[Lieu]À la Crique-aux-Fous (RP : l'inattendu)

[Mornagest]

En provenance de

Ils se tinrent prêts. Les elfes n'avaient jamais "subi" de téléportation, mais ils en connaissaient le principe. Mornagest préféra ne pas les avertir concernant les éventuels désagréments digestifs. Apparemment, tout le monde ne les ressentait pas de la même façon, ils y seraient peut-être insensibles ?

Lothringen débuta son incantation, et soudain, ils disparurent du campement. Comme à chaque fois, le mélandien avait l'impression que le déplacement durait des heures, qu'il était balloté par des vents violents, retourné dans tous les sens... en réalité, la téléportation était presque instantanée. Les magiciens les plus farfelus des Royaumes avaient quelque théorie quant au déroulement du sortilège.

"L'espace et le temps sont des dimensions séparées mais dépendantes. Si vous altérez l'espace, vous altérez de même le temps. En vous déplaçant à une vitesse presque instantanée, vous déformez l'espace qui est autour de vous, afin qu'il puisse s'écarter de votre chemin. De même, l'impression désagréable résultante de ce sortilège est probablement dû à une légère perte de matière, muée en énergie calorifique entre autres. Il serait intéressant de tenter des téléportations sur des distances plus élevées", concluent généralement ces sages magiciens un peu fous cependant, mais nul n'a jamais eu de retour des mages s'étant déplacés sur d'autres continents. Trop de chaleur créée, ou fin horrible dans une marmitte d'anthropophages gloutons, le résultat revenait presque au même, au fond...

Toujours était-il qu'ils se retrouvèrent tous les cinq sur le quai de la Crique-aux-Fous, reprenant tranquillement leur équilibre, comme s'ils avaient simplement fait un faux-pas. Sauf le guerrier qui se tint un instant le ventre, plus par prévention que par réelle gêne... cela allait mieux qu'avant, nota-t-il.

"Mettons-nous à la recherche de la demeure du bourgmestre", conseilla Elenaë.

[Lothringen]

A son grand déplaisir, Lothringen constata que les villages helonniens n'étaient pas tous construits selon un plan prédéfini, et qu'en remontant la rue principale jusqu'au carrefour, on ne tombait pas sur une maison à balconnade. Ils errèrent donc quelques temps dans le village, hésitant à interroger des habitants que la vue des elfes – noir et blancs - avait tendance à écarter de leur chemin.

"Il faut trouver rapidement", grommela le semi-drow."Ils vous prennent encore pour des pillards, ici..."

Par chance, en contournant un temple de Valkur, ils trouvèrent une demeure qui ne pouvait être que celle qu'ils cherchaient : un grand domaine cerné de barrières, au jardin soigné ; une maison de pierre à deux étages, des écuries, et même deux gardes du corps devant l'entrée.

"Que faire ?murmura-t-il.Il ne s'agirait pas qu'il s'enfuie pendant que vous vous expliquerez avec ses gorilles..."

[Mornagest]

"Il ne doit pas avoir la conscience bien tranquille pour s'équiper ainsi de personnages aussi sympathiques", fit remarquer le mélandien.

"Nous allons surveiller l'arrière de la maison. S'il tentait de s'enfuir, nous le verrions aussitôt. Cylastrielle, reste avec ces messieurs et tente d'obtenir une audience. En cas de grabuge, retrouvons-nous sur les quais... on ne sait jamais."

La méfiance des elfes s'expliquait aisément vu la traque qu'ils avaient subie. Les deux autres s'en furent chacun de leur côté et contournèrent largement la maison afin de n'être plus en vue des gardiens. Lorsque le trio jugea qu'ils avaient eu suffisamment de temps pour se mettre en place...

"Hum... je crains que tu ne souffres d'autant, voire plus, de discrimination que nos amis", fit remarquer Mornagest à son compagnon.

[Lothringen]

La remarque ne manquait pas de pertinence. Depuis qu'il occupait un poste éminent dans la hiérarchie manostienne, Lothringen oubliait un peu trop facilement ce détail. Il aurait pu rejoindre les elfes dans leur planque et laisser Mornagest et Cylastrielle s'expliquer avec le bourgmestre, mais cela avait un petit quelque chose de frustrant.

"D'accord... Attendez-moi un instant, le temps que je me rende présentable...."

