Quête : Les caprices de Fortune - perdus dans la campagne

[Lothringen]

Engoncé dans son armure trop étroite dont certains maillons lui rentraient profondément dans la chair, Mornagest ne put que suivre docilement les deux hommes, sous les regards interloqués de ses collègues, qui se demandaient bien pourquoi les ravisseurs avaient besoin d'un deuxième otage. L'incantation se poursuivit inexorablement. La seule bonne nouvelle que le guerrier pouvait relever, si c'en était une, était que Lothringen avait repris conscience. Son compagnon regardait hâtivement dans toutes les directions, tentant de comprendre ce qu'il venait de se passer pour qu'il se retrouve en si mauvais posture. Il frémit en reconnaissant le véritable visage de Mornagest. Mais on lui tirait toujours la tête en arrière et la lame rendait périlleux jusqu'au réflexe de déglutition, aussi le semi-drow ne fit-il pas davantage acte de présence...

La téléportation fut enfin lancée, sous les regards impuissants et inquiets des trois gardes restants. Commençant à s'y connaître un peu en sortilèges de ce genre, Mornagest releva qu'elle était assez chaotique, et brève, ce qui indiquait qu'ils n'avaient pas dû parcourir une si grande distance que cela. Peut-être le mage avait-il été gêné par leur nombre - sept personnes, c'est beaucoup, même pour un praticien de haut niveau... Il se rematérialisèrent dans un paysage de campagne, toujours de nuit. Il flottait dans l'air des odeurs têtues de sève humide et de bois pourri ; la terre était molle et glissante, et il dut faire un pas en avant pour ne pas tomber. Il regarda aux alentours; tout le monde semblait là, mais du côté du groupe formé par Lothringen et celui qui le maintenait, il entendit un juron. Et il vit bientôt, sous un impitoyable clair de lune, que l'homme écartait de lui un couteau ensanglanté, tandis que le corps égorgé du semi-drow glissait sans bruit sur les genoux, puis s'effondrait sur le côté, dans l'herbe.

"Je.. C'est à cause de la téléportation !... j'ai glissé."

[Mornagest]

L'instant de désorientation dû à la téléportation resta bref. Mornagest n'était pas certain d'un jour y échapper complètement, mais il avait réalisé de nets progrès en la matière. Une compétence des plus utiles dans la vie de tous les jours, qu'il pourrait faire prévaloir pour trouver plus tard un emploi quelconque. S'il survivait aux prochaines minutes...

Il écarquilla les yeux d'horreur en voyant le corps de son compagnon, allongé au sol, la gorge maculée de sang qui s'écoulait rapidement de la plaie béante. Un cauchemar... ce ne pouvait être que cela. Comme celui qu'ils avaient vécu ensemble, quelques nuits plus tôt. Non ? Comment pouvait-on mourir de façon aussi stupide après avoir survécu à autant de complots, d'attaques, de sévices ? Un cauchemar, une farce, une hallucination... tout, mais pas ça.

Il hurla. Sans savoir même ce qu'il prononçait comme mots, s'il s'agissait même de mots. Il hurlait simplement. Il tenta de se dégager de l'étreinte de son ravisseur, sentit la morsure de l'acier contre sa peau, ne sachant si elle était provoquée par sa cotte de mailles ou une autre lame venu le tuer, lui aussi.

Sa vision devint trouble. À cause des larmes ? Du sang ? De sa mort imminente ? Il ne savait. Il ne savait plus rien.

[Lothringen]

Ses gardiens tentèrent de lutter avec lui, avant de s'aviser qu'il n'y avait qu'un seul moyen efficace de le calmer – Mornagest vit arriver vers son crâne un pommeau d'épée, quelques instants avant de sombrer durablement dans l'inconscience.

Il en émergea dans la douleur. On l'avait traîné puis ligoté à un tronc d'arbre. Ses ravisseurs n'avaient pas réussi à le dégager de son armure et cette dernière lui rongeait cruellement la chair à vif, en plusieurs endroits. Il faisait toujours nuit, et devant lui, un petit feu de camp crépitait. Les deux hommes masqués s'étaient assis autour, sur des rondins, et c'était sans doute leur discussion qui l'avait réveillé.

« Je tends à penser qu'il était inutile de l'exécuter ainsi. C'était un accident... »
Celui que Mornagest avait identifié comme Guiguemar d'Aulfray haussa les épaules.
« Soit c'était un incapable, soit c'était un traître qui avait ses ordres. Dans les deux cas, ce n'était pas quelqu'un que je souhaite avoir sur mes arrières en un moment comme celui-ci. Et vous non plus, je pense. »
Son interlocuteur soupira.
« Tâchons de voir le bon côté des choses. Mort, le conseiller n'est plus pistable par la magie. Et fait un captif sûrement plus docile. Le … dommage est certainement réparable, pour quelqu'un ayant vos relations. »
« Cela suppose que l'âme du conseiller accepte de réintégrer un corps qu'il sait prisonnier. Et quand bien même... je voulais qu'il coopère. Je voulais qu'il accompagne la formation du nouveau gouvernement. Nous aurons besoin de son aide, au moins jusqu'à la fin de la guerre. Il est le seul à être au courant de... de tant de choses, en fait. Le Cœur Radieux a tenté de développer ses propres réseaux de renseignements, mais avec une efficacité limitée, comme vous pouvez vous en douter. Quelle chance qu'il accepte de nous entendre, à présent ? »
« Ah... il semblerait que notre second invité nous rejoigne », interrompit l'autre en levant les yeux vers Mornagest, qu'il avait vu dodeliner.

[Mornagest]

La douleur fut brève mais intense, puis Mornagest sombra dans l'inconscience forcée.

Ses songes étaient désagréables. De façon inexplicable, il ne savait pas pourquoi il voyait en rêve des formes gigantesques et inquiétantes, mais cela suffit à lui faire passer un mauvais moment, même assommé. Était-ce un souvenir de ce démon affronté quelques jours auparavant ? Ou une menace plus globale, comme celle qui pesait sur l'ensemble du continent ?

