[Quête : Tel est pris qui croyait prendre] Groupe 2 - Astrée

[Taliesin]

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Léo avait emboîté le pas à Astrée sans prononcer un mot. La vieille elfe, après s'être emparée d'une torche, les mena loin de la demeure qu'occupait la chef du clan. Ils traversèrent le village, en sortirent, s'enfoncèrent dans les ténèbres profondes de la jungle et arrivèrent, moins de cinq minutes plus tard, au pied d'un arbre plus grand encore que tous ceux qui le voisinaient.
Elle leur fit signe de grimper. De fait, des barreaux de bois avaient été installés le long du tronc. L'ascension ne s'en révéla pas moins longue, épuisante, et lorsqu'ils gagnèrent la cabane qui était leur destination, relativement vaste mais totalement invisible au milieu du feuillage, la jeune femme et l'enfant étaient passablement essoufflés. Leur guide, en revanche, ne manifestait pas le moindre signe de fatigue.
Ils pénétrèrent dans une grande pièce qui semblait occuper toute la surface de l'habitation. Ils constatèrent néanmoins, à la lueur dansante de la torche, que d'autres barreaux menaient plus haut encore : il devait donc y avoir des salles supplémentaires. Une terrasse, au moins.
Léo se tenait immobile, les bras croisés. Astrée le sentait tendu, mais sa présence devait le rassurer, car il arborait une mine fière, revêche, décidée. Afficher semblable attitude n'était sans doute pas le plus indiqué... Et la rôdeuse en eut bientôt la confirmation.
-Nous n'avons que vingt-quatre heures... dit la vieille femme. Alors, madame, vous me pardonnerez d'agir sans détours, et de parer au plus urgent.
Elle toisa Léo.
-Et le plus urgent, c'est ce petit monsieur à l'air bien prétentieux. Vous, madame... Nous aurons le temps de parler plus tard.
Elle appesantit son regard sur le jeune mousse, puis fit face à Astrée.
-Le principal problème des mâles est leur fierté. Non pas que la fierté soit mauvaise en soi : il y a beaucoup de bonnes raisons d'être fier. Malheureusement, les mâles le sont pour les mauvaises. On pourrait d'ailleurs parler d'orgueil plutôt qu'autre chose, mais... ne jouons pas sur les mots. Cette fierté mal placée, ils s'y complaisent, s'y vautrent. Et sont intimement persuadés qu'elle est légitimement fondée. Il n'en est rien, évidemment. Toutefois, à cause de cela, ils se croient supérieurs à nous, se croient fondés à nous asservir, à régenter nos vies. Pire : à cause de cela, ils sont incapables de comprendre, d'apprendre.
Elle secoua la tête.
-Si nous voulons que ce jeune homme apprenne quelque chose durant le court délai qui nous est imparti, si nous voulons qu'il change... Il va falloir détruire cette fierté indigne. Pas pour le détruire lui, non : juste pour lui permettre... De se reconstruire autrement, en quelque sorte. D'une façon plus juste, plus vraie. Ce ne sera pas chose facile, mais... Vous allez m'y aider, madame. C'est impératif. Cela contribuera à vous apprendre certaines choses, à vous aussi; Ou, au moins, à vous faire clairement apparaître ce que vous avez inconsciemment décidé de ne pas voir.
Elle la regarda droit dans les yeux.
-Ainsi... Dites-moi, à votre avis : où place-t-il sa fierté ? D'où tire-t-il cet orgueil démesuré qui émane de toute sa personne ? Quels sont les fondements qu'il nous faudra détruire pour l'en libérer ? Vous devez bien avoir constaté certaines choses qui, malgré le monde où vous avez vécu, vous sont apparues comme de mauvaises bases. Plus tôt nous les aurons identifiées, plus tôt nous pourrons agir, plus tôt nous pourrons passer à des choses plus constructives et bénéfiques.

[Voyageuse]

Quête : Tel est pris qui croyait prendre

Astrée sentait une sourde angoisse monter en elle. Elle voulait... rééduquer le môme ? Qu'entendait-elle par lui "détruire" sa fierté ? Elle craignait ce qui allait suivre... et la femme s'attendait à ce qu'elle y participe, en plus ?
Elle inspira profondément, cherchant une réponse qui ne paraisse pas impolie ou irrespectueuse.
- Ecoutez, madame... Il faut que vous sachiez que ce jeune garçon a récemment subi un traumatisme violent. Il a perdu son père dans le naufrage. Son père, qui était marin, comme lui, et qui, justement, l'élevait dans la fierté d'être marin. Certes, je pense qu'il a pu, autrefois, en tirer orgueil. Mais compte tenu du deuil qu'il est en train de vivre, et des circonstances dans lesquelles son père l'a confié à nous... Je crois qu'il a été grandement blessé, qu'il souffre terriblement, même s'il tente de garder une attitude digne. Et qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter. Il est déjà trop démoli comme cela...
Elle jeta un coup d'oeilen biais au jeune mousse, consciente qu'il n'appréciait certainement pas qu'elle parle de lui en ces termes. Mais comment faire autrement?

