[Lieu] La Traversée de la Lorien

[Galathée]

" Ça n'est pas comparable. Dans mon monde, je n'aspire pas l'énergie vitale des gens."
Il eut un sourire.
" Après, je n'ai jamais eu qu'une seule épouse et nous étions faits l'un pour l'autre, c'était mon âme soeur... Quelque chose qui n'a pas d'équivalent dans votre Plan, où les choses sont relatives et incertaines, beaucoup moins... essentielles. Après son décès, j'ai perdu tout intérêt pour les relations... La trahir... C'était un concept tout simplement étranger. Je n'y ai jamais songé. Je n'en ai jamais ressenti le besoin. Quand ce genre de lien est rompu, il emporte avec lui toute une cohorte d'évidences... "
Il haussa les épaules, plus songeur que triste.
" C'est ainsi."

[Voyageuse]

Astrée s'efforçait de comprendre, de son mieux. Elle devait garder à l'esprit qu'il n'était pas humain, et que leur fonctionnement était autre.
" Tu aurais eu la sensation de la trahir si tu avais envisagé une relation avec une autre femme ? Enfin, je comprends bien que tu n'y a pas pensé du tout... mais c'est étrange, pour moi, que tu emploies ce terme de trahison. On pourrait aussi imaginer que tu rencontres une autre âme soeur. Dans ton monde où vous pouvez vivre éternellement, c'est un peu triste de rester éternellement seul.... ou de porter un deuil infini."
D'un autre côté, un humain pouvait porter le deuil tout le reste de sa vie et rester fidèle à un amour qui lui avait été arraché par la mort. Mais tout sa vie, ça n'était pas l'éternité. Un elfe pouvait-il faire de même sur plusieurs siècles ? Sans doute. Elle avait du mal à appréhender l'idée d'un temps infini...
Mais même sans infinitude, quelle que soit la race, il lui semblait nécessaire de savoir reconstruire sa vie. Peut-être que ça ne fonctionnait pas ainsi en Féérie.

[Galathée]

" Disons que... nous ne sommes pas régis par les mêmes lois que vous. Je n'y ai jamais songé et je pense, très honnêtement, que ça ne m'aurait jamais manqué. Notre perception du temps est différente de la vôtre. Des choses qui se sont produites il y a mille ans paraissent dater de la veille, et d'autres, plus récentes, s'estompent en quelques jours. Mais c'est inexplicable. C'est juste un fait. Nous ne vivons pas dans le même monde. Enfin. Je devrais dire que nous ne vivions pas dans le même monde. Aujourd'hui, ici, je sens que mes perceptions s'émoussent. Mais je ne suis ici que depuis très peu de temps, à mon échelle. Il n'est pas impossible que mon essence finisse par se modifier. Je ne suis pas certain d'être encore immortel, et je ne suis sans doute plus immuable."
Il eut un sourire triste.
" C'est cette prise de conscience qui a mené mon ami à mettre fin à sa vie. L'estompement progressif de son essence. Mais c'était un être profondément enflammé, et je suis beaucoup plus tempéré. Je perçois le changement et je m'y résigne. Il en était incapable."

[Voyageuse]

Elle prit sa main entre les siennes, et la serra doucement, pleine de compassion.
" J'espère... que tu te trompes. Non. Je suis sûre que tu te trompes. Ton essence... elle ne peut pas disparaitre. Elle peut s'atténuer, se modifier, sûrement, pour te permettre de t'adapter à ce monde-ci. Tu vas te transformer un peu, juste pour pouvoir vivre ici sans trop de souffrance. En tout cas, c'est ce que font, dans la nature, les espèces qui se trouvent transplantées dans un autre monde que celui d'où elles viennent. Elles se transforment un peu pour survivre. Une partie de toi va peut-être se modifier, superficiellement, mais au fond de toi, tu vas rester... ce que tu es. Un fey, immortel. Et j'espère sincèrement que tu n'auras pas à attendre trop longtemps le moment de rentrer là-bas. Même si je sais bien que l'écoulement du temps est différent... Après, une fois rentré, tu redeviendras totalement toi-même, et il est probable que tout ça s'effacera très vite de ta mémoire."
Elle poussa un soupir, sincèrement désolée de l'épreuve qu'il devait traverser. Elle se souvint que Kaljivahu l'avait encouragée à le faire parler. Elle avait conscience que c'était tout ce qu'elle pouvait faire pour lui : être là pour qu'il puisse parler librement de sa peine, de ses inquiétudes, de son monde. Peut-être, aussi, qu'elle pouvait l'aider à trouver un peu de plaisir dans ce monde étranger, plutôt que de la souffrance et de la frustration... Mais il ne ressentait pas réellement le besoin d'une relation, il l'avait dit. Ou, s'il en ressentait le besoin, c'était un signe de la modification de son essence.

