[Ambre] Palais royal - terrasse des magnoliers

[Galathée]

La déferlante de Luonto prit Harold par surprise, et en même temps, pas du tout. Il avait bien compris qu’elle avait un tempérament enflammé, mais il n’avait jamais craint les éruptions volcaniques, les tremblements de terre ou les tsunamis. Alors leur version verbale… Encore moins.
Il aurait pu répondre point par point à son accusation, mais ce n’était pas utile. Elle ne le connaissait pas, il ne la connaissait pas, l’opinion qu’elle avait de lui ne lui faisait ni chaud, ni froid.
Mais sur un point, elle avait raison : un jeune homme avait été tué. Qu’elle ne parle pas de la personne à laquelle il pensait n’avait pas grande importance. Sam avait été assassiné par un abruti qui estimait la vie négligeable, ou en tout cas par un de ses chiens. Cela devait suffire à le motiver. Ça, et le foutoir qu’on s’était permis de mettre dans son quotidien.
« Je ne nie pas qu’il faut régler le problème. Je ne vois juste pas pourquoi cela nous incombe quand les trois quarts de notre famille consistent en des êtres surpuissants."

[Vel Cheran]

Sur ces entrefaites, des voix se firent entendre, s'approchant de la terrasse.

"Je n'ai rien à voir là-dedans ! Ces accusations sont absurdes, alors que j'ai moi-même risqué ma vie !"

"Alors admets qu'il pourrait en être de même pour Fiona..."

La dernière personne à s'être exprimée n'était autre que Llewella, qui était arrivée un peu plus tôt en Ambre en compagnie de Harold. Elle déboucha sur la terrasse en compagnie d'une femme aux cheveux blonds taillés en frange, et vêtue d'une robe bleue ornée de dentelles et à l'aspect manifestement très étudié.

"Ah, vous voilà !" lança-t-elle aux trois occupants de l'endroit. "Bon, qui parmi vous prétend avoir été attaqué par mes lévriers afghans ?"

"Flora, je t'en prie, gardons la tête froide", lui répondit Llewella pour tenter de la raisonner.

[Voyageuse]

Eleina sursauta en entendant prononcer le nom de Fiona, et tendit l'oreille, cherchant à comprendre de quoi il retournait. Il était question d'accusation, et cela la ramena à sa vision dans le Palais de Brume... qu'elle espérait de tout cœur ne pas être prémonitoire, mais les événements semblaient plutôt s'orienter vers le contraire.
Observant les nouvelles venues, elle reconnut Llewella -voilà qui allait rassurer Harold qui cherchait son atout-, et comprit que la grande Dame qui l'accompagnait était la propriétaire des lévriers afghans décrits par Harold, et qu'elle était en même temps Flora... ce qui devait être le diminutif de Florimel ?

Voilà qui donnait une toute nouvelle pertinence à la théorie vaguement exposée par Harold, consistant à évoquer que chaque prince ou princesse tente d'assassiner le fils ou la fille de son voisin... du moins en apparence. Des créatures de Corwin avaient attaqué Iarbonel et elle-même. Les créatures de Fiona, qui était l'ambrienne dont elle était la plus proche, auraient attaqué Luonto, fille de Florimel. Et les créatures de cette même Florimel auraient attaqué Harold. Ils apprendraient probablement ensuite que des créatures de Llewella, ou un autre parent très proche de Harold, avaient attaqué un autre enfant d'Ambre, et la boucle se poursuivrait... Certes, il manquait également des créatures de Benedict dans cette boucle. Donc ce n'était probablement pas vraiment une boucle...

Elle ne répondit rien à Flora, se contentant de la saluer d'un léger signe de tête, et attendit la réaction de ses cousins, bien plus concernés en l'occurrence.

[Galathée]

Harold sourit à Llewella, très sincèrement soulagé de la revoir, et en même temps toujours un peu fâché qu'elle l'ait largué en territoire hostile sans la moindre explication. A voir Flora débarquer, tout feu tout flamme, sur leur balcon, manifestement scandalisée, il ne put s'empêcher de jeter un petit coup d'oeil vers Luonto. Ces deux-là étaient taillées dans un bois plutôt similaire, en tout cas, à première vue. Mais il savait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences.
" Je suppose que c'est moi. J'ai été très certainement attaqué par de grands chiens velus aux allures de lévrier. Mais je n'oserais jamais prétendre que c'étaient les vôtres, dame."
Il aurait sans doute dû dire "ma tante", ou quelque chose comme ça, mais il n'arrivait toujours pas à réellement croire qu'il faisait partie de cette famille. Appeler "tante" quelqu'un qu'il n'avait jamais vu... c'était trop difficile.

