[Bâtiment] Maison de la Bienveillance Culturelle

[Althéa]

Ce lieu n'a l'air de rien. Gris et construit sobrement comme la plupart des bâtiments de Manost, on pourrait le confondre avec tous les autres. Peu, à part ceux qui le connaissent savent qu'il existe et pourtant, il est très important pour une ville aussi à cheval sur la réglementation que la cité du Vigilant. Ici sont prises toutes les décisions concernant les Arts. Bardes, poètes, écrivains et artisans ne peuvent exposer, publier et produire sans être passés par cette instance. Il faut que leur travail soit strictement conforme à la norme en vigueur en ville. Les Artistes répondant aux critères deviennent officiellement les portes-paroles de la ville. Les autres sont gentiment remerciés et sommés de passer leur chemin.

On murmure que La Maison de la Bienveillance Culturelle dispose d'une milice qui arpente les tavernes et les rues afin de vérifier que seuls ses artistes puissent se produire.

[Kasumi]

L'homme qui se présenta aux portes du bâtiment grisâtre et austère ne payait pas plus de mine que les lieux. A première vue du moins. Mais on lui avait confié que ce ne serait pas forcément un mauvais point : bien des artistes un peu trop flamboyants avaient été remerciés et priés avec une certaine insistance de quitter la ville. C'est ce que disait la rumeur en tous cas. Une rumeur qui se faisait discrète, comme les artistes avisés.

Il se présenta dans un manteau gris, légèrement tâché par la poussière et la boue des chemins. Sous la capuche qu'il s'empressa d'ôter devant les gardes des portes, il affichait un visage juvénile plutôt affable quoique sérieux. Il s'inclina et salua poliment l'un des hommes qui lui barraient le chemin :

- Bonjour, est-ce bien ici qu'on peut s'inscrire en tant que conteur et musicien ?

[Althéa]

Le garde devant la porte lui offrit un sourire maussade avant de hocher la tête.

"Oui, c'est bien ici. Entrez et dirigez-vous vers la table d'accueil. Là, on vous attribuera un numéro qui vous indiquera votre ordre de passage. En ce moment, ils ne sont pas nombreux à se bousculer au portillon mais l'entretien est plutôt long."

Il ouvrit le battant et s'effaça pour le laisser entrer.

"J'espère pour vous que vous connaissez l'hymne de Manost."

Plaisantait-il ou pas ? Il allait bientôt le savoir.

[Kasumi]

L’hymne de Manost ? Etrange requête d’autant qu’il n’avait pas prétendu être chanteur. Enfin bon, même s’il était natif d’un village du Golfe de l’Oubli, il l’avait appris durant son enfance. Il était un peu rouillé mais sans doute qu’on ne lui en tiendrait pas rigueur. Malgré l’entrée en matière peu engageante avec le garde, c’est donc confiant qu’il s’approcha de la table indiquée pour prendre son numéro de passage. Un gage d’égalité : au moins ne faisait-on pas passer les amis ou simples connaissances avant les nouveaux venus en ville.

[Althéa]

Comme le garde l'avait prévu, on lui attribua un numéro : le 13. Ce n'était pas de chance s'il était superstitieux. Dans tous les cas, il dût patienter un bon moment jusqu'à ce qu'une frêle jeune femme vienne le chercher. Elle l'entraîna dans un couloir étroit couvrant quatre porte. Elle s'arrêta devant celle du fonds. Avec un petit sourire, elle lui souhaita bonne chance. Juste avant qu'on ne l'invite à entrer, il vit une femme en pleurs sortir de la troisième pièce sans que personne ne songe à la rattraper.

Puis vint le moment pour lui de se présenter. La pièce dans laquelle il entra était un petit bureau aveugle. Devant lui une grande table de bois massif derrière laquelle étaient postés deux personnes en armure et une troisième à l'air revêche dont les vêtements laissaient à penser qu'elle était légiste ou quelque chose de ce genre.

"Veuillez décliner votre identité."

[Kasumi]

Eh bien, il s'était attendu à un accueil différent : peut-être pas plus jovial ou même convivial. Mais le jury lui donnait la fâcheuse impression d'être un peu trop martial. Ne se laissant pourtant pas démonté pour si peu - il avait déjà eu plus d'une fois affaire à des publics difficiles quand ils n'étaient pas tout simplement indifférents à ses tentatives artistiques :

- Bonjour, je suis Maxime Voreslav.

[Althéa]

Les gens qu'il avait en face de lui le considérèrent avec une certaine indifférence. Seule la juriste : une femme aux cheveux blonds et bouclés d'une cinquantaine d'années lui adressa un petit sourire avant de répondre.

"Et vous avez en face de vous Joris d'Escelnor prêtre de Torm, Valentin Nobricour prêtre de Helm et je suis le juge Gwendoline Doyle présentement mandatée pour la journée."

