[Vers EVERESKA] ERRANCE...

[Féérune]

En provenance de : lacouronne/vers-feerune/31869-haute-for ... post480409

Eldurvellir se sentait d’humeur légère. Une balade en Evereska, une bien belle région, finalement pourquoi pas*? Après, la donzelle n’est pas vraiment à mon goût, mais faute de grives…

- Tu ne regrettes pas tes bons amis, on dirait*?
- Hein*? Euh… Eh bien non, ce sont de grands garçons, ils se débrouillerons bien sans moi*!
- Sûr*!

Je donnerais cher pour savoir ce qu’il a dans la tête, l’Eldurvellir… Enfin, peut-être pas, ça risquerait de m’agacer…

- Titi*! Tu vas bien*?
- Vi. T-rrrès bien. Mais ze vourrais bien rêter sez les sats*!
- Rester, Titi. Et chez les chats*! Répète voir…

Un moment d’étude attentive plus tard, Eldurvellir jetait un regard peu amène à la rôdeuse écarlate à force de rire.

- Tirigh a peut-être un défaut de prononciation, finalement… Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle*!
- Ce qu’il y a de drôle*? Mais c’est qu’il est encore bien petit, pour prononcer correctement, c’est tout*!

Eldurvellir soupira.

- Dis carrément que je suis un mauvais père*!
- Non…

Encore que. Faut-il être un si bon père pour laisser son fils à la garde de deux gamines quasi inconnues*? Sylveneige décida de ne pas argumenter. Après tout, la chose ne risquait pas de se reproduire de sitôt.

[Féérune]

Le chemin vers leur première étape le long de la rivière Delimbiyr, la ville d’Eauforte, semblait mal entretenu. Les herbes folles et les ronces avaient envahi la petite route, des ornières se creusaient et rendaient malaisé le passage de carrioles.

- Je ne comprends pas… Il y a bien des caravanes, qui vont jusqu’à Eauforte*! Sinon comment la ville serait-elle approvisionnée*?
- Effectivement, c’est bizarre. Avant Eauforte il y a un hameau, Zelbross, nous demanderons là ce qui se passe.

Un bruit de galop, dans le lointain, suspendit la discussion.

- Tu vois, ce n’est pas si désert. Si ça se trouve, on n’arrive pas à se mettre d’accord sur la responsabilité de l’entretien de la route*!
- Possible… Mais c’est tellement idiot*!
- Ah çà*!

Ils continuèrent jusqu’à ce que le soleil passe au zénith, firent une brève pause pour se restaurer sur le pouce et poursuivirent leur route jusqu’avant le déclin du soleil.

- Là, ce serait bien, pour le campement.
- Oui, pas mal… Les chevaux ont besoin de repos et un bain ne nous fera pas de mal.

La route suivait toujours la rivière Delimbiyr, entre les premiers bosquets du sud de Haute-Forêt et la rive nord du cours d’eau. Sylveneige avança encore un peu et repéra une minuscule clairière, isolée de la route par une rangée d’arbres assez dense.

Eldurvellir s’occupa de son fils, impatient à l’idée du bain. L’eau de la rivière était limpide et peu profonde.

- Tata Nei… Euh, Sylveneige, si tu fais le feu je fais la cuisine*! Ça te va*? On ramasse d’abord le bois pour le feu, ensuite je fais prendre son bain à Titi.
- Parfait. Je m'attends à un repas gastronomique, bien sûr.

Ils trouvèrent rapidement bois et petit bois, puis Eldurvellir et Tirigh allèrent se baigner.

[Féérune]

L’eau, très fraîche, les fit frissonner. Ils se baignèrent rapidement et coururent rejoindre la rive où étaient restés leurs affaires. Un cri d’alerte, furieux et répété fusa, suivi de hennissements. Eldurvellir se précipita vers la petite clairière. Un feu flambait, dégageant une odeur résineuse et douceâtre. La flamme en était étrange, formant un halo bleuté. A terre, Sylveneige était évanouie.

Le mage s’approcha lentement, se retenant de respirer. Ce feu n’est pas ordinaire… Il commença à se sentir vaguement nauséeux. Sans attendre il tira le corps inerte de la jeune elfe près de la rivière et entreprit de la ranimer. L’eau fraîche de la rivière fit rapidement son effet.

- Que s’est-il passé*?

Sans répondre, Eldurvellir écarquilla les yeux et fonça vers la clairière. Il revint l’air inquiet.

- Ce qu’il s’est passé*? Rassure-moi… Les sacs, les chevaux… Tu les as déplacés où*?
- Quoi*? Je ne comprends rien. Nulle part*! j’ai juste fait le feu*! Ensuite, je ne sais pas ce qui s’est passé…
- Alors, c’est simple. On t’a intoxiquée pour que tu t’évanouisses, probablement en jetant quelque potion dans le feu, puis on nous a volé tout notre équipement. Chevaux compris.
- HEIN*?
- Tu m’as bien entendu. Alors remets-toi vite, et envoie ton harfang en repérage… Oû est-il, tiens*?

Tirigh agrippa sa main et désigna le ciel.

- Lumi*!

Le harfang des neiges tournoyait à faible hauteur, puis il vola vers l’est en ululant. Revint vers Sylveneige, puis repartit, décrivant un arc de cercle en direction de l’est.

- Il nous indique où sont les voleurs…
- Ah oui, la belle affaire*! Sans chevaux, nous ne les rattraperons pas…
- Une chance, les voleurs sont partis dans la direction où nous allons.
- Ah la chance, en effet…

Sylveneige était rouge de colère. Elle se leva en titubant et courut à la clairière, espérant désespérément retrouver quelque chose. Suivirent les pires imprécations que le mage eût jamais entendues.

[Féérune]

Eldurvellir fourragea dans ses poches. Il en sortit trois pièces d’argent et quelques piécettes de cuivre. Et une poignée d’herbes. Même pas de quoi faire… Ah*!

- Sylveneige*! Refais donc un feu*! Vite*!

Il trouva une pierre incurvée. Y posa les herbes et les concassa avec un peu d’eau et revint vers la clairière.

- Tiens, je vais faire chauffer ça… Ce n’est pas idéal, ça fera juste un fond de potion énergisante.
- Et ça fait quoi*?
- Ça donne un sacré coup de fouet*! Allez, mange ce truc et on repart.

Sylveneige écarquilla les yeux, mais décida de prendre l’étrange mixture proposée. Contrairement aux inquiétudes du mage, il en resta même un peu, qu'il mit en vrac dans sa poche.

Ils reprirent leur route vers l’est, Tirigh sur les épaules de son père.

- Même en marchant vite, nous ne rattraperons jamais les voleurs*! C’est idiot*!
- Attends un peu que ma mixture fasse effet…

Un instant après, ils couraient le long de la rivière, sans ressentir aucune fatigue. Tirigh, tout étonné, chuchotait de temps à autre*: il est fort, mon papa*! Et Eldurvellir riait.