Il grogna et s'agita faiblement lorsqu'il émergea enfin. Il avait mal partout, était attaché, et toujours à l'étroit dans sa tenue. Il ne savait pas si son armure lui avait été ôtée, mais cela n'avait aucune importance. Plus rien n'avait d'importance, à vrai dire. Lothringen était mort, et les propos de leurs ravisseurs lui confirmaient froidement la chose.

Pour l'heure, il était trop embrumé pour réfléchir de façon efficace. Il se contenta d'ouvrir les yeux lorsqu'un des deux hommes parla de lui. Il ne vit que deux silhouettes masquées, aux voix méconnaissables. Celui qu'il avait pris pour Guiguemar d'Aulfray était toujours là. Il n'était pas totalement certain de lui, mais Mornagest jurait que c'était bien le prélat. Et il venait d'aborder le Cœur Radieux... Mornagest aurait bien craché en entendant ce nom, désormais. Mais il n'était pas en position de se permettre grand-chose.

Il releva la tête.

[Lothringen]

Il y eut un silence ponctué par les crépitements du foyer. Quand il devint évident que le prisonnier ne dirait rien, l'inconnu reprit.
« Êtes-vous bien certain que c'est lui ? Ça me paraît tellement... énorme... »
« Si j'avais encore un doute quand nous nous sommes téléportés, ce n'est plus le cas. Son portrait a été largement diffusé parmi les hauts fonctionnaires manostiens, quand il est devenu ambassadeur. Et je n'oublie jamais un visage... »
« Mais que faisait-il à... »
« Pourquoi ne le dirait-il pas lui-même ? Il n'est pas sourd, je pense. »
Un silence, encore. Plus menaçant toutefois. L'homme darda sur lui son regard bleu intense, si pénétrant qu'il en était presque insoutenable et que le guerrier devina que s'il mentait, cela avait peu de chance de réussir.

[Mornagest]

La vérité était cinglante. Ce passé qui le poursuivrait encore longtemps... sauf s'il venait à être exécuté, bien évidemment. Mais il se raccrocha à l'espoir que les deux hommes verraient en lui quelqu'un d'utile, plutôt qu'un mélandien en cavale à éliminer sans se poser de questions.

L'image du corps de son amant, au sol, se vidant de son sang, hantait son esprit. Il y avait sûrement quelque chose à faire... non ? N'avait-il pas été ressuscité grâce à l'aide de Lothringen ? Ne pouvait-il lui rendre cela ? Il devait au moins essayer... et pour cela, lui-même rester en vie.

"J'essayais d'éradiquer le mal." Laconique. Peut-être trop. Mornagest doutait que les deux hommes se satisferaient de si peu. Il ajouta donc : "Oui, je suis celui à qui vous pensez. L'ancien chancelier mélandien... j'espérais pouvoir conserver ce passé derrière moi pour toujours, mais... ça a échoué." L'amertume se ressentait dans ses paroles, mais c'était surtout face à l'assassinat de Lothringen. Le fait d'être découvert... il s'y attendait, malgré tout. Cela devait bien finir par arriver, son compagnon l'en avait averti...

[Lothringen]

Eradiquer le mal ? Les deux hommes parurent choqués par ce discours si peu à sa place dans la bouche d'un mélandien. Tandis que l'un d'entre eux, écœuré, semblait vouloir l'invectiver, l'autre lança un sort, et, devant son résultat, fit un signe de tête affirmatif à son collègue, froidement, comme si rien ne pouvait le surprendre. Puis il l'interrogea encore.

"Il y a toujours un prix à payer. Et mieux vaut le payer de son vivant qu'après sa mort... Qui vous a fait revenir ? Par quelles complicités êtes-vous entré dans la Garde Blanche ? Et dans quel but ?"

Des questions prévisibles...

[Mornagest]

L'ex mélandien n'était pas accoutumé aux sortilèges, mais il supposait qu'il venait de lancer quelque chose pour s'assurer qu'il n'était plus un suppôt du Mal. Cela raviva de lointains et douloureux souvenirs de l'époque où Lothringen et lui crapahutaient sur le continent pour échapper à leurs contraintes respectives... il avait également subi un tel sortilège, alors, et la réponse avait été toute autre...

Les questions de Guiguemar - si c'était bien lui - étaient précises. Et n'appelaient qu'une seule réponse... que le guerrier rechignait à donner. Mais là encore, il n'avait aucune autre possibilité.

"Je suis revenu de moi-même. J'ai fui Melandis, voici des mois maintenant, et j'ai pu rejoindre Manost grâce..." il s'interrompit, incertain, puis, voyant l'air menaçant des deux hommes, se força à poursuivre, malgré la douleur que cela lui infligeait. "... grâce au conseiller Lothringen. Il m'a permis de changer mon apparence à l'aide d'un sortilège, et j'ai pu commencer une vie nouvelle. Au sein de la Garde."

Il devait dire la vérité. Quitte à en taire le plus possible. Mais il ne pouvait mentir... ces hommes devaient disposer de bons moyens pour s'assurer qu'il ne tentait pas de leur mentir... peut-être ce sortilège précédemment utilisé l'avait-il été à cette fin, d'ailleurs.

hrp : de retour avec ma bonne bouille de guerrier écossais ! le temps de me faire massacrer...