[Galathée]

Il secoua la tête.
" Tu ne dois pas t'inquiéter pour moi, Astrée. Je ne suis pas un grand blessé. Les choses qui se sont produites, je les assume. C'est aussi dans mon essence. Mais je ne vis pas en songeant à des lendemains obscurs ou en m'interrogeant sur la manière dont je me transforme, ou pas. Tu me pousses à y penser, mais ce n'est pas dans ma nature. Je vais de l'avant, chaque jour. Même si je dérive, le temps n'est jamais perdu. Il est toujours... éternel."
Il esquissa une grimace.
" Je ne suis pas sûr que nous puissions vraiment... communiquer sur ce sujet. Nous n'avons pas les mêmes repères."

[Voyageuse]

" Sans doute. Mais je suis capable... d'essayer de te comprendre. Imparfaitement, bien sûr, j'en suis consciente. Je suis humaine, donc imparfaite de nature, c'est tout. Et, forcément, trop curieuse.... donc je m'excuse à l'avance pour toutes les fois où je ne serai pas à la hauteur et où je comprendrai de travers," conclut-elle d'un ton léger.
Elle sourit.
" En fait, tu es très lathandrite, puisque tu vas de l'avant. Tu devrais trouver un équilibre par ici. Et pour l'instant présent, si je peux aider, d'une façon ou d'une autre, à rendre ton exil moins... frustrant, à y trouver un peu de plaisir, alors je suis heureuse de le faire. Même si tu me vampirises mon énergie vitale... il suffit d'un peu de sucre et de repos ensuite. Je finirai bien par me remettre."

[Galathée]

" Puiser dans ton énergie vitale signifie potentiellement raccourcir ta vie, dit Dimitri. Ce n'est pas aussi anodin que tu le penses."
Il avait l'air un peu inquiet de sa légèreté, qui était à l'opposée de son tempérament à lui.
" Pour le reste, les humains sont parfaits pour le Plan qui est le leur. Votre grande variabilité, votre capacité à vous adapter à toutes les situations, la curiosité que tu mentionnes, votre ingéniosité... Vous dominez ce monde, malgré les aptitudes parfois bien supérieures de bien d'autres races. Votre versatilité est enviable... même si elle est principalement le fait de l'espèce entière et non des individus."

[Voyageuse]

Raccourcir sa vie... Astrée n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Mais à la réflexion, elle n'était pas sûre de vouloir s'en inquiéter -mieux valait une vie courte mais intense qu'une vie longue et morne-, et les paroles qui suivirent fournirent une diversion bienvenue.
" Je ne suis pas sûre qu'on domine ce monde... et encore moins que ce soit une bonne chose, fit-elle, retrouvant une certaine gravité. C'est en tout cas mon point de vue de druide. C'est mauvais lorsque ça se fait au détriment des autres races... ce qui est trop souvent le cas, je dois bien l'admettre. Heureusement, sur Hélonna, je sais qu'il y a une vraie volonté de respecter les autres races et de leur laisser l'espace dont elles ont besoin. Du moins, lorsque c'est possible... et qu'il y a une certaine compatibilité de valeurs... Ce qui, en fait, est rudement compliqué. D'ailleurs, quand je titille les druides plus âgés à ce sujet, ils ont un peu de mal, eux aussi, à définir clairement la limite des cohabitations. La voie du druidisme n'est pas toujours très nette..."
Elle secoua la tête et sourit, reprenant d'un ton plus léger.
" Bon, mais comment on en est arrivés à parler de choses aussi compliquées ? Je suis presque sûre que tout est plus simple en Féérie..."

[Galathée]

" En Féérie, les choses sont comme elles sont. On ne se pose pas beaucoup de questions. Ça ne te plairait pas, à moyen terme. Tu n'y aurais aucun pouvoir de changement."
Il eut un sourire.
" Tu détesterais ça même. Sauf, bien sûr, si tu étais de Féérie. Mais alors... tu ne serais pas toi."