La lune brillait dans un ciel dégagé. Ils coururent toute la nuit. De temps à autre Sylveneige s’arrêtait pour écouter un ululement modulé de Lumi.

- Il surveille, tu comprends, il est tout près des voleurs*!
- Mouais. Admettons. Et après, on leur tombe dessus… S’ils sont proches, je pourrai les neutraliser avec un sort… Mais toi, tu n’as plus d’armes, nous devrons être prudents*!
- Ou les voler à notre tour*!

Eldurvellir lui jeta un regard dubitatif.

- Oh la bonne idée*! Allons*!

Ils reprirent leur course. Le harfang lança un appel discret. Ils le virent revenir vers eux.

- Curieux. On entend encore le pas des chevaux... Ils auraient dû s’arrêter pour la nuit, pourtant…
- Oui, sûrement, regarde*!

Eldurvellir scruta de son mieux dans la direction indiquée par la rôdeuse. Mais ce ne fut que lorsque qu’un petit cheval hennit joyeusement vers lui qu’il comprit.

- Mon Koti*!

Kaori, le cheval de Sylveneige, suivait. Le mage examina les rênes.

- Les rênes ont été rongées… On en sera quittes pour les réparer.
- Lumi*! C’est lui qui les a rongées, à tous les coups.

Eldurvellir tâtonnait son cheval. Il s’attendait à trouver quelque bagage, mais ne trouva rien.

- Que fais-tu*? Les voleurs n’ont pas laissé les besaces sur les chevaux, pour ne pas les fatiguer inutilement.
- Non, mais j’espérais… Nous ne sommes pas au bout de nos peines, même si retrouver les chevaux est rassurant.
- C’est le principal…
- Oui, mais je tiens à retrouver le trousseau de Titi. Les dons de tout un village, c’est important. Et tu as tes armes, plus un argent fou…

Eldurvellir s’interrompit brusquement et tourna la tête vers la rôdeuse.

- Je pense avoir compris… Nous n’avons pas été volés par erreur, si j’ose dire.
- Possible… Sur cette route quasi déserte, ou les voleurs ont une chance folle, ou nous avons été repérés lors de notre halte à Secomber.
- Les chevaux sont fatigués, mais j’ai encore un peu de ma mixture. On va leur en donner.
- Tu es sûr qu’ils ne vont pas être malades*?
- Non, j’ai déjà testé, ça ira.

[Féérune]

La mixture d’Eldurvellir fit merveille. Sûrs d’être près des voleurs, ils firent de légers détours, afin de couvrir à la fois la route et les bosquets à l’entour. Rien. Ce fut l’ululement aigu de Lumi qui les guida vers un arbre précis, que Sylveneige se mit à examiner. A quelques toises de là un cheval alezan dormait, mais ils ne virent nulle trace de leurs sacs.
Elle chuchota*:

- Tiens, regarde… Un des voleurs a grimpé, on dirait… Ces traces-là sont fraîches.
- Bien. Il suffit de secouer l’arbre pour le faire tomber, alors.

Le ton narquois d’Eldurvellir rata son but.

- Tu pourrais*? Je veux dire, avec un sort*?

Le mage faillit se maudire de ne pas y avoir pensé.

- Ce que je peux faire, c’est lancer un objet…
- Hé*! Ça je peux aussi le faire*!
- Un objet assuré de toucher son but et donc de faire tomber le grimpeur.
- On s’améliore. Et je suppose qu’il faut que tu repères, avec tes petits yeux d’humain, le grimpeur en question*?

Eldurvellir soupira. La rôdeuse haussa les épaules.

- Ne te décourage pas… Nous avons un voleur là-haut, qui finira par redescendre. Mais comment être certain qu’il s’agit bien d’un des voleurs*? Et où sont les autres*? Si tant est qu’il y en ait plusieurs, d’ailleurs.
- Lumi ne se trompe pas.
- Ah…

Le mage, suivant un rayon de lune, repéra une branche à la forme étrange.

- Toi qui a un regard d’elfe, si performant, tu ne trouves pas que le renflement de cette branche est bizarre*? Ça doit être notre voleur endormi.

Sylveneige scruta la branche désignée par son compagnon. La branche était épaisse et solide, des objets y étaient arrimés.

- On dirait des sacs… Ce sont certainement nos besaces*! On va voir ça tout de suite…

Elle passa la main derrière son dos. Rien.

- Je tâtais mon carquois… Sans arc ni flèches, comment faire pour faire tomber ces fichus sacs*?
- Grimper n’est pas une option, évidemment…
- Trouve-moi des prises efficaces*!

Le tronc était noueux, mais pas suffisamment pour y monter sans quelques outils. Sylveneige soupira et décida de ne pas tenter l’aventure.

- Lumi*!

L’élégant harfang des neiges bondit sur l’épaule de sa maîtresse qui chuchota à son oreille.

[Féérune]

Eldurvellir avait son petit sourire en coin. Elle va trouver une solution, c’est fûté, une rôdeuse…

- Non, il ne le fera pas. Trop dangereux. Si le sac lui tombait dessus, tu comprends...

Déçu, le mage soupira à son tour et chercha une solution.

- On pourrait attendre notre voleur en bas de l’arbre, tout simplement.
- Et lui tomber dessus sans aucune arme*? Tu plaisantes, j’espère…
- Non… Il y a des branchages, des feuilles à terre. Tout ce qu’il faut pour concocter un piège, en fait.
- On creuse le piège avec les dents, je suppose*?
- On utilise de l’eau et de la terre, pour en faire un terrain bien glissant*!

Sylveneige retint un regard admiratif. Hé là*! Retenons-nous.

- Il tombera, mais après*?
- Après*? Il faudra lui tomber dessus quand lui sera tombé*! Nous aurons l’avantage de la surprise, à deux nous devrions le maîtriser. Ou la maîtriser, si ma petite idée est la bonne.

Ils commencèrent à préparer le piège aussi silencieusement que possible.

[Féérune]

La lune brillait suffisamment pour permettre à Eldurvellir d’y voir assez. Mais pas assez pour éviter de buter contre une des racines de l’arbre, ni d’éviter le buisson de houx dans lequel il plongea bêtement la main en voulant se rattraper. Il réussit à ne pas crier, mais son «*chhhh*» de douleur fut audible*: quelque chose bougea dans l’arbre. Ils se figèrent et écoutèrent avec inquiétude ; rien ne se passa.

Puis Sylveneige tomba.

Eldurvellir s’élança vers elle, mais tomba en glissant sur le piège qu’ils étaient en train de préparer. L’instant d’après une main ferme le soulevait et l’envoyait bouler à quelques pieds de là. Ce fut au tour de Tirigh d’accourir près de son père.