[Féérune]

Luonto crut voir, du coin de l'oeil, une petite ombre légère et furtive. Arantol ? Elle ressentit un soulagement en voyant sa mère ; enfin, des explications, un avis sûr... Mais quel que soit l'opinion de ma mère, j'irai chercher Delwyn, j'irai chercher l'assassin de Iarbonel, j'irai... La vision du lac Saimaa lui revint ; elle s'assit doucement, et murmura :

- Peu importe... J'irai, si personne de la famille ne le veut, moi j'irai.

Elle voulut toiser Harold, mais sa colère était retombée.

- Personne ne semble aimer l'aventure, dans cette famille ? A part l'inusable Corwin, bien sûr.

[Vel Cheran]

Flora s'arrêta, les mains sur les hanches. La réponse polie et mesurée de Harold était un tel contraste avec sa colère qu'elle ne sut trop où se mettre.

"Bon, j'aime mieux ça", lança-t-elle d'un ton mi-agacé mi-embarrassé. "Mais si quelqu'un s'amuse à essayer de me faire porter le chapeau, il aura affaire à moi !" ajouta-t-elle, reportant sa colère sur l'hypothétique instigateur de la situation.

"Tu dis toi-même avoir été attaquée par des créatures ressemblant à celles que Fiona avait postées en faction autour de la prison de Brand, avant la Guerre de la Marelle. Mais si ces lévriers n'étaient pas les tiens, alors ces créatures n'étaient sans doute pas les siennes non plus..."

"C'est possible", répondit Flora en croisant les bras. "De toute façon, s'en prendre à la famille ne me ressemble pas. Alors que ça me surprendrait moins de sa part."

Llewella leva les yeux au ciel.

[Voyageuse]

Eleina sentit un sourire amusé étirer ses lèvres. Cela ne ressemblait sons doute pas non plus à Fiona, même si elle la connaissait trop mal pour en être certaine. Mais elle s'abstint de tout commentaire. Flora avait une personnalité qui ne lui correspondait guère, trop extrême, trop pleine de préjugés. Comme sa fille peut-être...
Non, décidément, elle ferait bien davantage confiance à sa tante Fiona. Fiona qui, en l'occurrence, lui avait vivement conseillé de rester en arrière... ce qui bien sûr était le meilleur argument pour la pousser à y aller, par simple esprit de contradiction. Mais pas cette fois-ci : elle ne connaissait rien aux ombres, ne maîtrisait pas assez cette magie, ne connaissait ni les lieux ni les personnes impliquées, bref, elle se sentait trop incompétente pour risquer sa vie sur un coup de tête.

Elle se tourna vers Luonto, dont elle avait entendu les dernières paroles, et lui souffla.
" Ah, si, moi j'aime l'aventure... Mais seulement si je maîtrise la situation. Là, je crois qu'on devrait plutôt demander de l'aide à des personnes plus compétentes..."
Et en l'occurrence, ils en avaient deux à proximité, et qui plus est, des personnes que ses cousins connaissaient bien. Quoique... Elle n'était pas certaine que Flora soit si compétente, à la réflexion. Mais peut-être que Llewella l'était ? Harold semblait lui faire confiance.

[Galathée]

Harold était incapable de juger de la bienveillance de Flora, Fiona ou même Llewella vis à vis de la famille dans son ensemble. Il n'avait toujours aucune idée de qui avait été ce Iarbonel — un fils de Benedict, soit, mais on pouvait être un fils de n'importe qui et aussi un psychopathe, un héros ou un imbécile — et donc de qui aurait pu lui en vouloir et pourquoi. D'autant qu'il connaissait à peine les autres membres de la famille, et seulement par ouï-dire. De ce qu'il savait, Llewella n'était réellement proche de personne. Il ne se souvenait pas d'avoir jamais vu un oncle ou une tante à Rebma de toute sa jeunesse.
" Est-ce que... par hasard... vous savez si d'autres cousins ont été victimes d'agression ? Sommes-nous les seuls ?" demanda-t-il, comme Eleina et Luonto semblaient avoir décidé de se taire.

