Victor

[Galathée]

(venant du hall)

Le serviteur gravit une série impressionnante de volées d'escaliers, assez lentement, il semblait fatigué, et mena Victor jusqu'à un long couloir où s'ouvraient une douzaine de portes. Précédé de Tigre, le jeune Ambrien suivait sans difficultés, observant chaque objet, chaque tableau, chaque draperie, avide d'apprendre. Un tapis bleu sombre couvrait les dalles de grès blanc du couloir et des lampes à huiles diffusaient une lumière agréable. Le serviteur s'y engagea et s'immobilisa devant la cinquième porte à droite.
" Voici vos appartements, monsieur..." annonça-t-il en poussant la porte.
Tigre bondit à l'intérieur, circonspect, suivi par Gareth, qui semblait en avoir vu d'autres. Il se déplaça dans la pièce pour allumer une demi-douzaine de lampes à huile, qui révélèrent une chambre somptueuse, pourvue d'un large lit à baldaquins, de deux fauteuils tournés devant un âtre froid, d'une grande penderie, d'une armoire basse qui devait renfermer un tord-boyaux local et d'un grand miroir en pied. Un bureau était poussé sous l'une des trois fenêtres, actuellement dissimulées par d'épais rideaux pourpres. Une porte s'ouvrait dans le mur droit et Gareth expliqua qu'il s'agissait là de la salle d'eau. Il se retira ensuite, enjoignant Victor de sonner au besoin.
Dès que le serviteur eut refermé la porte, Tigre sauta sur le lit et s'y applatit, gigantesque, en occupant toute la surface.
" Aaaaah... Bonne nuit, Victor..." annonça-t-il, ravi.

[Taliesin]

-Tu rêves, mon gros ! Pour toi, ce sera le tapis !

Tigre se redressa légèrement, indigné, et Victor partit d’un grand rire. Puis il commença à examiner en détails la pièce à la recherche d’éventuels mécanismes d’écoute ou d’observation. Il savait fort bien que, vu les immenses pouvoirs de ses aînés, il aurait été incapable de les empêcher de l’espionner ou de le prendre au piège, si l’envie les en prenait. Il ne pouvait cependant se dispenser de ces quelques précautions : au moins, si malheur devait lui arriver, il aurait fait son possible pour l’éviter.

Ses recherches terminées, Victor passa dans la salle d’eau et se lava copieusement des avanies subies lors de cette journée mouvementée. De retour dans la chambre, il s’apprêta à se coucher, éteignant notamment les lampes à huile, à l’exception de l’une d’entre elles située non loin de la tête du lit. Il n’était pas spécialement fatigué mais, sentant que les jours suivants allaient être riches en événements, il avait décidé de prendre un peu de repos tant qu’il en avait l’occasion. Déposant sa rapière à portée de main et ses précieux atouts sous les oreillers, il observa quelques secondes son compagnon félin, toujours étendu sur le lit. Lui demander d’évacuer les lieux était peine perdue….

-Allez, pousse-toi donc un peu, il y a de la place pour deux !

Le tigre obtempéra de mauvaise grâce et Victor, soufflant la dernière lampe, se glissa entre les draps. Le sommeil le trouva bientôt, au milieu de réflexions sur les péripéties du jour et d’hypothèses quant à ce qui allait bien pouvoir résulter de tout cela.

[Galathée]

Victor dormait mal. Dans son rêve, ou plutôt son cauchemar, d’étranges créatures noires le harcelaient, mais il ne parvenait pas bien à savoir ce qu’elles étaient, où il était, s’il était lui-même ou quelqu’un d’autre… Quand le sol se mit à trembler, il reprit rapidement conscience. Tigre était couché, feulant, sur le lit. Mais Victor avait un terrible mal de crâne et il fut pris d’un vertige qui le rallongea alors qu’il essayait de se lever.

« Ça ne va pas ? » demanda Tigre, inquiet.

Un grand craquement retentit et le sol s’ouvrit sous le lit, tandis qu’une pluie de gravats s’abattait sur le couvre-lit. Tigre se dressa en travers de son maître, lui protégeant le visage de son dos musclé. La terre tremblait toujours alors qu’au dehors, le jour commençait à se lever.

[Taliesin]

La secousse ne donnait aucun signe de vouloir s’arrêter, et Victor décida de sauter hors du lit, même s’il se privait ainsi de la protection de Tigre. Il attendit que les débris se fassent un peu moins nombreux et bondit sur le sol, ce qu’il regretta aussitôt : un violent vertige le fit tanguer dangereusement et il eut tout juste le temps de s’accrocher à l’un des piliers du lit, ce qui lui évita de s’étaler de tout son long.

Lorsqu’il fut un peu remis, il entreprit de s’habiller, tâche rendue difficile par la secousse et la pluie de débris. Lorsque ce fut cependant chose faite, il ceignit sa rapière et se dirigea tant bien que mal vers la porte. Il l’ouvrit et pénétra dans le couloir, Tigre sur les talons.