- Mon papa*! Mon papa*!

[Féérune]

Tirigh tomba dans les bras de son père au moment où ce dernier réalisait qu’il avait eu raison*: en face de lui, l’air narquois, se tenait Milany d’Hirpon.
L’amie de Fhiongan le toisait sans déplaisir.

- Est-elle…*?
- Morte*? Non, c’est inutile de la tuer. Immobilisée, et pour un moment. En flèches paralysantes, je prends toujours de la bonne qualité. Indispensable, pour un bon résultat. Pose ton cul, mon gars.

Eldurvellir s’assit, serrant son fils contre lui, prêt à écouter la roublarde. Milany s’installa en face de lui, un sourire presque aussi effrayant que celui de Fhiongan aux lèvres.

- Allez, dis-moi ce que tu fais avec cette nigaude.
- Elle n’a rien d’une nigaude…
- A d’autres*! Tous les elfes sont plus ou moins crétins – à l’exception des mages, à la rigueur. Et de quelques roublards de ma connaissance… Bon, bref, pas tous, mais quand même*! De sacrés nigauds*! Bon, tu réponds*?
- Eh bien… Je lui ai plus ou moins promis de l’accompagner chez ses parents.
- Non*? Vrai de vrai*? Tu vas l’épouser*?

Milany d’Hirpon émit un curieux rire, rappelant le hennissement d’un cheval. Les chevaux, d’ailleurs, lui répondirent.

- Hé je te préviens, les elfes, ça ne vaut rien au lit.

Eldurvellir, se rappelant la blonde et pulpeuse Léanna, eut un petit sourire en coin.

- Ho*! Tu crois ce que tu veux, hein*! Bon, parlons de choses sérieuses.

Le mage se décida à écouter la roublarde.

- T’es un bon gars, Fhinn m’a dit. Il a de l’affection pour toi. Donc j’ai préféré te proposer une bonne affaire.

Elle montra Sylveneige du doigt, puis cracha posément, lançant un jet de salive jaunâtre à deux pieds sur sa gauche.

- La fille a de l’argent. Et pas qu’un peu. Je te propose un cinquième de sa belle bourse si tu m’accompagnes faire quelques recherches au hameau voisin.
- Pourquoi donc*? Je veux dire, pourquoi me faire cette proposition à moi*?
- J’ai besoin d’un mago. Y’a des pièges, dans l’ancienne mine.
- Et tu ne sais pas les neutraliser*?
- Si*! Mais il y a des glyphes, et ça…
- Et tu me paierais combien, au juste*? A part nous rendre nos effets, et l’argent de Tirigh*?
- Ben… La bourse verte, c’est la sienne*?
- Oui.
- Bon… Je te la rends, bien sûr. Mais du coup, tu auras un peu moins de la bourse de ta copine…
- Admettons. Et ça fait combien, l’argent de Sylveneige*?
- Y’avait pas loin de trois mille pièces d’or.

Eldurvellir parvint à ne pas paraître surpris. Si riche que ça*! Eh bien*!

- Ah ! Possible.
- Alors, c’est oui*? On fait affaire*? Réponds vite, il nous faudra filer avant qu’elle reprenne ses esprits.

[Féérune]

Eldurvellir réfléchit à toute vitesse.

- Ou-oui…
- Explicite un peu, mon gars.
- Eh bien… Cet argent ne lui appartient pas… Enfin… Pas en totalité… Une rôdeuse, vous pensez bien*!
- Ah. Cela dit, tu es conscient que je m’en fous comme d’une guigne*?
- Certes… Mais… Le problème est que cet or appartient à un puissant mage d’Evereska, lequel avait mandaté notre rôdeuse pour le récupérer.

Eldurvellir réussit à ne pas rire en prononçant l’expression «*puissant mage*». Le jour où Milien d’Otrante sera réellement un «*puissant mage*», je mange son chapeau*!

- Un mage très dangereux, si ses vues sont contrariées. Ou si son bel argent est volé*!

Un rictus ornementé de dents jaunes accueillit cet avertissement.

- Dis mon bon, tu crois sérieusement me foutre la trouille*?
- Moi*? Certes non. Mais une personne avisée en vaut deux.

Milany d’Hirpon ricana.

- Je dois te remercier de m’avoir avisée, alors. Allons*! En route vers l’ancienne mine, elle n’est pas bien loin.

Elle prit le cheval de Sylveneige par la bride et remonta en selle.

- Va donc, grouille*! On a du boulot.

Eldurvellir fixa la roublarde et répondit posément*:

- Rends-moi mon argent.

Milany fourragea dans sa poche et en sortit la maigre bourse du mage.

- Tu n’iras pas loin, avec ça…
- Titi, va donner ça à tata Neige. Et prends son arc et son carquois, pose-les à côté d’elle.
- C’est ça*! Et pourquoi pas le cheval, pendant qu’on y est*?
- Parce que ça, tu me le refuseras.
- Bien vu. Je ne veux pas te contrarier, elle aura son arc et ses flèches. L’épée, je la garde, c’est une très bonne arme. La marque ici est celle de la Forge Flamboyante, la meilleure de l’île d’Helonna.

Tirigh revint, les larmes aux yeux.

- Tata Neige… Papa*! Il ne faut pas la laisser…
- Ne t’inquiète pas, Titi… Lumi veillera sur elle. Et elle a de la ressource, il ne lui arrivera rien. Je te le promets.

Ils montèrent en selle et repartirent, laissant Sylveneige à son sort.

[Féérune]

Ils chevauchèrent ce qui sembla à Eldurvellir une éternité. Tirigh, au grand désarroi de son père, pleurait silencieusement. Un sentiment de colère grandissait dans le coeur du mage. Il en voulait à Milany d’Hirpon de désespérer le petit garçon.

- C’est là.

La roublarde désignait une espèce d’éboulis rocheux, à l’abri d’un petit bosquet.

- Il faut dégager les pierres. Aide-moi. Ne lambinons pas.

Sans répondre, Eldurvellir descendit de cheval et ils enlevèrent les pierres une à une.

[Féérune]

- Tu vas descendre le premier, gars.

Toutes dents jaunes dehors, Milany d’Hirpon exhala un fumet corsé dans le visage d’Eldurvellir. Il prit la corde qu’elle lui tendait et en plaça le grappin sur ce qui semblait être l’ancien mécanisme de descente de la mine. Il accrocha une torche à l’extrémité de la corde et la descendit lentement*; le flamboiement de la torche laissa entrevoir les parois du puits*: des blocs de pierres gris-noir, envahies de mousse roussâtre. Le puits, circulaire, s’allongeait de manière oblongue. Le fond s’arrondissait, dévoilant la présence d’un tunnel.