[Lothringen]

« Grâce au conseiller Lothringen. Évidemment, il n'est pas près de vous contredire. Mais pourquoi ferait-il cela ? »
« Vous l'avez entendu hurler tout à l'heure ? Ils s'appréciaient. Ce n'est pas un secret », tenta de l'apaiser le supposé Guiguemar. « Je subodore... que vouloir lui donner une nouvelle chance correspond assez bien à la mentalité d'un tymoran, même si j'aurais tendance à voir cela comme un manque de respect envers les victimes. »
« Mais... il y a tout de même des endroits où cacher un mort moins exposés que la garde personnelle des conseillers, non ? Et puis cela signifierait que l'assassinat à Melandis n'était qu'une mis en scène ? » poursuivit l'homme, interloqué, qui cette fois s'adressait plus à son complice qu'à Mornagest. Chaque réponse de leur prisonnier semblait soulever pour lui de nouvelles questions, de nouveaux mystères.
« Non. Sur ce point, il nous a menti. Il n'est pas revenu de lui-même à Manost. », trancha l'homme en armure sans une once d'hésitation. En même temps, s'il s'agissait bien du Haut-Prélat, était-ce surprenant ? Ce dernier était un inquisiteur expérimenté. Il s'adressa de nouveau à Mornagest. « Je vous donne une dernière chance de parler de vous-même. Que s'est-il passé au moment de votre assassinat supposé ? Et pourquoi se cacher dans la Garde ? »

HRP : FREEEEEDOMMMMM ! hum.

[Mornagest]

Sa gorge se serra. Il était vraiment en mauvaise posture, et se rendait parfaitement compte qu'il n'avait plus droit à l'erreur. Guiguemar, ou qui qu'il fût, savait percevoir une semi-vérité ou un mensonge par omission...

Bien qu'il lui en coûtait de l'avouer, Mornagest fut donc obligé de révéler certaines choses.

"Mon assassinat s'est réellement produit. Le conseiller a ensuite rapatrié mon corps jusqu'à Manost. Il a pu obtenir d'un prêtre de Tymora que je sois ressuscité... et sur un commun accord, j'ai intégré la Garde grâce à son autorité. Tout simplement car nous sommes proches."

Il ne se rendit pas compte qu'il parlait de leur relation au présent. Il voulait inconsciemment ôter de son esprit le fait que Lothringen était mort... aussi bêtement et accidentellement qu'on pouvait l'imaginer.

[Lothringen]

Celui qui l'interrogeait fronça les sourcils.

« Il n'a pas rapatrié le corps. Pourquoi mentir sur ce point quand vous en avez déjà tant dit ? »
Il y eut un silence. Les deux hommes réfléchissaient.
« Pensez-vous qu'il ait pu s'agir d'un sort de résurrection ? Cela me semble impossible, la fortune personnelle du Grand Émissaire aurait à peine suffi... »
« En effet, je ne vois pas comment le Conseiller Lothringen en aurait eu les moyens. Quoi qu'il en soit, ils semblent avoir été plus proches que ne le dit la rumeur... »

Un bruit lointain commença de se faire entendre. Tous trois tendirent l'oreille. On distinguait un groupe de chevaux qui avançaient au pas dans le sous-bois et renâclaient. Les deux hommes se levèrent, prêts à tirer l'épée, mais l'un d'eux, scrutant l'obscurité, remarqua :
« C'est Gerlas. Il a mis le temps. »

Quelques instants plus tard, le mage de tantôt apparaissait, montant l'un des chevaux tandis qu'il en tirait trois autres derrière lui, tout sellés.

« Vous avez été long. »
« Il a fallu trouver les écuries, négocier les chevaux et les équipements, les ramener... ç'aurait été plus facile à deux », remarqua-t-il sur un léger ton de reproche.
« Risquez-vous d'être reconnu ? »
« J'ai utilisé un sort de déguisement. »
« Laissez-nous ces deux montures et prenez cette autre avec vous pour retrouver Meynard, là-bas. Il vous aidera à y charger le corps du Conseiller. Quand ce sera fait, revenez tout de suite. Nous nous sommes assez attardés ici. »
« A vos ordres, monseigneur. »

Le mage s'éloigna comme il en avait reçu l'ordre et les deux hommes furent à nouveau seuls avec Mornagest. L'un d'eux se mit à piétiner le foyer, tandis que l'autre le dévisageait d'un air soupçonneux.
« Que faire de lui ? De mon point de vue, il mérite mille morts... »
« De mon point de vue, il faudrait prendre le temps de l'interroger davantage. D'autant que son lien avec le Conseiller semble pouvoir devenir un moyen de pression. »

[Mornagest]

La partie était mal engagée. Les deux hommes avaient de bonnes raisons de lui en vouloir, indirectement. En son temps de chancelier, il avait commis d'innombrables atrocités à l'encontre de son propre peuple, et des autres, évidemment... d'un autre côté, il avait également permis des avancées notables sur d'autres plans, grâce à la bonne volonté de Lothringen et de Ravestha, entre autres. Les fameux accords commerciaux qui avaient volé en éclats sitôt la guerre déclarée entre Manost et Melandis.

Et depuis lors, la rédemption. Du moins, il l'avait cherchée, et probablement obtenue au regard de bien des gens. Mais qui connaissait sa véritable identité ? Deux vivants, maintenant. Et ils semblaient peu disposés à être aussi débonnaires que son défunt compagnon.

Il nota cependant que "Guiguemar" était prompt à profiter de la situation pour la retourner à son avantage. Faire pression... la bataille de la succession à Manost ne faisait sans doute que commencer, et elle venait évidemment de se précipiter avec la mort de Lothringen. Et les charognards souhaitaient se servir en premier. Le paladinat rendait-il les gens pourris ? Mornagest songea qu'il avait bien fait de ne pas s'engager auprès d'un ordre quelconque. Peut-être aurait-il dérivé, lui aussi, vers de telles aspirations. De là à se considérer comme meilleur qu'eux... le temps le lui dirait.

Il se tint coi, ne désirant pas en révéler davantage que nécessaire.

[Lothringen]

« De temps, nous n'en avons guère. Il faudrait l'emmener, et il sera encombrant... »

A ce point de sa réflexion, il fut interrompu par un cri venant de la direction prise par le mage. Ce dernier revint vers eux au grand trot.