[Vel Cheran]

Llewella haussa les épaules.

"Pas à ma connaissance. Mais je ne surveille pas les faits et gestes de chaque membre de la famille. J'ai croisé Criosa en cherchant Florimel, et je crois qu'elle parlait avec Isibeal de contacter Dominic, mais je n'en sais pas plus. Quant aux autres, on pourrait s'amuser à dresser la liste pour voir si tout le monde va bien."

Elle leva les yeux, l'index sur les lèvres, songeuse.

"Martin va et vient, ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. Aidlinn est probablement dans son Ombre, j'imagine que Vialle et Random ont dû la contacter - c'est leur fille", précisa-t-elle à l'intention de Harold et Eleina. "Je ne vous connais pas d'autres cousins, mais peut-être qu'il y en a encore quelques uns cachés ici ou là. Nos frères ont tendance à ne pas trop prendre de notes."

"Tu oublies Merlin", ajouta Florimel. "Il est venu une fois ou deux en Ambre après la guerre, mais bon, ce que Corwin et lui font en Ygg reste assez mystérieux."

[Féérune]

- Mère... Il faut trouver le meurtrier de Iarbonel... Mais il me semble qu'il est plus urgent d'aller au secours de Delwyn... Les vivants avant les morts !

Luonto retint un geste d'impatience. Tout réexpliquer... Encore et encore !

- Nous étions convenus de joindre Sandie, mais il semble que ce ne soit pas possible par son Atout. Y aller, donc, mais il faudrait que nous soyons sûrs qu'elle puisse réellement nous aider.

La princesse caressa Missou, qui venait aux nouvelles, descendant prudemment le long de sa manche.

- Connaissez-vous Hedulfal ? Ce serait lui qui retiendrait oncle Delwyn, dans une région volcanique.

Se souvenant des hésitations de sa cousine, Luonto ajouta :

- Enfin, "nous" aider... M'aider moi, puisqu'il semble que mes chers cousins ne soient guère motivés. Cela dit, la question de Harold est très pertinente : d'autres que nous ont-ils été agressés ? Quelles informations avez-vous ici au palais ?

[Galathée]

Harold avait craint une avalanche de noms, quand Llewella s'était lancée, et puis... en fait, non. C'était incroyable qu'il y ait si peu de cousins dans cette famille. Avec leur longévité, les Princes auraient eu le temps d'avoir une vingtaine d'enfants chacun. Cela dit, il n'était pas plus avancé : des noms supplémentaires, d'autres gens dont ils ne savaient rien. Le dernier, Merlin, retint une seconde son attention. Il était avec Corwin. Cela pouvait vouloir dire que c'était son fils... mais pas forcément. Les associations ne se tissaient pas toujours de cette manière, il était bien placé pour le savoir.
Mais à sa question initiale, la réponse semblait être négative. Pas d'autres victimes d'agression. Ou du moins, Llewella et Florimel n'en savaient rien.

Il ne releva bien sûr pas les insinuations de Luonto. Il trouvait assez drôle la manière dont elle appelait Sand "Sandie"... Sans doute se connaissaient-elles, ainsi que Delwin. Cela expliquerait pourquoi elle tenait tant à se ruer à l'assaut de la forteresse de ce Heldulfal, avec pour toute armée un oiseau bavard et deux cousins dont elle ne savait rien. Pour avoir affronté plus d'un cataclysme, en y survivant, il savait que la formation d'une équipe était un art difficile. Il ne s'y serait pas tout à fait pris de la même manière...

