[Lieu] Les Hauts Plateaux du Sud

[Galathée]

Fabia accueillit la nouvelle avec joie. Mais elle ne posa guère de questions. Elle voulait d'abord rassembler le village et elle proposa à Astrée et Dimitri d'aller se reposer et se changer avant de rejoindre les gens de Slush dans la salle commune, où ils pourraient raconter à tout le monde ce qui s'était produit, autour d'un repas de fête. C'était, après tout, une fantastique nouvelle !

[Voyageuse]

Astrée était épuisée, effet cumulé de la longue marche et des émotions fortes, mais ils ne pouvaient décemment pas refuser l'invitation. Elle prévint simplement qu'ils ne s'éterniseraient pas, ayant besoin de se remettre un peu de leur expédition.
Cependant, la joie de Fabia était contagieuse, et elle glissa son bras autour de la taille de Dimitri pour l'entraîner vers leur pension, oubliant un moment qu'il ne raffolait pas de contact physique. Elle avait eu peur pour lui, mal pour lui, et le soulagement lié à leur succès la mettait dans un état second, un peu euphorique, un peu décalé, comme si tout cela était un rêve étrange. Elle avait juste envie de se blottir contre lui et d'y passer la soirée... Mais ils devaient bien sûr se préparer, se laver, Dimitri devait se changer, elle devait réparer les accrocs de ses vêtements d'un sortilège... et ils devaient affronter les questions et les félicitations. Ce dernier point ne l'enthousiasmait pas, elle aurait préféré y échapper, mais Dimitri avait bien mérité un moment de gloire... Et elle s'arrangerait pour que toute la gloire lui revienne, même sans combat héroïque.

[Galathée]

Mais Dimitri ne l'entendait pas de cette oreille et tandis qu'ils se préparaient, il lui interdit d'enjoliver la situation. Si elle avait l'intention qu'il puisse rester avec elle un moment pendant cette fin d'hiver, il n'avait vraiment pas besoin de se faire remarquer, sans quoi les demandes d'aide afflueraient. De surcroît, cela contrevenait à son accord avec Raevan qui, même s'il était encore loin, finirait par revenir.
Bref, elle était druidesse, pourquoi ne pas ramener les choses à une simple intervention musclée, suivie d'une conversation constructive avec la créature ?
Une fois prêts et reposés — ils avaient eu le temps de siroter une tasse de thé devant l'âtre avant de se mettre en route — ils purent rejoindre la salle commune où les gens de Slush se rassemblaient de temps en temps pour tromper l'hiver. On avait improvisé un semblant de festin et dès qu'Astrée et Dimitri arrivèrent, on leur servit du vin chaud, et on les pressa de questions sur leur victoire inespérée.

[Voyageuse]

C'était une bonne chose qu'il se souvienne de la discrétion dont il était censé faire preuve : elle avait craint un instant qu'il l'oublie, puisqu'il semblait vouloir parler de combat. Or un combat si inégal n'aurait pu qu'attirer l'attention. Mais c'était tout de même lui qui avait fait tout le travail, et il aurait été juste que les remerciements des villageois se portent davantage vers lui -et accessoirement, elle détestait se retrouver au centre de l'attention.
Malgré tout, elle n'avait pas envie de se retrouver à décrire une créature imaginaire, et parler d'un combat au corps à corps l'aurait obligée à le faire.
" On a été bien aidés par le Souffle du Dragon, finit-elle par expliquer. La créature qui avait envahi le secteur était probablement très affaiblie. On n'a pas vu ce que c'était, mais on a bien vu que ses flèches n'avaient plus beaucoup de forces. Il a visé Dimitri, mais sans le blesser trop sérieusement... ou peut-être aussi qu'il ne voulais pas s'attirer trop d'ennuis. Certes, il y avait la bise qui le gênait, et je pouvais la renforcer si besoin pour nous protéger, et j'avais quelques sortilèges... Et Dimitri l'attendait de pied ferme, le défiant de s'approcher, prêt à se battre. Je suis sûre qu'il a pris peur en le voyant si sûr de lui. Moi je pensais que c'était un peu fou de le provoquer comme ça, mais ça a été efficace."
Elle sourit à Dimitri.
" Bref, il n'a pas osé venir au corps à corps, signe qu'il ne devait pas se sentir assez fort pour ça. Et il n'est pas idiot, il savait bien qu'il ne ferait pas le poids face à une intervention vraiment musclée. Donc quand Dimitri lui a annoncé, de sa grosse voix autoritaire, que d'autres hommes armés allait débarquer à plusieurs dans quelques jours s'il ne bougeait pas ses fesses de là... Bah il nous a cru. Il a râlé, évidemment, que c'était son territoire, mais...Ce genre de créature savent reconnaître quand elles ont affaire à trop forte partie. Il savait qu'il ne pourrait pas rester, qu'il n'était pas assez fort, qu'on allait lui reprendre les lieux de force et qu'il risquait de se faire tuer bêtement. On lui a expliqué qu'on était juste venus pour lui donner une chance de filer et de s'en tirer... Et c'est ce qu'il a fait."