Le soupir à peine dissimulé qu'elle poussa montra au jeune homme qu'elle n'avait aucune envie de se trouver là.

"Pouvez-vous vous présenter un peu plus ? Dans quel Art exercez-vous ? Quelles sont vos références ?"

[Kasumi]

Voilà des questions qui le mettaient déjà davantage à son aise pour être très classiques et attendues :

- Je joue de la mandoline et du tambourin mais ma spécialité est avant tout le conte horrifique. J'ai exercé dans les tavernes et auberges du Golfe de l'Oubli pendant deux ans et j'ai obtenu une lettre de recommandation du Lion Vert, de la Chaloupe Ivre et du Dragon des dunes.

[Althéa]

Joris d'Escelnor eut un petit rire de gorge qui avait tout l'air d'être moqueur avant de commenter.

"Des contes horrifiques dites-vous ? Mais en quoi seront-ils bénéfiques à Manost ? Nous avons besoin de textes moraux témoignant des bienfaits de la discipline, du travail et de l'opiniâtreté. Les gens qui les écoutent doivent se sentir grandis, pas effrayés ! Non, vos textes risqueraient au contraire de les emmener hors du droit chemin. A Manost, nous n'aimons pas trop la fiction, voyez-vous ? Nous avons le sens pratique. C'est pour cela que notre cité a perduré depuis un si grand nombre d'années."

Le juge Doyle soupira plus longuement avant de demander.

"Mais vous avez sûrement d'autres histoires à nous proposer."

[Kasumi]

Un peu piqué au vif par l'intervention du tormite, l'artiste ignora l'intervention du juge Doyle pour tenter de défendre son point de vue :

- Mais les contes d'épouvantes enseignent tous que le danger guette d'autant plus qu'on cherche à l'ignorer...

Voilà qui devait parler à son collègue helmite ! Bon, rajouter une dose de courage pour plaire à son premier détracteur aussi :

- ... Et ils glorifient les héros qui chassent les monstruosités qui se tapissent dans la nuit. En bref, je ne cherche pas à instiller la peur aux auditeurs impressionnables, non. Je cherche à les amener à s'interroger sur leur courage.

[Althéa]

"Mais nous n'avons pas de danger à Manost, s'insurgea l'helmite, notre ville est la plus sûre de tout Dorrandin. Chaque citoyen sait pertinemment qu'il peut se reposer sur son guet municipal. Ils doivent se sentir en confiance voyez-vous ? Si vous leur parlez de créatures étranges et je ne sais de quelles autres inventions bardiques, ils risquent d'y croire ! Nous ne pouvons pas permettre de telles fantasmagories d'être entendues. Glorifiez le courage mais pas à n'importe quel prix !"

Doyle pinça les lèvres mais cette fois ne dit rien.

[Kasumi]

Maxime ne se laissait pas intimider aussi facilement sinon il n'aurait jamais tenu aussi longtemps dans la profession. Il répondit tout à fait calmement en espérant bien convaincre par des arguments parfaitement logiques de son point de vue :

- Mais je me produis principalement dans des auberges ou la plupart des clients sont de passages. Si Manost est assurément une ville parfaitement défendue et sûre, les voyageurs traversent parfois des zones bien moins privilégiées... C'est à eux que je m'adresse... Et je me targue de faire fructifier le chiffre d'affaires des tenanciers qui m'accueillent : voilà ce que je peux apporter à Manost.

[Althéa]

Le tormite prit le temps de réfléchir avant de répondre.

"Va pour les histoires d'épouvante mais vous comprendrez fort bien que nous ne pouvons nous contenter de cela. Nous nous occupons d'abord de Manost puis de ses environs. C'est aux gens en ville que vous devrez vous adresser directement. Auriez-vous quelques récits "édifiants" dans votre répertoire ?"

Il marqua une petite pause.

"Sachez que nous ne tolérerons aucun récit s'apparentant aux romans d'Angélique Mystéria ou quoi que ce soit qui leur ressemble. D'ailleurs, ces livres sont interdits en ville. Tenez-vous le pour dit."

[Kasumi]

Angélique Mystéria ? Quelle idée saugrenue ! Non, il ne donnait pas dans ce répertoire. En tous cas jamais officiellement. Mais de simples dénégations ne suffiraient pas à percer les armures pleine de scepticisme de deux de ses trois interlocuteurs. Il devait donc se faire plus offensif :

- Oh, je maîtrise les sagas classiques des templiers helmites et tormites et leurs campagnes pour défaire le mal et le chaos. De quoi fouetter les sangs et glorifier les fiers défenseurs de la Cité. J'ai également composé personnellement quelques récits véridiques ou fictifs.

[Althéa]

"En voila un homme selon mon coeur !, s'exclama le tormite, pourquoi n'avez-vous pas parlé de ce talent plus tôt ?"