[Voyageuse]

Eleina écoutait, analysait, s'efforçant de faire rentrer ces nouveaux noms dans les cases d'un arbre généalogique imaginaire. Les cousins ne semblaient pas si nombreux, au final... Mais d'autres étaient certainement dissimulés, comme elle l'avait été elle-même.
La mention de Dominic lui fit hausser un sourcil. Isibeal et Criosa, sans doute deux cousines, cherchaient à le contacter. Or, la reine l'avait justement contacté un peu plus tôt, en leur présence. Au sujet de Martin... qui était le fils de Random.
Bon, tu vois, ça rentre, cette généalogie...
Martin, fils de Random, coincé dans une autre ombre. Que Dominic connaissait.
Dominic, fils de... heu... Gérard. Oui.
Merlin, peut-être fils de Corwin ?
Criosa et Isibeal... parenté à déterminer.
Mais pourquoi tant de monde cherchait-il à contacter Dominic aujourd'hui ? Il y avait là quelque chose à creuser... Pourquoi ses cousines le cherchaient-elles ?
La mention d'Ygg la fit tiquer, également. Ygg, où se trouvait la marelle de Corwin... et, donc, Merlin. Et la forteresse de ce Hedulfal en était proche.

Ses pensées avaient tendance à bouillonner en tout sens, comme d'habitude.

Elle s'obligea à se concentrer sur la dernière idée, et en profita pour apporter quelques précisions aux paroles de sa cousine. Llewella ne devait rien comprendre à cette histoire, lui semblait-il.
" Pour vous expliquer mieux... Plusieurs indices semblent indiquer que notre oncle Delwin pourrait nous aider à comprendre ce qu'il se passe en ce moment, ces attaques, cet assassinat. On a donc cherché à le contacter, mais il est retenu prisonnier par un certain Hedulfal, dans une forteresse à Tharsis, une ombre qui se trouve apparemment dans la sphère d'influence d'Ygg. Il faudrait prévenir sa soeur. Elle saurait certainement comment lui venir en aide. L'une de vous saurait-elle comment la contacter ? Ou lui envoyer un messager, peut-être ?"

[Vel Cheran]

À cette idée, Flora eut un petit rire.

"Cette mégalo ? Bon courage. Elle se prend pour une déesse et se fait vénérer dans sa petite Ombre. Je ne serais pas surprise qu'elle soit persuadée d'avoir créé le monde, et nous avec."

"D'un autre côté," tempéra Llewella, "combien de nos frères et sœurs considèrent les habitants des Ombres comme leurs égaux ? Pas beaucoup, si tu veux mon avis."

Florimel inclina la tête sur le côté.

"C'est juste, un point pour toi. Mais je ne suis pas surprise qu'elle ne réponde pas à un appel d'Atout, surtout si elle pense que ça vient d'Ambre. Son royaume n'est pas vraiment en bons termes avec nous depuis qu'Obéron a répudié sa mère, même si ça remonte à longtemps."

Elle se tourna vers Luonto.

"En tous cas, pour te répondre, je n'ai jamais entendu parler ni de Hedulfal ni de Tharsis."

"Et si c'est dans les environs d'Ygg, ce n'est pas tout près..."

[Féérune]

- Loin... Comme si la distance importe, lorsqu'il s'agit d'un prince d'Ambre !

Luonto réalisa soudain combien ses paroles lancées sans réfléchir pouvaient être mal comprises. Elle se tourna vers Llewella, sans savoir réellement comment adoucir ses paroles.

- Je... Vraiment... Désolée... Llewella... Enfin...
- Tu es plus inspirée, d'habitude !

Elle posa le doigt sur le bec de l'impudent petit oiseau et reprit :

- J'aime Ambre, mais je déteste l'ambiance ambigüe de notre palais. C'est en partie pour cela que je ne rêve que de repartir ! et, bien sûr, la nécessité absolue de ne rien laisser passer en ce qui concerne notre famille. Eleina a résumé l'ensemble des possibilités, ce que nous avons fait...

Elle inspira profondément.

- Bref, je n'ai qu'un mot, un seul : maintenant, que faisons-nous ?

[Galathée]

Ça faisait quatre mots, mais Harold, bien sûr, n’en dit rien.
Il soupira malgré lui. Ni Llewella ni Florimel n’avaient entendu parler de Hedulfal. En fait, il aurait fallu recontacter Fiona pour en savoir davantage. Sur le personnage, ses forces, ses motivations, et cette fameuse forteresse de Tharsis.
Pour le reste, il avait espéré davantage d’engagement de la part de ses tantes. Il avait l’impression qu’elles ne se sentaient pas très concernées, comme si toute cette histoire n’était qu’une broutille sans importance. Un petit cahot sur la route bosselée de la vie ambrienne.
« Est-ce qu’on peut éventuellement trouver Benedict quelque part ? C’est son fils, non, qui a été tué ? » demanda Harold.