[Galathée]

Les villageois accueillirent le récit avec attention et posèrent de multiples questions, auxquelles Astrée fut bien obligée de répondre, s'enferrant dans son mensonge sous le regard amusé de Dimitri qui conserva son rôle taciturne. Mais les gens de Slush, mine de rien, étaient sensibles à leur exploit et à leur fatigue, aussi ne les accablèrent-ils pas trop. Ils se réjouirent, certains se promirent d'aller jusqu'à la mine dès que le temps le permettrait, et ils terminèrent la soirée tranquillement. Sans les pousser, Fabia les interrogea sur leurs intentions. Ils étaient ravis de les accueillir encore entre leurs murs, autant que nécessaire, mais s'ils avaient réellement l'intention de s'installer pour l'hiver, sans doute était-il nécessaire de modifier leurs arrangements... Le Souffle allait encore durer une veille, peut-être plus, difficile de le savoir.

[Voyageuse]

Astrée était bien incapable de répondre. Ils n'en avaient pas discuté avec Dimitri. Mais il semblait décidé à rester auprès d'elle, désormais, au moins pour l'hiver, ce qui était une merveilleuse évolution par rapport à ses discours initiaux où il lui répétait qu'il ne s'était engagé que jusqu'au village de Kalju. Il lui semblait que peu à peu, elle avait réussi à l'apprivoiser... au moins pour un temps. Elle devait garder en tête qu'il ne devait pas se sentir prisonnier et qu'elle devrait respecter sa liberté de partir quand il le voudrait... en espérant qu'il revienne.

" Je ne sais pas vraiment..., répondit-elle finalement. Il faut qu'on reste au moins jusqu'à ce que le temps permette que j'aille dans le village de mon ami Kalju. Mais ensuite... nous n'avons pas décidé où passer l'hiver. Mais il faut bien qu'on demeure quelque part... Donc pourquoi pas ici, si c'était possible bien sûr... Sauf si toi, tu as d'autres projets ? On n'en a pas discuté..."
Elle interrogea Dimitri du regard, un peu inquiète tout de même.

[Galathée]

Dimitri haussa les épaules.
" C'est comme tu veux. Tant que je ne suis pas rappelé à mon devoir, je n'ai pas d'impératif, dit-il. Mais... je ne suis pas sûr que je vais pouvoir m'établir quelque part très longtemps. Ce n'est pas dans ma nature."
Fabia ne voulait pas les presser : ils pouvaient décider en leur temps et heure. Au final, Dimitri et Astrée regagnèrent leur pension et leur lit douillet. Malgré la fatigue, comme pour fêter l'occasion, la nuit fut agitée et ils dormirent tard dans la matinée, l'une par nécessité, l'autre sans doute pour lui faire plaisir. Dehors, c'était à nouveau tempête de neige, mais ça n'avait, au final, pas la moindre importance.

[Voyageuse]

Les réticences de Dimitri demeuraient un peu incompréhensibles à Astrée. Vu sa longévité, quelques années ou décennies n'étaient rien, donc quand il parlait de ne pas s'établir très longtemps, elle était incapable de savoir s'il estimait ce temps en veilles ou en années... et elle ne voulait pas poser la question pour ne surtout pas le crisper sur sa position. Elle considérait qu'il avait avant tout besoin de se sentir libre de partir quand il le voudrait, quand le besoin d'aventure ou d'action l'appellerait... et elle respecterait sa liberté, bien sûr, même si elle espérait peut-être pouvoir l'accompagner parfois, dans certaines circonstances. Evidemment, les missions proposées par Kerun lui seraient sans doute interdites... mais il était permis de rêver, non ?