« Meynard ! Il est mort, et le corps du conseiller a disparu. »
Les deux hommes tirèrent l'épée, par réflexe.
« La Garde Blanche nous aurait-elle retrouvés si vite ? C'est absurde, en ce cas ils seraient déjà sur nous. »
« Je ne pense pas que ce soit eux. Il n'y a pas trace de combats. On dirait plutôt de la nécromancie... »
« Nous aurions alors été espionnés, puis doublés ? Je veux voir par moi-même... »
« Je vous accompagne. Notre prisonnier nous attendra... »

Les deux hommes prirent chacun leur cheval par la longe et suivirent le mage vers le lieu où se trouvait le corps de leur complice. Mornagest les entendit vaguement discuter à peut-être cent pas de là, à découvert, mais ils étaient trop loin pour qu'il puisse distinguer leurs paroles. Puis il entendit le galop des chevaux, et le silence l'enveloppa. Voyant leur complot se muer en fiasco, les trois hommes avaient manifestement préféré s'éloigner au plus vite de cet endroit avant d'allonger de leur propre nom la liste des morts.

Et ils l'avaient abandonné à son sort, solidement ligoté à son tronc d'arbre au milieu de nulle part. Les cordes étaient épaisses, et les nœuds bien faits. Il ne parviendrait pas à s'en libérer tout seul. La nuit se poursuivit, silencieuse et glaciale.

[Mornagest]

Mourir de faim ou de froid dans des conditions aussi idiotes... ce n'était vraiment pas ce qu'il souhaitait. Le panache aurait exigé qu'il mourût sur le champ de bataille, ou en défendant Lothringen - ce à quoi il avait lamentablement échoué, d'ailleurs. Mais de cette façon ? Il en mourrait une seconde fois, de honte. Il tenta quelque temps de se débattre avec les cordes, mais il ne réussit qu'à se faire mal en entaillant sa chair avec le chanvre épais. Il lui faudrait donc compter sur une aide extérieure, ce qui s'avérerait sans doute compliqué étant donné sa position probablement éloignée de toute habitation. Mais... ceux qui avaient tué le complice des ravisseurs n'étaient peut-être pas loin.

Prenant le risque d'attirer n'importe qui, Mornagest se mit donc à appeler à l'aide. D'abord de façon un peu timorée, puis plus fort, avant de s'époumoner en espérant vaguement d'attirer l'attention.

Et pendant ce temps, les suppositions allaient bon train dans sa tête. Qui avait tué Maynard et emmené le corps de Lothringen ? Les membres de la Garde ? Alycia ? Ou quelque inconnu qui souhaitait prendre les comploteurs manostiens à contrepied ? L'intrigue s'épaississait aussi sûrement que la nuit...

Il beuglait toujours.

[Lothringen]

Mais personne ne répondait, et il en alla ainsi jusqu'au petit jour, qui le trouva épuisé et la voix cassée, humide de rosée et tremblant de froid. A demi évanoui de fatigue, il entendit pourtant des voix du côté d'où étaient partis ses ravisseurs, et cria de plus belle. A son plus grand soulagement, on vint. Il ne tarda pas à reconnaître la cape blanche de ses collègues.

« Hugues, c'est toi ? Quelle chance qu'ils ne t'aient pas tué ! Figure-toi qu'on n'arrivait pas à te localiser, ni le conseiller... il a fallu faire intervenir les archimages. »

Un petit groupe l'entoura. Arrivés devant lui, ils écarquillèrent les yeux, tentant d'accorder sa tenue et sa voix avec ce visage inconnu.

« Mais... hum, je vois. Mère Grand, que vous avez de larges épaules aujourd'hui ! » plaisanta Aeron. « Je me sens tout petit. »
« Ma foi, si tu avais montré cette carrure aux entraînements, je ne suis plus certain d'avoir la victoire aussi facile... Petit cachotier. »
« Peu importe son apparence. Ils sont repartis comment ? Ils ne t'ont pas torturé au moins ? »
« Sire ! lança Haldir en se tournant vers l'arrière. On a retrouvé Hugues. » Et il sortit son épée pour couper ses liens, mais son supérieur l'arrêta de la voix.
« Laissez-moi passer. »
Ses hommes s'écartèrent, le laissant apercevoir Mornagest à son tour. Sire Rowan était flanqué des deux mages qui les avaient téléportés depuis Graëlon la veille, et suivi du reste de la Garde. Il le dévisagea d'une façon à la fois surprise et consternée qui ne laissait aucun doute – il était reconnu. Le silence prit soudain la densité de la pierre.

[Mornagest]

La nuit l'avait laissé affaibli, transi et affamé. Il n'était plus en état de réfléchir à toute vitesse - selon ses propres références, évidemment - et se contenta de laisser ses camarades parler, leur adressant simplement un grand sourire en guise de remerciement. Mais son soulagement fut de courte durée lorsque sire Rowan le dévisagea froidement. Son apparence véritable ainsi mise à jour risquait une fois encore de lui coûter cher... allait-il pourrir ici ? Ou réussir à convaincre ses camarades qu'il n'était plus quelqu'un de mauvais jusqu'à la moelle ?

"Sire. J'imagine que les mots sont inutiles... je suis en vie, et le conseiller est mort. Je ne puis qu'espérer que ce soit vous qui ayez pu récupérer son corps. Pour le reste... mes actes parlent pour moi."

Il n'avait guère plus à dire... à moins de s'épancher durant des heures. Et la force lui manquait. De même que le courage et le moral.

[Lothringen]

Sire Rowan pâlit aussitôt, de même que ses camarades, dont toute la joie de l'avoir retrouvé à peu près indemne s'envola immédiatement.