[Taliesin]

Le garçon ne laissa rien paraître... sinon un regard indéchiffrable - et pas forcément très sympathique - à la rôdeuse. L'instant suivant, il se renfermait encore un peu plus dans son attitude hautaine.
-S'il est blessé au point que vous le dites, il sera d'autant plus aisé d'extirper les graines néfastes qu'on a semées en lui, répondit sans se démonter la vieille femme. C'est peut-être une chance, au final, si vous me pardonnez ce pragmatisme. Dans tous les cas, ce qui doit être fait... doit être fait. Ce sont les instructions que j'ai reçues, et si vous voulez le sauver, vous devez coopérer. Avec toute votre énergie. Je pourrais essayer de le faire sans vous, et je le ferai, si j'y suis contrainte. Mais, le connaissant mal, mon action ne sera pas aussi appropriée qu'elle devrait l'être. Vous, en revanche, pourriez agir au mieux.
Une nouvelle fois, elle croisa son regard.
-C'est à vous de voir si vous désirez mettre toutes les chances de notre côté en vue de le sauver. Mais peut-être, au fond, n'a-t-il aucune importance à vos yeux. Je le comprendrais très bien, vu ses dehors désagréables, sinon horripilants. Dans ce cas, j'agirai seule. Et si j'échoue... Il sera exécuté. Ce serait un douloureux échec pour moi. Malheureusement, je ne pourrais le soustraire à son destin funeste.

[Voyageuse]

Quête : Tel est pris qui croyait prendre.

Astrée avait l'impression qu'un piège se refermait sur elle. Qu'attendait exactement d'elle la vieille femme ? Qu'elle fasse du mal au jeune mousse ? Il n'en était pas question... Mais il n'était pas question non plus qu'elle le laisse mourir...

Elle soupira.
- Ce garçon m'a été confié par son père, juste avant de mourir, pour que je veille sur lui et que je le ramène à sa mère. Il est hors de question que je ne remplisse pas la mission qui m'a été confiée, je me dois de garder ce garçon en vie. Et il est hors de question que je laisse quiconque lui faire du mal. Même s'il a parfois un caractère parfois exaspérant, c'est un garçon courageux au grand coeur...

Elle hésita.
- Que comptez-vous lui faire exactement ? Je ne peux pas m'engager à coopérer avec vous, ou refuser éventuellement, si je ne sais pas ce que vous attendez de moi...

[Taliesin]

La vieille elfe reprit patiemment.
-J'attends de vous que vous me disiez sur quoi repose la fierté mal placée qu'il arbore comme un paon sa roue. J'attends de vous que vous le dépouilliez de ladite fierté qui, en cet instant même, s'il était en d'autres mains que les nôtres, pourrait lui valoir la mort. Il a l'air intelligent : pourtant, il agit comme le dernier des crétins, à l'image des autres mâles. Et cela, à cause de ce que je vous ai expliqué tout à l'heure : ce qu'il estime comme son honneur, ce qui nous vaut tout ce déploiement de morgue, de mépris, n'est que ramassis de fadaises. En coopérant sans réserve, vous lui rendrez service : vous le libérez des mensonges qu'on a logés sous son crâne, vous lui sauverez la vie, vous lui permettrez, qui sait, d'être un homme meilleur que les autres. Cela n'ira pas sans difficulté, sans rudesse, peut-être. C'est néanmoins la seule solution.
Elle sourit à la rôdeuse.
-Son père vous l'a confié, dites-vous ? Alors, réfléchissez un instant : préférait-il que son fils reste vivant en abandonnant des valeurs stupides, en les troquant contre d'autres, plus élevées ? Ou choisirait-il qu'il meure, drapé dans une dignité factice devenue son suaire ?

[Voyageuse]

Quête : tel est pris qui croyait prendre.

Astrée soupira intérieurement. Evidemment, présenté comme cela... Le père de Léo avait refusé qu'il meure sur le bateau comme les autres marins, donc avait placé la vie de son fils avant son honneur... chose naturelle après tout. Mais Léo, lui, était certainement convaincu qu'il devait placer son honneur avant sa vie. Et il ne lui pardonnerait jamais de porter atteinte à son honneur. Elle ne savait même pas s'il s'en remettrait. Là encore, tout dépendait ce que la vieille elfe appelait le dépouiller de sa fierté.

Elle secoua la tête, et décida d'être franche. au moins pour l'instant.
- Je ne vois guère comment je pourrais vous aider. Je ne connais Léo que depuis peu de temps, assez pour savoir combien l'honneur est important pour lui, mais pas assez pour savoir sur quoi cette fierté repose. Et surtout, une chose m'inquiète : qu'entendez-vous par "le dépouiller de sa fierté" ? Comment comptez-vous faire ça ? J'ai peur... que vous cherchiez à le démollir...il l'est déjà bien assez comme cela.

[Taliesin]

Cette fois, la vieille femme eut un geste d'agacement.
-J'aurais espéré que vous vous montriez plus coopérative... fit-elle d'un ton maîtrisé. J'aurais espéré qu'en vous expliquant les choses, vous les comprendriez. Et qu'au regard de la situation, vous ne perdriez pas de temps en vaines tergiversations. Mais non...
Elle secoua la tête.
-Vous êtes la mieux placée pour savoir comment le dépouiller de ce qui l'entrave, le rend aveugle et sourd, le pousse presque à se sacrifier stupidement. Vous l'avez côtoyé, vous lui avez parlé. Moi, non. Mais si vous refusez de l'aider, si vous refusez cette chance que je vous offre, alors qu'on ne me l'a pas ordonné... Je serai obligée d'appliquer mes propres méthodes.

[Voyageuse]

Quête : tel est pris qui croyait prendre

Astrée décida de jouer la carte de l'apaisement. Elle ne cherchait pas à mettre cette vieille femme en colère, juste... à limiter la casse.
- Ce n'est pas que je ne veuille pas coopérer, je vous assure. J'ai toujours trouvé stupide et agaçante cette fierté démesurée qu'ont certains hommes. Et j'ai déjà eu un débat avec lui là-dessus, d'ailleurs... sur le fait qu'il ne faut pas se sacrifier stupidement. Bien sûr, je sais que certains idéaux vaillent la peine qu'on se batte pour eux, l'honneur n'est pas toujours un vain mot. Ce que je condamne, c'est uniquement la fierté masculine qui fait que certains hommes se croient supérieurs aux femmes. J'imagine que c'est de cela dont vous voulez parler... Mais ce que je ne comprends pas, c'est ce que je suis sensée faire exactement. Ce que vous attendez de moi. Je ne vois pas comment je peux le faire évoluer sur ce plan-là. Il a été baigné dans une éducation, alors certes, je peux lui parler, lui démontrer qu'il a tort, mais... j'ai le sentiment que ce n'est pas cela que vous voulez faire. Mais quoi, alors ?
La femme allait la trouver naïve, peut-être, de n'envisager que le fait de "parler"... Mais elle ne voulait pas chercher à imaginer à quelle "méthode" elle faisait allusion... Elle pressentait que cela ne lui plairait pas, alors autant ne pas imaginer peut-être pire que ce n'était réellement.