Il disparut derrière un coin de bâtiment, hors de vue de la rue et de la demeure, réfléchissant à son sort de déguisement, pour réapparaître quelques instants plus tard, sous forme humaine, avec la mine et la mise d'un éventuel petit frère de Mornagest. Pas forcément plus recommandable qu'un semi-drow, tout bien réfléchi, mais humain, ça oui.

"C'est mieux comme ça ?"

[Mornagest]

Le mélandien opina du chef avec un sourire en coin. Lothringen avait le chic pour prendre des apparences parfois incongrues... Les trois s'approchèrent des gardes, en essayant de paraître le plus aimable possible ; leur mine patibulaire n'était pas engageante pour un sou, à vrai dire. Cylastrielle lança :

"Salutations. Nous aimerions obtenir une audience auprès du bourgmestre.
- C't'à quel sujet, au fait ?", grogna le premier.
"Nous voudrions nous entretenir avec lui de l'organisation d'une manifestation artistique dans le village, ayant pour thème le milieu marin. Mais avant toute chose, il nous faut son autorisation, et...
- Mouais..." grogna l'autre. Il ne donna pas son avis sur la question, mais son expression parlait pour lui. "C'est bon. Entrez. Mais pas trop longtemps, l'est occupé en c'moment."

Tous trois étonnés que le mensonge fût aussi facilement gobé, ils restèrent une seconde sans bouger avant de se mettre en route vers la porte d'entrée de la bâtisse, et de pénétrer à l'intérieur.

L'entrée de la maison était lourdement chargée de meubles divers comme une immense penderie, une commode en chêne massif et un buffet qui paraissait craquer sous les bibelots aussi inutiles que de mauvais goût. Un tapis élimé avec de vagues motifs exotiques, qui couvrait le parquet, parachevait l'ensemble excentrique.

"Drôle d'endroit", commenta Mornagest tout bas. "Où se trouve-t-il, cet oiseau-là ?" La réponse vint rapidement lorsque la porte d'entrée se referma sur les deux gardes, qui, tout sourire, les regardaient maintenant d'un œil mauvais.

"Z'auriez pas dû v'nir avec une elfe ici, vous savez ?", fit l'un d'eux.

[Lothringen]

Lothringen, un instant, se demanda s'il avait bien compris le sous-entendu, et s'il ne reconnaissait pas cet œil-là, ce sourire-là, pour les avoir déjà subis ailleurs. A leurs côtés, Cylastrielle tendait instinctivement la main vers sa garde. Réprimant son dégout, il répliqua :

"D'accord, on ne vient pas pour une manifestation artistique..."

Où Mornagest était-il allé piocher une idée aussi farfelue, d'ailleurs ?!

"... Mais ce n'est pas une raison suffisante pour ruiner le bel intérieur de votre employeur. Nous souhaitons discuter avec lui du statut des elfes dans la région. Certains événements récents ont quelque peu changé la donne."

Il toisa les deux gardes. Ils paraissaient bien sûrs d'eux... Avaient-ils des renforts cachés ?

"...Reste à savoir si vous faites ici office de gardiens ou si vous prenez aussi les décisions à sa place."

Une insomnie.

[Mornagest]

Les gardes restèrent circonspects. Le sujet était sensible pour leur patron, ils le savaient ; les elfes, dans la région, n'étaient pas bien vus, et ce depuis un bon moment. C'était fréquent, dans les villages reculés : la vue d'une créature étrangère suscitait des réactions pas franchement amicales... et le moindre incident provoqué par l'une d'entre elles alimentait la méfiance populaire.

"L'a aut'chose à faire que discuter de ça. C'est pas vos oignons. Repartez, avec votre garce d'oreilles pointues, et r'mettez pas les pieds..."

Il fut interrompu par la voix d'un homme bourru, venant de l'étage :

"Eh bien ? Que signifie ce remue-ménage ? Qui sont ces gens ?
- Des amis des elfes, m'sieur Gorlan. On s'occupe d'eux.
- Que veulent-ils ?"

L'homme, âgé, apparut par-dessus la rambarde des escaliers. Sa silhouette courbée laissait deviner le poids des années qui s'était accumulé sur ses épaules voûtées. Les rares cheveux blancs qu'il arborait sur le sommet de son crâne étaient longs et rejettés en arrière, pour vainement tenter de masquer sa calvitie importante. Il s'appuyait sur une canne en bois, et il donnait l'impression de risquer de choir à tout moment, et de se briser en mille morceaux comme un vase fragile.