- Alors, t’en dis quoi*?
- Pas d’eau.
- Merci, ça je sais déjà. C’est une mine, pas un puits*!
- Il y a un tunnel, l’orifice tend vers l’horizontale… Espérons que ce soit vraiment horizontal, ou en pente douce… Sinon je ne sais pas comment nous arriverons à explorer les lieux sans outils. Il y avait un mécanisme ici, détruit il y a pas mal de temps…
- Vas-y, au lieu de causer. On avisera après, si c’est trop pentu.
- Papa*!
- Doucement le môme*! Il va revenir. D’après Fhinn, il a de la ressource.

Enfin, on l’espère pour lui. Milany ne s’était jamais aventurée plus bas que quelques pieds, après avoir distingué le tunnel. Pentu ou pas, mieux vaut ne pas s’y aventurer seule. La roublarde était parfois téméraire, mais savait quand un danger était patent et inutile à affronter.
Tirigh, angoissé, s’était blotti contre le poney de son père. Eldurvellir lui fit un geste de la main.

- Ne t’inquiète pas, Titi. On a vécu des aventures plus dangereuses*! Je descends juste voir et remonte tout de suite.

Lentement il descendit le long de la corde.

[Féérune]

- Tu l’aimes, hein, ton papa*?

Tirigh regarda la roublarde par en-dessous sans répondre.

- Ho*! Gamin*! j’te cause*! Alors tu réponds. Fissa.
- Vi madame.
- A la bonne heure*!

Milany d’Hirpon soupira. Essayez donc d’être gentille avec les chiards*! Elle sortit un morceau brunâtre de sa poche, le mit dans sa bouche et commença à chiquer.

Eldurvellir, quant à lui, était descendu sans encombre au fond du puits. Comme il s’y attendait, un tunnel poursuivait le fond, descendant en pente assez forte. Il s’assit un instant et se mit à réfléchir.

Dehors, les oiseaux gazouillaient. Milany d’Hirpon en aurait bien dégommé quelques-uns, pour le sport, mais elle avait à peine armé sa fronde qu’un petit garçon en pleurs se précipita pour la désarmer. Furieuse, elle jeta la fronde à terre et alla gueuler un coup au-dessus du puits*:

- Hé, p’tit gars*! Tu te magnes*?

[Féérune]

Eldurvellir remonta, laissant la torche.

- Alors*?
- Alors*? Il y a bien un tunnel, qui descend. Bien pentue, la descente…
- Oui, oui. Bon. Ces glyphes*?
- Désactivées.
- Bien*! c’est pour ça que tu as traîné…
- Oui.
- On peut y aller, alors.
- Eh bien…
- Quoi encore*?
- On peut y aller, mais il y a des pièges plus classiques, que je sais percevoir mais pas désamorcer…
- Pas un problème, là je sais faire.
- Et une pierre circulaire, assez lourde, que je n’ai pas pu déplacer suffisamment…

Eldurvellir reçut un magistral coup de coude dans les côtes.

- Ha*! Ces mages*! z’êtes vraiment pas musclés, hein*?

Le mage se recula juste à temps pour éviter une infernale odeur de tabac à chiquer, suivie d’un jet de salive brun. Milany d’Hirpon cracha posément le reste de sa chique.

- Bien*! Le môme va garder les chevaux, nous, on descend*!
- Après toi.

Galamment Eldurvellir tendit la corde à la roublarde, qui la prit avec une espèce d’avidité. Là-dedans il y a un trésor plus conséquent qu’une bourse de citoyen d’Evereska*! Elle esquissa le geste de descendre, vit la lueur de la torche qui luisait faiblement au fond du puits.

- Hé*! Refais donc une torche, tiens.
- Ça marche.
- Et grouille. Plus vite nous trouverons le trésor, plus tôt nous serons riches*! Surtout moi, mais je te récompenserai plus largement que prévu, tu es un bon gars.

Eldurvellir sourit, et le charmant minois de la roublarde disparut dans les profondeurs du puits. Il se pencha au-dessus du trou béant*: Milany venait juste de lâcher la corde et entamait sa marche dans le tunnel.

Lentement, il tira la corde vers lui.

[Féérune]

Tirigh courut vers son père.

- Papa*! Elle va mourir*!
- Non, penses-tu. C’est une roublarde, elle ne fera rien d’imprudent… Allons retrouver tata Neige.
- Mais papa*! La pauvre*!

Eldurvellir soupira. Ce que c’est qu’avoir un coeur d’artichaut accroché à ses basques*! Il prit l’enfant dans ses bras.

- Nous reviendrons voir si elle est toujours enfermée, ne t’inquiète pas.

Il remit l’enfant sur son cheval et s’approcha de la monture de Milany d’Hirpon. Le cheval renâcla, mais il put prendre la besace de Sylveneige et l’épée de la jeune elfe.

- Allons*! Je laisse le cheval ici, de toute façon j’ai bien l’impression qu’il ne nous suivrait pas de bon gré…

Remontant en selle, Eldurvellir dirigea son petit cheval vers la route, assez heureux de l’issue de leur aventure.

* * * * *

Sylveneige resta longtemps immobilisée. Lumi resta à ses côtés, tentant tout d’abord de la réveiller à légers coups de bec rageurs. Puis il se mit à pousser des cris furieux, qui eurent pour effet de décourager les quelques prédateurs qui traînaient dans le coin. Finalement il se mit à monter la garde.

Au bout d’une bonne demi-heure, la rôdeuse reprit connaissance. Angoissée, elle constata l’impossibilité de bouger. Vais-je mourir ? Lumi recommença à lui donner de petits coups de bec sur le visage.

Enfin Sylveneige réussit à mouvoir ses paupières. Ses yeux, secs d’avoir été figés, s’humidifièrent enfin. Sa bouche bougea doucement et elle put murmurer dans un souffle*:

- Lumi…

Ses muscles picotèrent*; elle put s’étirer lentement et plier ses articulations, testant d’abord ses genoux et ses coudes, puis ses doigts. La position debout la fit trembler et vaciller, mais elle tint bon.

- Lumi*! Enfin*! Mon arc*! Et une bourse, qui n’est pas la mienne… C’est celle d’Eldurvellir*!

Elle regarda à l’entour.

- Où est-il*? Et les chevaux*? Bouse*! Cet idiot m’a laissée tomber et a volé ma bourse et Kaori*!

Réfléchissant, l’elfe parvint à reconstituer ce qui venait de se passer.

- Bon, Lumi, on y va. C’est par là… Nous avons dû nous faire piéger par la personne que nous voulions piéger nous-mêmes…

Avec lenteur au début, puis de plus en plus vite, Sylveneige reprit sa route avec un Lumi soulagé de voir enfin sa maîtresse saine et sauve.