[Taliesin]

-C'est bien de son sentiment d'être supérieur aux femmes qu'il s'agit... dit l'elfe, tranquille. Si nous ne l'extirpons pas de lui dès à présent, il sera trop tard, comme il est trop tard pour vos compagnons, je le crains. Pour la plupart d'entre eux, en tout cas. Si j'écoute entre vos mots... Vous reconnaissez qu'il éprouve ce sentiment. Et sans doute de manière exacerbée. Quant à votre impression que parler ne suffirait pas... Avez-vous déjà essayé ? Comment a-t-il réagi ? S'il a refusé d'entendre, comme je le soupçonne, il faudra poser des actes, oui. Des actes qui pourront lui - vous - paraître terribles, de prime abord. Mais il finira par se rendre compte qu'ils étaient bien dérisoires. Comme étaient dérisoires les pertes subies au regard de ce qu'il aura gagné.
Elle sourit, encourageante.
-Des actes seront posés, que cela vous plaise ou non. Vous pouvez les indiquer et les exécuter vous-même, ce qui serait le mieux. Ou me laisser faire. Et là, nous en revenons au problème que j'ai déjà bien longuement évoqué.

[Voyageuse]

Des actes, oui... Mais quel genre d'actes ? Elle ne le disait pas. Et ne sachant ce qu'elleentendait pas là, Astrée préférait... ne pas arriver à cette extrémité.

- Je n'ai jamais dit que des mots ne suffiraient pas. J'ai dit que j'avais le sentiment que vous ne comptiez pas vous en tenir aux mots, et c'est bien ce qui m'inquiète, puisque je ne ais pas de quelle sorte d'actes vous parlez. Et je pense aussi... que j'aimerais bien entendre l'avis du principal intéressé. Parce que oui, il a déjà eu des paroles que je n'ai guère appréciées, mais il m'avait semblé que ce n'était qu'une simple provocation, je ne suis pas certaine que cela reflète ses sentiments véritables.

Ce n'était pas forcément une bonne idée de le laisser parler devant elle . Si Léo se mettait à débiter toutes les âneries sexistes dont il était capable.... Aussi ajouta-t-elle immédiatement :
- Pourrais-je lui parler seul à seule ?

[Taliesin]

Le sourire de la vieille elfe ne disparu pas, mais elle secoua la tête.
-C'est hors de question, fit-elle. Je ne sais si vous voulez lui conseiller de jouer la comédie ou si vous manœuvrez pour me cacher sa réaction naturelle : dans les deux cas, cela montre bien que vous avez déjà tendance, même inconsciemment, à considérer son cas comme désespéré... Bref : si vous voulez lui parler ou agir, ce sera en ma présence.

[Voyageuse]

Astrée grimaça intérieurement. Elle avait effectivement eu l'intention de conseiller à Léo de jouer la comédie de son mieux.... Mais elle ne l'aurait avoué pour rien au monde.
- Vous savez, il est à un âge où on a tendance à s'opposer aux adultes systématiquement, je voulais juste le raisonner...

Mais soit. Elle lui parlerait devant la femme, en évitant si possible les questions qui risquerait de l'amener à se montrer sous un mauvais jour. Restait à espérer qu'il coopérerait.
Elle soupira, et se tourna vers le jeune mousse.
- Léo... Moi, je sais que tu es un jeune homme courageux, et que les mauvais côtés que croient deviner les elfes en toi, c'est juste une apparence de façade. Je sais qu'au fond tu as un coeur d'or. Alors, dis-lui, toi, que tu sais déjà que les femmes ne sont pas inférieures aux hommes. Bon, je sais que ces derniers temps, de par ton métier, tu as peu rencontré de femmes, mais souviens-toi du combat qu'on a mené ensemble contre les squelettes, de l'escalade, toutes ces fois où on a fait équipe...

[Taliesin]