Mornagest répondit au vieil homme. "Nous voulons savoir à quoi riment les attaques menées contre les quelques elfes vivant dans la région.
- Des elfes ? Quels elfes ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire, encore ?"

Les deux gardes paraissaient ennuyés de l'intervention du probable bourgmestre. Leur regard allait du vieil homme au trio d'aventuriers, ne sachant comment réagir.

[Lothringen]

Soit le bourgmestre était un expert en dissimulation, soit ce vieil homme approchait du gâtisme et il y avait de la manipulation dans l'air. Leurs prisonniers avaient peut-être menti, mais cela semblait peu probable. A moins que que le bourgmestre n'ait un conseiller un peu trop diligent qui se cachait derrière son nom ? Quoi qu'il en soit, ils avaient tout à gagner à s'adresser directement à lui.

"On accuse les elfes de divers pillages commis dans la région, et on les pourchasse, au point qu'ils ont été contraints de vivre en hors la loi dans les profondeurs de la forêt. En réalité, nous pensons qu'on leur fait porter le chapeau pour des actes commis par d'autres. Il reste que quelqu'un semble prendre un intérêt tout personnel à les anéantir, au point de recruter des mercenaires rien que pour cela. Nous sommes tout à fait disposés à vous raconter cette histoire plus en détail. Si toutefois vous voulez bien dire à vos gorilles de nous laisser passer..."

[Mornagest]

Le vieil homme écouta parler Lothringen, qui, dissimulé sous des traits d'emprunt, lui apparaissait sous des abords bien plus sympathiques qu'il ne l'eut fait en conservant son apparence d'ébène. Puis, il hocha la tête en renvoyant les deux gardes à leur poste.

"Tout juste, mon jeune ami. Ces butors n'y entendent rien à ce genre d'affaires", souffla-t-il discrètement au semi-drow, alors que les deux hommes s'exécutaient de mauvaise grâce. Il leur fit ensuite signe de le suivre et ils grimpèrent les escaliers avec circonspection. L'apparente bonne volonté du bourgmestre n'était pas une raison pour baisser la garde.

Il les attendait dans son bureau, vaste mais très encombré de piles d'ouvrages en tous genres : géographie du continent, histoire des peuplades de Féerune, alchimie, religion...

"Je passe beaucoup de temps à lire, comme vous pouvez le constater. M'occuper du village ne demande qu'assez peu de temps. Le coin est calme, et j'en profite pour satisfaire ma curiosité en dévorant ces manuscrits. Et... je suis très étonné de cette histoire d'elfes pourchassés. Personne ne m'en a touché mot ici. Il faut dire que je ne sors que très peu, ma santé est vacillante... Je m'informe par l'intermédiaire de mon conseiller, en qui j'ai une confiance totale..."

[Lothringen]

Lothringen haussa un sourcil. Ce conseiller était-il le véritable coupable ou avaient-ils affaire à un très habile menteur qui brouillait les pistes ?

"Il aurait dû au moins vous tenir informé. A Aigues-Douces, le bourgmestre nous affirmait que le trafic commercial par voie de terre était quasiment coupé, à cause de ces attaques..."

Et le semi-drow entreprit de raconter par le menu l'ensemble de l'affaire, telle qu'ils l'avaient reconstituée : des attaques ciblées sur les voyageurs et les isolés, dont on accusait les elfes, des barques qui disparaissaient, des elfes traqués, un faux groupe de soi-disants paladins de Tyr envoyés par on ne savait qui, mais certainement pas par les autorités luméniennes, pour les massacrer. Il se garda cependant de préciser que les survivants de ce groupe de mercenaires l'accusaient de les avoir commandités.

Puis il se tut. Il n'avait pas à parler à la place de l'elfe, pour ce qui était d'une éventuelle résolution de l'affaire ; c'était elle, leur porte-parole.

[Mornagest]

Le bourgmestre resta coi pendant que Lothringen lui narrait les événements qui s'étaient déroulés dans sa propre bourgade. Il semblait plongé dans ses réflexions, les yeux à moitié fermés. Allait-il s'endormir avant que le semi-drow ne termine ses explications ? Vu son état, c'était possible. Mais lorsque le manostien en eût terminé, il leva la voix, empreinte d'une colère mal contenue.

"Ce que vous me racontez là est tout simplement abominable. Des traqueurs d'elfes, dans ce pays ? Des machinations ? Des faux paladins ?" À mesure qu'il parlait, sa voix se haussait, et il commençait à transpirer abondamment. Son front était moite, et il paraissait respirer avec difficultés.

