[Habitation] Hôtel de Melisande de Gorneval - Le Poing Levé - Althéa

[Lothringen]

L'hôtel de la rue Tortueuse où logeait dame Melisande depuis son arrivée à Manost était un hôtel particulier centenaire, qui s'était retrouvé à vendre quand la famille marchande qui en était propriétaire, sentant le vent tourner, avait décider d'abandonner la Cité Bénie à son sort pour poursuivre à Maztica ses nouveaux rêves de gloire et de fortune. La pression immobilière étant singulièrement à la baisse ces derniers temps, l'aquafondienne avait obtenu son acte de propriété pour deux ou trois bouchées de pain.

Dans le mur qui longeait la rue s'ouvrait un grand portail de fer forgé, derrière lequel le passant pouvait apercevoir un petit jardin de buis et de plantes médicinales, qui devait avoir été très correct mais souffrait d'un manque évident d'entretien. Après avoir traversé l'allée, on se trouvait devant quelques marches menant à une vaste esplanade de pierre grise. Trois grandes porte-fenêtres peintes en blanc donnaient sur cette terrasse, mais seule celle du centre semblait devoir s'ouvrir aux visiteurs.

[Althéa]

Au moment voulu et à l'heure dite, Jack s'était présenté devant les doubles portes, frais et dispos. Entre temps, son moi-véritable s'était occupé de sa fille, avait discrètement payé les garnements et s'était permis de se reposer un peu. Althéa avait tenté de ne pas penser à Elissa et à ce qu'elle voulait lui dire. Il y avait dans les paroles de son amie quelque chose d'inquiétant qu'elle ne pouvait pas s'expliquer. Elle pourrait bien sûr retourner la voir pour la tenir au courant des avancées de sa mission, mais elle savait pertinemment que la moinesse ne lui dirait pas un mot avant le moment voulu.

Elle s'était donc concentrée sur Jack, le jeune serviteur de Thom. Celui-ci devrait être fidèle, appliqué, ordonné. Cela serait difficile. Mais elle saurait donner le change. Du moins, il le fallait.

[Lothringen]

Un serviteur le fit attendre dans un salon, puis Melisande le reçut avec son aisance mondaine coutumière. Elle lui fit visiter la demeure, lui montra la disposition des pièces, les tapisseries usées, les parquets à refaire, le jardin à l'abandon, lui présenta les quelques serviteurs dont elle disposait déjà - voiturier, cuisinière, femme de chambre - et conclut :

"Cet hôtel particulier n'a pas été habité pendant au moins un an, ce qui explique son léger état de dégradation. Il n'est pas immense, mais nécessite tout de même la présence d'un intendant efficace. A l'heure actuelle, il est trop abîmé pour que j'ose y recevoir, et c'est la principale raison de mes aller-retours continuels à la guilde des marchands. Ah ! Quand on est habitué au luxe d'Eauprofonde, tout ceci parait un peu étriqué... Thom Merillym vous a-t-il jamais parlé de la Cité des Splendeurs, Jack ? Elle n'a pas volé son surnom, vous savez... et Dorrandin paraît bien fade à côté..."

[Althéa]

Jack avait regardé autour de lui. Il semblait s'émerveiller de tout en dépit de l'état de vieillissement avancé de la bâtisse. Lorsque Melissande avait parlé d'un régisseur, il s'était contenté de hocher la tête avec modestie. Mais, quand la dame avait parlé d'Eauprofonde, ses yeux avaient semblé s'éclairer d'un coup.

"La cité des splendeurs. Oui, cette ville est magnifique. Thom Merillym m'a fait l'immense privilège de m'emmener avec lui lors d'un de ses voyages. J'ai trouvé cette cité aussi belle que mystérieuse."

Et il se tut afin de ne pas embêter la dame avec ses considérations toutes personnelles. Au fond de lui, Althéa pensait.

"Si vous saviez comme cette cité m'est odieuse. Elle a les relents âcres des cadavres et des vieux souvenirs. Oui madame, cette ville pue ..."

[Lothringen]

Mais Melisande ne s'attarda pas davantage sur son évocation d'Eauprofonde et revint rapidement au sujet du jour.

"Enfin voilà, il me faut quelqu'un pour redonner un aspect un peu plus présentable à cette bâtisse, afin que je puisse y recevoir sans rougir de honte. Et si vous pouvez recréer un petit salon aquafondien ici, ma foi, ce sera encore mieux. Quand le bâtiment sera remis en état, je compte bien y donner quelques réceptions... C'est que les relations marchandes ne dédaignent pas un petit coup de pouce que les mondanités fournissent plus souvent qu'à leur tour. Il y a des chambres à l'étage, et... Ah, je n'ai pas évoqué les gages. Eh bien mettons que je peux mettre autant que vos précédents employeurs. Seriez-vous intéressé ? Comme vous voyez, il y a du travail..."

Elle regarda Jack par en-dessous, ce qui était principalement imputable à sa petite taille. Toute cette volubilité donnait l'impression que Melisande était très douée non seulement pour les relations commerciales, mais pour donner le change en règle générale. Elle avait un abord en apparence franc et sympathique, mais il n'était guère aisé de savoir ce qu'elle pensait. Sinon qu'elle attendait une réponse.