Léo leva les yeux sur la rôdeuse. Derrière la flamme provocante qui brûlait dans son regard fier, elle put malgré tout discerner des ombres. De peur, de doute, difficile à dire... Mais des ombres tout de même, des signes discrets qu'il n'était pas aussi tranquille et décidé qu'il y paraissait.
D'ailleurs, il hésita un long moment avant de répondre.
-D'accord, fit-il enfin. Je reconnais que vous, vous correspondez pas vraiment à l'image qu'on a des femmes, dans la marine. Mais...
Il lorgna la vieille femme, et son regard se fit venimeux.
-Mais vous d'vez être l'exception qui confirme la règle. Parce que celle-là et toutes les autres harpies alentours, c'est quasiment des caricatures ! "La femme est l'avenir de l'homme", y en a qui disent. Ouais, ben ce sont des crétins finis, ou alors ils aiment souffrir. Parce que laissez le pouvoir aux femmes... et vous le regretterez. On voit bien ce que ça donne chez les Drows. Et ici, ça a l'air d'être encore pire ! Des tortionnaires, des esclavagistes ! Dès qu'y a plus assez d'hommes pour leur tenir la bride, paf, ça dégénère ! Et ça joue les grandes guerrières, les barbares, et ça donne libre cours à sa malignité naturelle ! Pourquoi vous croyez qu'on veut pas de femelles dans la marine ? Parce que quand y en a, ça dégénère toujours. Elles aguichent, elles intriguent, elles foutent le boxon histoire d'avoir la faveur des officiers, histoire d'avoir du pouvoir sur eux et de commander elles-mêmes, au final. Sans parler qu'en général, même si elles font les malines, elles sont beaucoup moins fortes que nous et tiennent pas la cadence; C'est sans doute à cause de ça que ça d'vient des comploteuses et des traîtresses : comme elles veulent toujours tout commander, faut bien qu'elles utilisent leurs armes naturelles... Les plus raisonnables, elles en restent à la cuisine, au ménage, aux rubans et aux bals : au moins, là, elles sont à l'aise et font de mal à personne. Malheureusement, y a toujours des ambitieuses. Si y a des hommes pour les calmer, ça va. Mais si on baisse la garde... Ben ça donne comme c'est ici : un enfer !
Il s'était animé au cours de son discours, et il le conclut en criant presque, les points posés sur les hanches dans une attitude menaçante autant que provocatrice.
-Alors désolé, mais je ramperai pas devant ces folles des bois. reprit-il, d'un ton décidé. Elles peuvent me torturer, me tuer si ça les amuse. Mais je me soumettrai pas ! Je leur montrerai comme c'est courageux, un gars de la marine ! Comme ça se rend jamais, un Longuehune !

[Voyageuse]

Astrée soupira. Egal à lui même, toujours dans la provocation. Il était bien difficile de savoir s'il était réellement convaincu de ce qu'il disait ou s'il faisait semblant, pour se raccrocher à son statut de marin, mais le résultat était le même : la vieille elfe ne lui laisserait pas le bénéfice du doute....

- On ne met pas ton courage en doute, et je connais le sens de l'honneur des Longuehune. Ton père était un homme très bien... Mais il ne me pardonnerait pas s'il savait que je te laisse envisager de mourir pour une cause qui n'en vaut pas la peine. Il tient à ce que tu restes en vie, pour pouvoir un jour te battre pour des idéaux dignes de ce nom, pour que ta vie ait un sens. Par pour t'accrocher à de vieilles idées dont tu es parfaitement conscient qu'elles ne valent rien, mais auxquelles tu t'accroches par simple volonté de ne pas aller dans le sens de nos hôtes.

Elle changea brutalement de sujet.
- Il y a longtemps que tu n'as pas vu ta mère ? Tu crois... qu'elle apprécierait d'entendre ce que tu viens de dire sur l'image des femmes dans la marine , Et... Crois-tu que tous les marins ont vraiment cette image ? Moi je suis persuadée que c'est plus une légende qu'autre chose, ils font semblant, pour se consoler d'être privés de femmes....

[Taliesin]

-Ma mère, la dernière fois que je l'ai vue, c'était avant notre départ de Luménis, répondit-il sans manifester d'émotion particulière. Et elle a encore essayé de me retenir. Si mon père n'était pas intervenu, je serais pas mousse. Et je l'aurais pas été avant d'avoir peut-être trente ans ! Elle voulait pas que je vienne, elle avait trop peur. Trop peur, je crois, que je sois plus son bébé mais que je devienne un homme ! Si on laissait les femmes décider de l'avenir de leurs enfants, elles les laisseraient jamais sortir de la maison ! Heureusement qu'on peut s'en libérer ! Et pour les marins... Désolé, j'ai peut-être pas connu beaucoup de femmes, mais vous, vous avez pas connu beaucoup de matelots, apparemment ! Ils jouent pas la comédie, sinon, y aurait plus de gonzesses à bord des bateaux ! Et ils couleraient tous, iraient tous se briser sur des récifs, ou alors ça serait des mutineries à n'en plus finir ! Les marins le savent, parce qu'ils savent qu'on peut pas faire confiance aux femmes pour être disciplinées, pour faire des boulots difficiles. Et, franchement, elles manquent pas du tout, sur les bateaux ! On sait s'occuper sans elles, nous, les hommes ! Pas comme les femmes qui sont toutes perdues sans nous, ou qui deviennent folles, comme ici ! Et quand on arrive dans des ports, ben, on s'en donne à cœur joie. Avec des filles qui savent se tenir à leur place et faire l'un des métiers auxquels elles sont destinées !
Il était de plus en plus animé, parlait avec de plus en plus de conviction, de fougue, de détermination.

[Voyageuse]

Astrée l'aurait volontiers gifflé pour la dernière partie de son discours. Mais elle s'efforça de copnserver son calme.
- Et ben, y'a du boulot, commenta-t-elle simplement. Mais c'est bizarre, ayant rencontré ton père et ton grand-père, je ne les imagine pas tenir ce genre de discours... Enfin, peu importe.
Elle inspira calmement avant de reprendre.
- Tu vois, mon, grand, là où tu te trompes complètement, c'est sur le fait que les femmes aient besoin des hommes et pas l'inverse. Je vis seule en pleine montagne depuis des mois, sans avoir jamais ressenti un besoin d'aide quelconque. Alors que vous, les hommes, si on n'est pas là pour vous faire la lessive, la cuisine, le ménage, ben vous êtes incapables de vous y mettre par vous-mêmes. Et au cas où tu ne l'aies pas compris, dans ce village, ce sont les hommes qui ont fichu la zizanie, en choisissant de tuer et d'imposer leur loi. A croire qu'ils sont incapables de vivre sans violence, dans le respect de l'autre. Depuis qu'ils ne sont plus là, je suis certaine que les femmes s'en sortent beaucoup mieux, sans avoir à ménager une quelconque fierté mal placée. Et là où je ris le plus, c'est quand tu admets que les marins ne peuvent se passer de femmes, et sont obligés d'aller les retrouver dans les ports. Des femmes n'auraient pas cette attitude, ce besoin stupide. Crois-moi, tu ferais mieux de passer quelques temps ici, de voir de tes propres yeux comment les femmes de ce village se débrouillent. Lors de la séance de ce matin, as-tu senti la moindre indiscipline, la moindre ébauche de révolte? Non. Alors que dans une assemblée d'hommes, il y en a toujours quelquees uns qui rêvent d'être calife à la place du calife et se croient obligés de se mettre en valeur. Mais bien sûr, c'est tellement plus facile de juger ce que tu ne connais pas, de te croire supérieur...