Plutôt que risquer une discussion potentiellement frustrante, elle préféra profiter de la fin de soirée de façon bien plus agréable - une forme de récompense pour le Preux qui avait mené à bien sa mission, et surtout une manière efficace de décompresser complètement. Et elle fut comblée de le voir présent à son réveil, contrairement à son habitude. Bien sûr, il neigeait et ils étaient aussi bien au chaud sous les couvertures... mais elle vint se blottir avec délices contre lui, avec un soupir de bien-être.
" C'est bon de t'avoir avec moi... je crois que je vais savourer chaque minute de cet hiver !"

[Galathée]

Ils repartirent au final une douzaine de jours plus tard, après deux jours d'accalmie qui semblaient signaler la fin du Souffle. Leurs amis de Slush les chargèrent en provisions pour la fin de leur périple, et ils repartirent dans la plaine avec une carte précise. Il neigeait un peu, le vent était capricieux, mais le blizzard avait regagné le haut de la montagne et les promesses d'un temps plus doux paraissaient sur le point de se réaliser. Ils laissèrent Biquet à Slush, mais ils rencontrèrent enfin un peu de faune sauvage. Des oiseaux, des antilopes, parfois un loup solitaire ou un renard curieux, qui les observait à bonne distance sans jamais s'approcher.
Il leur fallut trois jours pour rallier Kahn'oran, le village d'où venait probablement Kalju, si la mémoire d'Astrée était exacte. Ils trouvèrent la piste qui y menait dans la plaine, s'engagèrent dans les collines, et grimpèrent une demi-journée avant d'y parvenir. Ils y étaient attendus, sans doute repérés par des sentinelles au cours de leur progression.
" Halte là, voyageurs ! s'exclama une grande femme en robe de peaux, manifestement prête à en découdre. Qu'est-ce qui vous amène à Kahn'oran ?"
Une douzaine d'autres villageois, pas beaucoup plus engageants, la jouxtaient.

[Voyageuse]

Astrée songea que l'accueil laissait à désirer. Elle ne s'était pas attendue à grand-chose, n'y avait pas réfléchi, ayant déjà du mal à imaginer comment leur annoncer la nouvelle. Si la route n'avait pas été aussi longue, elle aurait même envisagé d'y aller seule, pour affronter sa culpabilité sans la présence de Dimitri. Mais au vu des villageois agressifs, elle se félicitait de sa présence.
A moins que ce ne soit au contraire sa présence qui les inquiète ?
" Et bien... C'est un peu compliqué à expliquer..."
Elle chercha ses mots.
" J'avais un compagnon de route à la fin de l'été dernier... je crois qu'il venait d'ici. Il s'appelait Kalju, et il avait un yack... Et il cherchait l'origine d'une faille. Est-ce que ça vous dit quelque chose ?"

[Galathée]

La femme la dévisagea avec incrédulité.
" Bien sûr que ça me dit quelque chose. Vous croyez que je ne connais pas les membres de mon village ?"
Dimitri ne paraissait pas plus inquiet que cela. Sans doute trouvait-il normal que des gens vivant dans un endroit reculé s'inquiètent du débarquement d'étrangers.

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
" Ben... Je n'étais pas sûre que ce soit son village, en fait. C'est pour ça que je pose la question..."
Elle soupira, cherchant à nouveau comment aborder le sujet.
" Je venais juste... donner des nouvelles. Mais... Peut-être qu'on pourrait en parler ailleurs qu'en plein vent ? "

[Galathée]

" Il s'est fait tuer, c'est ça ? demanda la femme avec une certaine hargne. On lui avait dit de ne pas y aller. Mais il n'a rien voulu entendre. Il était furieux."
Elle secoua la tête.
" Venez. Je suppose qu'il faut qu'on l'entende. Mais déposez vos armes. J'ai vu assez d'aventuriers dans votre genre pour savoir de quoi ils sont capables, une fois qu'on leur ouvre les portes."

[Voyageuse]

" On n'est pas du tout de ce genre-là, protesta Astrée. Mais si ça peut vous rassurer, pas de souci, on vous donne nos armes."
Elle tendit son arc et son carquois. à l'un des villageois, laissa Dimitri faire de même avec son épée -il devait commencer à en avoir l'habitude-, et se tint prête à suivre leurs guides.
Vu l'accueil, elle pressentait que ce serait bref.