[Voyageuse]

Benedict... C'était, parmi tous ses oncles et tantes, celui auquel Eleina s'était le plus intéressée. Mais bien sûr, Fiona ne lui en avait pas dit grand-chose, tout juste assez pour éveiller sa curiosité. Le plus grand des Maitres d'Armes... Elle rêvait de le rencontrer, et surtout de voir de ses propres yeux s'il se battait aussi bien qu'on le disait. Mais il semblait retiré loin d'Ambre, de ce qu'elle en avait compris. Fiona, en tout cas, ne s'était jamais beaucoup étendue sur le sujet.

Elle acquiesça donc vivement à la proposition de Harold, presque trop enthousiaste.
" Oui, je pense que c'est une bonne idée. Il voudra sûrement faire la lumière sur cette histoire, et si Delwin peut nous aider, alors il aidera Delwin. Bon, encore faut-il qu'il aie confiance en nos maigres indices allant en ce sens...".
Des visions, et même un avertissement lâché par une inconnue dans une ombre lointaine... tout ça n'était pas très rationnel ni probant. Il ne se laisserait peut-être pas convaincre par si peu.
" Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux que ce soit l'une de vous qui le contacte ? hasarda-t-elle en se tournant vers Florimel et Llewella. Vu les circonstances, il ne voudra peut-être pas être dérangé par n'importe qui..."

[Vel Cheran]

Llewella balaya d'un revers de main les excuses de Luonto, montrant qu'elles étaient inutiles.

"Nous sommes tous un peu à cran en ce moment, et ton quotidien a été complètement chamboulé, comme ceux d'Eleina et de Harold, si j'ai bien compris. Il n'y a pas d'offense."

"Bénédict est parti en quatrième vitesse en Avalon lorsqu'il a appris le décès de Iarbonel", répondit de son côté Flora à Eleina et Harold. "Le roi Random est allé le rejoindre pour représenter Ambre et tenter de raisonner Bénédict, qui paraît-il semble convaincu de la culpabilité de Corwin. C'est pourtant quelqu'un de raisonnable, mais allez savoir ce que le chagrin pourrait le pousser à commettre..."

Leur discussion fut interrompue par un rugissement.

"Flora ! Llewella ! Ça fait si longtemps !"

L'auteur de cette exclamation débarqua sur la terrasse et embrassa les deux sœurs avec affection et sans la moindre hésitation. Il s'agissait d'un individu grand et recouvert d'une imposante combinaison d'alpiniste recouverte de neige. Sa face rieuse était partiellement masquée par une barbe manifestement peu entretenue.

Llewella l'accueillit avec une certaine gêne, manifestement peu à l'aise avec de telles effusions, tandis que Flora lui rendit son accolade avec un grand sourire.

"Dominic ! Comment vas-tu ?"

[Voyageuse]

L'idée que Bénédict croie fermement en la culpabilité de Corwin, alors que Fiona elle-même disait qu'il y avait là un coup monté, était un peu déstabilisante pour Eleina. Elle le croyait censé et rationnel... mais il avait perdu son fils, bien sûr. Cela expliquait parfaitement qu'il puisse réagir de façon inappropriée, disproportionnée, irrationnelle. Elle songea que si le roi était auprès de lui, alors il fallait sans doute passer par la reine pour l'informer de leurs maigres découvertes. Il n'agirait sans doute pas lui-même, mais peut-être trouverait-il un messager à envoyer à Corilaine ? Sinon, bien sûr, ils pouvaient se charger de porter le message eux-mêmes...

L'arrivée de Dominic la prit au dépourvu. Il était donc venu les rejoindre sitôt parvenu au sommet de son ascension, comme annoncé. Elle admira en connaisseuse la tenue d'alpiniste. Avec sa stature et sa barbe emmêlée, il lui parut immédiatement sympathique. Un peu plus démonstratif qu'on ne l'était généralement dans son ombre d'origine, cependant.
Elle se contenta de le saluer d'un signe de tête et d'un sourire, laissant à ses tantes ou à sa cousine le soin de faire les présentations.