[Taliesin]

-Je ne le crois pas, répondit-il d'un ton posé. J'en suis persuadé : je suis supérieur, et tous les hommes le sont. Et ce n'est pas pour rien que la plupart des royaumes du monde sont gouvernés par nous. Les autres, ceux dont les habitants ont été assez cons pour accepter de mettre à leur tête des femmes, ou dont les dirigeants ont écouté leurs stupides conseils, ils se sont effondrés, et pouf ! Plus personne n'en a jamais entendu parler. Après, qu'est-ce que vous savez, vous, de la révolte des hommes d'ici ? Moi, franchement, je pense qu'ils ont eu raison : rien qu'à voir ce ramassis de guenons dégénérées, on comprend qu'ils devaient vachement en baver. A mon avis, elles les traitaient en esclaves, et ils ont eu bien raison d'y mettre un terme ! Après, qu'elles fassent semblant d'être organisées... Les femmes sont douées pour la comédie. Pour faire semblant. Ah, comme ça, elles ont l'air toute faibles, toutes gentilles, mais si on leur fait confiance, paf, elle font de vous leur esclave ! M'est avis qu'en ce moment même, elles se crêpent toutes le chignon pour savoir qui pourra nous torturer quand les harpies qu'on a désigné auront pigé qu'elles sont trop faibles pour nous vaincre ! Et vous parlez de ménage, de cuisine : les hommes font ça très bien, quand ils sont entre eux. Comme sur les bateaux. Mais voilà : comme on est gentils et malins, comme on sait que si vous restez à rien glander, vous allez provoquer des catastrophes, comploter et intriguer, on vous a refilé du boulot simple, à votre niveau. Et comment on est récompensés ? Par des plaintes et des cris. Franchement, si on avait pas besoin de vous pour les bébés, le mieux serait sans doute de vous éliminer à la naissance !

[Voyageuse]

Astrée se sentait bouillir. Et sa volonté d'aider le gosse risquait de céder le pas devant la colère qui la saisissait. Elle serra les dents. Elle devait se ressaisir, ce n'était qu'un gamin.

- Toujours dans la provocation, je vois ! Pauvre petit idiot, qui croit, à 11 ans à peine, tout connaître de la vie, lâcha-t-elle. On en reparlera quand tu auras un peu grandi... Remarque, si tous les marins pensent comme ça, ça ne m'étonne pas qu'aucune femme ne veuille d'eux et qu'ils soient obligées de se contenter de prostituées, qui, au cas où tu ne le saches pas, sont des sortes d'esclaves obligées de vendre leur corps. pauvres femmes... Et quant à toi, il est certain qu'aucune femme ne voudra jamais de toi avec une telle attitude. Je vais finir par me demander si la meilleure solution pour que tu comprennes tes torts ne serait pas de t'obliger à passer quelques temps ici. Tu as de la chance que ton père m'ait confié la charge de te maintenir en vie, sinon je serais tentée de t'abandonner aux bons soins de notre hôte.

Elle soupira.
- Enfin, tu n'es qu'un gosse, qui répète bêtement les inepties qu'il a entendues. Tu n'es pas vraiment responsable. Mais tes parents auraient honte de t'entendre parler ainsi. Ah, et pour t'ôter un doute de l'esprit : si ta mère avait vraiment voulu te garder à la maison, elle aurait davantage insisté, et ton père aurait accepté. Si elle a cédé et t'a laissé partir, c'était par amour pour toi, parce qu'elle voyait combien c'était important à tes yeux, et qu'elle savait que tu commençais à grandir. Elle a accepté que tu rejoignes le monde des adultes un peu plus tôt parce qu'elle t'aimait. Et ton père aussi t'aimait, et voulait plus que tout te garder en vie. S'ils t'entendaient parler à présent... Quelle honte.

[Taliesin]

Léo croisa les bras.
-Si ma mère a dit oui, c'est simplement parce qu'elle a obéi à mon père, comme il se doit. Ils ont passé un accord parce que lui, il est trop gentil, mais normalement, elle aurait rien eu à dire. Et les femmes de marins le savent bien, qu'elles ont rien à dire : elles épousent des hommes, des vrais. Des durs, des tatoués, qui s'en laissent pas compter. Et ça leur plait : ça plait aux filles, d'avoir à leur côté des gars forts, décidés, qui peuvent les protéger. Et qui sont riches, souvent, grâce à leurs aventures. Même un marin borgne, manchot, cul de jatte sera entouré de prétendante avides, s'il a de l'or. Parce que les filles elles adorent ça, l'or. Pire que les hommes, même si elles font semblant que non. D'ailleurs, c'est pour ça que certaines se prostituent : juste parce qu'elles adorent l'or et essaient de piller les marins. Mais les marins, ça sait les remettre à leur place, les catins comme leurs femmes : quand elles gaspillent trop, quand elles achètent tous les trucs inutiles dont elles raffolent, les robes, les bijoux, une bonne trempe et elles rentrent dans le droit chemin. Elles aiment ça aussi, les filles, qu'on sache les remettre dans le droit chemin.
Il gratifia Astrée d'un regard acéré.
-Et vous en auriez besoin, vous. Vous me parlez de honte ? Je crois que si mes parents ou les Luméniens devaient avoir honte de quelqu'un, c'est de vous. Dès qu'il y a plus Kasumi pour vous tenir la bride, ça y est, vous pactisez avec l'ennemi. Vous nous trahissez. Pas étonnant : même si vous avez des qualités, vous restez une femme. Et donc traîtresse par nature. Moi, je ne trahirai pas, moi, quoi que vous disiez. Je ne m'allierai pas à ses barbares, à ces folles qui ont massacré leurs maris et leurs enfants. Parce que je suis un Longuehune. Parce que je suis un marin.
Il la toisa avec tout le mépris dont il était capable.
-Parce que je suis un homme.