"Qu'on mette la main sur mon conseiller ! Il était certainement au courant ! C'est lui qui gère le village. Je ne suis..." Il se tint la poitrine en grimaçant. "Argh... excusez-moi. Mon cœur est fatigué, je ne devrais pas..." Sa respiration se fit plus haletante, et son teint était cireux.

"Il va mourir !", s'étonna Mornagest, qui n'avait jamais vu un homme trépasser d'émotion.

Le bourgmestre attrapa un petit flacon en verre ambré, qui contenait apparemment des pilules comprimées. Un remède contre ses problèmes cardiaques ? Il avala trois pilules d'un coup, et déglutit péniblement, avant de fermer les yeux et reprendre une respiration plus calme et profonde.

"Cela va mieux. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive. Écoutez. Vous devez retrouver cet homme. S'il m'a réellement caché tout ceci, il mérite la mort. En ce moment, j'ignore où il peut être, cependant... je ne le vois que deux fois par semaine, lorsqu'il me donne des nouvelles du village. Demandez à mes gardes, ils savent peut-être... enfin, j'en doute. Maudits gardes, c'est lui qui a insisté pour les engager. Avec eux, je n'ai plus le droit de faire un pas sans qu'ils ne m'escortent, comme si j'étais un empereur ! Pfff, mes villageois m'apprécient, j'en suis sûr..."

Les trois aventuriers se regardèrent. Devaient-ils suivre la piste ? Ils n'avaient guère d'autre possibilité pour l'instant.

"Mais il est au village, tout de même ?", demanda Cylastrielle. "Allez savoir ! Mais attendez, je pense que j'ai sous la main, quelque part, son emploi du temps... comme il part souvent en promenade, il m'avait indiqué quels jours je pouvais le rencontrer si j'en avais besoin. Ah, le gredin, s'il partait pour aller machiner ses combines, je le pendrai moi-même !"

Il se mit à fouiller ses affaires avec entrain, déplaçant des piles de papiers et de livres couverts de poussières et de résidus de cendre de tabac, mais ne trouva pas ce qu'il cherchait. Les autres s'impatientaient quelque peu, mal à l'aise avec ce vieux bonhomme si étrange. Délirait-il ? À en juger par les regards de l'elfe et du semi-drow, Mornagest constata qu'il n'était pas le seul à avoir eu cette idée en tête...

"J'ai mal", grogna le bourgmestre, alors qu'il reposa violemment quelques livres, les laissant presque tomber. "Je ne me sens... pas bien." La respiration haletante revint rapidement, et il se passa les mains dans le cou, sur la poitrine. Cette fois, les autres le firent s'asseoir d'autorité, espérant que la crise ne repasse.

"Calmez-vous", conseilla Cylastrielle. "Peut-être votre remède met-il du temps à agir ?
- Non... d'habitude, c'est immédiat", souffla-t-il avec difficulté. "Je..." il s'évanouit alors, pour ne jamais se réveiller. Quelques courtes minutes plus tard, son cœur s'était éteint.

[Lothringen]

Lothringen avait assisté à la scène de bout en bout, rongé par l'impuissance et un vague sentiment de culpabilité. Cet homme était innocent, et c'était lui qui mourait - et c'étaient eux qui avaient provoqué cela !

Du point de vue de leur affaire, le décès soudain du bourgmestre les mettait dans une situation plus qu'inconfortable. Si l'on apprenait qu'il était mort durant leur visite, nul doute que l'on accuserait les elfes de l'avoir assassiné. Avec lui, ils perdaient leur unique témoin... Il ne leur restait plus d'autre choix que de retrouver son conseiller félon.

Interroger les gardes ? C'était risqué, car ces derniers étaient probablement de mèche. D'un autre côté, ils avaient peu de chances de retrouver dans ce fatras le fameux emploi du temps que cherchait le bourgmestre... Lothringen fouilla tout de même à son tour, dans l'espoir de leur épargner une confrontation hasardeuse avec les gardes du corps.

[Mornagest]

Contre toute attente, Lothringen finit par tomber rapidement sur un petit carnet à couverture en cuir noir, usé et dont les pages étaient jaunies par le temps. Il l'ouvrit promptement et trouva ce qu'il cherchait : des dates et des notes concernant l'emploi du temps du conseiller de feu le bourgmestre de la Crique-aux-Fous. Il occupait ce poste depuis un moment, à en juger par l'amplitude des dates présentes sur les pages du carnet...

