[Quête : Tel est pris qui croyait prendre] Groupe 2 - Astrée

[Voyageuse]

Astrée n'osait pas quitter la pièce. Elle craignait trop de retrouver le jeune garçon plein de haine à son retour. Et elle voulait lui parler seul à seule.

Elle finit par se résoudre à lui poser la main sur son épaule, la serrant doucement, puis un peu plus fort, espérant le réveiller en douceur.

[Taliesin]

Il lui fallut réitérer ses efforts à de nombreuses reprises avant que les paupières du mousse ne se soulèvent enfin. Le regard vitreux, il paraissait ne pas savoir où il était... ni reconnaître la rôdeuse. La mémoire dut cependant finir par lui revenir, car une lueur sourde s'alluma dans son regard, une grimace déforma ses traits... et il pivota vivement, s'enfouissant davantage sous sa couverture, tournant ostensiblement le dos à Astrée.

[Voyageuse]

Astrée soupira intérieurement. Comme il fallait s'y attendre, il n'avait pas changé d'attitude.
Elle approcha doucement de lui, et lui souffla doucement.
- Léo... Il faut que tu me fasses confiance. Je vais nous sortir de là et te ramener à Luménis, et ta vie retrouvera son cours normal.
Enfin, presque. Sans son père...
- Enfin, aussi normal que possible... Et je te promets que je ne te laisserai pas mourir. Tu es sous ma responsabilité, et je compte bien l'assumer jusqu'au bout !
Elle posa doucement sa main sur son épaule.
- Je vais nous chercher à déjeuner, pour commencer. Tu veux quelque chose de particulier ?

[Taliesin]

Le gamin ne daigna pas lui répondre, ni même montrer qu'il avait entendu. Astrée finit donc par gagner la trappe, puis l'échelle menant à l'étage inférieur. La vieille elfe se tenait assise près du feu éteint, apparemment plongée dans de profondes réflexions.
Elle leva les yeux lorsqu'apparut la rôdeuse.
-Bien dormi ?s'enquit-elle. Envie d'un... hum, petit-déjeuner, même si l'heure est bien avancée ?
De la main, elle désigna un plateau chargé de mets divers, de deux bols... et d'une théière.

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête. Un grognement de son estomac lui confirma qu'elle était affamée.
- Va pour un petit déjeuner, ça nous fera du bien.
A moi, en tout cas...
Elle saisit le plateau avec un sourire de remerciement.
- Apparemment, le jeune mousse est toujours aussi mal disposé envers moi. Peut-être que quelque chose dans l'estomac lui fera du bien, mais j'en doute.
Elle soupira, et se dirigea à nouveau vers l'étage supérieur.

[Taliesin]

-Bah, ne vous inquiétez pas trop pour lui : s'il décide de jeûner, laissez-le faire. Viendra un temps où il n'y tiendra plus... Les enfants ont besoin de beaucoup manger, quand ils sont en pleine croissance, et ils ne résistent guère à la faim.
Peut-être. Dans tous les cas, Léo comptait bien essayer. L'odeur du pain frais le laissa apparemment indifférent : il n'esquissa pas le moindre mouvement, ne jeta pas un regard à la jeune femme.

[Voyageuse]

Astrée soupira. Elle ne s'était pas réellement attendue à mieux, mais c'était rageant de le voir ainsi, prêt à se laisser mourir plutot que de faire marche arrière.

- Léo... Je sais que tu as tendance à faire le contraire de ce que je te dis, mais... Il faut que tu vives. Ta mère sera trop malheureuse si elle apprend que tu t'es laissé mourir. Elle ne s'en remettra jamais. Je sais exactement ce qu'elle ressentira...

Elle secoua la tête et poursuivit.
- Il faut que tu joues le jeu. On a une mission à remplir, et le seul moyen de venir à bout de ces mages est de rester en vie. Et pour cela il faut jouer leur jeu. Même si on fait semblant. C'est le seul moyen de savoir ce qu'il y a vraiment derrière tout ça, si vraiment elles combattent les mages. Jouer le jeu, et rester sur ses gardes. Surtout rester en vie. Je sais que tu en es capable. Pense comme ta mère et ton grand-père seront fiers de toi s'ils apprennent que tu as participé au succès de cette mission ! Alors que si tu t'obstines, tout ce que tu vas gagner, c'est rester sous bonne garde pendant qu'on fera tout le travail sans toi. Tu ne pourras en tirer aucune gloire. Mais peut-être est-ce mieux, finalement, que tu restes en-dehors..; je ne sais pas... Tu te prétends un homme, prêt à se battre pour son honneur, mais tu préfères êtremis à l'écart comme un enfant ?