« Le Conseiller est mort ? »répéta l'un d'eux, incrédule, semblant exprimer l'accablement général. Autant pour ses espoirs de voir le corps aux mains de la Garde...
« Nous avons trouvé les corps de deux de ses ravisseurs non loin d'ici, mais nulle trace de... »
« Ne voyez-vous pas qu'il est à bout de forces ? » coupa sire Rowan en détournant le regard. « Détachez-le, donnez-lui de quoi se remettre. Ensuite, il nous dira ce qu'il sait de cet assassinat. Le reste... Nous en discuterons plus tard. »

Ainsi fut fait, les gardes se hâtèrent de se délier, tranchant rapidement les liens. Ils en firent autant des nombreuses attaches de sa cotte de mailles trop étroite, réussissant enfin à le dégager, un fragment après l'autre, de ce filet de fer qui était devenu une véritable torture. Mornagest découvrit en dessous la chair tuméfiée et arrachée en de nombreux endroits. On lui lança un sort de soin qui fit disparaître les blessures ouvertes, mais pas la fatigue. Un large morceau de pain et une gourde d'eau sucrée lui rendirent cependant un peu d'énergie.

Les gardes l'entouraient, intrigués de son changement d'apparence sans vraiment comprendre de quoi il retournait, et pressés d'entendre son récit. La nouvelle de la mort de leur protégé semblait leur avoir porté un brutal coup au moral – moins pour la crise politique qu'elle annonçait que parce qu'il avait voué leur vie à sa protection, et qu'ils avaient échoué. Sire Rowan surtout ne déserrait plus les lèvres, ne paraissant tenir debout que par la force de l'habitude. C'était la seconde fois qu'il échouait... Il attendit néanmoins que le guerrier ait repris quelques couleurs pour l'interroger à nouveau.

« A présent, apprenez-nous ce qu'il s'est passé. »

[Mornagest]

La nouvelle provoqua en lui une nouvelle vague de désespoir. Certes, il fallait s'attendre à ce que le corps de Lothringen ait été récupéré par quelqu'un d'autre, mais néanmoins, il avait osé espérer... il fit encore plus grise mine.

Après avoir été libéré, il se sentit toutefois un peu mieux, au moins sur le plan physique. Il pouvait enfin à nouveau bouger sans provoquer des saignements superficiels mais très désagréables et douloureux à force. Et le fait de manger un peu lui redonna de la vigueur. Sans doute pas assez pour affronter sereinement le regard de sire Rowan, mais... il n'y pouvait rien.

"Lorsque les assaillants nous ont désarmés, dans les jardins de la citadelle, ils ont déguerpi avec nous à l'aide d'une téléportation. Une fois arrivés à destination... celui qui maintenait prisonnier le conseiller a glissé et l'a égorgé par accident." Sa voix s'érailla, tant par la nuit passée à appeler en vain que par l'émotion. Mettre des mots sur ce qu'il avait vécu aggravait la peine. Il mit quelques instants avant de se retrouver une contenance, puis poursuivit : "J'ai... été reconnu. L'un des hommes est probablement Guiguemar d'Aulfray, bien qu'il était masqué... mais il n'a eu aucun doute sur mon identité." À l'instar de sire Rowan, d'ailleurs. "Ils projetaient de m'emmener pour m'interroger plus avant, mais l'un des leurs, qui portait le corps de Lothringen, a été défait, et le corps a disparu. J'espérais que ce serait vous, mais..." Il ne sut comment terminer sa phrase, et la laissa en suspens.

[Lothringen]

« Le Haut-Prélat », entendit-il gronder à mi-voix. « Renégat. Arriviste. Ordure... »
D'autres commentaires ne tardèrent pas à suivre.
« Il serait derrière cette attaque ? Étrange... Je ne m'attendrais pas à ce qu'il intervienne en personne. »
« Comment a-t-il pu savoir que le conseiller serait dans les jardins, non protégé... »
« Il est gouverneur de Manost. Pour le retrouver, c'est à Manost qu'il faut aller ! »
« Paix. »
Sire Rowan fermait les yeux, aussi épuisé que si c'était lui qu'on venait de détacher de cet arbre. La nuit avait dû être courte, à tenter de trouver des devins pour les remettre sur la trace des fugitifs... trace qui ne semblait plus mener nulle part, du reste. Il rouvrit les paupières avec effort.
« Suivre cette piste ne nous mènera nulle part, sinon à une enquête difficile qui pourrait nous coûter la tête. Nous n'avons que de vagues présomptions et un témoin douteux. De plus, si j'ai bien compris, ce complot-là ne représente plus une menace dans l'immédiat... Ce sont ceux qui se sont emparés du corps que nous devons retrouver. » Il reporta son attention sur Mornagest. « Les avez-vous aperçus ? Avez-vous le moindre indice à leur sujet ? »

[Mornagest]

Douteux. Voilà ce qu'il était devenu. Peu importaient ses actes, sa rédemption, son dégoût vis-à-vis de son passé et du Mal, il était redevenu un mélandien, et pas n'importe lequel. Et donc douteux. Et donc passible d'emprisonnement pour espionnage, traîtrise ou peu importait quel motif. L'amertume était à son comble...

"Nos ravisseurs ont évoqué l'usage de la nécromancie sur leur complice. Ils n'avaient pas relevé de traces de combat, j'imagine qu'il y a dû avoir de la magie pour l'occire et fuir avec la dépouille. En revanche, je n'ai vu personne... et j'ignore dans quelle direction ils sont partis. À supposer qu'ils n'aient pas usé de téléportation, eux aussi."

Douteux et tellement vague que son témoignage était presque inutile, au fond. Sauf à considérer qu'il ne se trompait pas sur l'identité du meneur, ce qui ouvrait énormément de possibilités quant aux motivations des ravisseurs. Et au bordel ambiant à Manost. Guiguemar avait évoqué la formation du nouveau gouvernement avec l'assistance de Lothringen. Pourquoi l'enlever ? Quel pouvoir le semi-drow pouvait-il encore avoir, alors qu'il menait une cité défaite à une guerre très risquée ? Tout cela était flou.

[Lothringen]

« Voyons ce corps, alors », dit sire Rowan en réprimant un soupir.