Le semi-drow fouilla dans les derniers feuillets couverts d'encre. Plusieurs notes récentes mentionnaient des rencontres à des fins de commerce de poisson avec quelques villages alentours. Un prétexte pour aller en douce comploter contre le bourgmestre sous le couvert de la confiance aveugle qu'il avait en lui ? Les autres notes semblaient anodines : recevoir tel ou tel villageois pour régler ses menus soucis, une réunion des notables de la bourgade afin de décider des actions à mener pour améliorer le quotidien de ses habitants...

Malheureusement, il n'était pas indiqué où le conseiller était en ce moment ; la dernière note datait de la veille : rencontre dans un village proche de trois lieues.

"On sait où le trouver ?" s'enquit Mornagest, tandis que Cylastrielle guettait l'arrivée inopportune des gardes.

[Lothringen]

"On sait où il se trouvait hier, au moins... Dans un village tout près d'ici."

Il rangea le carnet dans sa poche de poitrine.

"Il ne peut pas être bien loin. Si on allait jeter un coup d'œil là-bas ?"

Le semi-drow ouvrit largement une fenêtre qui donnait sur l' arrière de la maison avant de l'enjamber pour sauter dans le jardin, où devaient se tenir deux elfes tellement bien camouflés qu'il ne les voyait pas. Il se réceptionna sans difficultés. Ce n'était qu'un premier étage...

[Mornagest]

Les trois aventuriers se retrouvèrent au rez-de-chaussée sans encombres, et les deux elfes les interrogèrent du regard.

"Pas le temps", souffla Cylastrielle. "Nous devons semer les deux gardes. Le bourgmestre est mort et on va nous accuser dès qu'ils l'auront trouvé. Partons d'ici !"

Ils s'en allèrent donc d'un pas soutenu, en direction de la forêt qui débutait non loin de là. Nulle trace de poursuivants, mais il y avait fort à parier que les deux gorilles savaient que leur maître allait passer l'arme à gauche en lui forçant un peu la main...

Lorsqu'ils furent suffisamment loin pour se permettre de faire une halte, Mornagest résuma la situation aux deux elfes, ajoutant :

"Méfions-nous... on nous envoie peut-être dans un nouveau guet-apens. Tout ceci n'était peut-être qu'une mise en scène pour nous mener je ne sais où..."

[Lothringen]

Lothringen fronça les sourcils. En fait de mise en scène, le bourgmestre était bel et bien mort, et son conseiller se serait trouvé dans de sales draps s'il avait survécu. Mais admettons...

"Quel genre de précautions pouvons-nous prendre ? Prévenir le reste de votre troupe, déjà... Et ne pas laisser d'oreilles pointues apparentes dans le village. Ils avaient déjà des regards suspicieux ce matin ; je n'ose imaginer ce que ce sera quand la nouvelle de la mort du bourgmestre se sera répandue.

D'un autre côté, à supposer que nous parvenions à trouver cet homme, que ferez-vous ? Avons-nous les moyens de le confondre ? La parole d'un mercenaire risque de ne pas peser lourd. A supposer qu'il ne se rétracte pas... Quant à ce carnet, peut-être pourra-t-on établir un lien entre les déplacements de cet homme et les attaques subies par la population, mais rien n'est moins sûr."

Il soupira. Se faire justice eux-mêmes ne permettrait pas aux elfes de reprendre une vie normale dans la région, et c'était cela qu'ils voulaient, non ? Quant à espérer que l'individu parle de lui-même, ou sous la menace... Il serait désormais difficile à surprendre.

[Mornagest]

Les elfes avaient la mine sombre. La moindre de leurs options ne semblait pas bonne, et ils auraient probablement les pires difficultés à faire entendre justice quant à l'empoisonnement du bourgmestre.

"Je crains que cette haine développée à notre encontre ne s'arrête si facilement... nous n'avions jamais été les bienvenus ici, malgré que c'était... notre pays. Les humains nous ont pourchassé, et depuis lors, nous survivons comme nous pouvons. Cette histoire ne fera qu'attiser les rumeurs comme quoi nous en voulons aux humains.
- Mais nous ne faisons que nous défendre !
- Malheureusement, je sais ce dont sont capables les humains...", répliqua Mornagest, l'air sinistre. Melandis était un formidable lieu de croisement de cultures et races diverses, mais il y subsistait malgré tout des discriminations... qui prenaient parfois la forme d'atroces massacres.