C'était sans doute inutile. Mais elle ne pouvait s'empêcher de tenter, une dernière fois, de le convaincre. Aussi têtue que lui...

[Taliesin]

Le sommeil devait lui avoir rendu quelque forces, et son esprit fougueux s'accommoder difficilement avec le mutisme auquel il se contraignait car, après une longue minute, il finit par se redresser brutalement - tout en prenant soin de rester drapé dans sa couverture : il n'avait toujours rien sur le dos.
-Faudrait savoir ! cracha-t-il, acide. Hier, vous avez fait rien qu'à m'humilier, me traiter en morveux, à essayer de me persuader, par tous les moyens, que j'en étais un ! Et quand vous me disiez de me comporter en homme, c'était pour m'en empêcher tout de suite ! Et aujourd'hui, vous essayez de m'enjôler, e me faire croire qu'on me considérera comme un homme ? Vous avez pas l'impression de dire tout et son contraire ? Vous croyez vraiment que je vais gober ça ? Ah, pas si bête ! Et on pourra m'accuser de tout ce qu'on voudra, moi, mais pas d'avoir joué les girouettes !

[Voyageuse]

Astrée sourit. Il avait réagi... Ce n'était pas si mal.
- Hier, je te rappelle qu'on était pas seuls... Et la vieille elfe était prête à utiliser n'importe quel moyen pour te faire craquer, et j'ai eu peur qu'elle te fasse du mal. je n'avais pas le choix, il fallait que je tente de te faire craquer moi-même, avant qu'elle ne s'en charge par des moyens plus violents...
Elle ne saurait jamais si la vieille aurait réellement mis ses menaces à exécution. Elle en doutait... mais pas au point de prendre le risque.
- Si on avait pu se parler seul à seule, je t'aurai demandé de jouer la comédie... Mais là je n'ai pas eu le choix, je devais faire ce qu'elle attendait, sinon elle se chargeait elle-même de toi.
Elle soupira.
- Je suis désolée de t'avoir humilié. Sincèrement. Je voulais juste... t'éviter pire. Mais je comprends très bien que tu m'en veuilles, que tu me haisses maintenant. Simplement, même si tu me détestes au point de ne plus m'adresser la parole... Il faut que tu vives, que tu tiennes le coup, que tu joues leur jeu pour qu'on réussisse notre mission et qu'on rentre enfin chez nous. Ta mère t'attend... Ne l'abandonne pas...

[Taliesin]

Le gamin eut un reniflement aussi dubitatif que méprisant.
-La seule chose que vous voulez, c'est que je m'humilie de moi même, que je m'aplatisse devant vous et ces furies. Et ensuite, vous ferez de moi ce que vous avez toujours prévu : m'enfermer ici, au mieux. Et oui, on amène pas un enfant au combat, hein... Et même si je fais rien de ce que vous voulez, les choses se passeront pareil. Alors, franchement, je vois pas pourquoi je m'embêterai à vous donner satisfaction. Foutez-moi la paix, ça vaudra mieux.
Il avait tenté de parler avec hargne, mais son ton reflétait surtout la lassitude et la résignation. On le sentait presque aux abois.

[Voyageuse]

Astrée poussa un soupir. Elle s'était trop battue la veille pour espérer réellement un changement. Bien sûr, il semblait lui aussi à bout, résigné... mais elle ne valait guère mieux. Sauf qu'elle était responsable de lui et devait absolument tenir le coup et garder espoir.
- Hier, tu t'es conduit en gosse, en refusant d'admettre certaines évidences avec un entêtement stupide. Donc, effectivement, il y a des chances que les elfes te traitent en enfant. Je ne peux pas y faire grand-chose, je n'ai pas voix au chapitre. C'est leur village, leur combat, leur décision. Evidemment, si tu avais, comme tous nos compagnons, accepté de trouver un compromis, accepté de leur laisser le bénéfice du doute, de leur donner une chance de prouver qu'elles valent aussi bien que des hommes... Si tu t'étais comporté avec maturité, les choses auraient été différentes. Mais voilà... Je ne sais pas si c'est encore possible de changer leur décision, si les elfes accepteront de te laisser combattre pour prouver ta valeur et ton courage, après ton attitude d'hier. Pour l'instant, à leurs yeux, tu es un enfant, c'est certain.