[Voyageuse]

Astrée se retint de rire en entendant le discours stupide du gamin. Et faillit s'emporter en entendant ses accusations tout aussi stupides. Elle se contint, retenant de justesse la gifle qui la démangeait, s'obligeant à garder son calme. Mais après tout, peut-être que c'était ce qu'il lui fallait, une gifle.
Elle parla d'un ton glacial.
- Si ta mère était là, elle te giflerait. Si ton père était là, il te frapperait aussi, j'en suis certaine. Je ne suis ni l'un, ni l'autre, sinon il y a longtemps que je t'en aurai collée une. D'ailleurs, ça va peut-être finir par arriver si tu continues ainsi. Tu n'es qu'un gosse mal élevé qui se prend pour un grand et qui raconte n'importe quoi. C'est dommage, j'avais commencé à réviser mon opinion à ton sujet, je me disais ces derniers temps que tu méritais peut-être d'être considéré comme un jeune homme responsable. Mais là tu te conduis comme un gosse stupide. Et je pense qu'au fond de toi tu le sais très bien... J'espère que tu as assez d'intelligence pour cela...

A nouveau, elle changea brutalement de sujet, et reprit d'un ton plus doux.
- Ton père est mort... Il n'est plus là pour te guider, pour t'expliquer tout ce que tu aimerais savoir de la vie. Maintenant... Imagine un instant qu'il se trouve là, à ta place. Qu'on lui ait confié une mission extrêmement importante : capturer des mages extrêmements dangereux., qui mettent en péril Hélonna et peut-être même le monde entier. Qu'il n'a pas le droit d'échouer. Que ferait-il ? Choisirait-il de s'allier avec les autochtones, même si elles ont des coutumes qui lui paraissent inhabituelles, pour pouvoir mener à bien sa mission ? Ou préférerait-il les défier stupidement, sachant qu'il signe son arrêt de mort et l'échec de la mission qu'on lui a confiée ? Où est son devoir là-dedans ? Qui est l'ennemi contre lequel il doit lutter ? ton père était un homme intelligent... Il savait où étaient les priorités...

[Taliesin]

Contre toute attente, le gamin acquiesça.
-Oui, mon père était intelligent et savait où étaient les priorités. S'il avait rencontré ces folles furieuses, il aurait tout de suite fait le rapprochement avec l'asile pour mages tarés qu'on a placé sur cette île. Il aurait tout de suite compris qu'elles sont à leur service. Qui se ressemble s'assemble, comme on dit. Tous les débiles, même combat ! Enfin bref, il aurait compris que le mal, c'était elles aussi. Et il se serait certainement pas allié avec elles. Il aurait essayé de les combattre. Ou s'il avait pas pu, il aurait préféré mourir plutôt que de se soumettre, plutôt que de trahir, contrairement à vous. Voilà ce qu'aurait fait mon père, et voilà ce que je ferai, moi. Je suis loyal à ma cité. Je retourne pas ma veste à la première occasion. Mais... Oui, je suis un homme. ce qui fait toute la différence entre vous et moi, n'est-ce pas ? Vous êtes une femme, alors vous vous alliez à ces sorcières parce qu'elles sont des femmes aussi. Pour nous dominer, nous autres hommes. Et bien, sachez que même si vous nous réduisez en esclavage, même si vous nous tuez, vous arriverez jamais à notre hauteur. Vous aurez jamais ce qu'on a, nous.
Il croisa les bras, plus provocateur que jamais.
-Je sais, c'est dur à avaler. Mais que voulez-vous ? La nature est ainsi faite, et toute votre envie, toute votre jalousie, ça n'y changera rien.

[Voyageuse]

Cette fois-ci, Astrée se mit à rire. Elle avait failli s'emporter devant l'accusation stupide de trahison, mais la fin du discours cassait complètement l'effet escompté. Décidément, ce gosse avait un complexe avec sa zigounette.... elle rit donc franchement.

- Jalouse ? Mais de quoi donc ? Nous, les femmes, avons mille fois plus que les hommes, puisque nous sommes les seules à pouvoir avoir des enfants, et que pour tout le reste nous sommes vos égaux Certes, il faut la coopération d'un mâle pour la conception, mais c'est rien ça. Et j'imagine bien combien les hommes peuvent être frustrés de devoir dépendre ainsi de nous. Alors, franchement, je ne comprends pas... que penses-tu donc avoir de plus que nous ?

Bon, la dernière fois qu'elle avait fait mine d'ignorer l'importance de ce petit appendice masculin, cela avait déclenché une scène mémorable. Mais finalement, là... la situation ne pouvait guère empirer. Du moins, tant que la vieille ne passait pas aux actes... Et elle commançait déjà à préparer ses raguments pour l'en empêcher.