"Tout cela ne nous dit pas ce que nous devrions faire... j'ai l'impression que c'est sans espoir", déclara un des elfes qui ne parlait pas beaucoup, et qui répondait au nom de Xan.

[Lothringen]

Lothringen haussa les épaules. Il avait été bien naïf d'espérer la moindre suggestion de la part des intéressés.

"Bon, assez de défaitisme. Dans le pire des cas, vous pourrez trouver refuge en territoire manostien, quoi que l'on vous reproche ici."

Quelques regards interrogateurs accueillirent sa déclaration.

"... Je le sais, c'est tout. Ce qu'il pourrait nous arriver de mieux, en revanche, c'est de réussir à faire parler cet homme ou de trouver des preuves de ses agissements. Il faudra donc commencer par connaître ses habitudes, le suivre plutôt que de chercher tout de suite l'attaque frontale. Gagnons ce village et effectuons-y une reconnaissance."

Cette nouvelle péripétie allait encore rallonger l'aventure sans qu'il ne voie avec certitude le moment d'en venir le bout. Mais il n'était pas question de laisser le responsable de tout ceci s'en tirer tête haute...

[Mornagest]

La marche reprit donc, sans réel entrain autre que celui d'espérer se dédouaner de cette sinistre affaire. Les elfes étaient mal embarqués, et les deux aventuriers quelque peu moroses de rester sur un échec aussi cuisant. L'ambiance était donc assez froide pendant une bonne partie du trajet, qui était heureusement assez court : moins de deux heures plus tard, ils arrivèrent en vue de l'orée de la forêt, qui donnait sur le village, un gros groupe de maisons bâties autour d'une chapelle dédiée à Sylvanus. Il ne serait pas très difficile de retrouver l'assistant de feu le bourgmestre de la Crique-aux-Fous, s'il ne se cachait pas déjà...

"Par où commencer ? Nous n'allons pas passer inaperçu par ici, c'est certain", souffla Mornagest.

[Lothringen]

Quelle que soit l'apparence adoptée, aucun étranger ne pouvait espérer passer inaperçu en un endroit pareil. Lothringen repensa aux appréhensions de Mornagest. Se pouvait-il qu'il s'agisse d'un piège, que la mort du bourgmestre ait été calculée, qu'une fausse information ait été à dessein laissée dans ce carnet ? C'était plutôt tordu, mais après tout... On n'est jamais trop prudent.

"Je vais jeter un oeil... "

Lothringen = = > métamorphose : chat

Au terme de l'incantation, Mornagest vit un chat gris maigrichon lui filer dans les jambes avec un miaulement d'adieu. L'animal se rapprocha des maisons, gagna un cerisier, escalada les branches, sauta sur le toit, se faufila sur les tuiles. Il comptait d'abord vérifier s'il ne voyait personne dehors, au milieu du cercle des demeures. A défaut, il chercherait une taverne, et à défaut, écouterait aux cheminées, aux portes et aux fenêtres.

[Mornagest]

Ils attendirent donc, avec une certaine appréhension chez Mornagest, qui était dans une phase pessimiste. Pourquoi, il ne le savait exactement, mais toute cette affaire semblait trop complexe pour qu'il s'agît d'une simple traque à l'homme. Évidemment, il se trompait peut-être ; il l'espérait même. Mais tout de même...

Le chat Lothringen maraudait dans les ruelles, calmes à cette heure de la journée. Les gens devaient manger chez eux, tranquillement. Peut-être du côté de la chapelle ? Il n'avait repéré aucune auberge, mais vu la taille du hameau, ce n'était guère étonnant.

Sur le chemin, il fit une malheureuse rencontre avec un énorme matou. Le genre de gros chat qui n'existe qu'en un seul exemplaire dans chaque village, et souvent parce que les autres se sont enfuits depuis belle lurette face à son agressivité dominatrice. Du genre à avoir une descendance aussi chargée que celle d'un petit-homme particulièrement actif, aussi. Du genre à n'accepter strictement aucun intrus à trois lieues à la ronde.

Or, l'intrus était là. Et le matou feula gravement avant de s'avancer d'un air menaçant vers Lothringen...