[Féérune]

Le trajet fut perturbé par un son léger et sifflant, dans les ultrasons, qui perturba d’abord Lumi, puis Sylveneige. Le harfang localisa le son et fila droit devant lui, pour revenir vers sa maîtresse en criant.

- Lumi*! Calme*! Je te suis.

L’oiseau repartit de nouveau. Plus loin vers l'est, son cri alerta Tirigh, qui voulut descendre de cheval pour courir.

- Papa*! c’est tata Neige*!
- Oui, probablement. Ne descends pas, tu n’iras pas plus vite que Koti*!

Le cheval se mit à trotter, suivi de Kaori, et l’on finit par se retrouver.

- Enfin*! Dites, si ma compagnie vous gênait tant que ça…
- Allons*! Monte et ne raconte pas n’importe quoi*! Nous avons perdu assez de temps comme ça.

Lumi, lui, restait agacé. Enfin, lorsque Tiamandis se décida à arrêter de lancer des sons suraigus, il se calma lentement*: ses plumes hérissées ne reprirent que péniblement leur aspect lisse habituel.

- Ta pipistrelle sait être insupportable*!
- Oui, hein*?

Eldurvellir souriait*; il donna de petits coups de talon à sa monture et bientôt les chevaux galopèrent, rattrapant le temps perdu.

[Féérune]

Le temps perdu fut vite rattrapé. Longeant la rivière Delimbyir, ils arrivèrent bientôt au hameau de Zelbross, où bien peu d’habitants demeuraient désormais. Une petite auberge quelque peu délabrée s’y trouvait toujours, où ils s’arrêtèrent.

- Je suis si fatiguée…

Sylveneige avait de larges cernes gris sous les yeux et bâillait.

- C’est normal, c’est le contrecoup de la mixture que nous avons prise. Les chevaux commencent à fatiguer aussi…

Ils descendirent de cheval et poussèrent la porte de l’auberge, qui manqua se dégonder. Une tavernière bourrue se précipita, grommelant quelques jurons.

- Cassez-moi ma porte… Fatigués*? J’ai une chambre en rez de chaussée. On paye d’avance*!

Sans mot dire, Sylveneige sortit une bourse, sans même remarquer que c’était celle d’Eldurvellir, et paya.

Ils entrèrent dans la chambre désignée et s’effondrèrent sur le grand lit bordé d’un édredon bleu.

[Féérune]

Eldurvellir se réveilla le premier, un vague souvenir en tête. Chercha à se rendormir pour reprendre le fil de ce qu’il pensait être un rêve, sans pour autant y parvenir. Il décida de se lever pour boire un gobelet d’eau fraîche.

S’approchant de la cuvette placée sur une commode près de la porte, il vit un rai de lumière. Déjà quelqu’un debout*? C’est pourtant si calme… Il ouvrit lentement la porte et vit la serveuse qui s’apprêtait à quitter la salle parfaitement propre.

- Bonsoir… Bonjour, je ne sais pas.
- L’aube n’est pas encore parue, messire. Avez-vous bien dormi*?
- Oui… On peut dire ça… Un de ces rêves idiots, qu’on quitte sans s’en souvenir… J’ai bien essayé de me rendormir pour récupérer le fil de l’histoire, mais rien à faire.
- Rien à faire… Oui, c’est le mot.
- Vous voulez dire que votre travail est fini*?
- Oui*! Il y a très peu de voyageurs ici, tout est fait rapidement… Mais la patronne est sévère et tient à ce que tout soit prêt avant l’aube. Dans une auberge très fréquentée, je comprendrais tout à fait, mais là c’est juste de la fatigue inutile.
- Vous travaillez uniquement la matinée, j’espère*?
- Oui, mais la matinée est une grande matinée*! Elle finit bien après le service du déjeuner*! Après je participe au rangement et à la vaisselle avec la patronne, qui se réserve le service de l’après-midi et du dîner.
- C’est un travail fatigant, aubergiste…
- Oui. Notez que la patronne ne ménage pas sa peine. Mais elle est à son compte, pas moi. Et la paye n’est pas très bonne… Normal, il y a si peu de monde*! Une chance qu’elle n’ait pas engagé une fille de salle pour l’après-midi ou je devrais la partager, cette petite paye*!
- Vous restez ici, cependant…
- Oui. C’est une bonne formation. Une patronne dure, c’est bien pour débuter. Après on ne peut que trouver mieux.
- Des projets*?
- Oui, travailler dans une grande auberge. Déjà, j’aurai des collègues, ce sera plus amusant. Asseyez-vous donc, vous partagerez une infusion de thym avec moi. J’y ajoute du miel de la région, c’est très bon.

La conversation continua et prit un tour plus intime. Eldurvellir apprit que la jeune femme avait l’ambition d’ouvrir sa propre petite auberge, si possible dans une ville lointaine parce qu’elle était désireuse de voir du pays avant de réaliser son rêve. Lui-même parla peu de lui, sauf pour expliquer qu’il n’était pas en couple avec Sylveneige, qu’ils n’étaient que compagnons de voyage.

Une chose en entraînant une autre, ils se trouvèrent rapidement une autre activité que la dégustation de tisane de thym au miel.

[Féérune]

- Je dois redescendre préparer les petits déjeuners*!

Eldurvellir retenait la jeune femme par la taille et l’embrassait.

- Allons*! On dirait que tu n’as pas touché une femme depuis des siècles*! Ou alors la dernière t’a traumatisé…
- Tu ne crois pas si bien dire… Perkele*! *

Le mage lâcha Solanne et s’écria*:

- A ton avis, combien de temps peut-on tenir sans boire ni manger dans un puits asséché*?

La serveuse ouvrit de grands yeux.

- Je ne sais pas… Deux à quatre jours, voire cinq. Tu as abandonné ta dernière conquête dans un puits*?
- Presque… C’est la douce et tendre d’un de mes amis. Elle m’a fait un sale coup, mais ne mérite pas de mourir d’inanition. Bref, je dois aller la sortir de là. Je l’avais complètement oubliée…
- Envoie l’elfe qui t’accompagne*!
- Non, nous irons ensemble après le petit déjeuner. On prendra un panier-repas pour la noble dame. C’est une rusée, d’ici qu’elle nous fasse encore un sale coup…

Ils descendirent enfin, l’une pour aller préparer les repas, l’autre pour tenter de se rallonger discrètement sur le lit de sa chambre.

* : juron du Val Bise

[Féérune]

Heureusement que la porte ne grince pas, songea Eldurvellir. Las*! Tirigh se précipita vers son père, sous le regard d’une Sylveneige bien réveillée – un regard semblait-il ironique.

- Papa*! Mon papa*!
- Ah*! Euh… Vous êtes déjà réveillés…
- Eh oui. Balade matinale, de ton côté*? Très matinale. Voire nocturne, non*?

Le mage eut un léger sourire.