[Taliesin]

Mais Léo ne répondit pas ce qu'elle avait imaginé.
-Frustrés de dépendre de vous ? Ouais, sans doute. C'est surtout vous supporter qui est frustrant, alors qu'on pourrait très bien se passer de votre compagnie, de votre jalousie, de vos caprices, de vos manies... et de vos manigances, sans parler des trahisons. Quant à ce qu'on a de plus que vous. Des tas et des tas de choses : la force, d'abord. Allez dire que vous avez plus de muscles que nous ! Le courage, ensuite : on pleure pas quand il y a du danger, on crie pas aux autres de nous protéger : on l'affronte. L'intelligence, ensuite : je viens de vous le prouver en refusant de m'allier à ces traîtresses, alors que vous... Enfin, là, c'est juste par solidarité féminine sans doute que vous les rejoignez. Et enfin... On a la loyauté. Là encore, je viens de prouver que j'en ai. Vous venez de prouver que vous n'en avez pas du tout. Voilà, ce qu'on a de plus que vous.

[Voyageuse]

Les arguments de Léo devenaient risibles... ce gosse ne connaissait rien à rien et était persuadé de tout savoir. Ce que certains nomment l'âge bête...
Astrée secoua la tête, un sourire affligé aux lèvres.
- Léo, Léo, soupira-t-elle sur le ton d'un maître désespérant de l'intelligence de son élève. En ce qui concerne la force, je te défie quand tu veux au combat... Mais il est vrai que tu n'es pas encore tout à fait un homme. De toute façon, que même si bien des hommes sont plus forts que les femmes, cela n'est en rien un indice de supériorité, sinon il faudrait admettre que l'ours, le taureau ou le cheval sont des êtres supérieurs à l'homme... Quant à l'intelligence, il me semble évident que choisir la seule stratégie permettant de survivre et de remplir notremission est nettement plus intelligent et plus sage que de décider qu'on préfère mourir. Mais, vois-tu, les femmes ont en général la sagesse de ne pas laisser un stupide ego surdimensionné masquer les véritables priorités. Certains hommes aussi ont cette sagesse, c'est vrai, mais apparemment ce n'est pas ton cas. Ma loyauté va à la mission qu'on m'a demandée de remplir, y compris celle de te garder en vie, un point c'est tout. Mais bon, ton raisonnement prouve au moins une chose : tu ne connais pasles femmes, tu n'en a quasiment jamais rencontré et encore moins partagé de moments avec elles. Sinon tu ne sortirais pas de telles inepties.. . maintenant, dis-moi... Tu veux vraiment donner raison à cette elfe quand elle prétend que tu es un cas désespéré? Ton attitude ne peut que contribuer à renforcer sa conviction, concernant ta situation aussi bien que celle de tous leshommes. Or... je pensais que tu aurais à coeur de lui prouver qu'elle se trompe sur la bêtise des hommes....

[Taliesin]

Il soupira, secoua la tête : lui aussi semblait désespéré par l'attitude d'Astrée.
-Franchement, je vois pas pourquoi je m'embête à discuter avec vous : je suis sûr qu'une huître aurait pigé en deux fois moins de temps. Je suis sûr aussi qu'un crabe arriverait mieux à mentir. Parce que, vous savez, vos bobards, ça me trompe pas un seul instant : votre stratégie, c'est juste survivre, point barre. Notre mission, vous en avez rien à foutre, puisque vous vous alliez avec les servantes des mages. Vous nous trahissez parce que vous êtes une femme, et parce qu'elles sont des femmes. Et si on oublie une seconde votre nature profonde de perfide femelle... Trahir vous est d'autant plus facile que vous êtes une mercenaire. Comme la plupart des autres dans le groupe. Et tout le monde sait que les mercenaires ont pas d'honneur, et qu'il y a qu'une chose qu'ils aiment plus que l'or : leur peau. Si le conseil avait envoyé que des vrais soldats, que des vrais marins, ça se serait pas passé comme ça.
De la main, il frôla l'écusson défraichi de sa vareuse en loques.
-Nous, les hommes de la marine luménienne, et aussi les hommes de l'armé, on sait ce que ça veut dire, être loyal, être dévoué. On sait ce que ça veut dire, être fiers de l'univorme qu'on porte, être fiers du drapeau sous lequel on avance. La trahison nous fait horreur. Nous, on tournera jamais casaque pour sauver notre peau. On préfère mourir que de devenir des félons. Mais ça, c'est dur à comprendre pour des mercenaires. Et sans doute impossible pour des femmes. Alors quand vous avez à faire à une femme mercenaire... Bah, prenez l'honneur pour de l'orgueil si ça vous plait. Et la seule chose que je veux prouver à cette sorcière qu'est déjà devenu votre copine, c'est simplement que je suis pas aussi vil et répugnant que vous.

[Voyageuse]

Astrée soupira à son tour. Ce gosse était désespérant de bêtise.
- Tu te trompes, fit-elle simplement. Je ne suis pas une mercenaire, je ne l'ai jamais été et ne le serait jamais. Et je te conseille de ne plus jamais me traiter de menteuse ou tu prends ma main sur la figure... peut-être que c'est la seule chose que tu attends d'ailleurs. Pour ton information, je suis venue uniquement pour empêcher mon compagnon de se mettre dans des ennuis pas possible sans que je sois là pour l'aider à en sortir. Je m'en serais trop voulu s'il s'était fait tuer sans que j'ai rien pu tenter pour le défendre. Et je te fais remarquer aussi que ma vie n'est en rien menacée, et que je ne suis là que pour tenter de protéger la tienne, comme ton père me l'a demandé juste avant de mourir. Il voulait que tu vives, l'as-tu déjà oublié ? Pas que tu te comportes en gamin stupide et arrogant. Mais je te l'ai déjà expliqué, et je me demande pourquoi j'insiste, puisqu'apparemment tu n'as pas plus de cervelle qu'une huitre. Ah, j'oubliais, ta théorie selon laquelle ces guerrières sont les servantes de mages ne tient pas la route, tu n'as aucune preuve tangible de ce que tu avances - et je t'accorde que je n'ai guère de preuve tangible du contraire. Simplement, le seul moyen de s'en assurer, c'est de rester en vie. Mais si tu préfères te comporter en gamin stupide... alors je pense qu'aujourd'hui tu n'es plus digne de porter cet écusson !
Elle tendit la main d'un geste vif pour arracher l'écusson en question. Cela allait le mettre hors de lui, mais tant pis.