[Lothringen]

On ne discute pas avec un animal belliqueux qui porte jusque sur son oreille en berne car déchiquetée les stigmates de ses nombreuses batailles. Le chat Lothringen, qui devait bien faire la moitié de son poids, prit donc la fuite, la queue entre les pattes pour éviter de se la faire mordre. Il se mit donc à revenir sur ses pas, à quatre pattes et en ligne courbe sur les tuiles glissantes, ce qui le conduisit à nouveau près des elfes et d'un Mornagest singulièrement absent. C'est alors qu'il se remétamorphosa en semi-drow, dégainant une hache un brin énervée devant un poursuivant qui faisait tout de suite beaucoup moins le fier. Que l'animal se permette un miaulement, un seul, et ce serait à qui serait le plus rapide, de Lothringen ou des flèches des elfes...

[Mornagest]

La grosse boule de poils n'en menait pas très large face à quatre "oreilles pointues" qui le braquaient des yeux - et des armes - d'un air menaçant. Mais le matou en avait vu d'autres. Après tout, il avait même mis en déroute un berger allemand et même un ours affamé venu lorgner trop près de son territoire de prédilection. Ce n'était pas cette bande d'imberbes qui allait l'effrayer, tout de même !

Aussi, l'animal hérissa le poil et se mit à feuler désagréablement, en produisant également une espèce de grondement, qui aurait pu s'apparenter au rugissement d'un lion un peu fluet. Ce matou était un vrai fauve... il s'avança d'un pas, puis d'un second, vers Lothringen.

[Lothringen]

****âmes sensibles s'abstenir****

Le sac à puces semblait du genre tenace, et son feulement risquait de donner l'alerte aux habitants du cru, ce dont les cinq intrus n'avaient certainement pas besoin : le collectif des oreilles en pointes valida donc sur-le-champ sa décision de mise à mort immédiate de l'importun. Lothringen abattit sa hache, les elfes détendirent les cordes de leur arc, et c'est une boule d'épingles pelucheuse et fendue en deux qui tomba aussitôt sur le sol, sans plus de temps pour pleurer sa mère.

Lothringen essuya d'un revers de manche son front encore en sueur de la petite course-poursuite qu'il venait de soutenir. Le bougre était rapide...

"Bon... Anecdote à oublier dans le futur rôle de nos exploits de jeunesse", ajouta-t-il à l'attention de Mornagest, un demi-sourire aux lèvres. Il se tourna alors vers le reste de l'assistance :"Je n'ai vu personne en extérieur. Pas d'auberge non plus. Notre type peut loger chez l'habitant, ou camper dans la chapelle... A moins qu'il ne soit pas ici, évidemment. Une solution possible est d'attendre de voir si ça bouge."

[Mornagest]

Alors qu'il terminait sa phrase, un trio d'humains sortait d'une des ruelles et se dirigeait vers la lisière de la forêt, là où se trouvait le groupe d'aventuriers. Plus le temps de se mettre à couvert... les trois individus remarquèrent aussitôt les elfes et pointèrent un doigt accusateur vers eux, avant de repartir d'où ils venaient en courant et en s'exclamant d'un ton duquel perçait la panique brute.

"On dirait que ce sont nos oiseaux", grogna Mornagest. "On se sépare pour les suivre ?"

Le temps pressait.

HRP : pauv'tite bête

[Lothringen]

Il y avait quelque chose de bizarre dans le soin qu'avaient pris ces hommes de bien les désigner et de parler bien haut avant de prendre leurs jambes à leur cou. Les mauvais pressentiments de Mornagest lui revinrent en mémoire. Ces derniers pouvaient aussi être fondés... Lothringen fit signe aux elfes.

"Vous à droite, nous à gauche. Ne foncez pas trop vite, cette fuite ostentatoire sent le piège à plein nez."

Il se lança une image-miroir avant de se tourner vers Mornagest.

"Je suppose qu'ils vont vouloir les suivre au plus près. Contournons le village par l'arrière des maisons... "

[Mornagest]

La course à pied n'était pas la spécialité de Mornagest, mais il se défendait, à condition d'avoir les jambes libres. Aussi, il dégaina sa lame et engagea la poursuite, Lothringen sur les talons.

Le hameau n'était pas grand, et ils purent facilement s'apercevoir que les fuyards étaient déjà sortis par l'autre côté du groupe de maisons et s'enfonçaient dans la forêt. S'ils souhaitaient les semer, l'idée était idiote ; ils avaient à faire à des elfes, habitués de ce type de paysage...