[Voyageuse]

" Sans doute. Mais il y a aussi, en Féérie, une multitude de choses à voir et à découvrir, une grande variété de races, et vous avez tout le temps devant vous pour explorer votre monde et connaître toutes ces choses. Ça, pour un humain, c'est quelque chose d'inestimable. Donc j'adorerais Féérie, pour cela. Au moins pendant quelques décennies, voire quelques siècles. Après, je te crois sans peine si tu dis que je m'en lasserais et que pourrais détester... quoique, je m'adapterais. Je ne serais plus celle que je suis ici. L'éternité, ça doit tout changer..."
Elle sourit.
" Mais ça n'arrivera jamais, bien sûr. Et puis, j'ai déjà en ce monde bien des lieux à explorer... et davantage de choses à connaître que ce que je peux humainement appréhender. Donc, tu as raison, j'y suis bien. Et... je pense que tu y trouveras ta place, toi aussi, pour les années que tu as à y vivre. Justement à cause de la grande variété d'humains."

[Galathée]

" Honnêtement, Astrée, tu ne tiendrais pas une veille en Féérie. Vous avez eu de la chance, peut-être parce que vous avez fait une bonne rencontre, mais les humains n'y sont jamais les bienvenus. Enfin, je te l'ai déjà dit, et tu conserveras quand même cette étrange impression enchantée... Il faut croire que tu as un côté extrême, toi aussi, à ne garder que le bon côté des choses."
Il haussa les épaules.
" Je suppose que c'est un bien : tu es encore en vie aujourd'hui. Quelqu'un, quelque part, doit veiller sur toi."

[Voyageuse]

" Ça, je n'y crois pas trop. Je veux dire... La vie m'a appris que je ne dois compter que sur moi-même, et pas sur le secours d'une entité quelconque qui veillerait sur moi. Sinon... sinon, ça voudrait dire que ma famille ne méritait pas l'attention d'une entité bienveillante, puisque eux n'ont pas survécu ? Ça n'aurait pas de sens, ce serait trop injuste."
Elle secoua la tête avec une grimace.
"Après... j'avoue qu'il m'est arrivé de penser le contraire, effectivement. Pas spécialement en Féérie... mais en d'autres circonstances, où j'ai eu beaucoup de chance de m'en sortir vivante, et où ma survie improbable a pu avoir des conséquences heureuses pour d'autres. Alors, je n'imagine pas une seconde que quelqu'un, quelque part, veille sur moi. Mais j'ai peut-être pu être utilisée, à l'occasion, par Mielikki ou d'autres, lorsque cela servait leurs desseins."

[Galathée]

" Je pense que tu ne mesures pas la manière dont certaines entités surnaturelles peuvent intervenir dans ce Plan. Le mien en est plein, et je suis bien placé pour savoir que régulièrement, certains quittent Féérie pour aller dans votre monde. Certains sont bienveillants, d'autres nettement moins, mais la plupart agissent de manière relativement imprévisible. Ils attachent leurs pas à quelqu'un, un temps, puis en changent pour des motifs plus ou moins futiles. C'est ce qu'on pourrait appeler des anges gardiens... ou des esprits malins... que sais-je. Je ne dis pas que chaque être humain, un jour, croise leur route, bien sûr, mais dans des moments d'extrême malchance, ou au contraire, de bénédictions répétées, suspecter qu'un être venu d'ailleurs, de Féérie, de Gisombre, ou d'un Plan divin est à l'oeuvre... Ce n'est pas ridicule. Et parfois c'est salvateur, pour comprendre et s'en libérer. Mais tu as raison de dire qu'il ne faut pas s'appuyer sur ce genre d'espoirs... A moins d'avoir tissé un réel pacte, comme le font certains humains."

[Voyageuse]

" Ça, non... Ce ne serait pas dans mon caractère, ce genre de pacte. Enfin... je crois. Après, je suppose qu'on peut imaginer toutes sortes de circonstances, et pas seulement l'humain avide de pouvoirs qui passe un pacte dans un but purement égoïste..."
Elle sourit.
" Mais s'il y avait le moindre être venu d'ailleurs qui se préoccupe de veiller sur moi, tu l'aurais senti, non ? Tout de même, c'est assez incroyable de penser que tu côtoyais parfois des divinités... Est-ce que tu as pu croiser Mielikki ? ou Lathandre ?"