[Féérune]

- Dominic c'est Dominic bonjour Dominic comment vas-tu Dominic je suis content de te voir Dominic si content Dominic

Il fallut que Luonto intervienne avec fermeté : Missou s'était mis à tournoyer autour du nouveau venu dans un déchaînement volant et bruyant. Elle leva la main et l'appela :

- Chut ! viens dire bonjour plus calmement !

Missou se posa immédiatement sur la main de sa maîtresse. Luonto sourit et s'avança vers Dominic.

- Mon cher Domi, je suis contente de te voir. J'ai vu Criosa hier soir...

Elle s'arrêta, inquiète. Voilà que déjà je ne sais pas si je dois parler des visites ou des discussions que j'ai eues... Le palais a une influence si étrange sur ma façon de penser...

[Galathée]

Harold comprenait mieux pourquoi Luonto était si désireuse de courir au secours de Delwin : ces gens étaient sa famille, une véritable famille, celle qu’on étreint et qu’on embrasse, avec laquelle on bavarde, on échange, on se dispute et on rit. Ce n’était pas son cas. Il ne connaissait aucune de ces personnes, et il savait qu’il n’allait pas se découvrir de grands élans envers eux juste parce qu’ils bourgeonnaient sur le même arbre généalogique. Ces choses se construisaient, avec patience et volonté. Il n’était pas sûr qu’il en avait particulièrement envie. Le fait d’avoir une mère froide comme les grands fonds et un père qui ignorait jusqu’à son existence n’aidait pas, mais il n’était pas non plus désireux de se lancer dans une grande analyse. Les choses étaient comme elles étaient.
Il fallait qu’il tire le meilleur parti de l’endroit où il se trouvait, c’est-à-dire dans le palais royal, pour des raisons troubles qui, tant qu’elles ne seraient pas élucidées, l’empêcheraient de vivre. Il y avait moyen de s’impliquer dans tout ça de manière purement raisonnée et sans s’empêtrer dans des considérations sentimentales. Il n’avait pas besoin d’aimer ces gens, ni même d’en être proche, pour travailler avec eux à une résolution qui les satisferait tous.
Il salua donc Dominic d’un geste de tête, qui passa peut-être inaperçu, supposa qu’il avait le physique de ses forces, et apprécia qu’il soit vêtu de manière un peu moins archaïque que tous ceux qu’il avait vus jusque là. Avec un peu de chance, il se montrerait ravi d’aller escalader des volcans dans une ombre lointaine pour venger un cousin et en protéger d’autres.

[Vel Cheran]

Entendant Luonto, Dominic s'avança vers elle et l'embrassa sans ambages.

"Lulu ! Comment vas-tu ? Je vois que Missou est en pleine forme en tous cas ! C'est Criosa qui m'a contacté par Atout, et qui m'a appris que tu étais ici. Ça me fait plaisir."

Il eut un moment d'hésitation, sans se départir de son sourire.

"J'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir utilisé ce surnom qui semble dater d'il y a bien longtemps, mais je garderai toujours un bon souvenir de notre enfance ici."

Dominic se tourna alors vers Eleina et Harold.

"Oh, désolé, je vois que j'ai interrompu une conversation. Je me présente : Dominic, fils de Gérard et d'Isibeal, frère de Criosa, prince d'Ambre et duc d'une quelconque province éloignée dont j'ai oublié le nom. Mais vous pouvez m'appeler Domi et oublier le reste."

[Féérune]

Luonto étreignit chaleureusement Dominic. Enfin quelqu'un de sain, de vivant, qui ne dissimule ni ses sentiments ni sa personne ! la preuve qu'il est quasi parfait, Missou l'aime presque autant que Didie. La pensée de la princesse dériva un instant vers la cuisinière qui officiait au palais d'Ambre depuis si longtemps.

- Quelles nouvelles, cher Domi ? As-tu une idée concernant le drame de notre cher Iarbonel ?

Missou, heureux, se hasarda sur la tête du prince et commença à lui tirer délicatement les cheveux.