Elle sourit.
- Tu es à la frontière entre enface et âge adulte, et ce n'est pas confortable. Je ne doute pas de ton courage ni de ton sens de l'honneur, et les elfes non plus, mais ça ne suffit pas à faire de toi un adulte. Par contre... cela peut suffire à faire de toi un combattant, je ne connais pas leurs règles. Personnellement, j'aimerais autant te voir en sécurité ici, mais si ce combat est vraiment important pour toi, si tu veux réellement participer à la mission, je ne chercherai pas à t'en empêcher. Mais je te l'ai dit, ça ne dépend pas de moi, et je ne sais pas si tu pourras les convaincre. On peut essayer. Mais d'abord, toi... que veux-tu, vraiment ?
Elle espérait vaguement que les elfes refuseraient. Au moins serait-il en sécurité. S'il participait à la mission, elle se promettait de garder un oeil sur lui.

[Taliesin]

-Pas combattre pour des gens dont les motivations ne sont pas certaines, finit-il par dire. D'abord, si elles servent les mages, ce serait aller à l'encontre de notre mission. Ensuite, parce que la loyauté pourrait me contraindre à continuer de combattre pour elles même si elles ont menti : une parole est une parole, la reprendre serait contraire à l'honneur. Enfin, là, ce serait plus discutable, mais...
Il secoua la tête.
-L'idéal serait que je meures en restant fidèle à ma mission. Mais comme cela, vous me le refuserez... Autant que je m'embêtes pas la vie, hein !
Son regard se fit plus dur.
-Quant à m'être comporté comme un gosse... Je me demande comment on pourrait qualifier votre comportement à vous, hier soir. La fin justifie les moyens, hein ? Pas très Luménien comme attitude... Pas très luménien de torturer quelqu'un con considère comme un enfant et donc irresponsable de ses actes et de son comportement... lâcha-t-il. Mais le cœur n'y était pas vraiment.

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
- Tu ne m'as pas laissé le choix, souviens-toi... Tu as refusé tous mes arguments, et y'avait l'autre qui attendait pour te faire je-ne-sais quoi comme torture. Il fallait bien que je tente quelque chose... Je ne pouvais pas attendre en haut sans rien faire !
Elle sourit.
- Quant à la mission... Figure-toi que je n'ai pas vraiment l'intention d'aider ces femmes à combattre les hommes de leur clan. Je les aiderai à combattre les mages, mais pour le reste il faudra trouver un autre moyen. Parce que rien ne prouve que leurs hommes soient à la solde des mages. Si ça se trouve, les deux camps sont persuadés que l'autre a été entraîné par les mages... Et donc, tu vois, je ne ferai que ce qui est conforme à notre mission. Et je peux même te dire que j'espère bien qu'on arrivera à faire en sorte de capturer ces mages, pas les tuer... mais c'est un autre débat. Et tu as raison, je ne te laisserai pas te faire tuer lors de la mission, alors si ta seule raison pour y participer est de vouloir mourir, tu peux oublier tout de suite....

[Taliesin]

-Je ne vous crois pas. Je ne crois à rien de ce que vous dites concernant la mission et vos intentions, répliqua-t-il avec une fermeté et une conviction que démentait cruellement son attitude tendue, nerveuse. Pour le reste... Et bien, au moins, les choses sont claires, non ? Vous ne m'aurez pas, et je ne changerai donc pas d'attitude. Alors autant arrêter de gaspiller votre salive et vos efforts en vains mensonges et en cajoleries trompeuses : laissez-moi tranquille et allez donc discuter avec votre copine la sorcière...
Puis, se drapant dans sa dignité - et dans sa couverture -, il lui tourna une nouvelle fois le dos.