Rapidement, les cinq aventuriers gagnaient du terrain sur les trois hommes, plus âgés ou mal entraînés à courir sur de longues distances. L'un d'entre eux chuta au sol, ayant trébuché sur une racine de chêne qui sortait de terre. Ses compagnons ne jetèrent même pas un regard en arrière et poursuivirent leur course désespérée.

Ils ne semblaient pas bien connaître l'endroit, car ils se retrouvèrent bloqués par d'épais taillis, quelques dizaines de mètres plus loin. Hésitants, ils bifurquèrent vers la droite, mais deux des elfes étaient déjà là, arcs pointés vers eux, le troisième ayant réduit le maladroit hors de combat.

Lothringen et Mornagest suivaient de près. La partie était terminée... soufflant un instant, les deux guerriers inspectaient les individus, tandis que le troisième était amené auprès de ses comparses. Des humains, en effet, âgés d'une bonne trentaine d'années, tous les trois. L'un était laid comme les sept péchés capitaux, et portait des vêtements miteux et mal raccommodés. Le deuxième était plus distingué, avec son bouc finement taillé et sa tunique en tissu solide. Le troisième, enfin, se contentait de trembler de tous ses membres tout en jetant des coups d'œil effrayés vers le semi-drow.

[Lothringen]

Lothringen reprenait son souffle, tout en examinant les trois hommes d'un air las. Ils n'avaient pas l'air disposés à parler sans qu'on leur tire les vers du nez, et le semi-drow se sentait fatigué par avance d'endosser systématiquement le rôle du méchant qui fait peur. Il avait été trop longtemps dans le rôle de la victime ; il ne prenait aucun plaisir à s'identifier à ceux qu'il haïssait... Espérant qu'ils obtiendraient enfin les réponses qu'il leur manquait, il se tourna vers le troisième larron, qui paraissait le plus impressionnable du groupe.

"Dis-nous tout de suite ce que nous voulons savoir, jaluk, et ce moment désagréable durera moins longtemps. Qui êtes-vous, tous les trois ?"

Le guerrier-mage en avait plus qu'une petite idée, mais il voulait tester les bonnes ou mauvaises dispositions de leurs invités.

[Mornagest]

En effet, le troisième semblait bien plus impressionné par le groupe d'aventuriers, que ses deux comparses. Mais ceux-ci n'en menaient pas large non plus, à vrai dire... ils semblaient très inquiets, et certains de périr par l'acier ou le bois des flèches des elfes. Pouvait-on leur donner tort ?

"Je... moi ? Je suis juste... un exécutant. Les chefs, c'est eux ! Moi, j'ai juste enga...
- Mais ta gueule !", l'interrompit brutalement le porteur de bouc. "Il est dedans jusqu'au cou, lui aussi ! Ne le croyez pas. C'est lui qui a eu l'idée de se débarrasser des elfes de la région en engageant de faux paladins. C'est lui qui les a engagés, aussi. Et c'est lui qui a trouvé les moyens de les payer... grassement.
- Et toi ? Comment as-tu trempé là-dedans ?", interrogea Mornagest, l'œil mauvais. L'autre détourna le regard, intimidé, et répondit, moins franc :

"Euh... disons que c'est moi le commanditaire..." Les elfes allaient apprécier. Leur expression passa de la colère à la haine pure. Un mot de plus, et il finissait en pelote d'épingles géante.

[Lothringen]

Lothringen jeta un bref coup d'oeil à leurs alliés elfes. Leur soif de vengeance se lisait sur leurs traits. Après la traque dont ils avaient fait l'objet, les foyers qu'ils avaient dû quitter, les pertes qu'ils avaient subies, cela se comprenait... Le semi-drow n'aurait pas forcément cherché à retenir leur bras si certains points de cette affaire n'avaient encore besoin d'être éclaircis. L'aversion contre les oreilles en pointes était-elle l'unique motivation de ces hommes ? De quels soutiens avaient-ils bénéficié ? Lothringen aimait comprendre.

"Je vois. Quelle intéressante histoire..."

Il se tourna vers le troisième, l'hideux, qui n'avait pas encore ouvert la bouche...

"Une histoire dont j'aimerais entendre la version complète. Et toi, quel rôle as-tu joué ? As-tu composé une ode à la haine raciale, profité des pillages, ou bien y avait-il d'autres motivations moins évidentes derrière cette grossière machination ? Des dizaines de personnes sont mortes. Il désigna du chef ses compagnons qui crispaient leurs mains sur leurs armes. Ça ne nous rend pas très patients."