[Galathée]

Ils les accompagnèrent dans leur village — rustique, de pierre — jusqu'à une vaste salle, similaire à celle qu'ils avaient vue à Slush et à Cardon. Il y avait un âtre en son centre, des bancs tout autour, et on les invita à s'installer. Une odeur musquée flottait dans l'air, rappelant celle de Kimik. Même si l'accueil était rude, on leur offrit de quoi boire, une sorte de thé un peu salé, pas désagréable mais déstabilisant.
" Bon, dites-nous, alors." dit la femme, une fois assise, toujours flanquée de son groupe.
Ils étaient moins hostiles, mais dégageaient un certain fatalisme. Apparemment, ils ne s'étaient jamais attendus à ce que Kalju revienne.

[Voyageuse]

"Et bien..."
Astrée laissa échapper un soupir et remua un reste de thé dans sa tasse pour se donner une contenance.
"Il est allé au bout de sa mission. Il a trouvé l'origine de la faille. Dans les montagnes. Il y avait des ruines avec une magie ancienne, inconnue, qui s'était réveillée..."
Ne pas mentionner la cité drow, elle se souvenait.
"Il y avait normalement des archéologues qui étudiaient la cité mais on a compris qu'il y avait eu une attaque. Ils avaient disparu. Dimitri ...-elle le désigna d'un signe de tête- a envoyé prévenir les autorités, et a conseillé à Kalju de redescendre mais il ne voulait pas arrêter si près du but. Il est resté. Et j'ai voulu rester pour... pour veiller sur lui..."
Elle s'interrompit un instant pour croiser leurs regards
"Je n'ai pas été à la hauteur. J'ai voulu m'éloigner pour avoir une vue d'ensemble. Quand je suis revenue, il avait disparu, capturé lui aussi par des créatures venant du sous-sol. Les renforts sont arrivés trop tard pour le sauver... Je suis désolée de n'avoir pas su veiller sur lui..."

[Galathée]

" Vous n'avez pas à vous excuser, dit la femme. Il ne vous était rien."
Elle secoua la tête.
" Ça a toujours été un solitaire... Il ne vivait pas vraiment au village. Il était différent, vous voyez. Ce n'était pas de sa faute, c'était sa nature. Il vivait plus haut, dans la montagne, descendait de temps en temps... Cette faille, dont vous parlez... Elle a détruit son atelier. Nous avons essayé de le convaincre de le déplacer, simplement. Cette faille... Elle s'agrandissait mais au final, elle était assez... limitée... Mais il ne voulait rien entendre. Il était furieux. Quelqu'un, quelque part, faisait quelque chose de mal."
Elle haussa les épaules.
" Il y a ceux qui s'adaptent et ceux qui luttent. Ça ne pouvait que mal finir."

[Voyageuse]

Astrée acquiesça, par politesse, mais elle tenait à confirmer le jugement de Kalju.
" Il considérait que la faille allait finir par menacer le village, à force de s'agrandir. Cela l'inquiétait beaucoup. Et... étant donné sa nature... je pense qu'il devait pouvoir sentir cela mieux que quiconque. Et puis, la faille menaçait également un village elfique, dans la Lorien. Mais l'intervention des autorités a mis fin à cette étrange magie. Ils ont envoyé des clercs, des mages... Ou les deux, je ne sais pas trop... Mais ils ont stabilisé le terrain et le village ne risque plus rien. Donc finalement... je peux me dire que Kalju est allé au bout de ce qu'il s'était fixé, qu'il a mené à bien sa mission."
Elle lâcha un soupir.
" Je ne sais pas s'il avait de la famille... Mais cela me semblait nécessaire de leur dire. C'était quelqu'un de bien."
Bizarre, solitaire, têtu... mais quelqu'un de bien. Et ils ne l'empêcheraient pas de se reprocher de n'avoir pas su veiller sur lui.

[Galathée]

" Non. Il n'avait pas de famille, dit la femme. Il est arrivé au village quand il avait déjà une dizaine d'années... ou en tout cas, il en avait l'air. Sorti du canyon, c'est ce que disaient les gens. Il a été adopté un peu comme un esprit des lieux.
— Et c'est ce qu'il était en partie, murmura Dimitri.
— Sans doute, oui. Vous dites qu'il a réussi ce qu'il avait entrepris, tant mieux. Je sais que c'était important pour lui. Mais... il a toujours été plus proche des pierres que des gens. Je crois qu'il ne supportait pas qu'elles l'aient trahi. Nous ne pouvions pas comprendre. Nous prierons pour lui. "

[Voyageuse]

" Je vous en remercie. Je pense que là où il est... il a dû rejoindre l'esprit de ses ancêtres de pierre. Et qui sait, peut-être veille-t-il encore sur vos montagnes?"
Elle ne pouvait pas leur expliquer qu'elle avait envoyé ce qu'il restait de son âme vers le plan élémentaire qui lui correspondait. Et elle était bien incapable d'appréhender ce que cela pouvait signifier, concrètement. Dimitri savait, peut-être... et Kaljivahu bien davantage, mais elle n'était pas là pour lui expliquer.