[Voyageuse]

Astrée soupira mais ne releva pas la dernière phrase.
- Tu ne crois que ce que tu veux croire, que ce qui est conforme à ce que tu penses vrai. Mais jamais tu ne remets en question tes idées préconçues, aussi hasardeuses soient-elles... J'espère que tu apprendras à le faire avant de devenir adulte, sinon, tu feras un bien piètre capitaine. Enfin, si bien sûr c'est toujours ton projet... Mais j'ai confiance en ton grand-père pour t'aider à murir, en tant que conseiller il a dû apprendre la subtilité des comportements humains...
Elle n'ajouta rien. Si le gosse saisissait la perche pour reparler de projets d'avenir, tant mieux. Sinon... elle ne pouvait guère faire plus pour lui.

[Taliesin]

-Vous non plus, vous ne remettez jamais en cause vos idées préconçues... riposta-t-il. Alors, vous êtes mal placée pour me faire des remarques à ce sujet.
Il se laissa aller contre le mur.
-Pour le reste, mon grand-père n'est Conseiller que depuis quelques mois. Avant... Il était capitaine. Depuis des décennies. Et jamais il n'a failli à l'honneur des marins. Tout comme mon père : c'est l'une des conditions pour être un vrai capitaine, et pas d'avoir juste un titre usurpé... Or, comme ce n'est plus mon cas, comme moi j'ai failli, je n'aurais jamais l'audace de briguer une telle position. Ce serait la... la souiller.

[Voyageuse]

Astrée soupira.
- Tu n'as pas failli à l'honneur, Léo. Tu as constamment fait de ton mieux, et on ne peut pas en demander plus. Aucun être humain ne peut exiger d'un autre l'impossible. Et aucune mère ne veut que son enfant meure pour n'avoir pas tenu une promesse, surtout une promesse impossible à tenir. Ta mère ne se pardonnerait pas de t'avoir demandé ce serment, si elle savait dans quel état cela te met...
Elle se tut un instant avant d'ajouter.
- Mais cela mis à part.... Il faudra que tu m'expliques pourquoi un manquement à l'honneur devrait être puni de mort. Pour moi, rien ne justifie jamais la mort d'un homme. Il y a certainement un autre moyen de restaurer ton honneur que tu crois perdu, tu ne crois pas ? Un moyen de regagner l'estime que tu penses ne plus mériter, pour pouvoir à nouveau espérer une brillante carrière...

[Taliesin]

Léo eut un sourire terriblement ironique.
-Quand le parjure ou le manquement à une parole donnée a pour conséquence la mort d'un homme, il est normal qu'un autre homme - le parjure, évidemment - meure également. A moins qu'il n'y ait une forme d'expiation tout aussi importante et radicale... En l'occurrence, a part servir des gens que je soupçonne d'être les alliés de nos ennemis, je ne vois pas une telle possibilité.

[Voyageuse]

Astrée secoua la tête.
- Non. Aucune court de justice, même une cour martiale, ne condamnera à mort un homme pour n'avoir pas réussi à tenir une promesse impossible à tenir. Tu es beaucoup trop dur avec toi-même, Léo.
Elle sourit, comme une idée - un espoir minime - lui traversait l'esprit.
- Ecoute, je te propose une chose : on rentre à Luménis, tu expliques à tes supérieurs hiérarchiques le parjure dont tu te crois coupable, et tu les laisses prononcer une sentence adaptée. Ca me parait la solution la plus juste, non ? On ne peut pas se juger soi-même, car on sera soit trop sévère, soit trop arrangeant. Laisse donc tes pairs te juger, plutôt que de t'infliger une peine excessive. Qu'en penses-tu ?

[Taliesin]

Le mousse secoua la tête.
-Mon serment n'a rien à voir avec mes supérieurs : c'est à ma mère que je l'ai fait, et dans le genre trop peu sévère, allez donc chercher pire qu'une mère. De plus, en m'obligeant à quitter le bateau, alors que tous les autres marins y demeuraient, mon père m'a quasiment exclu de la marine.
Il soupira.
-Enfin bref, tout ça n'y change rien : je doute que nous rentrions jamais et c'est tant mieux, puisque je n'ai pas envie de rentrer. Pour l'heure, je suis votre prisonnier, celui de vos alliées, et absolument pas libre de mes actes ou de mes décisions. Pourquoi s'acharner à palabrer, alors ? C'est juste bon à gaspiller de la salive.