[Galathée]

" Non. Les dieux humains ne sont pas férus de mon Plan. J'aurais sans doute pu croiser Mielikki, cela dit, mais je ne suis pas un fey porté sur les animaux ou la forêt... J'ai croisé des dieux elfes, des dieux halfelins aussi... mais je ne les ai jamais véritablement côtoyées. Je ne suis qu'un prince fey ordinaire... Les entités supérieures de Féérie les connaissent sans doute davantage."
Il haussa les épaules.
" Il est aussi très possible que j'ai oublié certaines de ces rencontres. Elles ne sont pas critiques pour mon identité."

[Voyageuse]

Astrée ne put s'empêcher de rire.
" Comment pourrait-on oublier une rencontre pareille ? Ça, j'avoue, ça me dépasse !," fit-elle, incrédule, en secouant la tête.
Les feys étaient décidément de drôles de personnages. Dimitri était attachant, elle l'aimait sincèrement... et il était formidable. Mais un peu bizarre parfois.
" Évidemment, quand on vit des millénaires... La mémoire doit sélectionner."

[Galathée]

" Je ne me suis jamais beaucoup posé ces questions... J'ai meilleure mémoire des grands guerriers feys et des dieux elfes portés sur le combat que des autres. Solonor, Corellon... Mais vaguement."
Il leva les mains, penaud.
" Ces choses ne m'intéressent pas, désolé."

[Voyageuse]

" Oh, je dois dire que moi non plus, je n'y connais pas grand-chose en divinités... Mais c'est parce qu'ils sont ailleurs. Cela dit, les grands de ce monde ou la politique ne me passionnent pas non plus, ce qui doit être un peu l'équivalent, pour toi, des divinités et grands personnages de Féérie."
Elle haussa les épaules.
" Je comprends bien que ton domaine, à toi, c'est les combats, les guerres... qui ont l'air bien plus fréquentes là-bas que je l'aurais imaginé. J'ai pu le voir de mes yeux -en l'occurrence, cela ravivait des souvenirs peu agréables et une certaine inquiétude pour Kerun et Martin, qu'elle préféra chasser de son esprit. Mais c'est un domaine dans lequel je n'y connais rien. Je n'aime pas trop ça... et je préfère largement vivre en paix. Par contre, toi, ça te tenterait sûrement d'aller guerroyer contre Mélandis... et ce genre de chose reviendra, tôt ou tard."

[Galathée]

" J'en ai parlé avec Raevan... de la possibilité d'intégrer l'armée régulière, d'y faire carrière... Bien sûr, il y aurait le souci de ma longévité, et il ne pense pas que je parviendrais à cacher mon inhumanité très longtemps. Ce qui ne lui semble pas être un problème : il y d'autres créatures inhumaines dans les rangs luméniens. Lathandre est manifestement relativement... peu regardant sur les origines de ceux qui le servent, tant qu'ils dégagent de la lumière."
Il sourit.
" Je pense que j'y viendrai tôt ou tard, si je reste sur cette île. Et sans doute que s'il y avait une grosse crise, je ne pourrais pas ne pas intervenir. Mais sinon... J'ai tout le temps pour y venir..."

[Voyageuse]

" Oui... On sort juste d'une guerre, je pense qu'on peut compter sur quelques années de paix ! Aucun chef d'état ne se lancerait dans un nouveau conflit sans avoir renfloué ses finances et les rangs de ses armées. Et Hélonna n'est pas une nation guerrière, de toute façon... Mais tu seras une recrue de poids le jour où les conflits reviendront. Et en attendant... bah, je suis sûre que Raevan te trouvera des missions à ta mesure. Simplement, plus discrètes et bien cachées..."
Elle n'avait pas faim, sa baie matinale suffisant à la nourrir, mais elle chercha du regard un serveur : Dimitri, lui, devait être affamé, et il devait être l'heure du repas. Elle mangerait, pour sa part, surtout le dessert.