- Eh bien je l’avoue*: balade matinale, oui.
- Et il fait beau*?

Eldurvellir jeta un coup d’oeil rapide à la fenêtre. En vain, les volets de bois étant fermés.

- Oh… Oui, enfin, tôt le matin il fait un peu frais, c’est bien normal.
- Bien sûr.

Sylveneige alla à la fenêtre et ouvrit les volets. Dehors, il pleuvait à verse.

[Féérune]

Eldurvellir leva un sourcil, sourit et prit Tirigh dans ses bras.

- Viens mon Titi, le petit-déjeuner nous attend.

La serveuse venait de préparer un pain aux épices, dont l’arôme embaumait toute la salle.

- Tu bois quoi, le matin*?

Le jeune mage envisagea l’espace d’un instant de conseiller à Solanne de le vouvoyer en public. Ça ne sert à rien, je suis grillé de toutes façons… J’aurai droit à quelques réflexions narquoises de la tata Neige, quelle importance*? Il se contenta de s’asseoir, Tirigh sur ses genoux.

- Une tisane vivifiante quelconque pour moi, un lait de chèvre ou de brebis chaud pour Tirigh. Une bonne cuillère de miel dans les deux, tiens, ce sera parfait.

Sylveneige entra à son tour et s’installa à table.

- Lait de chèvre pour moi, avec du miel aussi. Bonjour, au fait…
- Bonjour, jeune dame. J’ai du pain aux épices, des confitures pour le sucré, jambon maison et fromages de pays pour le salé…

Solanne déposa un plateau d’osier garni sur la table, puis repartit préparer les boissons commandées.

- Elle aussi*a passé une bonne nuit, je suppose…
- Certes. Enfin, je l’espère pour elle.
- Ouais…

Sylveneige commença à se servir. Le repas était toujours un moment de plaisir pour la rôdeuse. Elle sélectionna une superbe tranche de jambon, une large portion du fromage le plus moelleux et ne se coupa pas moins de quatre tranches de pain bien épaisses.

[Féérune]

Eldurvellir toussota, tentant d’attirer son attention. En vain. Il finit par articuler*:

- Youhou*!
- Hein*? Quoi*?
- J’ai une confidence à te faire.
- Ah*? La bonne nuit que tu as passée*?

Le mage soupira. Il décida de ne pas relever les réflexions de Sylveneige concernant son tempérament amoureux.

- J’ai une petite chose à faire, avant que nous repartions vers Evereska.
- Epouser la serveuse*?
- J’ai laissé notre agresseuse en fâcheuse posture.
- Les jambes au-dessus de la tête, sans doute*?

Si Eldurvellir ressentit de l’impatience, il n’en laissa rien paraître.

- C’est notre bonne amie Milany d’Hirpont. J’ai laissé la tendre amie de Fhiongan au fond d’un puits. Sec, hein, c’est juste l’entrée d’une ancienne mine.
- Je pourrai la saigner à blanc*?
- S’il te plaît, attention à Tirigh.

L’enfant était au bord des larmes. Coeur d’artichaut, ce petit, vraiment… Pourquoi m’a t-il choisi comme père adoptif, c’est assez incroyable*!

- Oui, bon, nous irons l’en sortir. Mais j’ai vraiment envie de lui en coller une.
- Je comprends… Mais elle devrait être beaucoup moins agressive, après une bonne nuit de jeûne.

Sylveneige se prit la tête dans les mains.

- Tu n’as pas envie de la laisser là, juste de prévenir les autorités locales*? Eux iront bien la chercher*!
- J’ai envisagé la chose, mais c’est l’amie de Fhiongan. Et Fhiongan est vraiment un ami à moi*! Après, si tu insistes pour lui en coller une, comme tu dis, je veux bien regarder ailleurs…

La rôdeuse finit par acquiescer.

- Je comprends, oui…

Eldurvellir faillit exploser de rire, voyant l’elfe visiblement occupée à chercher quelle vengeance elle pourrait bien exercer. On lit ses pensées sur son visage*!

Ils finirent le petit-déjeuner et se préparèrent pour leur départ.

[Féérune]

- Tu ne crois pas qu’il faudrait l’amadouer, hein*?
- L’amadouer*? Elle nous a volés et nous devons l’amadouer*? C’est plutôt à elle de faire profil bas, non*?

Eldurvellir se contenta de rire et remplit un panier de victuailles, y ajouta deux pichets de bière fraîche.

- Allons-y*! Veux-tu bien payer*? C’est toi qui as ma bourse.
- C’est du gâchis, si tu veux mon avis.

Enfin ils repartirent en direction du puits de mine, qui n’était heureusement pas bien loin.

- Je dirais que nous avons deux options.
- Laisse-moi deviner… Descendre le panier garni et la laisser survivre quelques jours encore dans ce trou, ou ne pas descendre le panier garni et se taper la cloche avec en narguant la bonne dame*?
- Pas tout à fait…
- Je me disais aussi*! On peut lui descendre de la compagnie, par exemple l’exquise serveuse de l’auberge de Zelbross*?

Eldurvellir ne répondit pas et s’approcha du puits.

- Milany*? Ça va*? Je te descends des vivres, ça va te requinquer avant la remontée…

Le mage s’était penché au-dessus du puits. Il sortit la corde de sa besace et y attacha le panier, puis le descendit doucement.

- Milany, ça descend, bientôt ça ira mieux. Ohé*! Milany*? Milany*!

Sylveneige, restée près des chevaux, haussa les épaules. Tirigh, quant à lui, avait entrepris d’apprivoiser le cheval de la roublarde. L’animal renâcla bruyamment, attirant l’attention de la rôdeuse.

L’instant d’après, elle roulait à terre.

[Féérune]

Mais si le court moment pendant lequel le cheval distraya la rôdeuse suffit à l’ennemi pour la neutraliser, il servit également Eldurvellir.

Eldurvellir >> rapetissement >> ennemi

L’ennemi, dont on ne pouvait deviner la nature tant il était gris et empoussiéré, tomba en jurant.

[Féérune]

Sylveneige se releva d’un bond et se jeta sur ce qui semblait être un tas de vêtements poussiéreux. Elle trouva une prise qui lui sembla plus sérieuse et la tint fermement. Eldurvellir courut vers elle.

- C’est un enfant*!
- Non, c’est juste mon sort de rapetissement qu’elle n’a pas vu venir… N’est-ce pas, Milany*?

Le paquet de vêtements émit un grognement furieux.

- Je te conseille de ne pas trop gigoter, le sort est limité dans le temps… On ne voudrait pas risquer de voir ton corps divin emprisonné dans des vêtements redevenus à ta taille*!

Milany d’Hirpont repositionna tant bien que mal son corps rétréci dans ses habits.