[Taliesin]

Mais le gamin, plus prompt qu'elle ne l'aurait imaginé, s'écarta avec célérité.
-Pas touche, traîtresse ! gronda-t-il, les poings déjà levés. Vous êtes indigne de le toucher ! Et je sais ce que vous avez en tête, au-delà de souiller un symbole ! Je vous connais !
Il recula d'un pas encore, son regard rivé sur elle, prêt à parer un nouvel assaut.
-Et vous aurez beau m'insulter, raconter vos salades, vous arriverez jamais à me tromper. Et vous êtes tellement bête que vous vous trahissez toute seule ! Vous êtes là pour protéger Kasumi, hein, pour l'empêcher de se faire tuer ? D'abord, m'est avis qu'il s'en sortirait bien mieux sans vous, puisqu'il aurait pas à s'inquiéter pour la faible femme qu'il est assez idiot pour aimer. Ensuite, ça prouve bien une chose : vous vous croyez supérieure et vous voulez le commander. Vous voulez en faire votre esclave. Si ça se trouve, c'est juste pour ça que vous nous avez amenés ici !

[Voyageuse]

Astrée soupira
- Léo, tu es ridicule.... Tellement que je me demande pourquoi je prends la peine de discuter avec toi. J'ai beau savoir que ce genre de réaction stupide est courant chez les jeunes de ton âge, et qu'avec quelques années de plus vous changez complètement d'attitude... ça me désole ! Tu mériterais, pur ton arrogance et ta mauvaise foi, que je te laisse entre les mains de notre hôte au lieu de tout faire pour t'épargner cela. Si je n'avais pas promis à ton père de veiller sur toi...

Elle soupira à nouveau.
- Oui, mais voilà, j'ai promis... Je croyais prendre en charge un jeune homme intelligent et sensé, je me trouve avec un idiot qui ne connaît rien à la vie et encore moins aux femmes, et, pire, qui croit savoir. Alors, dis-moi... combien de femmes connais-tu ? A part moi bien sûr, que tu connais à peine... je parle de femmes que tu connais réellement, pas de putes croisées lors d'une escale - bien que je me doute que ton père ne l'aurait pas permis -, ni de gamines quasiment de ton âge... Combien en connais-tu vraiment, pour te permettre de porter de tels jugements ? Parce que j'espère que ce n'est pas ta mère que tu considères comme une perfide femelle vile et répugnante, tout juste capable de trahir, d'intriguer, de jalouser et de faire des caprices....

[Taliesin]

-Non, pas ma mère : c'est vous que je considère comme ça ! Vous, celle qui est à vos côtés et toutes les autres ! Après, je vois pas pourquoi je me justifierais devant vous, d'autant que cette fameuse promesse, elle vous arrange bien, en l'occurrence, elle vous permet de vous défouler sur moi, de m'insulter, peut-être de me torturer en ayant une bonne excuse et en faisant croire que c'est pour mon bien. Ce qui est pas vrai, évidemment. Mais ça vous ennuierait trop qu'une autre s'amuse à votre place. Mais bon, puisque vous voulez savoir... Les femmes que j'ai connu... Il y a des putes, si. Des tas. Tellement que je peux même plus les compter. Parce qu'au cas où vous le savez pas, un capitaine, ça laisse ses hommes libres de faire ce qu'ils veulent quand ils descendent à terre. Le tout, c'est de rentrer à l'heure. Ensuite, hum... Il y a mes cousines, les femmes ou les copines de mes cousins, mes tantes, les femmes de mes oncles, les servantes... Et oui, ça fait un sacré paquet ! J'suis sûr qu'aussi vantarde que vous soyez, vous avez pas connu autant d'hommes que moi de femmes.

[Voyageuse]

Astrée ne se démonta pas.

- Et bien... Il semblerait que ce soit une habitude, pour toi, d'imputer aux autres tes propres défauts... Je ne crois pas m'être jamais montrée vantarde, alors que toi, là, tu bats des records ! Et je déteste les menteurs. Je pense que j'aurai une discussion intéressante à avoir avec ta mère à notre retour - si on rentre un jour, mais je ne sais pas si j'arriverai à te tirer du guêpier dans lequel tu es en train de te fourrer. La pauvre, elle va être horrifiée de voir ce que tu es devenu. Mais donc... Tu dis que ta mère, qui est quand même la femme que tu connais le mieux, n'est pas comme ça. Au début de notre conversation, tu as même dit que je ne l'étais pas moi non plus, mais tu sembles l'avoir oublié... Quant aux autres femmes que tu prétends connaître... m'est avis que tu n'as guère pris le temps de faire plus que les croiser. Tu as tellement besoin de te rassurer sur tes propres capacités, pour dénigrer ainsi les nôtres ? Et tu crois qu'une femme voudra un jour aimer quelqu'un d'aussi méprisant envers elle ? Enfin, heureusement, tu changeras en grandissant. Le ciel fasse que je n'aie jamais un gosse aussi mal poli que toi. En attendant... je suis heureuse de voir que ta mère échappe à ton jugement. Toutes les femmes ne sont donc pas jalouses, perfides, viles, répugnantes, traitresses, intrigantes et j'en passe.