[Galathée]

Une des serveuses s'approcha. Le menu du soir était constitué de crocodile, comme la veille, mais cette fois-ci rôti aux topinambours. Dimitri laissa Astrée décider de si elle voulait manger ou non, lui-même ayant effectivement grand faim.
" Raevan est intéressé par mes compétences... mais jusqu'à ce que nous discutions, il ne savait pas exactement ce que j'étais. Cela fait plusieurs années qu'il m'avait repéré, de ce que j'ai compris. Je pense qu'il comprendra assez vite que ma place n'est pas à effectuer des petites missions dans les contreforts des Rocheuses. Je suis un meneur d'hommes. Mais tu as raison : cela nous prendra plusieurs années."
Il pinça les lèvres.
" De toute façon, je ne dois pas compter avec lui : je n'ai aucune possibilité de savoir quand Féérie le libérera. Et puis je dois te surveiller : tes intentions au nord m'inquiètent. Le canyon de Kahn'ym n'est pas un endroit fréquentable."

[Voyageuse]

Astrée avait annoncé qu'elle ne mangerait qu'une toute petite portion, qu'elle n'avait pas faim : ne rien manger du tout aurait paru suspect.
Elle approuva les paroles de Dimitri d'un hochement de tête un peu distrait : tant que Kerun n'était pas de retour, Dimitri ne pouvait faire aucun plan d'avenir. Mais sa dernière phrase la laissa quelques instants bouche bée.
Elle se sentit rougir légèrement, sans trop faire la part des choses entre la joie qu'elle ressentait à l'idée qu'il se préoccupe de son sort, et l'impression d'un reproche caché : elle n'était tout de même pas si tête brûlée que ça... Mais le plaisir de le voir inquiet pour elle l'emporta : il était en train de dire, l'air de rien, qu'il voulait bien veiller sur elle encore un peu. Elle n'en espérait pas tant.
" C'est vrai que ça a l'air d'être un endroit fascinant...", fit-elle simplement, d'un ton rêveur, souriant d'un air parfaitement innocent.

[Galathée]

" C'est un endroit mortel. Si tu décides d'y aller, je me contenterai de prier pour ton âme. Un de tes dieux, tu peux choisir."
Au moins, c'était clair.
" Je ne suis personnellement pas suicidaire. Et beaucoup moins enclin que toi à aller voir des endroits juste parce qu'ils existent. Tu n'étais pas censée avoir une sorte de mission ? Ou alors tes ambitions druidiques étaient juste un passe-temps, remisé à la première lubie ?"

[Voyageuse]

Elle s'était attendue à sa réaction -certes, elle l'avait espérée moins virulente- et ne s'en offusqua pas. Elle était toute prête à le rassurer... Mais la dernière phrase la blessa plus que prévu et elle resta un instant silencieuse.
Elle s"obligea à respirer calmement. Elle ne voulait pas d'une scène en public.
" Ce n'est pas parce que je trouve qu'un endroit est fascinant que je vais m'y précipiter tête baissée, fit-elle d'un ton un peu rauque. Faut que tu arrêtes de me considérer comme une écervelée. Même si ma mission de druide, c'est aussi de m'informer sur les équilibres compliqués comme celui qui existe là-bas.... M'informer ne veut pas dire y aller."
Elle secoua la tête, son irritation calmée.
"Oh, et puis zut. Ne t'en fais pas, je ne vais rien faire de stupide. Je voulais juste... te titiller un peu, avoua-t-elle avec un sourire un peu penaud. C'était sûrement idiot de ma part. Et si je devais aller dans un endroit dangereux, de toute façon, je ne voudrais pas te mettre en danger. Surtout pas. D'autant plus que tu as une famille qui t'attend..., fit-elle d'un ton où perçait malgré elle un peu d'amertume. Mais... je suis touchée que tu te préoccupes de ce que je vais faire."

[Galathée]

" Je ne crois pas qu'il y ait d'équilibre en ces lieux. C'est un endroit maudit, qui abrite des créatures maudites. Et je pense que s'il y avait un équilibre à restaurer, cela fait longtemps que les servants de la Lumière qui habitent sur cette île l'auraient fait."
Il croisa les bras.
" C'est curieux que tu ramènes toujours le danger aux autres, comme s'il ne te concernait pas."