Il tempéra rapidement son enthousiasme.

"J'imagine que vos ballades glorifieront Torm comme il se doit. Et vous ne parlerez jamais de Helm au passé mais comme s'il était toujours avec nous. Bien sûr, les gens savent qu'il nous a ... quittés mais il reste l'âme de notre ville. Et je pense que vous comprendrez fort bien que les récits concernant tyr sont à présent bannis. Oh, et puis, nous préférerions que vous évitiez de faire mention des autres cultes. Nous ne voudrions pas que les manostiens se dispersent, vous comprenez ..."

Le juge Doyle soupira de nouveau.

"Je me demande vraiment ce que je fais ici ..."

[Kasumi]

Voilà que les deux prêtres étaient dans de meilleures dispositions mais Maxime sentait que se produire à Manost lui imposerait d’énormes sacrifices et des contraintes qu’il n’était pas certain de parvenir à respecter. Réciter à longueur de temps des récits convenus de héros sans peur et sans reproche parvenant à massacrer à tour de bras les vilains monstres – humains ou non – n’était pas un travail très stimulant.

Bien sûr, il pouvait gagner dix fois plus d’argent dans la capitale qu’il ne pourrait en espérer dans les tavernes provinciales dont il avait l’habitude. Par ailleurs, il y avait même une chance infime qu’il puisse se produire au Palais si son talent était remarqué favorablement… Mais que risquait-il vraiment si ses prestations n’étaient pas au goût de ces énergumènes n’ayant aucune fibre artistique ? Serait-ce plus dangereux que les grands chemins ou même certaines auberges où il était recommandé de verrouiller portes et volets au risque d’être dépouillé ou pire pendant la nuit ?

Certains souvenirs désagréables lui revinrent en mémoire et il répondit donc avec un parfait naturel – il était artiste après tout et donc forcément un peu comédien :

- Bien sûr que je comprends ! Le message d’Helm est plus valable qu’il ne l’a jamais été : il est important que la vigilance ne se relâche jamais et Torm mérite amplement d’être glorifié chaque jour pour ses exploits et ceux qu’il inspire à es dignes fidèles. Quant aux autres dieux, ils méritent à peine d’être mentionnés, bien entendu…

[Amélie Malone]

Contrairement à ce qu'elle avait imaginé, ce n'est ni au Palais de justice ni à la prison qu'on l'emmena mais vers un autre bâtiment qu'elle ne connaissait pas. Encadrée par deux gardes comme une délinquante - ce qu'elle était sûrement, elle ne passa pas inaperçue dans les rues de Manost. Elle n'avait pas vraiment besoin de cette publicité là.

Sans lui donner d'explication, on lui fit franchir une double porte avant de l'entrainer sans ménagement dans un couloir aux portes uniformes. Un des gardes s'arrêta devant l'une d'elles avant de frapper brièvement. Une voix aigue les pria d'entrer. Amélie, découvrit sans grande surprise le maître-verrier assis devant un bureau en compagnie de Virgile. L'adolescent évita de croiser son regard. Devant eux, une femme élégante commença, sans lui laisser le temps de s'asseoir.

"Amélie Malone. Vous êtes ici car des faits graves ont été signalés à votre encontre. Vous avez d'abord demandé à Jonas Maerdrin ici présent si vous pouviez vous exercer dans son atelier alors que vous n'avez reçu aucune agrémentation de la ville. Vous avez ensuite profité de l'absence de Jonas Maerdrin pour corrompre son fils afin de vous introduire dans ledit atelier. Contestez-vous les faits qui vous sont reprochés ?"

Quelques secondes, ses yeux écarquillés s'arrétèrent sur Virgile qui se recroquevilla sur sa chaise. Visiblement, le propriétaire du lieu était rentré plus tôt que prévu et était tombé sur leur travail de la veille. Peut-être n'avait-il trouvé que cette explication pour atirrer l'orage ailleurs que sur sa tête. Si elle parlait, son explication risquait d'être compromise. Aussi murmura-t-elle.

"Non.
- Fort bien, continua l'employée sans marquer d'émotion, vous êtes donc comdamnée à verser à Jonas Maerdrin une indemnité compensatoire de vingt cinq pièces d'or. Vous devrez aussi vous acquiter d'une amende de la même somme pour avoir enfreint les règles de la ville quant aux activités artistiques. Vous devrez les payer avant demain soir sans quoi l'amende sera commuée en une peine de prison."

Cinquante pièces d'or soit une bonne partie de ses économies. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle inspira profondèment et parvint de justesse à se contenir. Elle hocha la tête pour marquer son accord. La préposée continua sans préoccuper de ses états d'âme.

"Très bien. Nous pouvons donc considérer que l'incident est clos. Vous êtes donc libre. N'oubliez pas de venir régler votre amende."