Le petit groupe se déplaça vers l'endroit où gisaient les corps des deux ravisseurs malheureux. Le premier avait été décapité – Mornagest reconnut l'homme qui avait « glissé » et tué Lothringen. Ce devaient être ses propres complices qui l'avaient ainsi puni de sa maladresse. Le second, en revanche, devait être Meynard. Et il était effectivement intact : un cadavre en pleine santé. La nécromancie semblait bien la meilleure explication. Les gardes refirent ces constats avec une certaine déception. Nul indice à trouver ici...

En revanche, près des deux corps, il y avait Sylas et Alycia, surveillés par un de ses collègues. Le capitaine semblait les avoir emmenés comme otages plutôt que comme compagnons de route. Le prêtre serrait la petite contre lui et ne bougeait guère, comme s'il se devinait en terrain hostile. Et ce qui devait arriver arriva, sous forme d'accusations exaspérées.

« Moi, j'aimerais qu'on m'explique comment ces attaquants ont pu se trouver dans les jardins de la citadelle exactement au bon moment. Vous imaginez des ennemis du conseiller l'espionner jusque dans ses heures de sommeil et tenir un groupe en permanence prêt à l'assaut, juste au cas où ? Vous étiez de mèche, je ne vois pas d'autre explication ! »

Devant l'agressivité du garde – c'était Losha qui venait de parler ainsi – la petite s'était tassée contre son tuteur.
« Mais non, je... »
Sylas prit le relai. Il parlait avec véhémence, mais aussi très calmement.
« Alycia n'a rien prémédité du tout ! Je vous l'ai dit, elle a été... possédée, voilà. Elle a pleuré la moitié de la nuit. Elle ne savait pas que ça allait arriver. Personne ne pouvait le prévoir. Nous sommes navrés de ce qui s'est passé. Vous avez déjà vérifié que nous disions vrai... »
« Alors comment expliquez-vous la présence de ces hommes dans les cinq minutes ? »
« Assez simplement , répliqua froidement le prêtre. Ils étaient probablement déjà là, dans le donjon, peut-être pour une autre raison. Le gouverneur d'Aghoralis est un tormite, non ? Et aucun garde de la citadelle n'est intervenu en renfort lors de l'agression, m'avez-vous dit ? Tirez-en les conclusions. »

[Mornagest]

Telle était donc la justice des paladins. La décapitation pour ce qui semblait plus être une maladresse qu'un crime sciemment commis. Certes... il s'agissait de la mort d'un homme, et de son amant, qui plus était, mais Mornagest ne pouvait s'empêcher de trouver la sentence d'autant plus révoltante qu'elle semblait disproportionnée par rapport à la situation. Et tellement éloignée des soi-disant grands principes chevaleresques...

La discussion se faisait houleuse entre Sylas et Losha, même si le prêtre paraissait vouloir éviter le conflit. Sa position n'était guère confortable : Alycia et lui faisaient des suspects idéaux. Peut-être trop, d'ailleurs. Et le raisonnement du prêtre se tenait, mais le guerrier songea tout de même que Guiguemar était bien présent pour cette seule et unique raison : l'enlèvement de Lothringen. L'idée d'une complicité avec le gouverneur d'Aghoralis pouvait être farfelue, mais... il avait tardé à rencontrer Lothringen lors de leur arrivée en ville, qui n'était pas restée secrète. Mettait-il au point leur embuscade durant ce temps ? Les hypothèses pouvaient partir dans tous les sens.

Mornagest n'était plus en odeur de sainteté, et il ne pouvait plus se permettre d'émettre des suppositions, sauf en estimant qu'elles seraient réellement légitimes. Ici, ce n'étaient que des soupçons... basés sur des coïncidences. Il préféra donc se tenir coi, attendant d'être interrogé si sire Rowan l'estimait nécessaire.

[Lothringen]

Sire Rowan imposa silence à Losha d'un simple regard. Le garde ravala sa rancœur et recula en s'excusant. Tout le monde était sur les nerfs, après cette nuit éprouvante.

« Assez. Je vais me répéter, au cas où ça n'aurait pas été assez clair la première fois : sans preuves et sans l'appui du Conseiller, il est hors de question de mettre en accusation qui que ce soit, et encore moins des Églises et des hauts dignitaires manostiens. Restons concentrés sur notre rôle, qui est de retrouver le Conseiller. Ou son corps.

Losha, vous allez examiner ce que vient de nous dire Hugues, en le soumettant à un sort de vérité. Vérifiez bien qu'il ne sait rien de plus. »

Mornagest dut alors raconter à nouveau son histoire. Le sortilège ne put que confirmer ses dires. Le capitaine en parut plus accablé que jamais.

« J'espérais... J'avoue que j'en venais à espérer que vous mentiez, confia-t-il. Que le Conseiller n'était pas mort, que vous en saviez plus, que vous aviez partie liée avec les ravisseurs... Mais si je gagne la foi en un de mes gardes, je perds tout espoir concernant le Conseiller. Nous n'avons aucune piste, et la magie divinatoire a déjà montré ses limites. Je ne veux pas rentrer à Aghoralis et y attendre patiemment que les mauvaises nouvelles viennent nous chercher. Que pouvons-nous faire à présent ? J'écoute toutes les suggestions... »

Il s'adressait aussi bien à Mornagest qu'à l'ensemble de ses auditeurs.

[Mornagest]

Mornagest était soulagé, quelque part. Se savoir suspecté n'avait rien d'agréable, même si cela pouvait paraître légitime au vu de son passé et de la mort de Lothringen. Néanmoins, il savait qu'il devrait faire profil bas pendant un bon moment, histoire de ne pas attirer inutilement l'attention sur lui.

La situation n'était pas reluisante. Aucune piste ? Évidemment, le devin de la bande... c'était Lothringen. Et même alors, de puissants sortilèges pouvaient masquer à peu près n'importe quoi, Mornagest le savait. Ils ne pouvaient plus se fier qu'à leur intuition, à la chance, et aux maigres éléments dont ils disposaient. Le guerrier se borna à les résumer à voix haute pour essayer de remettre les choses au clair.