[Voyageuse]

" Je..."
Elle haussa les épaules, cherchant ses mots. Pourquoi le danger ne la concernait-il pas ? Au fond, elle connaissait la réponse, même si elle ne l'avait jamais formulée aussi clairement.
" Je n'ai personne qui m'attende nulle part. donc s'il m'arrive quelque chose, ça n'a pas d'importance. Personne ne s'en inquiétera."
Elle raffermit sa voix, qui s'éraillait malgré ses efforts pour résister à l'émotion. Personne ne l'attendait nulle part... c'était un fait, mais c'était douloureux.
" Mais je ne veux pas qu'à cause de moi, des enfants se retrouvent orphelin... ou que quelqu'un perde un proche. La mort, c'est pour ceux qui restent qu'elle est la plus cruelle."

[Galathée]

Dimitri la dévisagea, manifestement stupéfait.
" Je ne comprends pas... Si telle est ton opinion, pourquoi prendre le risque de te lier à qui que ce soit ? La vie humaine n'est pas éternelle, c'est un donné de votre race... Tous, vous apprenez à vivre avec la certitude que tôt ou tard, les choses ont une fin... Pourtant, vous vous liez quand même, c'est que cela en vaut la peine, non ?"

[Voyageuse]

" Ça vaut la peine... parce que la solitude, c'est pire."
Elle soupira.
" Quand j'ai perdu... toute ma famille... J'ai voulu pendant un moment ne plus me lier à personne. Vivre seule, ne plus dépendre de personne, pour ne plus jamais revivre cette souffrance. Et j'ai tenu comme ça un bon moment..."
Elle réussissait à l'évoquer d'un ton calme, presque détaché.
" Mais... on n'est pas faits pour vivre seul ainsi, je crois. La vie est trop vide. Au bout d'un moment, j'ai ressenti à nouveau le besoin... d'être dans les bras de quelqu'un. D'être aimée. Pas... juste un besoin physique. Un besoin d'affection... de compter pour quelqu'un. De tendresse, aussi."
C'était le genre de chose qu'il n'était sans doute pas capable d'offrir, elle en avait douloureusement conscience. Elle essuya furtivement une larme qui perlait à ses paupières.
" C'est... un besoin très fort, qui doit faire partie de notre nature. Une envie d'exister pour quelqu'un. Je ne suis pas sûre que tu puisse comprendre, fit-elle avec une grimace. Après, il y a aussi des humains qui vivent seuls et sont heureux quand même... on est tous différents".

[Galathée]

" Je ne peux pas le comprendre comme tu le vis, mais je peux le comprendre tout de même, dit Dimitri. Ce que je ne comprends pas, c'est d'imaginer que la vie ne vaut la peine d'être vécue qu'au travers les autres, et que parce que ta vie est actuellement solitaire, elle pourrait être mouchée sans que cela ne soit un problème... J'aurais imaginé... que sa fragilité la rendrait précieuse, justement. Quel est l'intérêt d'aller te brûler à un endroit dangereux ? Tu es jeune, tu as des projets... Tout ça m'échappe. Ce sentiment de n'avoir rien à perdre quand, justement, c'est ce qu'on a de plus précieux... "

[Voyageuse]

" Je ne suis pas sûre de le comprendre moi-même... Peut-être est-ce tout simplement que je n'ai pas encore complètement retrouvé le goût de vivre. Je n'ai pas envie de mourir, mais je sais que ma mort n'aurait pas tant d'importance. Enfin, ça dépend des circonstances. Si j'ai une mission qui me tient à coeur, ou si quelqu'un dépend de moi, là je dois absolument vivre, ma vie devient infiniment précieuse. Si ma vie est vide, alors elle m'importe beaucoup moins. Donc je fais des projets, je me fixe des objectifs, pour combler le vide... pour avancer."
C'était l'explication la plus simple qu'elle entrevoyait à son comportement des trois dernières années. Elle n'aimait plus vraiment la vie et il lui fallait retrouver une raison de vivre.
" Quant au danger... Je ne le recherche pas spécialement, je te rassure, même si paradoxalement, quand je suis en danger, je retrouve la volonté de m'accrocher à la vie. Il y a aussi des sorts pires que la mort, que je ne veux pas risquer. Je peux me mettre en danger pour une bonne raison... pour aider quelqu'un... mais pas juste par caprice. Quand il n'y a pas d'enjeu important, je cherche un équilibre entre la curiosité et la prudence. J'ai eu par le passé des phases suicidaires... mais c'est passé."