ici....
- Moi, j'ai vu comment Jon' les regardait, il pensait sûrement la même chose, intervint Rémy. J'espère qu'il va pas aller rameuter ses potes pour leur causer des ennuis."
Son père grimaça.
" J'espère.... Parce que ça va mal se finir tout ça. D'ailleurs, Jordin, ton histoire de temple, ça m'intéresse pas mal. Si ça pouvait mettre un peu de plomb dans la cervelle de mon gosse..."

[Vel Cheran]

Jordin acquiesça.

"On pourrait essayer, en tous cas. Mais seulement s'il est volontaire, je n'enseigne pas aux gens contre leur gré, c'est contre-productif."

Il se gratta le menton, songeur.

"Tout ce qui est imposé aux gens contre leur gré est contre-productif, d'ailleurs..."

[Voyageuse]

" Oh, je parie qu'il sera volontaire, remarqua Rémy. Apprendre à se battre, ça lui plaira ! Il brûle de pouvoir donner une raclée aux racailles du quartier...
- Comme si ça résolvait quoi que ce soit, ce genre d'attitude. Si, tout en lui apprenant à se battre, tu pouvais lui remettre les pendules à l'heure sur l'usage de la violence, tout ça...
Ils tournèrent dans une petite ruelle, sombre et tortueuse.
- Ouais mais il a pas tort, ton fils ! C'est nécessaire contre certains ! Moi j'pense qu'il aurait dû s'engager dans la garde.
- Peut-être... Mais Jeanne était contre. Et malheureusement, j'crois qu'il s'imagine plutôt en justicier clandestin solitaire. Ses amis n'ont pas une bonne influence sur lui. Et comme ils accusent les immigrés mélandiens de tous les maux....
- Baaaah... c'est pas forcément faux..., tenta de protester le grand-père.
- J'suis pas d'accord. Le souci, c'est surtout la misère dans laquelle on vit tous ici. Et c'est vraiment con que la seule organisation qu'on entende sur ce sujet, ce soit les blancs avec leur haine des étrangers. Ils commencent à avoir trop d'influence... j'ai même entendu dire qu'ils auraient un candidat aux élections.