"C'est Guiguemar d'Aulfray qui aurait tenté d'enlever le conseiller. J'ai cru comprendre qu'il voulait le forcer à composer un nouveau gouvernement à Manost, pour des raisons que j'ignore. Peut-être pensait-il se rendre légitime vis-à-vis du peuple. Lothringen était apprécié, quoi que le clergé pouvait en dire... Ceux qui ont fait disparaître le corps en ont peut-être personnellement après Guiguemar d'Aulfray. Ou ils veulent spécifiquement rendre la vie au conseiller. Ça peut paraître crédible si de la nécromancie a été employée pour tuer l'un des ravisseurs. Mais où peuvent-ils l'avoir emmené... à Aghoralis ? Ce serait le dernier endroit où on penserait les chercher, non ?"

Au lieu d'éclaircir les choses, Mornagest les rendait peut-être plus complexes encore...

[Lothringen]

Haldir rebondit le premier, sur un soupir.
« Il y a tant de possibilités. Avez-vous envisagé l'idée que le vol du corps du Conseiller ait pu être une mise en scène destinée à notre ami Hugues ? Une façon de nous dissuader de courir après les premiers ravisseurs, par exemple ? Je suis d'avis de nous accrocher à cette piste-là, car c'est la seule qui soit un tant soit peu tangible. Et tant pis si elle risque de nous mettre à dos le gouverneur de Manost. Je ne le crains pas. »

Sire Rowan hocha la tête, dubitatif.
« D'après les récits que j'ai entendus, je ne pense pas que l'enlèvement d'Hugues était prémédité. Quelque chose... les a surpris, et il y avait de quoi. Cependant votre raisonnement se tient, ils auraient eu tout le temps de mettre cela au point durant son évanouissement... et peut-être sont-ils prêts à sacrifier un de leurs hommes pour détourner notre attention, même si je préfère ne pas imaginer un paladin dans ce rôle. »

Il y eut un silence. Les autres gardes semblaient à court d'idées. L'un des mages prit alors la parole.
« Je pense que la magie divinatoire n'a pas dit son dernier mot. Certes, les ravisseurs ont eu le temps de se protéger contre elle à présent, mais... Il y a toujours moyen de ruser, de biaiser, de contourner, de poser les bonnes questions afin de glaner quelques indices supplémentaires. Interrogez à nouveau nos maîtres avant de renoncer à tout espoir. »

Sylas semblait sur les charbons ardents. Comme Mornagest, il ne se sentait pas très à l'aise dans le groupe, vus les soupçons qui pesaient sur lui. Mais après quelques hésitations, il se lança enfin.
« Pardonnez-moi si je n'ai pas le même point de vue que vous sur les événements, mais si j'ai bien suivi, notre déesse a voulu discuter en privé avec le Conseiller... Et moins d'un quart d'heure après, il était mort ? Ce ne peut être un hasard. Mais j'ai foi en ma déesse, et je ne puis croire qu'elle l'ait châtié sans lui laisser de seconde chance. Et... je suis au regret de vous annoncer que si je me trompe, si Elle a décidé une fois pour toutes que la Chance l'abandonnerait, alors toutes vos entreprises seront vaines. Venez avec moi à Cojum, auprès de notre Grand-prêtre. Sans doute comprend-il mieux que moi les desseins de notre déesse. Et il pourra lancer une résurrection, si Elle l'accorde... »

[Mornagest]

L'idée de la fausse piste était crédible, mais cela ne faisait que rajouter de la confusion à la situation, ce qui n'était pas vraiment une bonne chose. Mornagest espérait que les ravisseurs n'avaient pas l'esprit aussi retors... rien n'était moins sûr, évidemment.

Les mages et Sylas offraient deux nouvelles possibilités : la magie divinatoire, encore, et la résurrection. La divination pouvait peut-être fonctionner, si celui qui s'en servait disposait d'une puissance magique suffisante pour outrepasser les probables protections contre ce genre de scrutation. Quant à la résurrection... le prix à payer ne se chiffrait pas qu'en or, Mornagest l'avait cruellement appris. La mort de Lothringen était une des conséquences directes de l'engagement qu'il avait dû prendre pour permettre son retour à la vie. Devrait-il lui aussi prendre ce risque pour faire revenir son amant ? Sa foi... n'était pas. Il n'avait toujours pas résolu ses problèmes philosophiques et religieux, et le moment était mal venu pour commencer une profonde réflexion à ce sujet. Et il doutait que le grand prêtre de Tymora, même s'il était bienveillant, accepterait de simplement lancer ce sortilège sans en profiter un peu au passage.

"Pourquoi ne pas tenter les deux ? Si la divination échoue, il sera toujours temps d'envisager de convaincre le grand prêtre. Ce genre de sortilèges ne s'utilise pas à la légère, il me semble... mieux vaut explorer les autres pistes tant qu'elles sont à notre portée, à mon avis."

Il évita de trop en dire sur le sortilège proprement dit. Finalement, il en savait bien peu, d'ailleurs, à part l'effet que cela faisait d'être enlevé du plan de Fugue. Mais cela n'aiderait pas grand-monde, car il était surtout une exception à la règle, en la matière. Et Lothringen devait se trouver bien ailleurs que là, en ce moment même. Du moins l'espérait-il. Mais le semi-drow avait la foi.

Mornagest se remémora cependant gravement les paroles de Guiguemar... Lothringen n'accepterait peut-être pas d'être ressuscité. Pas à n'importe quel prix, et pas s'il devait revivre en étant captif. Pourrait-il être ramené à la vie en lieu sûr ?

[Lothringen]

« Les mages auront de toute façon besoin d'un peu de temps pour leurs recherches, et nous de quelques heures de repos avant d'oser nous lancer dans un nouveau sort de téléportation longue distance », approuva le mage.