[Galathée]

Domi et Lulu. Diable.
Harold resta immobile et en retrait, une attitude qui lui correspondait beaucoup plus que les effusions démonstratives dont il était témoin. Il avait appris, au fil du temps, à endosser un rôle plus extraverti, souvent nécessaire dans les communautés ombriennes si on ne voulait pas se retrouver en marge. Mais les dernières années lui avaient permis d’être lui-même, et il n’avait pas songé à la nécessité de se présenter autrement quand il était arrivé. C’était trop tard pour jouer les histrions. Il pouvait se contenter d’écouter, d’apprendre, et de déterminer une piste d’action. Enfin… Ça, il avait l’impression que c’était le créneau de la cousine Eleina.

[Vel Cheran]

"Pas grand-chose de mon côté, j'en ai peur. J'ai appris le décès de Iarbo il y a quelques jours à peine, j'essayais de faire un peu de grimpette pour me changer les idées au lieu de broyer du noir. Vous en savez sûrement autant que moi, si ce n'est plus."

Il se tourna vers ses deux tantes, semblant se rappeler de quelque chose.

"J'y pense : Vialle vous cherche. Je crois que ça concerne la réception de la délégation begmane, elle aimerait sans doute que vous y soyez présentes. Désolé de vous apporter un message aussi barbant..." ajouta-t-il avec un sourire en coin.

"Évidemment, le palais ne peut pas tourner sans nous", répondit Flora avec un petit rire. "Tu viens, sœurette ?"

Llewella leva les yeux au ciel, avant de lui emboîter le pas, non sans avoir jeté un regard désolé à Harold. Dominic attendit que le bruit de leurs pas se soit estompé avant de se tourner vers Luonto.

"Désolé, je ne voulais pas qu'elles s'inquiètent pour rien..." se justifia-t-il. "Et navré d'insister, mais êtes-vous de la famille ?" ajouta-t-il à l'intention de Harold et d'Eleina.

[Voyageuse]

Eleina sourit.
" Oui, on est cousins. Enfin, si j'ai bien compris..."
Elle hésita. Que devait-elle dire, ou ne pas dire ? Pourquoi donc son père tenait-il à garder son existence secrète ? La reine, pourtant, la connaissait. Elle aurait vraiment dû insister pour savoir ce qu'elle pouvait dire et à qui. Mais après tout, ce n'était peut-être pas si important... Et puis, Dominic avait clamé fièrement son ascendance, lui. Et Luonto aussi. Peut-être qu'entre cousins, le secret n'était pas de mise.
" Je m'appelle Eleina, je suis la fille de Bleys. Mais je n'ai jamais vécu en Ambre, c'est pour cela qu'on ne se connaît pas..."

[Galathée]

Harold n’aurait jamais imaginé se retrouver dans pareille situation, acculé par des étrangers, à devoir révéler des choses qu’il n’avait jamais prononcées à voix haute.
« Harold, dit-il en avançant la main pour serrer celle du nouveau venu. Je suis le fils de Corwin. Il n’est pas au courant, alors j’aimerais autant que vous me laissiez l’honneur de lui annoncer… si ça se met. »
C’était lâché, c’était bizarre, il aurait peut-être dû se sentir soulagé, mais il avait surtout l’impression d’être un imposteur. Conçu un soir, oublié le lendemain, il ne faisait pas vraiment partie de la famille. En plus, vu les circonstances, il avait le sentiment d’avoir le pire géniteur possible. Ah non, il y avait Brand. Brand aurait été bien pire encore.

[Vel Cheran]

Dominic serra la main tendue en hochant la tête.

"La confiance est une denrée rare, de nos jours. Merci pour votre franchise, et soyez les bienvenus en Ambre. Et ne vous inquiétez pas pour ma discrétion : j'ai l'air exubérant et peu subtil au premier abord, mais je crois être moins sot que je n'en ai l'air", ajouta-t-il avec un clin d’œil.

"Maintenant que nous sommes présentés, je vais jouer franc-jeu : je n'ai pas voulu inquiéter les vieux, mais j'ai subi une attaque par des espèces de rapaces il y a quelques jours. J'ai cru comprendre que je ne suis pas le seul à avoir été agressé depuis la mort de Iarbo... nel," compléta-t-il, se rappelant que Harold et Eleina ne connaissaient sans doute pas le défunt et n'étaient donc pas familiers avec ce surnom, "et j'ai passé suffisamment d'années dans mon Ombre pour savoir que ces oiseaux n'avaient rien à faire là."

