[Quête] L'adieu

[Oan]

Oan chevauchait depuis plusieurs jours, et ne s'arrêtait que pour manger; trop rarement... Elle longeait la côté de l'empire Melandien, fuyant la présence insupportable de Talos, insupportable des hommes, des femmes, de leurs souffles rauques, regards vides d'intelligence, jugements divers... Oan fuyait la civilisation; le monde opressant de la cité, l'orgasme sadique ressenti en parcourant les rues grouillantes de vies diverses, de morts, et le souffle terrible de la destinée; cet oeil noir et démoniaque qui l'observait, la traquait; la traquait sans qu'elle n'ait pu lui échapper, sans qu'elle n'ait eu l'occasion de prouver au monde, de se prouver, de prouver à Ombreterre, que seule, elle réussissait à y faire face, que seule face aux dieux, elle survivait convenablement.


Oh les choses s'étaient précipitées à Melandis; la guilde, Zaefal et les responsabilités, les relations sulfureuses ou non; avec Beorn tout d'abbord, et l'illusion d'une vie meilleure, d'une vie convenable, même pour une drow; puis Seina ensuite, et l'attrait pour l'indicible danger qui anime chaque corps... Oh oui, les choses s'étaient précipitées, jusqu'à ce que reconnue, elle ait été nommée
Grand Melandien, titre honorifique, responsabilités... Honneurs divers et reconaissance sui auraient dus combler une elfe à ce point ambitieuse. Combler la mégalomanie maladive d'Oan, combler ce vide, près du coeur, caractéristique de l'abscence indéfinie... Chanter pour l'absolu, chanter pour vivre... Oan se revoyait, tandis que la pluie coulait des nuages, s'échappait du ciel lourd de Melandis; Oan se voyait nue, le corps martyrisé par Talos, pas Loth et toutes les formes de danger du monde, de pouvoir... Oan se revoyait; enfant, courant dans les ruines, puis jeune femme, sans pitié, pleine d'espoir, à l'aventure... Oan revoyait les heures enfuies, secondes échappée d'une vie sans lumière, et elle ne pouvait s'empêcher de songer à toutes ces choses perdues, ces êtres quittés, lieux oubliés et souvenirs balayés par le temps...


La pluie colla à la peau. Les vêtements légers d'Oan se plaquèrent contre son corps plantureux, contre ses formes qui lui avaient tout offert; et Oan se mit à les détester, à détester tout ce qui avait de sa vie ce qu'elle était devenue... Oan s'approcha du front de la falaise, et vit, au loin, les vagues brûées, assassinées par Talos, et le flah des éclairs d'agir ainsi sur sa mémoire; de lui rapeler tout ce qu'elle avait osé faire, osé contredire la dame araignée, oser haïr Talos... Les corps s'enlacèrent, et la vision de Seina, puis de tous les hommes connus; puis le souvenir des araignées grouillants sous ses pieds; des souterrains maudits d'Ombreterre, et des peurs cachées, dissimulées par une témérité toute inventée... Les éclairs illuminèrent le ciel dépouillé, et encore des souvenirs; encore les visions obsédantes du passé. Oan s'approcha un pue plus du flanc des falaises, tentée par l'absolu, par l'inconnu de la mort; l'inconnu de la délivrance. Le temps s'assombrit, et les vagues mouillaient encore plus, en s'échouant contre les flancs blancs des falaises, le corps d'Oan.


Oan aperçut au loin, flottant sur l'océan, Talos, méladiction terrible; et son coeur de palpiter, de s'énerver à la vue du dieu adoré... Comment résumer une vie, comment regretter ce que l'on vit; regretter ce dont on n'a conscience... Oan n'essayait même pas de comprendre, elle laissait les idées s'entrechoquer, laissait son intellect s'exprimer; et ferma les yeux; apréciant le souffle du vent, le froid, lui mordre le visage, lui rougir les joues. Pourquoi? Que faisait-elle ici, menée sur ses falaises par une force implacable, incontestée. Comment pouvait elle même imaginer une seconde de sauter, d'oublier et de rayer son nom de la liste des créatures vivantes? Talos, Ombreterre, Lloth, les matronnes... Les corps s'entrelaçant, la sueur des hommes d'infiltrer sa peau... Le souffle du vent, encore, de lui arracher la peau, lui soulever les cheveux et de la martyriser.
Ne pas comprendre, ne pas chercher à comprendre. A quoi bon, de toute façon, à quoi bon comprendre. Juste lever les bras, rire à la mer, aux dieux qui observent, rire au monde qui pleure, qui respire et s'amuse, rire aux hommes, rire... Rire, et sauter, sauter dans le vide, avant de disparaître.


Rire et mourrir... Echapper à la vie, échapper à l'étreinte du temps, au cracan du destin. Rire, rire et rire encore. Disparaître.