- Tu me le paieras*!
- Tu plaisantes, j’espère*? Nous avons été volés et piégés, assez salement d’ailleurs… Mais je propose une trêve.
- Plutôt crever, gars*!
- Ecoute, tu le prends mal, je comprends… Mais tu vas vite retrouver ta taille normale et là, je gage que tu apprécieras ce que nous avons apporté.

[Féérune]

Une paix armée finit par s’installer. Milany d’Hirpont expliqua ce qu’elle avait trouvé*en avançant au fond de la mine : l’oubli. Une glyphe avait dû la repousser, tant et si bien qu’elle avait fini hors du puits, évanouie. Quant à savoir si elle avait été traînée au dehors ou si la glyphe était chargée d’un sort de déplacement, elle était incapable de le savoir.

On décida de repartir à Zelbross pour tenter de savoir si quelqu’un avait des informations sur la mine. Eldurvellir par curiosité, Milany d’Hirpont par cupidité. Sylveneige prétendait de pas s’y intéresser le moins du monde, étant pressée d’arriver à Evereska, mais personne n’y croyait.

Leurs questions ne rencontrèrent que peu de réponses. On apprit que quelques têtes brûlées du hameau avaient bien tenté de pénétrer dans les tunnels de la mine, sans succès. Tous étaient revenus avec des plaies et bosses*; le plus hardi, qui avait tenté d’y entrer trois ou quatre fois, avait failli y laisser sa peau de façon assez ridicule*: les glyphes l’avaient projeté en haut d’un arbre, d’où il n’avait pu descendre sans mal puisqu’un ours l’avait trouvé fort à son goût. Sans l’intervention de son oncle, le forgeron du coin, il ne serait plus de ce monde. La matinée passa ainsi, Milany d’Hirpont ayant à coeur d’interroger tous les habitants.

Devant la mine dépitée de la roublarde, Eldurvellir proposa de retourner à l’auberge, d’où flottait une odeur de volaille rôtie. Ils s’installèrent et commandèrent le plat du jour.

- Bon*! Vous en êtes, bien sûr, de cette aventure*?

Milany d’Hirpont y tenait.

- Eh bien… Non.
- Comment ça, non*?

Un lourd silence s’installa.

[Féérune]

Eldurvellir, quant à lui, réfléchissait. Il n’était pas si pressé d’arriver en Evereska, où il était notoire qu’on ne s’amusait pas tant que ça. Les elfes y sont férus d’art et de beauté, certes, mais pour les beuveries et les coups d’un soir… Ce n’est pas vraiment leur truc. Fhiongan a bien fait d’aller directement à la Porte de Baldur, tiens*! Il pensa bien persuader Sylveneige d’aller visiter cette fichue mine, mais ce serait probablement difficile, tant sa rancune semblait tenace. On attend mon avis… Une idée…

- Eh bien… C’est à dire… Tu comprends, Sylveneige t’en veut un peu.
- Un peu*! Tu en as de bonnes*! Notre vie, pour la noble dame, ne vaut pas tripette et ça ne te choque pas plus que ça*!
- Oh… Je comprends… Et tu as envie de retrouver ta famille… Et l’aventure, ma foi, ça n’a qu’un temps…

Sylveneige fronça dangereusement le sourcil. Puis deux sourcils.

- «*L’aventure, ma foi, ça n’a qu’un temps...*» Ça veut dire quoi, ça*?

Les narines de la rôdeuse enflèrent légèrement. Son nez se plissa. Ah, un peu de colère, ça ne lui fera pas de mal, tiens…

- Eh bien, je suppose que l’attrait d’un foyer confortable est plus important que celui d’une balade dans cette vieille mine… D’autant plus qu’il peut y avoir du danger…

Sylveneige fixa le mage, doutant soudain de sa bonne foi. Mais le visage d’Eldurvellir restait impassible. Enfin, presque. On lisait une vague mélancolie dans ses yeux. Finalement elle grommela entre ses dents*:

- Je n’ai peur de rien. Et j’espère bien que personne ici n’en doute*!

Elle jeta un regard noir à Milany d’Hirpon, dont le visage restait de marbre.

- Très bien. Demain, jour de l’aventure de la mine*! Topez là*!
- Plat du jour pour ces sires et dames*! Chaud devant*!

Solanne déposa le plat fumant sur la table.

[Féérune]

- Pouqua on attend demain*?

Eldurvellir dut aspirer l’intérieur de ses joues pour ne pas rire.

- Je dis ça tout le temps, on traîne toujours trop*! Comme s’il fallait préparer une aventure pendant des heures*! Quand le p’tit mago – te vexe pas, gars, Fhinn t’appelle comme ça, c’est affectueux – bref, quand tu auras bidouillé ces foutues glyphes…
- Ouais. Sauf que regarde dehors, tu m’en diras des nouvelles.

Milany d’Hirpont se leva et tira le rideau léger qui masquait la fenêtre la plus proche. Une pluie dense et fine tombait avec entêtement. On entendit au loin le grondement de l’orage. La roublarde poussa un long soupir.

- C’est la pluie qui vous fout la trouille*? Eh ben, il ne vous en faut guè…

Un éclair zébra l’air, éclairant la salle d’une lumière intense. Un énorme craquement se fit entendre et des gens se mirent à crier.

- Je vais voir*!

Sylveneige sauta sur ses pieds et courut au dehors. Une minute plus tard elle rentra, dégoulinante.

- Hé*! Restez là*! Vous allez me saloper toute la salle*! Solanne*! Une serviette de bain, vite*! Laisse ça, je vais servir.
- Attendez, damoiselle, j’arrive.

La serveuse courut dans une arrière-salle et revint avec une immense serviette et des chaussons.

- Tenez. Et je vous conseille de retirer vos chaussures où dame Kher-Marekh va vous tomber dessus de belle façon…

Sylveneige reprit enfin sa place à table.

- Alors*?
- Alors la foudre est tombée sur un grand arbre mort.
- Ça sent le brûlé, en effet.
- Bon*! Et alors, on s’en fout, non*? Ce n’est pas un orage qui va nous arrêter*! On laisse le chiard ici, à la rigueur…
- Non.
- Quoi, non*?
- Non, je ne laisse pas Titi tout seul dans une auberge. Tu y vas si tu veux, mais tu iras sans moi.

Milany faillit en dégainer sa masse d’armes. Quelle bande de feignasses… Faudrait salement les pousser au cul*!
Eldurvellir eut encore une de ses petites idées.

- Ah évidemment, si Sylveneige est d’accord…

La rôdeuse qui claquait des dents, encore mouillée malgré la serviette, fit un geste de dénégation.

- Plutôt crev… Enfin, non merci.

Et ce fut tout. Sauf pour Milany d’Hirpont qui se leva brusquement et se mit à marcher de long en large comme un fauve contrarié.