[Féérune]

Luonto haussa discrètement les épaules en entendant l'improbable surnom donné par Dominic.

- Donc... Toi aussi. Et nous avons tous été agressés par des êtres différents. Se pourrait-il que ce soient les mêmes créatures, dont l'aspect physique se manifeste différemment selon l'Ombre dans laquelle elles se trouvent ?

Une seconde après avoir dit cela, Luonto s'avisa que c'était assez stupide. Et pourquoi pas un monde entier dont toutes les créatures nous attaqueraient ? Vraiment... J'ai lu trop de mauvais livres...

- C'est rien moche, Iarbo, moi je l'appelais Nel, comme ma maîtresse.

Comme à son habitude, Missou ne pouvait pas s'empêcher de mettre son grain de sel. Pensivement il tira un peu plus fort sur un des cheveux de Dominic.

[Voyageuse]

Eleina ouvrit des yeux stupéfaits en entendant l'aveu de Harold. Non seulement il ne connaissait pas son père, mais son père ne connaissait même pas son existence... alors que lui savait. Un bel embrouillamini comme la famille y semblait habituée, en somme. Ce devait être assez inconfortable, et compliqué de devoir s'en ouvrir à des inconnus en qui il n'était pas certain de pouvoir avoir confiance.
Elle lui lança un regard plein de commisération -elle savait très bien ce qu'il en était de ne pas connaître ses parents-, accompagné un sourire d'excuses pour l'avoir peut-être poussé à en dire plus qu'il n'aurait voulu. Mais après tout, c'étaient surtout Dominic et Luonto qui avaient poussé chacun à révéler son pedigree.

Elle reporta son attention sur l'échange entre Dominic et Luonto, et fronça les sourcils en entendant mentionner ces étranges oiseaux.
" Ce pourrait être une explication, reconnut-elle, mais ce serait tout de même étrange que les formes prises soient justement celles qui permettent de faire accuser l'un de nos oncles et tantes. Si on résume, on a des créatures semblant venir de Fiona qui attaquent Luonto, des chiens ressemblant à ceux de Florimel qui attaquent Harold, des créatures apparemment de Corwin qui m'attaquent et attaquent Iarbonel... et donc, ces rapaces doivent sûrement être là pour faire accuser un autre ambrien, peut-être Bleys ou Benedict justement. Bref, l'objectif est clairement de semer la zizanie. Soit il s'agit de bonnes imitations de ces créatures, et on peut effectivement penser à des créatures métamorphes manipulées par quelqu'un; soit ce quelqu'un est capable d'aller les chercher dans leur ombre d'origine. Mais peu importe, finalement. Ce qui compte, c'est de trouver celui qui les manipule... et dans quel but, aussi."

[Galathée]

Pendant quelques secondes, Harold peina à rester dans la conversation, regrettant déjà d'avoir révélé quelque chose qu'il n'avait eu aucune intention de verbaliser, jamais. Mais ses cousins — quoi que ce mot puisse vouloir dire — étaient déjà revenus dans le vif du sujet (ce qui était mieux). Il croisa le regard d'Eleina, aperçut son sourire, et ne comprit pas ce qu'il était censé y lire, sans doute quelque chose de désagréable ou d'embarrassant, aussi tourna-t-il rapidement la tête en se morigénant : ce qui était fait, était fait. Rien ne servait de ressasser, il fallait aller de l'avant.
" Est-ce que Iarbonel est mort dans une une attaque du même acabit que celles qui nous ont frappés ? Qu'il a simplement eu moins de chance ? Parce que, si je comprends bien, on ne peut pas dire que ce semeur de zizanie soit très efficace, sinon... Ou alors nous tuer n'a jamais été son plan et Iarbonel, c'est un accident ?"
Mon dieu, voilà qu'il s'embrouillait. Il faisait mieux de la fermer un moment, de reprendre ses esprits... Mais il avait du mal à croire qu'un fils de Benedict ait pu être tué dans une échauffourée alors que de leur côté, ils en avaient tous réchappé et apparemment en un seul morceau.