Mais si les villageois pouvaient le considérer, au-delà de la mort, comme une sorte d'esprit protecteur, s'ils pouvaient le porter dans leurs prières, alors ils rendraient hommage à sa mémoire et cela lui semblait une bonne chose.
" C'est un peu bizarre de se dire qu'il est sorti du Canyon, commenta-t-elle, alors qu'il m'a dit une demi-douzaine de fois de ne jamais y mettre les pieds. Vous vivez dans une région bien étrange..."

[Galathée]

" Vous êtes humaine et il ne l'était pas. Il lui était permis des prodiges que nous ne pouvons pas appréhender." dit la femme avec un léger haussement d'épaules.
Elle secoua ensuite la tête.
" Mais il a eu raison de vous mettre en garde : n'allez pas au canyon. C'est un endroit maudit et mortel. Ceux qui y vont n'en reviennent pas, pour la plupart, et les autres reviennent fous ou méconnaissables. Seul un désir de mort anime les déments qui osent s'en approcher."

[Voyageuse]

" Ne vous inquiétez pas, je n'ai pas l'intention de m'approcher du Canyon. J'ai bien compris que c'était trop dangereux. Après... j'avoue que ce phénomène m'intrigue... Mais ma curiosité se limitera à écouter les légendes que je pourrai entendre, pendant mon séjour dans la région, et à essayer d'appréhender le phénomène par ce biais."
Après tout, elle était censée étudier la cohabitation entre races... Mais la cohabitation avec ce genre de phénomène était tout aussi intéressante : la façon de vivre à proximité, la manière dont ils avaient fixé les limites de la zone interdite, s'il y avait des sacrifices ou autres traditions liées aux puissances des lieux. Et puis, il fallait bien occuper le long hiver en attendant d'aller explorer un autre secteur : écouter les histoires au coin du feu était tout à fait adapté. Il lui vint même à l'esprit qu'elle pourrait aussi y envoyer, un jour, un oiseau apprivoisé... Si toutefois un rapace acceptait de survoler les lieux. De très loin, cela était peut-être envisageable. Mais elle n'en était pas certaine....
Elle pourrait toujours essayer : c'était sans danger.
Mais elle en parlerait à Dimitri, bien sûr.

[Galathée]

Astrée et Dimitri se rendirent jusqu’à la maison qu’avait habitée Kalju avant de quitter son village. Comme l’avait dit la femme, elle était à l’écart du village, à moitié adossée aux collines, et complètement en ruine. Une vilaine balafre traversait le paysage à l’endroit où s’était trouvée une annexe, le fameux atelier, et la moitié de la chaumière s’était effondré à l’intérieur. Mais déjà, la végétation indomptable avait déjà recommencé à coloniser les lieux, s’immisçant entre les pierres, dans les fissures, en dépit des gravats et de l’hiver. Tout était jaune et gris en cette saison, mais il n’était pas difficile d’imaginer que feuilles et fleurs surgiraient rapidement au printemps, symbole de vie en ces lieux inhospitaliers.

Dimitri proposa à Astrée d’y rester pour la nuit, comme un hommage, et ils dormirent à quelques pas de la crevasse, sans que le sol ne tremble. Astrée avait raison, Kalju avait réussi.

Au petit matin, ils repartirent vers la plaine. Les gens de Kahn’oran n’étaient pas des plus accueillants et Dimitri avait interdit — INTERDIT — qu’ils aillent en direction du canyon. Pour le reste, nulle trace de Kerun, ils étaient donc libres de profiter de l’hiver à leur guise et, comme Astrée l’avait espéré, le mercenaire ne semblait pas décidé à s’en aller. Pas encore, pas tout de suite. Simplement, en remontant en selle, ce matin-là, sous une fine neige, il lui avait demandé :
« Et maintenant, où nous emmènes-tu ? »
Ce qui, compte tenu du personnage, était peut-être comme une déclaration.