Sire Rowan s'accorda à ce plan, qui fut aussitôt mis en pratique. Les mages contactèrent leurs supérieurs dont une partie était restée à la guilde des Arcanes de Manost, à proximité de leur matériel, afin de pallier les cas d'urgence, ce dont la situation relevait plus ou moins. Ils avaient déjà été sollicités durant la nuit pour localiser Hugues et le conseiller, mais les mages avaient désormais de nouvelles pistes à examiner, notamment la mort de Lothringen et le cas du Haut Prélat. Il va de soi que certains détails furent passés sous silence, sous la haute surveillance du capitaine de la Garde. Leurs contacts annoncèrent qu'ils leur communiqueraient le résultat de leurs tentatives, d'ici quatre ou cinq heures.

Pendant ce temps, les Gardes enterraient les deux corps et dressaient un bivouac sommaire, afin de prendre quelques heures de sommeil en plein jour. Mornagest apprit qu'ils se trouvaient dans un pré, à proximité d'un petit bois qui jouxtait un village d'étape sur la route régulière qui faisait la liaison entre Aghoralis et Graëlon. Tous étaient fatigués par la nuit passée, le moral en berne, et parlaient fort peu tandis qu'ils s'installaient. De plus les compagnons de Mornagest étaient loin d'être idiots, et ils avaient bien compris que sire Rowan n'avait pas tout dit de ce que lui inspirait la nouvelle apparence de leur camarade.

[Mornagest]

L'ambiance était morose, et la fatigue accumulée n'aidait pas. Lui-même éprouvait un grand besoin de repos, mais il n'était pas certain d'arriver à se vider la tête de toutes ces horreurs vécues en si peu de temps. La mort de son amant, son apparence réelle - et donc son identité - dévoilée... L'attente du résultat des sortilèges de divination serait longue. Et il devait en plus faire face à un certain mutisme de la part de ses camarades, qui se posaient de plus en plus de questions à son sujet. Naguère, il avait pu donner le change, notamment lorsqu'il mentait effrontément quant à sa relation avec Lothringen, mais désormais... il se demanda combien de temps il faudrait pour que la vérité n'éclate. Et pourquoi sire Rowan ne désirait pas l'interroger dès maintenant sur sa situation.

Largement de quoi l'empêcher de dormir. Il ne put fermer l’œil.

[Lothringen]

Contrairement à Mornagest, la plupart des gardes surent mettre à profit ces quelques heures de repos bienvenues, et il entendit quelques concerts de ronflements qui bercèrent longtemps sa nervosité. Question d'habitude. Quelles que soient les circonstances, savoir récupérer quand on en a l'occasion est indispensable, à la guerre... Le temps fila, morose, sous un jour gris. Après un temps qui lui parut infini, un de ses camarades, qui était resté de garde, cria le rassemblement. Il put alors ranger ses affaires, et venir s'aligner avec les autres, avant que leur supérieur ne leur expose le résultat des recherches des mages. A en croire ses traits tirés, les nouvelles n'étaient pas bonnes.

"Comme nous le redoutions, les ravisseurs se sont protégés contre la divination. Il n'est pas possible de localiser le corps du Conseiller. Les mages ne sont pas non plus parvenus à contacter son esprit dans le monde des morts. En revanche, ils sont parvenus à pister le Haut-Prélat, à interroger des entités à son sujet, et leur réponse est formelle - ce dernier ne détient pas le corps du Conseiller, et ne sait pas non plus qui l'a dérobé. Il l'ont localisé sur la route, à cent lieues à l'ouest d'ici, puis à Manost même, où il a dû se téléporter. Nous pouvons donc laisser cette piste de côté.

Ils cherchent actuellement à mieux déterminer quelle est la signature magique laissée par cette protection contre la divination, la barrière érigée étant particulièrement puissante. Ils vont continuer leurs recherches et nous préviendront s'ils trouvent quoi que ce soit. Nous pouvons repartir sans attendre, nos deux mages étant prêts pour lancer de nouvelles téléportations."

"Nous viserons l'entrée de Cojum", approuva l'un des mages. "Cela ne posera pas autant de difficulté que pour venir ici : la ville nous est bien connue."

"Que ferons-nous, une fois devant le grand-prêtre de Tymora ?" intervint Hadlis, qui parlait peu, mais toujours avec pertinence. "Une résurrection... ne se décide pas à la légère, et je ne suis pas certain que nous puissions en payer le prix."
"Malheureusement, si le corps continue de nous être inaccessible, c'est peut-être notre seule chance de faire revenir le Conseiller... et la seule Eglise qui envisagerait de le faire. Nous allons déjà voir ce que le grand-prêtre aura à dire. Peut-être refusera-t-il d'emblée sous prétexte que le Conseiller n'a plus les faveurs de sa Dame, du reste."

Manifestement, cette tentative, aux yeux du capitaine, avait quelque chose de désespéré - mais il s'en serait voulu de ne pas avoir tenté.

[Mornagest]

La fatigue n'aidait pas. Les mauvaises nouvelles non plus. Mornagest avait le moral en berne, et l'espoir qu'il avait encore cette nuit même s'envolait comme une plume dans la bourrasque. Parvenir à ressusciter Lothringen relèverait maintenant du miracle, auquel il ne croyait plus. Mais ils n'avaient d'autres choix, sinon attendre en rongeant leur frein d'autres nouvelles - probablement aussi mauvaises - de la part des mages devins. Non, mieux valait tenter malgré tout de quémander l'aide du grand prêtre de Tymora.

Une remarque de sire Rowan retint son attention. Qu'est-ce qui lui faisait croire que Lothringen n'avait plus les faveurs de la Dame de la Chance ? Le fait qu'il mourût cette nuit à cause d'un stupide accident ? Ou Mornagest ignorait-il quelque chose qui se serait produit entre leur enlèvement et l'arrivée de la Garde ? Cela ne fit que le miner encore davantage, et il se terra dans un mutisme sinistre.