[Voyageuse]

Astrée retint un geste de colère à la mention de ses soi-disant "alliées".
- Tu 'es pas mon prisonnier. On est tous les deux prisonniers de ces elfes, et, effectivement, pas libres de nos actes et décisions, jusqu'à ce qu'elles aient la preuve de notre bonne foi et de nos intentions pacifiques. On est dans le même bateau, je te rappelle, mais tu préfères inventer de toute pièce une trahison plutôt que d'admettre que je me décarcasse pour sauver ta peau !

Elle soupira.
-Quant à ton père, il ne t'a pas exclu de la marine. Il a simplement agi en père plutôt qu'en marin. Et c'est heureux, car cela signifie qu'avant d'être son mousse, tu étais avant tout son fils ! Et qu'il t'aimait ! Non mais tu imagines sérieusement qu'il pouvait te laisser couler avec le navire ? S'il avait fait une telle chose, il ne serait plus digne d'être appelé père, il serait définitivement déshonoré ! Et pas seulement à cause de la promesse qu'il a faite à ta mère de te garder entier. Mais parce qu'aucun père ne laisse son enfant mourir sans rien tenter. Mais après tout, peut-être que tu es trop jeune pour comprendre. Les elfes ont raison, tu n'es qu'un môme, et je me demande pourquoi j'essaie d'avoir une discussion d'adulte avec toi...
Elle ne pensait pas un mot de sa dernière phrase, elle cherchait juste à provoquer une réaction, sans grand espoir.

[Taliesin]

Léo soupira.
-Et après, vous allez me parler d'idées fixes auxquelles je me raccroche en dépit du bon sens. Dans le genre, vous battez des records. Mais je comprends : vous persuader que je suis un gosse, ça vous arrange... Néanmoins, laissez le gosse vous apprendre quelque chose : la premièr leçon qu'on apprend, dans la marine ou dans l'armée, c'est qu'il ne faut pas se laisser guider par ses sentiments ou les liens qu'on peut avoir avec les autres, même s'ils sont de votre famille. Un général doit considérer ses fils, ses frères, ses oncles, ses cousins, peu importe, comme des soldats ou des officiers comme les autres. S'il tente de les protéger, de les favoriser, ça peut avoir de graves conséquences sur sa stratégie et sur ses soldats. C'est pareil pour un capitaine. Ce qui importe, c'est le sort de tous, pas d'un individu en particulier. On doit penser au bien commun, à la mission... Et à rien d'autre. Sous peine d'être indigne de sa charge. Or, comme on ne trouvait pas plus digne que mon père, ça veut dire qu'en me chassant du navire, il m'a effectivement chassé de la marine.
Il eut un sourire mauvais.
-Remarquez, je comprends que ça vous paraisse normal : vu qu'en dépit de tout vous persistez à me considérer comme un petit garçon, vous estimez sans doute que ma place est sur un cheval à bascule, dans ma chambre, et pas sur le pont d'un navire !

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules.
- Non Léo, je sais que tu n'es plus un bébé, et que tu as tout juste l'âge de débuter dans la marine comme mousse, pour te former petit à petit à devenir marin. Un tout petit peu trop jeune, tout de même, estimait la rôdeuse, mais il était inutile de le dire. Mais tu n'es pas encore un adulte. Et puis, si tu avais eu un an ou deux de plus, ça n'aurait rien changé. Tant que tu es trop jeune pour vivre ta propre vie, tu es sous la responsabilité de tes parents et ils veillent à te garder en vie, quoiqu'il arrive. Sans ça, ils se déshonorent en tant que parents. Et en plus, ton père avait promis à ta mère... Il a tenu sa promesse, et c'est bien normal. La tienne était impossible à tenir, nul ne peut te tenir rigueur de n'avoir pas pu sauver ton père. Personne n'aurait pu le faire. A moins de pouvoir commander à l'océan... Tu ne peux pas te reprocher de n'avoir pas réussi cela ! Tu as fait de ton mieux, et tu n'as pas failli.