[Féérune]

L'après-midi avait failli mal finir. Milany d'Hirpont ayant rageusement dégainé son épée, elle s'était retrouvée les quatre fers en l'air, artistement maîtrisée par l'aubergiste qui s'était abattue sur elle de tout son poids.
Le résultat fut pour la roublarde, outre une humeur encore plus détestable, une foulure du poignet et une phénoménale douleur au coccyx. Malgré les potions de soins d'Eldurvellir, une douleur diffuse persistait et Milany dut s'aliter en jurant tous les dieux des panthéons humain, elfique et nain réunis.

On la laissa se reposer. L'aubergiste, contrairement à son naturel, était embêtée et râla toute la soirée. Tirigh pleura, Sylveneige jura - moins puissamment que l'amie de Fhiongan cependant ; seul Eldurvellir conserva une humeur égale. Il consola son fils, rit aux jurons de la rôdeuse et rassura l'aubergiste.

- Dans tout ça, nous sommes un peu retardés. Et ça t'amuse !
- Oh... Ce sont les petits aléas de la vie ! j'espère juste que notre chère amie ne s'est pas cassé quelque chose. Sinon, elle sera bonne pour un repos complet...
- C'est tout ?
- Oui, j'ai tâté son dos, rien n'est déplacé mais c'est très douloureux.
- Quel dommaaaaaage !
- Allez ! ne te fais pas si méchante, ça ne te va pas du tout ! et tu inquiètes Titi.

Tirigh plongea sa tête dans les jambes de son père, qui le prit dans ses bras.

- On n'est pas encore bons pour le dîner... Veux-tu que nous regardions l'itinéraire pour Evereska ?
- Pas tout de suite. Je voudrais voir si mon petit talent n'est pas trop rouillé.

Sylveneige plongea dans son énorme besace et en sortit sa harpe.

[Féérune]

La musique dérida tout le monde. Même l'aubergiste parut plus détendue.

Un jeune Orc entra dans l'auberge, dans le but de s'attabler ; au final il fut si content de l’ambiance qu’il y trouva qu’il décida de prendre une chambre. Et il ajouta même sa voix aux chansons qu'il connaissait.

La soirée se passa agréablement. Eldurvellir venait d’étaler la carte sur la table pour voir l’itinéraire le plus rapide et le plus sûr lorsque Milany d’Hirpont descendit, l’air maussade.

- Ah*! Ça va mieux*?
- Non. J’ai mal. Tu vas me soigner plus efficacement, Eldur, tu seras gentil… Aïe*!

La roublarde s’assit précautionneusement.

- Le boucan m’a réveillée.
- Tu n’aimes pas la musique*?
- Je déteste la musique quand j’ai mal. Et la voix d’un elfe, ça me vrille les tympans*!
- Non mais dites donc, vous*!
- Quoi*? T’as de la chance que je n’ai pas la forme, ou je t’en collerais une…
- Pardon… Il me semble vous connaître…

Le jeune Orc venait de s’approcher de la table où Milany venait de s’asseoir.

- Bon sang de bois… Le petit Vent-Noir ! Tu as bien grandi, garçon*!

Milany d’Hirpont voulut taper affectueusement sur l’épaule du jeune homme, mais la douleur la retint. Elle grimaça.

- Ah mon p’tit gars, j’aurais bien aimé te proposer une belle aventure, mais la grande amie de tes parents est si mal soignée*! Hein, Eldur*?
- Si tu nous présentais, au lieu de pleurer sur ton sort*?
- Mais bien volontiers*! Voici le fils d’Ygarde et Herrand Vent-Noir, de Mélandis…
- Mélandis*? Ma chère ville*! Enchanté, jeune homme*!
- Oui… Enchantée aussi… Je vous remercie pour votre participation aux chansons*! Vous chantez très bien*!
- J’aime la musique… Il y a d’excellents bardes à Mélandis.
- Oui…

Le regard d’Eldurvellir se perdit au loin. La fenêtre montrait toujours un temps pluvieux, mais il lui semblait amener la vision fantomatique de la petite place de la Miette-aux-Corbeaux, là où sa boutique se trouvait.

[Féérune]

La soirée se termina dans une ambiance légèrement mélancolique. Eldurvellir restait pensif, son fils Tirigh était parti jouer avec Lumi dans un coin de la grande salle. Sylveneige discuta encore un peu avec Hilverg Vent-Noir et Milany sur le sujet de la mine, sans grande conviction.

Finalement tout le monde alla se coucher tôt et le silence tomba sur l’auberge malgré la persistance d’une fine pluie qui chantait sur le toit. On aurait pu entendre des pas discrets monter l’escalier, puis descendre après un bref chuchotis, mais rien de plus.

L’aube n’était pas encore là lorsque Solanne descendit s’occuper de la salle. Quelqu’un la rejoignit sur la pointe des pieds.

- Solanne*! s’il te plaît*? Peux-tu préparer quelques victuailles pour la route*? Trois personnes, pour faire large…
- Vous partez si tôt*?
- Oui… Et discrètement. Tiens, tu donneras ce petit mot à notre chère Milany d’Hirpont.
- Donc pas d’aventure avec la dame*? Que c’est triste*!
- Mmmh*? N’est-ce pas*?
- Tu me dirais pourquoi*?
- Parce que je n’ai pas tant de temps à perdre avant de rentrer chez moi. Parce que je me suis engagé à raccompagner Sylveneige chez elle, parce que je ne veux pas perdre davantage de temps… J’ai une vie, chez moi, dans la ville que j’ai choisie et qui m’a adopté, une femme qui m’attend… Ah*! Je ne t’ai pas vexée, j’espère*?
- Mais non, tu penses bien*! Désolée de t’avoir dit non hier soir, mais je ne pouvais guère quitter mon propre fiancé…

Ils rirent tous deux. Solanne mit de l’eau à chauffer et commença à préparer les provisions demandées. Eldurvellir alla à la chambre et entreprit de réveiller la rôdeuse. Il la secoua doucement par l’épaule et chuchota*:

- Hé*! Tata Neige*! On se réveille, hop, c’est l’heure de partir*!
- Hmmm… Hmmm*!
- Chut*! Discrétion*! Habille-toi, range les affaires dans ta besace, je m’occupe de Titi.

En un tournemain tout fut prêt, malgré les protestations de Sylveneige – accueillies d’un «*chut*!*» péremptoire de son compagnon.

- Ah*! Je crois que j’ai compris*!
- Tant mieux. Bon, je te laisse sortir discrètement les chevaux pendant que je paie… Tiens, prend Titi, les chevaux resteront calmes s’il est avec eux…

Eldurvellir mit fort efficacement la rôdeuse flanquée de Tirigh dehors et se tourna vers la serveuse.

- Il reste quelques minutes…

Enfin il sortit, un bon quart d’heure plus tard, un immense sourire sur les lèvres.