[Taliesin]

-Sur le bateau, mon père c'était mon capitaine, pas mon père, répondit le garçon. Il devait donc se comporter comme tel, et pas m'éjecter comme si j'étais qu'un ballot de marchandises. Et la promesse qu'il a faite à ma mère, si on voit les choses comme vous les voyez, c'était autant du flan que la mienne : comment il aurait pu me sauver, si un pirate m'avait décapité, si une lame avait envoyé le navire par le fond, d'un coup d'un seul ? Or, mon père fait jamais de fausses promesses : il a dit qu'il me ramènerait entier dans la mesure de ses moyens, dans la mesure de ses moyens de capitaine, c'est à dire... comme il ramènerait en vie tout l'équipage. Pareil pour ma promesse à moi : c'était comme marin que je devais sauver mon père. Comme tout marin doit essayer de sauver son capitaine. Pour le reste...
Il sembla retrouver une ombre de fierté.
-Je suis assez grand pour vivre une vie indépendante. Si vous croyez le contraire, vous vous fourrez le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Je suis plus un gamin, comme je l'ai dit déjà des tas, des tas et des taaaas de fois.

[Voyageuse]

Astrée haussa les épaules. Il était trop têtu pour être raisonné.Et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'essayer.
- Mais tu n'es pas un adulte, Léo. Pas encore. Il te faut encore quelques années... et pour ça il faut que tu vives, si tu veux un jour devenir adulte. Ce jour-là tu souriras de ton attitude d'aujourd'hui. Ou peut-être que tu en auras honte, je ne sais pas. Et si un jour tu as un enfant, tu comprendras... tu comprendras que ton père a toujours été ton père, avant d'être ton capitaine, même s'il te traitait exactement comme les autres. Tu n'avais pas la même place dans ton coeur, et il a fait ce que tout autre père aurait fait. Et si un jour ton fils et toi vous vous trouvez dans la même situation, tu agiras comme lui. Tu le sauveras.

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Alors là... Je me souviendrais de ce que j'ai vécu, moi, et je le laisserai tenir sa place ! Et pour en revenir à vos illusions : désolé, je suis un adulte. Faudrait que vous vous remettiez les yeux en face des trous, un jour. Me manque juste, peut-être, quelques centimètres en hauteur. Quoi qu'y a des adultes de ma taille. Et je parle pas que des nains ou des gnomes !
Il avait réussi, après de remarquables efforts, à mêler à son ton las et résigné une insidieuse once de défi.

[Voyageuse]

Astrée sourit.

- Ca n'a rien à voir avec la taille, effectivement. Mais vas-y, prouve-le moi... Prouve-moi que tu es un adulte ! Parce que là, je regrette, tu n'as pas encore grand-chose d'un homme. Et je te rassure, j'y vois parfaitement clair ! Et d'abord, c'est quoi, pour toi, un adulte ?

[Taliesin]

Le gamin sourit à nouveau.
-Heu, franchement, je pense que vous êtes plus myope qu'une taupe, et que des binocles vous seraient d'un grand secours. Peut-être que les elfes pourraient vous en prêter ? Enfin, doivent pas savoir fabriquer ça... Mais pour ce qui est d'être adulte... Ben, en dehors des aspects concrets de la noble virilité masculine, c'est être capable de prendre des décisions rationnelles, savoir réfléchir posément, se montrer responsable et tenir sa parole.

[Voyageuse]

Astrée éclata de rire.

- Alors, je suis d'accord avec ta définition, mais, désolée... tu ne remplis que la dernière de tes conditions. Pour les autres, tu as besoin de mûrir encore un peu. N'en déplaise à ton égo surdimensionné... Mais ne soit donc pas si pressé de grandir. Tu verras, quand tu auras mon âge, tu auras plutôt envie d'arrêter de vieillir !

[Taliesin]

Il secoua à nouveau la tête et répondit très sérieusement.
-Désolé de vous contredire encore une fois, mais... Je réfléchis posément, et, en analysant posément notre situation, j'en arrive à la conclusion que ces elfes ne sont pas fiables, qu'on ne peut rien savoir de leurs intentions. Ensuite, je prends des décisions rationnelles : comme je doute de la sincérité des elfes, je ne m'allie pas avec elle. Ensuite, je suis responsable : en pensant posément, en prenant une décision rationnelle, comme je viens de le dire, je ne m'allie pas avec les elfes et donc je ne nuis en rien à notre mission, ce qui est on ne peut plus responsable. Et tout ça sans tenir compte de mon manquement à l'honneur, puisque si j'avais confiance en elle, je pourrais me racheter en les aidant.
Il lui lança un regard aigu.
-Et si vous étiez pas d'une mauvaise foi crasse, vous conviendriez qu'il n'y a pas que mon égo qui est surdimensionné .